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Les multiples types et causes de non-demande peuvent être regroupés en quelques grandes

1.1 L E PHÉNOMÈNE DE NON - DEMANDE PREND DES FORMES TRÈS VARIÉES

1.1.2 Les multiples types et causes de non-demande peuvent être regroupés en quelques grandes

La plupart des études réalisées à ce jour portent sur le non-recours à une ou à des prestations identifiées qui sont fournies par des organismes remplissant des missions de service public.

Ces études sont particulièrement précieuses pour articuler les « plans d’actions » que ces organismes doivent mettre en œuvre. Cependant, des recherches et des réflexions de sources diverses ainsi que les observations de la mission inscrivent le non-recours dans des perspectives plus larges et permettent de déterminer quelques modalités explicatives générales des différentes formes de non-demande.

1.1.2.1 Les limites des études centrées sur des types de prestations ou des dispositifs Les études existantes sur l’absence de demande, de fait peu nombreuses et ciblées, portent essentiellement sur le non-recours à des prestations de sécurité sociale identifiées, tout particulièrement dans le domaine des allocations et prestations familiales.

L’intérêt de ces études, conduites notamment par la CNAF (voir le n° 120 de décembre 2004 d’Informations sociales, sur le thème de l’accès aux droits), par la CNAMTS via le CREDES11, par l’ODENORE (Observatoire DEs Non REcours aux droits et services12), par l’institut de recherche économique et sociale (IRES) ou par l’IGAS13, est certain. Les méthodologies sont rigoureuses, les préconisations intéressantes et ont permis des progrès dans l’accès aux prestations étudiées.

Cependant, deux limites ont longtemps marqué ces études : elles étaient centrées sur un type de prestation, elles visaient à mettre en lumière les défauts (et donc les améliorations possibles) dans les processus de travail des organismes fournissant ces prestations. Ces limites sont d’ailleurs bien décrites dans l’organisation générale et plusieurs articles de ce numéro déjà cité d’Informations sociales.

Des objections semblables peuvent d’ailleurs être faites à l’encontre de la quasi totalité des rapports et études sur l’évaluation ou la mise en œuvre des politiques publiques. Ceux-ci sont essentiellement centrés sur l’efficience et l’efficacité des dispositifs ; à ce titre ils traitent de la facilité d’accès à ces dispositifs et donc aussi de leur effectivité, mais de fait n’abordent pas en général la question de la non-demande.

Néanmoins les rapports de contrôle de services départementaux de l’ASE que l’IGAS réalise depuis 1999 abordent la question de la non-demande. Ces rapports décrivent, dans un domaine dans lequel il devrait y avoir des chiffres très précis14, les incertitudes sur les statistiques et cherchent à apprécier la qualité de l’évaluation des besoins. L’extrême hétérogénéité des moyens d’action recensés dans les départements (les écarts vont souvent de 1 à 2, voire de 1à 10 dans des départements comparables) conduit à faire l’hypothèse que dans

11 Devenu IRDES (Institut de Recherche et de Documentation en Economie de la Santé) depuis le 1er juin 2004.

12 Voir son site www.odenore.msh-alpes.prd.fr ; et voir ci-après la présentation succincte des typologies de non-recours et de causes de non-non-recours que l’ODENORE propose comme référence.

13 Par exemple le rapport « enquête sur les relations des CAF avec les bénéficiaires de prestations d’isolement », (2000).

14 Ces chiffres devraient porter non seulement sur les moyens disponibles (nombre de places en établissements, nombre d’actions éducatives…) mais aussi sur les personnes concernées (enfants et adolescents, leurs parcours de vie…) ainsi que sur les besoins actuels et prévisibles par type de modalités de prise en charge.

certains d’entre eux, il y a non réponse à des demandes et/ou absence de voies par lesquelles des demandes que des personnes voudraient formuler pourraient être entendues et satisfaites15.

