• Aucun résultat trouvé

Des raisons, réelles ou invoquées, pour expliquer la faible prise en compte des personnes qui ne

2.3 D E MANIÈRE GÉNÉRALE , DES DIFFICULTÉS DEMEURENT QUI LIMITENT L ’ EFFICACITÉ DE L ’ INTERVENTION

2.3.2 Des raisons, réelles ou invoquées, pour expliquer la faible prise en compte des personnes qui ne

L’absence de mise en œuvre d’actions particulières à l’égard de non-demandeurs s’explique par différentes raisons, plus ou moins légitimes, qui tiennent à des problèmes d’ordre financier, juridique, politique et technique.

2.3.2.1 L’importance relative de la contrainte budgétaire

Une des raisons les plus fréquemment invoquées pour expliquer l’absence d’actions visant à aller au devant des personnes qui ne demandent rien tient à la contrainte budgétaire. En effet, mettre en œuvre des actions visant à rechercher, détecter et prendre en compte socialement des non-demandeurs représente un coût budgétaire. La légitimité de cette raison doit cependant être examinée de près.

¾ Des surcoûts souvent invoqués, rarement chiffrés

Il faut en premier lieu distinguer entre les différents types de coûts budgétaires engendrés par la rechercher de non-demandeurs :

- les coûts liés à la détection elle-même que l’on peut décomposer en coûts directs (coût d’actions de communication ; coût marginal d’un travailleur social supplémentaire affecté à cette tâche…) et en coûts indirects (augmentation du temps des managers, de l’informatique appropriée, des locaux) ;

- les coûts liés à l’intervention sociale elle-même dans sa mise en œuvre à l’égard des personnes qui ont été détectées : ces coûts peuvent eux-mêmes être décomposés en coûts directs (travailleurs sociaux supplémentaires, coûts financiers supplémentaires induits par l’augmentation des bénéficiaires) et en coûts indirects (comme précédemment).

Le chiffrage des différents coûts ainsi répertoriés peut paraître difficile car il dépend des paramètres économiques propres à chaque structure et de la faiblesse voire de l’absence de comptabilité analytique ; il serait pourtant nécessaire pour documenter une prise de position qui apparaît donc souvent plus doctrinaire qu’économiquement fondée.

De fait, les recherches menées par la mission sur les tâches des travailleurs sociaux des conseils généraux montrent que leur temps est déjà bien occupé par l’accompagnement et le suivi des demandeurs.

L’action lancée par les CAF relative à l’AAH et aux cartes d’invalidité permet d’évaluer le coût de l’action (cf. 2.2.1.2). Si l’on considère que le taux de non recours moyen, calculé sur

la base des résultats de trois départements74 est de 40 % et, d’autre part, que le nombre de bénéficiaires de l’AAH (à 80 %) déclarant des ressources est évalué à 9 % du nombre total de bénéficiaires de l’AAH (740 000 soit 66 600), le nombre de personnes en situation de non-recours serait de 26 000. A raison d’un rappel d’un montant moyen évalué à 1 700 euros, l’action serait susceptible de coûter environ 41 millions d’euros. Ce coût est celui du rappel des prestations mais n’inclut pas le coût de la recherche qui est cependant très faible – requête informatique, coût de la liquidation – comme le confirme la lettre circulaire de la CNAF : « le rapport coût - efficacité de l’action est peu élevé dans la mesure où les moyens utilisés sont ceux qui concourent à la gestion quotidienne ». Cette estimation montre que 4 % du total des bénéficiaires d’un des minima sociaux les plus importants n’exerce pas ses droits pour un manque à gagner moyen de 1 700 euros, soit un montant supérieur à 2,5 fois leur allocation mensuelle (en considérant que le montant de l’AAH est d’environ 600 euros). Cela montre aussi, qu’en parallèle des réflexions visant à augmenter le montant de l’allocation elle-même, des actions simples à réaliser sont nécessaires pour faire en sorte que tous les personnes éligibles à l’AAH touchent bien toutes les sommes auxquelles elles ont droit.

¾ Une vision de long terme permet de relativiser ces coûts

L’importance de la contrainte budgétaire est réelle pour tous les organismes et ne doit pas être sous-estimée. Pour autant, plusieurs éléments invitent à la relativiser.

