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P LUSIEURS MILLIONS DE PERSONNES DEVRAIENT FORMULER UNE DEMANDE D ’ INTERVENTION SOCIALE ,

Certes, des données sont connues, analysées et traduites en plan d’actions. Nadia KESTEMAN, rappelle dans un article d’Informations sociales (déjà cité) le rapport de la mission confiée à Gabriel OHEIX qui préconise en 1981, parmi les moyens de lutter contre la pauvreté, la recherche d’allocataires potentiels. Elle met cette mission dans une perspective qu’elle fait commencer dans les années 1970 et cite l’étude réalisée à la demande de la CNAF par Jean-Luc OUTIN sur l’accès des familles aux droits sociaux. Elle rappelle les opérations de recherche de droits potentiels en matière d’allocation de logement familiale, menées de façon essentiellement exploratoire dans les années 1980 dans toutes les CAF et qui avaient permis de déduire un taux de non-recours d’environ 10 %.

La création de l’observatoire de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES), conformément à l’article 153 de la loi d’orientation de lutte contre les exclusions ainsi que la constitution de la direction de la recherche, de l’évaluation, des études et des statistiques (DREES) en 1999 ont permis d’incontestables progrès. Mais, et cela a déjà été indiqué ci-dessus et se retrouve dans de nombreux rapports officiels, notamment de la Cour des Comptes ou de l’IGAS, les chiffrages restent encore fragiles et lacunaires dans le domaine de l’action sociale26.

Certains des chiffres présentés ci-après pour évaluer l’importance des phénomènes de non-demande peuvent donc surprendre par leur ampleur. Ils forcent néanmoins à s’intéresser à des réalités diverses et légitiment des analyses complémentaires pour mieux apprécier des situations personnelles complexes et souvent pénibles.

Afin de situer l’importance de ces phénomènes, ne seront rappelés dans les paragraphes suivants que quelques chiffres pour illustrer l’ampleur de besoins non satisfaits d’interventions sociales, à travers d’une part des chiffrages « directs » et d’autre part des

26 Ces lacunes sont en outre majorées au niveau national par la tendance de certains responsables à se focaliser sur l’animation d’actions inutiles (des données ou des expériences intéressantes existent déjà mais ne sont pas utilisées) au détriment de missions telles que la conception, le pilotage et le suivi opérationnel.

chiffrages « indirects », c’est-à-dire des données qui signalent l’absence d’une intervention sociale « en amont » alors qu’un risque était avéré27.

La présentation ci-après des exemples de non-demandes quantitativement chiffrés.

Elle suit un ordre de classement par nombre décroissant de personnes concernées. Par la même, la mission entend indiquer, en commençant par eux, que des phénomènes massifs ne sont pas pris en compte. Par ailleurs, grâce à l’emploi de ce critère quantitatif de présentation, est évitée la question de la gravité des conséquences de la non-demande : en effet de faibles nombres ne veulent pas dire qu’il n’y a pas de problème particulièrement grave, c’est même parfois le contraire.

Par ailleurs, la liste ci-après est loin d’être exhaustive et présente les autres caractéristiques suivantes :

- des doubles comptes sont possibles ; c’est-à-dire que des personnes peuvent appartenir à deux ou plusieurs des populations présentées ci-après ;

- certains chiffrages viennent de calculs par extrapolation, notamment à partir de sondages. Cette technique par sondage présente inévitablement une marge d’erreur, mais avec un degré de fiabilité suffisant pour que tous les chiffres utilisés par la mission aient été publiés dans des documents officiels ;

- la présentation des types de non-demandes est relativement sommaire (l’annexe 2.8 fournit une présentation des sources et quelques commentaires pour chacun des chiffrages présentés ci-après).

1.2.1 Quelques chiffrages de non-demande illustrent les limites des dispositifs existants Comme indiqué ci-dessus, la présentation suivante ne retient que quelques types de non demande d’importances quantitatives très diverses. A travers ces chiffrages s’expriment à la fois des besoins d’intervention sociale de proximité qui n’ont pu se traduire dans une demande par manque de dispositifs adaptés ainsi que l’hétérogénéité de ces non demandes.

Au moins deux millions de femmes sont (ou ont été) victimes de violences, mais ne s’adressent pas (ou ne se sont pas adressées) à des services, tout particulièrement des services sociaux, pour faire face à la situation dont elles ont été victimes et/ou dont elles souffrent.

L’étude ENVEFF (Enquête sur les Violences Envers les Femmes en France ; elle est présentée dans l’annexe 2.2) publiée en 2002, a permis d’affirmer que le nombre de femmes (de 20 à 59 ans) ayant subi des violences physiques ou sexuelles dans tous les cadres de leur vie (espaces publics, au travail, au sein du couple) au cours des douze mois précédents cette enquête pouvait être évalué entre 850.000 et 1.500.000. Cette enquête a aussi montré le faible recours aux services sociaux de la part de ces femmes dans le cas de violence conjugales, alors même qu’elles sont prêtes à exposer leurs difficultés.

