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Impact de la structure des verres sur leur comportement à long terme

2. Altération des verres et formation de la pellicule d’altération

2.2. Impact de la structure des verres sur leur comportement à long terme

Nous avons vu précédemment que les mécanismes d’altération des verres silicatés d’intérêt nucléaire sont similaires quelle que soit la composition du verre étudié. Leurs durées sont en revanche fortement dépendantes de la structure des verres. Cette dernière est conditionnée par la composition du verre et son mode de refroidissement.

Le verre étudié dans le cadre de ces travaux étant composé de six oxydes (SiO2, B2O3, Na2O, Al2O3, CaO et ZrO2), cette partie ne se concentrera que sur l’effet de ces oxydes en particulier sur l’altération du verre. Tous les oxydes ne présentent pas la même résistance à la corrosion. Certaines liaisons, comme les liaisons B–O–B et B–O–Si, présentent des énergies d’hydrolyse plus faibles que celles des liaisons Si–O–Si ou Si–O–Zr/Al. 37 De fait, le bore est un élément facilement hydrolysable indépendamment de la composition du verre étudié. 32,38,39 On parle d’ailleurs de percolation des unités boratées, le départ de ces dernières étant irréversible et laissant derrière elles une porosité plus ou moins importante en fonction de la quantité de bore présente dans le verre sain. 40 Le Vycor, verre de silice poreux, est élaboré à partir d’un verre borosilicaté composé à ~96% de SiO4 et 4% de BO3-Na2O, dont le sous-réseau boraté est lixivié. 41

Les modificateurs de réseaux sont plus ou moins hydrolysables en fonction de leur rôle. Ainsi, le calcium et le sodium en position de compensateur de charge sont peu solubles. Le calcium est même connu pour augmenter la résistance des verres à la dissolution. 9,40 Introduits en excès,

Hydratation du verre sain à l’interface Diffusion de l’eau dans le gel Dissolution du gel Précipitation de phases secondaires

Verre sain Gel Solution

Eléments mobiles (B, Na…) Verre hydraté Pellicule d’altération passivante

35 ces éléments dépolymérisent le réseau. Ils sont alors facilement hydrolysables 42 (par des phénomènes d’interdiffusion) et, passé un seuil, entrainent la formation de canaux de percolation facilitant l’accès des molécules d’eau au réseau vitreux. Des simulations Monte- Carlo de borosilicates de sodium viennent corroborer ces observations : les verres fortement polymérisés sont plus résistants que ceux contenant de nombreux NBO. 43

Cela ne signifie pas, pour autant, qu’un verre contenant beaucoup d’espèces difficilement hydrolysables est forcément plus résistant à la corrosion. En effet, si le zirconium peut réduire la vitesse de corrosion d’un verre d’un facteur 5 à 25 (Figure 5 a), 9 les travaux de Cailleteau 44 montrent aussi que l’augmentation de la quantité de zirconium dans la structure des verres borosilicatés au-delà d’une certaine teneur empêche la formation d’un gel passivant ce qui conduit à une moindre résistance sur le long terme (Figure 5 b). 45,46

Figure 5 | Simulation (méthode Monte-Carlo cinétique) de la formation du gel d’altération en fonction de la

quantité de zirconium. (a) Les liaisons Si–O–Zr sont résistantes à la corrosion, les verres riches en Zr sont moins hydrolysés en V0 (t = 104 pas de temps). (b) La présence de Zr empêche cependant la formation du gel passivant à plus long termes (t = 3 × 105 pas de temps) ce qui rend le verre moins résistant à long terme. (Le silicium est représenté en rouge, le bore en jaune, l’eau en bleu, d’après Cailleteau, et al. 45.)

Le rôle de l’aluminium est ambivalent : s’il contribue à augmenter la résistance du réseau silicaté à l’hydrolyse, 47,48 il participe également à la formation de phases secondaires (de type argile ou zéolithe) au détriment du gel passivant, entrainant une vitesse résiduelle élevée, voire une reprise d’altération. 34,49,50

Un autre paramètre de structure pouvant modifier la durabilité chimique d’un verre est indépendant de la composition, mais dépendant des conditions d’élaboration du verre. Par exemple, la trempe thermique (refroidissement rapide) d’un verre crée des contraintes de tension dans sa structure, ce qui le rend mécaniquement plus résistant 51, alors que la trempe chimique (plongé du verre dans une solution de sels d’alcalin) permet le remplacement de modificateurs de réseaux dans la partie externe de la structure du verre, avec un effet non négligeable sur sa résistance physico-chimique. 52,53 L’effet d’une trempe très rapide sur un verre nucléaire a été étudié expérimentalement (300 à 0,5 K·min-1) et par simulation de dynamique moléculaire classique (1010 à 1015 K·s-1). 54-56 L’intérêt de ce type d’étude est de

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comparer des verres de composition similaire mais dont la structure diffère en fonction du mode de refroidissement. La structure d’un verre refroidi rapidement est plus désordonnée, une partie des cations compensateurs de charge passe en position de modificateurs de réseau et la répartition B[3]/B[4] est modifiée. Ces études démontrent également que ce désordre structural influe sur la résistance à l’hydrolyse du verre : 57 les verres trempés présentant des V0 plus élevés que celui du verre recuit, ce qui est en partie imputé à l’augmentation du nombre d’unités B[3] plus hydrolysables que les unités B[4]. 58

Ces effets de trempe peuvent être comparés aux dégâts d’irradiation produits par les radionucléides dans les verres nucléaires. A faible dose, l’impact sur le verre sain reste faible : un légère repolymérisation du réseau est observée. Ceci n’a pas de réel effet sur le comportement à long terme du verre puisque des cinétiques d’altération similaires sont observées pour un verre sain et un verre irradié. Les gels d’altération sont semblables, les processus de lixiviation éliminant un certains nombres de défauts paramagnétiques créés par l’irradiation. 59 A plus forte dose, l’irradiation entraine une dépolymérisation du réseau et une augmentation du nombre de B[3], à l’image de ce qui est observé lors des trempes.

En conclusion, le verre sain et le gel vont présenter des structures différentes de par leurs compositions et leurs voies de formation. Les caractéristiques structurales de ces deux matériaux doivent être connues pour mieux appréhender leurs interactions avec l’eau. Nous avons vu précédemment quel était l’état des connaissances sur la structure des verres sains, voyons ce qu’il en est de la structure du gel.