En premier lieu, malgré l’augmentation du périmètre de compétences des conseils généraux (l’APA puis le RMI, les fonds sociaux (FSL, FAJ…) et pour finir une responsabilité de droit commun75 dans le domaine social qui tend à augmenter les budgets sociaux des départements - ceci constitue une raison valable pour s’occuper d’abord des demandeurs avant de s’intéresser aux non-demandeurs -, il faut garder à l’esprit que la loi leur donne compétence pour définir et mettre en œuvre la « politique sociale » : celle-ci ne peut se passer d’une réflexion sur les non-demandeurs.

Surtout, l’intérêt des conseils généraux, responsables de l’action sociale est bien, au contraire, de mettre en œuvre des actions de détection des personnes qui ne demandent rien dans un souci de prévention, qui, d’un point de vue budgétaire est souvent préférable76. Certains départements, désormais responsables notamment du RMI, l’ont d’ailleurs bien compris. Ainsi dans un des conseils généraux visités par la mission, un budget relativement important (20 millions d’euros) a été dégagé, de même que du temps d’une responsable hiérarchique et de travailleurs sociaux, pour mettre en œuvre des actions collectives dans un objectif affiché de prévention et de détection des personnes en repli et dont la situation puis celle de leur famille (et donc de leurs enfants) se dégrade.

En second lieu, cette contrainte budgétaire doit être partagée entre les structures qui interviennent : ainsi, les sommes investies par les CAF dans la détection au travers d’actions de recherche individuelles ou collectives ou celles de caisses de MSA profitent aussi aux

74 La base réduite de l’extrapolation doit naturellement conduire à prendre avec précaution ce calcul effectué par la mission.

75 La loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales précise dans son article 49 que : « le département définit et met en œuvre la politique d’action sociale, en tenant compte des compétences confiées par la loi à l’Etat, aux autres collectivités territoriales ainsi qu’aux organismes de sécurité sociale. Il coordonne les actions menées sur son territoire qui y concourent ».

76 Dans le domaine de la protection de l’enfance, la comparaison du coût d’une mesure en milieu ouvert et d’une place en établissement plaide naturellement pour la prévention et les aides en milieu ouvert lorsque ce type d’intervention est une alternative effective.

intervenants sociaux du conseil général. Les actions mises en œuvre dans le cadre de la permanence sociale et de la permanence administrative au centre social Jérusalem (voir. 2.4.1 et annexe 3.1) sont autant d’actions que des travailleurs sociaux du conseil général auraient eu à traiter sans l’existence du centre, ce qui permet à ceux-ci de se concentrer sur les cas les plus lourds et des suivis de plus longue période.

En outre, on peut noter que la contrainte budgétaire pourrait être en partie comblée si des actions de recherche en partenariat étaient menées. Un exemple de ce type de fonctionnement a été étudié par la mission : dans un des départements visités, le service santé environnement de la DDASS avait lancé une opération de détection de logements insalubres, en déployant une campagne de communication et en cherchant des moyens de toucher des personnes habitant dans un logement insalubre. Faute de moyens importants à consacrer à une telle opération, le nombre de logements que le service prévoyait de détecter était faible. Or la mission, lors de ses investigations relatives aux études de cas, s’est rendue compte de la richesses des informations contenues dans les dossiers d’évaluation APA ; en effet, lorsqu’un évaluateur APA du conseil général ou d’un organisme à qui cette évaluation est déléguée (CCAS, MSA, etc) procède à l’évaluation, celle-ci doit nécessairement se faire dans l’environnement de la personne car la perte d’autonomie se mesure non pas en absolu mais dans le milieu de vie de la personne. Le dossier APA comporte donc des rubriques sur la qualité du logement et son caractère salubre ou non. Ces informations, très précieuses pour le service santé environnement, n’avaient jamais été portées à sa connaissance. Cette absence de connexion entre deux services publics dont l’un recherche une information et l’autre détient une des sources, révèle l’ampleur des progrès à accomplir sur l’échange des informations pour détecter des personnes qui ne demandent rien.

2.3.2.2 Des difficultés techniques à relativiser

Parmi les moyens mobilisables pour rechercher des non-demandeurs figurent le traitement de données disponibles dans des fichiers informatisés (par exemple dans les organismes de protection sociale) mais aussi la mise en commun d’informations dont disposent plusieurs organismes ou professionnels d’organismes comme le rappellent plusieurs des cas présentés en annexe IV.

Au sein des professions du travail social, la problématique du respect du secret professionnel et du partage de l’information a fait l’objet de nombreux débats. L’introduction d’outils informatiques a obligé des services à trouver des réponses pratiques à certaines des questions posées notamment celles portant sur le contenu des dossiers et sur leur accès.