Or il est primordial de considérer l’absence de demande également du point de vue de la personne qui ne demande pas une allocation, une prestation ou un service. Plusieurs auteurs insistent dans Informations Sociales sur les dynamiques de désinsertion sociale16 qui sont à l’œuvre et privent de fait les personnes de leur pleine capacité, notamment à faire valoir leurs droits. Le présent rapport s’inscrit dans cette perspective, d’ailleurs tracée depuis longtemps : le rapport annuel de l’IGAS de 1980, puis celui de 2002, consacrés aux « usagers » ou celui du Commissariat Général du Plan de 199217 soulignaient déjà l’importance des phénomènes de non-demande mais aussi la faiblesse des données statistiques sur ces phénomènes. Ainsi, ce rapport vise à dégager quelques grandes sources ou causes de la non-demande et naturellement prend en considération le parcours de la personne, son histoire, et notamment ses rapports avec les institutions, ainsi que son cadre de vie18.

1.1.2.2 Quelques grands types de non-demande et de leurs causes

Afin de déterminer le champ du phénomène de la non-demande, la mission s’est livrée à une analyse méthodique des situations possibles dans lesquelles peut se trouver toute personne vis-à-vis de l’intervention sociale de proximité. Cette analyse méthodique est présentée à l’annexe 1.3 ; elle a guidé la mission au cours de ses investigations, comme ceci est illustré dans les études de cas (voir annexe IV). Elle a démontré sa capacité à décrire la réalité à travers les observations qui constituent les parties 2 et 3 de ce rapport et est cohérente avec des approches élaborées dans d’autres cadres et qui sont présentées ci-après.

La situation des personnes en regard de toute prestation ou service peut être présentée à partir de la matrice suivante :

Personne Bénéficiaire Non bénéficiaire

Eligible A : Accès effectif B : Non-recours

Non éligible C : Erreur (ou fraude) D

Dans ce tableau les situations A et D ne posent pas de problème, au contraire de la situation C, qui correspond à une erreur ou une fraude ainsi que de la situation B. C’est ce dernier type de situation qui correspond au non-recours.

Du point de vue des personnes et de façon schématique, trois types de raisons peuvent expliquer cette absence de recours à une intervention sociale (en espèce ou en nature) :

15 C’est ce que dénonce d’ailleurs avec vigueur le Défenseur des enfants dans ses rapports annuels et tout particulièrement celui paru en décembre 2004.

16 Certains auteurs utilisent le terme de désaffiliation Robert CASTEL notamment ; mais voir aussi sur ce thème : Serge PAUGAM, Simon WUHL, ou « Exclusion, définir pour en finir », sous la direction de Saül KARZ, avec des contributions de Michel AUTES, Monique SASSIER… ; Dunod ; 2001. Et, à ces études déjà existantes, viendront bientôt s’ajouter celles que l’Observatoire de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale (ONPES) a commanditées sur le thème des « systèmes locaux de pauvreté » et qui complèteront les études réalisées pour l’ONPES ou conduites sous l’égide de cet observatoire (par exemple l’étude de la Mission d’information régionale (de Franche-Comté) sur l’exclusion : Processus d’exclusion et accès aux droits ; mai 2004).

17 Exclus et Exclusions ; connaître les populations, comprendre les processus. Groupe technique présidé par Philippe NASSE, rapporteurs : Hélène STROHL et Martine XIBERAS.

18 Voir notamment l’annexe 2.3 sur la CCMSA ainsi que les études de cas individuels de l’annexe IV.

- certaines personnes ne savent pas qu’elles pourraient bénéficier d’un type d’aide ; - d’autres personnes ne veulent pas se servir d’informations dont elles disposent ; - enfin des personnes ne peuvent pas se servir des informations dont elles disposent.

Cependant, la distinction entre défaut d’information, absence de volonté d’action et difficulté technique s’efface souvent derrière une raison personnelle (voir annexe 2.9. sur l’existence d’une « difficulté qui fait écran »). C’est aussi ce sur quoi insiste Jean-Michel BELORGEY19 en décrivant l’apparition d’une non-demande « par lassitude ». A force de s’être heurtée à des refus et/ou à de la mauvaise volonté des administrations, une personne en vient à ne plus chercher à faire respecter un droit spécifique, mais peut-être aussi d’autres droits qu’elle pourrait faire valoir.