Plus de 30.000 personnes ayant droit à la CMU (couverture maladie universelle) ou à l’AME (aide médicale d’Etat) n’en ont bénéficié en 2003 qu’à partir du moment où elles se sont déplacées dans un « dispensaire » de l’association Médecins du Monde. Ce nombre ne rend compte que très partiellement de ce phénomène : il serait en effet possible de faire des recensements similaires dans des structures remplissant des fonctions semblables (centres de santé d’associations telles que Médecins Sans Frontières, Croix Rouge Française, … et permanences d’accès aux soins de santé (PASS) ; voir annexe 2.4) ce qui conduirait à majorer très sensiblement le nombre total de personnes qui sont dans cette situation de défaut de couverture sociale qui les conduit très souvent à différer leurs soins.

27 Et sans qu’il soit besoin de faire remonter ce risque jusqu’à des « déterminants » des problèmes sociaux tels que le chômage, les problèmes de logement, ou la prévention puis la prise en charge des troubles psychiques…

ainsi que le type de réponses apportées aux personnes concernées par ces questions.

Environ 30.000 personnes de 15 à 24 ans sont hospitalisées chaque année à la suite d’une tentative de suicide, mais n’avaient pas parlé de leur désespérance avec un professionnel avant leur passage à l’acte. Ces tentatives de suicides de jeunes, dont les raisons sont certes multiples, démontrent l’existence de problèmes qui appellent des réponses à la fois médicales et sociales.

Ces trois chiffrages montrent que des centaines de milliers de personnes (les femmes victimes de violence) ou des dizaines de milliers de personnes (accès à la CMU et hospitalisation à la suite d’une tentative de suicide) n’ont pas pu faire appel à un dispositif d’intervention sociale de proximité qui aurait pu leur apporter une aide. Les deux chiffrages suivants décrivent des phénomènes d’ampleur plus limitée. Ils montrent aussi la concrétisation de risques qu’entraîne l’absence de dispositif d’intervention sociale adapté à des situations individuelles.

4.500 appels téléphoniques, parmi les 900.000 appels écoutés en 2004 par le SNATEM (service national téléphonique pour l’enfance maltraitée), ont permis de signaler des situations de danger potentiel non connues jusqu’alors des services départementaux de l’aide sociale à l’enfance. Le nombre d’appels reçus a d’ailleurs progressé de près de 30 % entre 2001 et 2004. Le nombre d’appels signalant des situations non connues ayant lui même progressé de 60 % sur la même période de 3 ans, et les procédures actuelles de prise en charge des appels reçus ne permettant pas d’écouter tous les appels, il est possible de faire l’hypothèse que ce nombre d’appels signalant des situations où une intervention serait indispensable, pourrait encore croître dans les années à venir28.

Plus de 100 interventions des personnels de la CAF de l’Anjou, auprès de familles venant de perdre un de leurs enfants ont démontré l’importance d’une attention portée auprès des parents endeuillés. Ce nombre correspond à des interventions réalisées au cours des 5 dernières années, sur un champ géographique en extension progressive à partir initialement de l’agglomération d’Angers. Ce type d’intervention reste, selon les informations fournies à la mission, unique en France. Il a permis de mettre en lumière cette réalité occultée jusqu’à la mise en œuvre de ce dispositif issu de l’initiative d’un père ayant perdu accidentellement sa fille et ayant fait part des conséquences multiples que ce décès pouvait avoir pour ses parents. La procédure mise en œuvre à Angers démontre qu’il y a bien une demande d’intervention de la part des parents dans plus de 20 % des situations ; or, à titre indicatif environ 7.000 personnes de moins de 20 ans décèdent chaque année.

1.2.2 L’importance quantitative d’autres types de non-demande signale des défis auxquels l’intervention sociale de proximité est confrontée

Sont présentés dans ce paragraphe quelques types de non-demande dont l’existence peut paraître plus difficile à apprécier et donc moins évidente à quantifier. Cependant, les effets de ces non-demandes sur la vie des personnes concernées et leur importance quantitative parfois très forte, légitiment la présentation de ces estimations.

28 En outre, d’autres numéros de téléphone ayant la même fonction que le « 119 » sont opérationnels dans plus d’une dizaine de départements, notamment les départements de Martinique et de Guadeloupe dont les habitants n’ont pas la possibilité de joindre le « 119 » à la différence de ceux de La Réunion et de Guyane. Les nombres d’appels cités ci-dessus devraient donc être majorés pour obtenir des chiffres correspondant à une évaluation de la demande latente en matière de protection de l’enfance en France entière, sur la base des appels à un numéro de téléphone gratuit.

Plus de trois millions de personnes de 18 à 65 ans connaissent des difficultés de lecture, mais se contentent de la situation qui est la leur, alors qu’elle handicape lourdement leur vie sociale et professionnelle. Les enquêtes conduites par l’INSEE (enquêtes 2002 et 2004 sur l’Information et la Vie Quotidienne - IVQ) sont corroborées par les informations obtenues notamment lors des journées d’appel de préparation à la défense (JAPD). Or, parmi ces personnes, environ 50 % de celles qui ne sont plus scolarisées ne prennent pas contact avec une structure pouvant donner suite à leur besoin.