Ces interrogations peuvent se retrouver encore actuellement chez certains travailleurs sociaux et, dans certains cas, les amener à traiter seuls un dossier alors que manifestement d’autres professionnels disposent d’informations qui pourraient être utiles.

Au cours des dernières années, des réflexions collectives ont été conduites sur ces questions au travers d’approches juridiques et déontologiques, des pratiques se sont développées.

L’argument du respect du secret professionnel ne devrait plus servir à justifier un refus a priori du partage d’informations et ralentir les efforts pour détecter et prendre en charge des non-demandeurs.

En particulier, des associations professionnelles notamment l’association nationale des assistants de service social (ANAS) et l’association nationale des communautés éducatives

(ANCE) ont établi des recommandations ou mis en place un dispositif d’aide aux collègues qui les saisissent de leurs préoccupations face à des situations particulières (ex : comité des avis déontologiques de l’ANCE). Pour l’essentiel77, les positions retenues s’appuient sur les points suivants :

• des dispositions juridiques comportent des obligations portant sur le secret professionnel et sur ses limites mais aussi sur le respect de la vie privée des personnes ;

• en complément de ces dispositions, des codes professionnels de déontologie existent, même si leur contenu peut parfois faire l’objet de débats ;

• les évolutions des politiques sociales et l’intérêt des personnes conduisent à ce qu’une partie du travail social se fasse dans le cadre d’un partenariat entre organismes, ce qui nécessite un partage d’informations ;

• des règles sont proposées pour respecter l’ensemble des contraintes. Elles portent, d’une part, sur des modalités générales d’exercice d’activité telles que : l’échange des informations dans des lieux et à des moments appropriés, l’information de la personne concernée, l’organisation et la gestion des réunions de synthèse ou de concertation et la rédaction des documents en conséquence, et, d’autre part, pour chaque dossier sur un ensemble de questions à se poser afin d’adapter les informations fournies en fonction notamment de l’objectif et de l’intérêt réel du partage, des destinataires, de la forme retenue pour la transmission ;

• une partie des informations peut être rendue anonyme et être ajoutée à d’autres informations concernant le fonctionnement administratif quotidien qui ne relèvent pas du secret professionnel concernant la situation de personnes particulières, et ainsi servir à la gestion des services et au pilotage des politiques.

La mise en place d’outils informatiques traitant des données sociales constitue l’occasion de préciser les modalités de mise en œuvre de ces notions dans un service et, notamment par la gestion des droits d’accès aux informations, de préciser les rôles, devoirs et limites des interventions de chacun.

La réflexion organisée sur le partage d’informations peut aller au-delà des relations entre les institutions publiques et aborder celles établies avec des associations par exemple dans le cadre d’une délégation négociée pour la réalisation d’enquêtes sociales pour des personnes menacées d’expulsion (voir annexe 2.6) ou pour l’instruction dans certains départements d’une partie des procédures relatives à la suppression des peintures au plomb menaçant la santé d’enfants dans des immeubles anciens.

Le cas du partage de l’information constitue un exemple du problème plus général du manque de diffusion et de mise en commun des pratiques innovantes. La décentralisation de la mise en œuvre des politiques sociales ne doit pas faire oublier, en particulier, que des organismes tels que ceux de sécurité sociale fonctionnent en réseau, que des structures comme le Réseau Idéal créé par des collectivités locales (voir infra 3.3.1) permettent des échanges entre services et entre professionnels, que des organisations professionnelles se dotent de moyens pour favoriser des réflexions collectives, que des centres de formation constituent des lieux de regroupement de connaissances, que des colloques abordent des sujets d’actualité.

Ce n’est donc pas l’absence d’expériences de recherche des non-demandeurs qui fait défaut mais plutôt le manque de capitalisation efficace de celles existantes et ayant fait preuve de

77 Voir notamment le numéro 205 de la revue française de service social.

leur efficacité. En conséquence, une énergie importante peut être consommée localement à réinventer ce que d’autres ont déjà engagé et évalué.

2.3.2.3 Des difficultés politiques réelles

La faiblesse des interventions sociales à destination de personnes qui ne demandent rien peut également résulter de difficultés d’ordre politique ou liées à un cadre normatif particulier ; celui-ci, selon les cas, peut ne pas inciter voire décourager une intervention qui serait pourtant nécessaire.

