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Des méthodes d’entrée en contact avec le public du travail social qui se renouvellent

3.2 L ES MODALITÉS DU CONTACT AVEC LES NON - DEMANDEURS

3.2.3 Des méthodes d’entrée en contact avec le public du travail social qui se renouvellent

dans sa permanence à des horaires déterminés) sont utiles dans une stratégie de détection de personnes qui ne demandent rien, pour peu que les formes de prise de contact, de communication et de reconnaissance du travailleur social dans son secteur soient bien faites (lettres de mise à disposition incitatives par exemple). Elles ne sont cependant pas suffisantes pour toucher des populations recluses et réticentes vis-à-vis du travail social. Des formes complémentaires sont également nécessaires pour lesquelles d’une part le rôle des associations est primordial et d’autre part le développement des services à la personne peut avoir des effets intéressants.

3.2.3.1 Des modes d’entrée en contact rénovés qui sont efficaces

Une part importante des personnes qui ne demandent rien ne souffre pas seulement d’un manque d’information quant aux droits qu’elles pourraient exercer, elles manquent aussi, étant donné les possibilités d’accès à un service public social et les ressources – financière, intellectuelle, psychologique – qui sont les leurs, d’une occasion d’exprimer une demande. Dès lors, une pratique du travail social qui se limiterait à ne faire que répondre à une demande venue soit de la personne elle-même soit de signalements, dans le contexte social actuel, n’est plus suffisante85.

Une part des publics qui pourraient être potentiellement pris en charge par le travail social ne peut pas exprimer de demande : les études de cas annexées à ce rapport montrent à l’envi des personnes qui n’ont pas les ressources personnelles pour exprimer une demande. Il s’agit de personnes sans domicile, de personnes immigrées, de personnes prostituées, de familles sur-endettées, de personnes âgées isolées, de jeunes en errance, etc86. L’annexe 4.5 présente le cas de monsieur F, éducateur spécialisé, qui à la suite de ruptures professionnelles et conjugale, est désorienté et se trouve dans l’incapacité de s’adresser à un service social pour obtenir une aide autre que d’urgence. Initier un travail social avec ces personnes suppose qu’un premier contact ait été pris, que la personne ait été approchée et qu’elle ait accepté, dans son principe un peu vague de départ, une rencontre au sens fort du terme avec un intervenant social. Si l’initiative ne vient pas de la personne – situations dont beaucoup de travailleurs sociaux reconnaissent qu’elle est fréquente -, il faut qu’elle vienne de l’intervenant social lui-même, quel que soit le « groupe » auquel il appartient.

85 Même si cette mission est indispensable ainsi que l’ont indiqué en substance des responsables de conseils généraux : « Notre première mission est d’organiser et de faire fonctionner de façon efficace des services qui sont placés sous la responsabilité des conseils généraux en vertu des lois de décentralisation. Or, cette première mission est très exigeante aussi bien en termes de planification que de pratiques au quotidien »

86 D’autres exemples étudiés à l’occasion de la mission sont encore plus éloquents : un avocat qui a besoin d’une assistance juridique simple pour effectuer des démarches administratives courantes, un médecin qui a perdu tout repère personnel, à la suite de ruptures jusqu’au jour où, sans logement, il est accueilli dans un CHRS.

Ces initiatives peuvent notamment prendre la forme d’opérations de détection des personnes sur les lieux mêmes soit de leur travail (voir annexe 2.1 sur les personnes prostituées)87 soit de leur hébergement ou de distribution alimentaire. L’annexe 3.2 montre bien l’efficacité de la stratégie de deux intervenantes sociales d’un conseil général et d’une CAF utilisant les moments clefs de distribution de colis alimentaire pour prendre contact avec des gens qui ne venaient pas au centre d’action sociale ou qui refusaient d’y venir. Une telle entrée en contact dans un lieu autre que celui traditionnel et « repoussoir » pour certains de la permanence sociale et à l’occasion d’un événement particulier a créé une dynamique particulière de demande et de possibilité de travail social avec des personnes qui, sinon, ne seraient pas entrées en contact avec l’assistante sociale. La liste des lieux d’intervention de l’association Droits d’urgence (centre hospitalier, permanences d’association caritative...) fournit une illustration de ce principe : l’important est d’aller au devant des personnes dans des lieux où celles-ci se déplacent pour un besoin matériel ou bien où elles vivent.

De même, les démarches itinérantes par lesquelles les travailleurs sociaux se rendent au devant des personnes et leur donnent une occasion de demander, vont dans le même sens : il peut s’agir des unités mobiles mises en place par des associations spécialisées dans la prise en charge des personnes prostituées (Bus en Gironde, les Amis du Bus des Femmes), des unités mobiles mises en place dans certaines caisses primaires d’assurance maladie, il peut s’agir encore des correspondants itinérants de certaines caisses de la MSA. Ces méthodes permettent de toucher des populations isolées par la distance géographique ou par des réticences, voire des menaces (comme dans le cas des personnes prostituées).