Les millions d’appels reçus par les numéros d’appels gratuits (ou « d’urgence » ; voir en annexe 2.5) démontrent l’existence de besoins qui souvent relèveraient d’interventions sociales de proximité. Dans certains cas, cet appel démontre directement les limites de l’intervention sociale. Ainsi les centaines de milliers d’appels chaque année au « 115 », numéro téléphonique d’urgence qui vise à aider les personnes sans hébergement, n’auraient pas lieu d’être si un logement, ou même un simple hébergement, avait pu être proposé aux personnes qui appellent le « 115 ». Dans d’autres cas, l’importance du nombre d’appels téléphoniques s’explique largement par les carences de personnels en mesure d’écouter « en face à face » les personnes.

Certes, ces deux types d’écoute ont des caractéristiques très différentes et doivent être considérés comme complémentaires. Par ailleurs, cette écoute en « face à face » pourrait fort bien être faite dans un cadre amical ou familial et donc sans recours à une intervention sociale. Cependant, les défauts repérés dans la présence d’adultes de référence dans les établissements scolaires ou en prévention spécialisée expliquent en partie les succès inquiétants des numéros de téléphone tels que « espace écoute jeune » (un million et demi d’appels) ou « jeune violence écoute » (300.000 appels en Ile-de-France en moins d’un an après son lancement).

Environ 150.000 allocataires du RMI ont à faire face à une difficulté qu’une intervention sociale aurait pu leur permettre de surmonter afin de trouver (ou retrouver) un emploi.

L’enquête réalisée début 2003 sur les « trajectoires professionnelles des personnes bénéficiaires de minima sociaux »29 recense comme raison principale indiquée par ces personnes pour expliquer leur situation de chômage : pour environ 27 % des personnes, l’absence de formation adéquate, 15% des problèmes de santé, 12 % des problèmes de transport et 5 % le découragement. Comme étaient allocataires du RMI au 30 septembre 2004, environ 1.200.000 personnes30, des hypothèses plausibles31 appliquées à ce nombre conduisent au nombre de 150.000 personnes ayant besoin d’une intervention sociale adéquate à leur situation de façon à pouvoir retrouver un emploi. Les résultats obtenus par les structures d’insertion par l’activité économique, la très grande variation du taux de contractualisation selon les départements et les constats de terrain faits par les membres de la missions tendent à accréditer l’intérêt d’une telle estimation.

Ces trois estimations précédentes conduisent aussi à s’interroger sur l’existence de défauts dans les modalités de prise de contact avec des personnes qui pourraient demander une

29 Voir Etudes et Résultats n° 320 (juin 2004).

30 Voir Etudes et Résultats n° 360 (décembre 2004) ; pour mémoire au 31 décembre 2003, 3.315.000 personnes étaient allocataires des minima sociaux, dont, en métropole : 170.000 de l’API ; 740.000 de l’AAH ; 350.000 de l’ASS.

31 Hypothèse 1 : une intervention sociale adéquate aurait permis d’apporter une solution à la raison invoquée dans la moitié des situations ; hypothèse 2 : un emploi que peut occuper la personne est effectivement disponible dans la moitié des cas où la personne est effectivement apte à occuper cet emploi.

intervention sociale. D’autres types de non-demande, assez semblables, peuvent aussi être repérés, la présentation de ces mises en évidence conduit à poser la question des limites de l’intervention sociale organisée par des services publics directement ou en relation avec des organisations caritatives.

Plusieurs centaines de milliers de personnes auraient dû partir en vacances, si en plus de la solvabilisation de leurs vacances, dont les coûts directs (transport + hébergement) évalués en dizaines de millions d’euros sont finançables dans le cadre des dispositifs existants, étaient organisées des actions d’accompagnement social permettant à ces personnes de bénéficier des aides auxquelles elles ont droit. L’article 140 de la loi d’orientation de lutte contre les exclusions précise que « L’égal accès de tous, tout au long de la vie … aux vacances et aux loisirs constitue un impératif national ». En effet, les vacances s’avèrent particulièrement utiles, en particulier pour des personnes en difficulté, qu’elles soient seules et sans enfant ou dans toutes autres situations, en termes de « remobilisation » personnelle ou en termes d’amélioration des relations parents enfants. Plusieurs études de cas32 réalisées dans le cadre de cette mission confirment l’existence d’un tel « besoin » ainsi que l’importance des réticences qui ne peuvent être surmontées que par des interventions sociales.

Plusieurs dizaines de milliers33 de personnes âgées vivant dans des conditions d’isolement pouvant poser problème pourraient être recensées à la suite des opérations de recensement lancées au premier semestre 2004, et organisées méthodiquement à la suite du décret du 1er septembre 2004.

1.3 Les personnes mais aussi les groupes sociaux qui n’expriment pas leurs