Une telle situation est particulièrement nette dans le cas des personnes prostituées (ainsi que le montre l’annexe 2.1) : cette population importante (15 à 18 000 personnes) connaît en moyenne, une situation sociale et sanitaire qui mériterait une intervention sociale de grande ampleur. Or, le cadre normatif actuel allié à l’absence de volonté politique claire sur une prise en charge sociale adaptée des personnes prostituées n’encourage pas les services publics sociaux à se préoccuper de cette population. Les acteurs de l’intervention sont donc très majoritairement associatifs, sans pilotage national fort, et sans que l’Etat ne se donne les moyens d’une intervention sociale pourtant prévue par les textes (absence de commissions départementales, nombre ridicule de services publics spécialisés (SPRS78), nombre très faible de personnes victimes de la traite mises à l’abri dans le dispositif d’accueil sécurisé…).

Cette question rejoint celle des étrangers sans papiers – une partie des personnes prostituées sont des étrangères sans papiers – pour lesquels les intervenants sociaux, du fait du cadre normatif, se trouvent en porte-à-faux et ne peuvent développer les actions auprès de non-demandeurs, qui seraient pourtant nécessaires. Ainsi, les travailleurs sociaux sont tiraillés entre les obligations légales de porter assistance aux personnes (personnes particulièrement vulnérables, protection de l’enfance) et leur responsabilité qui pourrait être engagée sur le fondement de l’aide au séjour irrégulier. Cette question se pose surtout pour les intervenants sociaux des centres d’hébergement d’urgence79, mais aussi plus largement à tous les intervenants sociaux connaissant des personnes sans papiers. Cette conjonction engendre une non-demande forte car, d’une part, les travailleurs sociaux ne sont pas dans une situation confortable et, par voie de conséquence, n’engagent pas spontanément d’actions visant à les détecter et à les prendre en charge et, d’autre part, les personnes en situation irrégulière ne se dirigent pas non plus spontanément vers des services publics, même sociaux.

D’une façon similaire, la situation des femmes victimes de violences (décrite à l’annexe 2.2) montre l’importance à la fois d’une mobilisation politique traduite dans une stratégie nationale mais aussi des moyens réels pour une mise en œuvre effective. Faute de quoi, le constat d’une forte absence de demandes de ces femmes vis-à-vis des services sociaux pourrait perdurer ; alors même que des besoins d’interventions existent et que l’importance qu’une réponse concrète soit apportée aux demandes latentes de ces femmes a été fort justement et solennellement soulignée par plusieurs responsables ministériels.

78 Service de prévention et de réadaptation sociale.

79 Voir le rapport IGA - IGAS sur les déboutés du droit d’asile de fin 2003.

2.3.2.4 Des pratiques inadaptées des travailleurs sociaux

L’efficacité de l’intervention sociale vis-à-vis des personnes qui ne formulent pas de demandes peut également être handicapée, dans certains cas, par des pratiques professionnelles des intervenants sociaux. La formation initiale qui leur est dispensée notamment pour les assistants de service social ou les conseillers en économie sociale et familiale, met en effet particulièrement en avant la notion de « protection personnelle » de l’intervenant social. Cela signifie que le travailleur social dans chaque phase de diagnostic de la situation de la personne ne doit pas, et cela se comprend aisément, être dans l’empathie totale ni faire sienne la situation de la personne.

Le travailleur social doit veiller à contrôler ses sentiments, ses émotions et, de ce fait peut ne pas être suffisamment attentif pour percevoir, derrière un comportement mutique ou derrière une demande ponctuelle, ou une exigence revendicatrice très large, des demandes plus profondes mais difficiles à évoquer d’emblée (voir annexe 2.9 sur « le problème qui fait écran »). Le travail des intervenants sociaux au centre social (décrit à l’annexe 3.1) montre bien la difficulté à construire puis entretenir une relation de confiance dans la durée pour qu’émerge, au bout d’un certain temps, une demande qui n’était pas formulée au départ. Or, le recours à une telle démarche peut être contraint non seulement par le temps mais aussi par la volonté, souvent légitime, de se protéger.

TROISIEME PARTIE. PLUSIEURS LEVIERS D’ACTION S’AVERENT EFFICACES POUR LIMITER LE PHENOMENE DE

NON-DEMANDE

L’efficacité des interventions sociales à destination de personnes qui n’ont pas exprimé de demande dépend de facteurs clefs de succès qui tiennent à la qualité du partenariat et du partage quotidien de l’information, aux modalités concrètes d’entrée en contact avec les personnes et, enfin, à la pertinence du management général des intervenants sociaux. Ces éléments, étroitement liés les uns aux autres dans la pratique, sont autant de leviers d’action pour limiter l’importance du phénomène de non-demande.