Des approches plus détaillées permettent de progresser dans la description des situations personnelles. Les typologies élaborées par l’ODENORE ou le rapport DALY sont présentées dans les paragraphes suivants dans leurs grandes lignes, car elles ont, aux yeux de la mission, une valeur de référence au niveau national et européen20.

L’ODENORE (Observatoire DEs Non REcours aux droits et services) et notamment Philippe WARIN21, présente des typologies de non-recours et de causes de non-recours. Ainsi, après avoir défini les termes de « population ciblée », de « population éligible », de « population bénéficiaire » puis de « recours », de « quasi recours » (et aussi de « taux de non-recours »), cet observatoire présente22 comme types de non-recours :

Non-recours primaire Une personne éligible ne demande pas une prestation, donc ne la perçoit pas

Non-recours secondaire Une personne éligible demande une prestation, mais ne la perçoit pas, soit à cause de son fait, soit à cause de l’organisme qui prend une mauvaise décision (ou qui ne s’assure pas qu’il a pris une décision adaptée).

Non-recours complet Une personne éligible ne perçoit rien et ne demande rien.

Non-recours partiel Une personne éligible demande une prestation, mais n’en perçoit qu’une partie.

Non-recours permanent Une personne éligible ne demande pas une prestation entre le moment ou elle est éligible et le moment où elle ne l’est plus.

Non-recours temporaire Une personne demande une prestation après un certain délai (si elle faisait sa demande tout de suite, ce serait un recours différé). Ce non-recours apparaît entre le moment où la personne devient éligible et celui où elle demande la prestation.

Non-recours frictionnel Dû au laps de temps nécessaire à la procédure de demande (du fait de la personne, de l’organisme ou des deux).

Non-recours cumulatif Une personne éligible à plusieurs prestations ne les perçoit pas toutes.

Non-recours volontaire (ou défection)

Résulte du choix de la personne éligible de ne pas demander une prestation

19 Lors de son entretien avec les membres de la mission (voir liste des personnes rencontrées par la mission).

Jean Michel BELORGEY appuie sa démonstration sur :

- le rôle des « notables » et des élus, qui effectuent souvent de fait une forme de travail social, en « premier recours » ou « en appel » d’une absence d’écoute suffisante des problèmes rencontrées par une personne ; - les constats faits à partir des dossiers traités la Commission Centrale d’Aide Sociale qui démontrent

l’inadaptation flagrante de certaines réponses d’administrations publiques face à des demandes valablement formulées.

Il est aussi possible de se référer à l’article de Jean-Michel BELORGEY paru en 2000 dans la Revue du Droit Sanitaire et Social, vol. 36, n° 3, « De l’ignorance du droit civil par l’autorité administrative et par le juge » ;

20 Et doit aussi être rappelé ici l’intérêt général, pour comprendre le contexte institutionnel français, du rapport annuel 2001 de l’IGAS (déjà cité) : les institutions sociales face aux usagers.

21 Philippe WARIN est directeur de recherche au CNRS, responsable de l’ODENORE et coordonne le réseau thématique européen sur le thème du non-recours intitulé EXNOTA (EXit from and NOn TAke up of public services).

22 Voir sur le site (déjà cité) de l’ODENORE « De quoi parle-t-on ? Définitions et repères » ; la présentation dans ce rapport est légèrement différente de celle qui figure dans ce texte.

A ce stade il est possible de noter, d’une part, que tous ces types de non-recours rentrent dans la case B de la matrice présentée ci-dessus et, d’autre part, que plusieurs formes de non-recours (par exemple : complet, permanent, volontaire) sont des formes de non-non-recours primaire.