3.2.3.2 Le rôle de capteur social joué par les associations est fondamental

Le rôle des associations dans l’intervention sociale n’est depuis longtemps plus à démontrer.

La fonction même du travailleur social puise ses sources dans les initiatives privées88 auxquelles la loi de 1901 sur les associations a fourni un cadre commode.

Aujourd’hui le secteur associatif pèse d’un poids important89 : le poids financier consolidé est estimé à 40 milliards d’euros dont 23 milliards de subventions publiques. Les activités produites par des associations, qu’elles soient de milieu ouvert ou - et c’est la majorité – en établissement sont réalisées par 1,3 million de salariés et peut-être autant de bénévoles. Dans cet ensemble, le domaine social représente 30 % des crédits et 40 % des emplois, soit autant que le secteur automobile français. Enfin, le secteur associatif emploie 58 % des travailleurs sociaux.

Le rôle des associations concernant l’intervention sociale à destination des personnes qui ne demandent pas est décisif :

87 Cette mission n’a pas investigué sur le rôle des dispositifs médico-social en direction des élèves ni des médecins du travail.

88 On peut prendre les exemples des mouvements nés du catholicisme social, de l’éducation populaire, des surintendantes d’usines... Les diplômes et les postes de travailleurs sociaux fonctionnaires ne sont venus qu’après.

89 Les chiffres qui suivent proviennent d’une note de recherche de Philippe Warin « Le non-recours vu par les associations intervenant dans le secteur de l’urgence sociale », 2002, ODENORE ; du livre de référence d’Edith ARCHAMBAULT : « Le secteur sans but lucratif, associations et fondations en France », économica, Paris, 1996 ; du « Bilan de la vie associative 2000-2002 » fait par le conseil national de la vie associative, la documentation française, 2003.

- Tout d’abord, certaines associations jouent un rôle de capteur social, c’est-à-dire qu’en étant au contact des personnes qui ne fréquentent pas régulièrement, ou pas du tout, des services publics sociaux, elles sont en mesure de reconnaître les difficultés des personnes, faire émerger une demande, la prendre en charge ou la relayer auprès d’acteurs institutionnels. A ce titre, le travail de ces associations est relativement semblable à celui d’intervenants sociaux qui, lors du premier entretien, effectuent un travail de diagnostic et de repérage des difficultés ou des besoins qui nécessiteraient une aide. La mission a eu connaissance de très nombreux exemples de personnes qui ayant des besoins, n’avaient pas formulé de demandes, et qui, à l’occasion d’une entrée en contact avec une association, d’une rencontre, ont pu être écoutées et formuler une demande qui a ensuite été relayée auprès de travailleurs sociaux institutionnels. Cette part de la détection des non-demandeurs effectuée par les associations est très difficile à quantifier ; elle est pourtant importante.

- Ensuite, dans différents secteurs, les associations sont les acteurs d’une prise en charge de certaines catégories de personnes qui ne demandent rien ; ainsi, l’intervention sociale à destination des personnes prostituées - dont il a été déjà indiqué dans ce rapport que le nombre n’était pas marginal puisque de 15 à 18 000 personnes sont concernées, et qu’à leur égard une démarche active et spécifique des services sociaux était nécessaire pour de nombreuses raisons (voir annexe 2.1) - est faite essentiellement par des associations spécialisées (Amicale du nid, Amis du bus des femmes, etc). D’ailleurs, la très grande majorité des crédits publics versés par la Direction générale de l’action sociale (environ 6 millions d’euros par an) sert à financer l’action d’associations nationales et locales. De même, une association comme Droits d’urgence qui offre des consultations juridiques gratuites à des personnes qui, en majorité, n’auraient pas exprimé de demande en ce sens, organise des permanences dans des lieux adaptés (lieu d’hébergement pour personnes sans abri, locaux d’associations caritatives, locaux de Médecins du monde...).

Ainsi, elle effectue une intervention sociale à destination de personnes qui avaient souvent très mal identifié les problèmes juridiques auxquels elles étaient confrontées.

- Enfin, dans certains domaines, les associations développent une intervention sociale en relais des actions publiques et, d’une certaine façon, suppléent l’intervention sociale effectuée par les services publics. C’est notamment le cas dans le domaine du logement où des associations disposant de travailleurs sociaux salariés sont mandatées pour effectuer des interventions sociales qui vont de l’accompagnement social lié au logement, à la prévention des expulsions ou à la rénovation de logements insalubres (voir annexe 2.6). Par exemple, l’association Habitat et Solidarités ou l’association Promo - jeunes ont pour mission d’entrer en contact et entamer un travail social avec des familles menacées d’expulsion que les intervenants sociaux publics (conseil général) n’avaient pas pu (ou n’auraient pas pu efficacement) rencontrer. L’avantage de telles associations en l’occurrence réside dans la souplesse de leurs horaires puisque leurs conseillères en économie sociale et familiale interviennent fréquemment le samedi et dans l’image positive véhiculée par une association contrairement à une assistante sociale de secteur.

De telles initiatives n’existent certes pas partout mais elles sont cependant loin d’être isolées.

3.2.3.3 Les nouvelles perspectives ouvertes par le développement des services à la personne

Aussi bien en direction des parents qui ont besoin d’un mode de garde pour leurs enfants, que vis-à-vis des personnes âgées ou en situation de handicap, les services dits « à la personne » ont déjà connu un fort développement au cours des vingt dernières années. Ce développement devrait encore s’amplifier au cours des années à venir, sous les effets conjugués de l’accroissement des besoins et de l’amélioration continue des modalités de réalisation de ces services (traduite notamment dans les efforts des pouvoirs publics90).

De façon schématique, les services à la personne sont réalisés91 par des professionnels comme des aides à domicile, des assistantes maternelles, des « auxiliaires de vie » mais aussi des employés de maison, pour reprendre des catégories de métiers répertoriées.

Ce développement des services à la personne est un phénomène majeur, en termes de création d’emplois et de structures des emplois, mais aussi dans le champ des interventions sociales. Ainsi, le développement du nombre de professionnels exerçant des fonctions d’aide à la personne va faciliter la mise en place d’alternatives à l’accueil des personnes concernées (enfants, personnes âgées…) dans des établissements (crèches, établissements d’hébergement pour personnes âgées…), en complétant les modalités de prise en charge au quotidien par des proches (familles et/ou amis et/ou voisins).

Mais ce développement du nombre d’intervenants sociaux professionnels va aussi améliorer la détection et la prise en charge de difficultés de tous ordres (sanitaires92 ou sociales), par leurs interventions à côté des « travailleurs sociaux » au sens strict (en l’état actuel des catégories juridiques qui excluent de cette appellation les professionnels qui exercent ces métiers de service à la personne).

L’importance de ces changements en cours a été déjà bien prise en compte par la CNAF et de nombreux conseils généraux, ainsi que par l’Etat, à travers par exemple le développement des relais d’assistantes maternelles (RAM), qui à la fois facilitent et améliorent l’exercice par celles-ci de leur professions et donc aussi contribuent au développement du nombre de personnes qui souhaitent exercer ce métier. Les initiatives exemplaires, prises il y a maintenant plus de dix ans par des fédérations départementales d’ADMR vis-à-vis des auxiliaires de vie, peuvent aussi être rappelées. Enfin, les centres locaux d’information et de coordination gérontologique (CLIC), dans une double logique d’information et d’accès aux droits et de coordination des acteurs de l’intervention sociale à l’égard des personnes âgées,

90 Voir par exemple dans la deuxième moitié des années 1990 les rapports IGF-IGAS (Véronique HESPEL et Michel THIERRY) et IGAS (Antoine CATINCHI) et tout récemment la mission confiée à Jérôme LACAILLE par le Ministre de l’emploi, du travail et de la cohésion sociale et son plan de développement des services à la personne.

91 Quant aux cadres juridiques dans lesquels ces prestations de services sont fournies, ils sont essentiellement de trois types :

le professionnel qui rend le service à une personne est employé par une association (ou un CCAS) qui fournit une prestation à une personne ;

la relation de service entre le professionnel et la personne peut aussi être de nature contractuelle de façon directe (il y a un contrat de travail entre le professionnel et la personne qui l’emploie pour que ce professionnel lui rende service) ;

la relation de service peut être médiatisée (pour diverses raisons notamment de commodité administrative) par une association qui est « mandataire » et intervient donc, entre le professionnel et la personne à laquelle le service est fourni.

92 Au sens large, où la santé selon la définition de l’OMS s’étend aux problèmes mentaux et psychiques.

apportent une vraie plus-value pour le développement des métiers du service aux personnes âgées.

La prise en compte de l’intégralité des évolutions en germe à travers ce développement des services à la personne, tant en termes d’impact sur les missions des travailleurs sociaux (au sens actuel), du développement du professionnalisme de ces intervenants sociaux et de leur nombre93 que, indirectement, sur les plans de charge et les fonctions de ces travailleurs sociaux, ne fait que commencer.

Ainsi, un pourcentage croissant de l’activité des travailleurs sociaux pourrait être consacré à des fonctions d’animation d’intervenants sociaux à domicile et de contrôle de leur activité.

D’une pratique de leur travail qui les place principalement en situation « d’expertise », des travailleurs sociaux seraient conduits à exercer de plus en plus des fonctions de management.

Ce changement de perspective professionnelle n’est cependant pas en rupture avec ce qui peut être déjà observé. La qualité des interventions sociales, notamment à l’égard des personnes qui ne demandent rien, est largement conditionnée dès à présent par la qualité de leur management, d’ailleurs souvent exercé par des travailleurs sociaux expérimentés et qui ont développé des compétences complémentaires dans la gestion d’équipe.