Quant aux causes du non-recours, l’ODENORE propose, selon ses termes mêmes de distinguer trois sources de causes23 qui trouvent respectivement leur origine dans :

- la personne : manque d’informations ; erreur de perception de sa propre éligibilité ; obstacles financiers, linguistiques, juridiques, culturels ou religieux, psychologiques, de santé ; isolement familial et social ; éloignement géographique ; résignation, lassitude envers les institutions ; négligence ; stigmatisation ; habitude ou accoutumance ; calcul et préférence donnée à d’autres solutions ;

- l’organisme qui fournit la prestation : les dysfonctionnements institutionnels ; les erreurs d’interprétation ; les pratiques discriminatoires ; les fonctionnements dissuasifs ;

- le dispositif : inadaptation aux besoins ; rationnement des prestations ; manque de lisibilité des dispositifs ou des prestations ; complexité du droit ou des démarches administratives ; effet « désincitatif » des dispositifs ou des prestations.

Le rapport de Mary DALY présenté au Conseil de l’Europe et adopté en 2002 :

« L’accès aux droits sociaux en Europe » (voir une présentation en annexe 2.7)24 utilise une grille d’analyse assez similaire. La finalité de ce rapport, demandé à la suite de la réunion des chefs d’Etat et de Gouvernement à Strasbourg en octobre 1997, était de dégager des orientations politiques intersectorielles sur l’accès aux droits sociaux. Il identifie sept types d’obstacles à l’accès aux différents droits sociaux, par exemple la gestion et les procédures ; l’information et la communication ; les obstacles psychologiques et socioculturels ; … (la liste complète et les caractéristiques plus détaillées de ces types d’obstacles sont présentées dans l’annexe 2.7).

Ce rapport constate que l’effectivité du droit est au moins aussi importante que la valeur du droit lui-même. En outre, il signale que l’absence d’accès à un droit social fondamental a des effets en cascade et rend plus difficile l’accès des personnes concernées à d’autres droits sociaux : il y a interdépendance des droits sociaux.

La prise en compte de l’ensemble de ces dimensions institutionnelles et personnelles prévaut d’ailleurs au sein de l’Union Européenne et se traduit dans les modalités de suivi des PNAI (Programme National d’Action pour l’Inclusion sociale)25 qui considèrent non seulement la mise en œuvre des dispositifs, mais aussi la situation des personnes.

23 Ibid ; dans un tableau l’ODENORE illustre par des verbatim ces causes de non-recours ; par exemple

« l’erreur de perception de sa propre éligibilité » est illustré par « je ne pensais pas que j’y avais droit » ou le

« fonctionnement dissuasif » est illustré par « c’est la 5ème fois qu’on me demande le même papier ».

24 « L’accès aux droits sociaux en Europe », édition du Conseil de l’Europe, octobre 2002 ; et voir aussi sur le site de l’ODENORE le document intitulé « L’apport des experts européens » signé par Philippe WARIN et l’article de Julien DAMON sur le même thème dans le n° 120 d’Informations sociales (déjà cité).

25 Comme illustration voir sur www.social.gouv.fr la présentation par la France du PNAI (Programme National d’Action pour l’Inclusion sociale) 2003-2005 et notamment ses annexes ainsi que le rapport réalisé en 2004 pour la Commission Européenne par Michel LEGROS, choisi à titre d’expert, sur la mise en œuvre par la France du PNAI 2001-2003.

A l’issue de ces présentations, il apparaît bien que la non-demande est un phénomène aux dimensions multiples, aux causes diverses et que son approche doit prendre la mesure de sa complexité.

Du point de vue des objectifs et modalités d’intervention sociale, les efforts d’adaptation doivent donc être faits non seulement pour éviter l’absence de demande d’un certain type d’action sociale, mais aussi de nombreux autres types d’interventions. Les conséquences peuvent (comme cela sera décrit en 1.3) en être particulièrement graves : toute personne peut, par étapes successives, se trouver à un certain moment de sa vie « hors droit », c’est-à-dire dépourvue de sa capacité à bénéficier de ses droits sociaux. Les parcours de vie des personnes sans domicile fixe en fournissent les exemples les plus frappants, même si d’autres situations, moins médiatisées, sont toutes aussi dramatiques et proviennent aussi, en totalité ou en partie, d’une situation de non-recours ou plus largement de non-demande.

Une approche quantitative de situations de non-demande est, en cela, particulièrement nécessaire.

1.2 Plusieurs millions de personnes devraient formuler une demande