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Des lacunes pourtant identifiées mais restées sans réponse entraînent de nombreuses personnes

1.3 L ES PERSONNES MAIS AUSSI LES GROUPES SOCIAUX QUI N ’ EXPRIMENT PAS LEURS DEMANDES ,

1.3.3 Des lacunes pourtant identifiées mais restées sans réponse entraînent de nombreuses personnes

De nombreuses politiques publiques produisent des effets dans le domaine social et peuvent induire des non-demandes41 ; mais dans le domaine des politiques publiques situées explicitement dans le champ de l’action sociale, des choix sont aussi faits, qui peuvent soit viser efficacement des causes de non-demande, soit viser d’autres objectifs. De nombreux rapports d’évaluation de politiques publiques ont déjà suffisamment et depuis longtemps42

40 Le rapport précité rappelle notamment les droits de ces personnes ; et voir aussi www.gisti.org, site très documenté de l’association Groupe d’Information et de Soutien aux Immigrés. Notamment, parmi toutes ces personnes résidant sur le territoire national peuvent être dénombrés de nombreux enfants nés en France ce qui les rend non expulsables ainsi que leurs parents.

41 A titre d’illustration : des choix fiscaux dans le domaine du logement ; voir à ce sujet (sur www.ladocumentationfrancaise.fr) les rapports 2003 puis 2004 du Haut Conseil pour le logement des Personnes Défavorisées présidé par Xavier EMMANUELLI, qui fut notamment entre 1995 et 1997 secrétaire d’Etat auprès du Premier Ministre chargé de l’action humanitaire d’urgence.

42 Voir à ce sujet les actes du séminaire tenu en 1996 à l’IGAS Pratiques d’évaluation au Ministère de l’emploi et de la solidarité et diffusé par la Docuementation Française.

indiqué que cette détermination des objectifs était souvent lacunaire, qu’il suffit ici de mentionner ce type d’observations bien connues.

Pour autant, ces réalités n’expliquent pas la persistance de phénomènes de non-demande alors qu’il est même économiquement injustifiable de laisser de nombreuses personnes se trouver entraînées dans des trajectoires pénibles.

1.3.3.1 Plusieurs types de raisons expliquent la persistance de phénomènes de non-demande

Plusieurs types de raisons permettent traditionnellement d’expliquer ce qui est qualifié de défauts dans la mise en œuvre de dispositifs ou d’ineffectivité de droits ; une présentation rapide en est faite ci-après.

Le manque de continuité dans la traduction des politiques publiques génère des incompréhensions (le terme de « lisibilité » est souvent prononcé actuellement) ou des ruptures. Ainsi, les professionnels de l’action sociale ont pointé les difficultés multiples qu’occasionne ce que certains d’entre eux décrivent comme un « zapping communicationnel » : au cours des 2 dernières années, la disparition des CES et CEC est annoncée puis différée, alors que le contrat CIVIS est lui annoncée mais entre de facto en concurrence avec le RMA pour lequel les objectifs affichés de 50.000 contrats à fin décembre 2004 sont très loin des 500 contrats effectivement signés, soit des résultats environ aussi faibles que le contrat de professionnalisation (1.400 contrats signés fin décembre 2004 contre 43.250 prévus43) peut-être parce que le contrat d’avenir est annoncé. Pour les personnes potentiellement concernées, les effets sont cumulatifs : une incompréhension des dispositifs, la démobilisation des intervenants chargés de les aider et aussi souvent l’absence de réponse concrète disponible au moment où ces personnes doivent, dans leur vie, faire face à leur problème.

L’écart entre les besoins et les réponses disponibles est souvent flagrant et a été déjà cité dans le présent rapport : manque de moyens dans la lutte contre l’alcoolisme44, pourtant un des premiers « fléaux sociaux » à avoir été dès le XIXème siècle l’objet d’une politique publique, manque de moyens dans la gestion de l’urgence sociale, etc.

Les carences organisationnelles sont aussi pointées : certes par exemple des plans départementaux d’action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD) existent normalement dans tous les départements, et ils peuvent être des outils efficaces comme les membres de la mission l’ont d’ailleurs constaté dans un des départements où ils se sont rendus. Mais ces plans peuvent aussi se révéler parfois n’être que très sommaires et donc presque totalement inefficaces voire contre-productifs en donnant à croire qu’un document de planification existe alors qu’il est sans valeur concrète.

Ces défauts se retrouvent de façon assez générale mais parfois de façon plus aiguë vis-à-vis d’une catégorie de personnes. Ainsi, à l’égard des travailleurs immigrés vieillissants, en reprenant la présentation du rapport de l’IGAS déjà cité, il est possible d’affirmer que « les

43 Voir www.travail.gouv.fr ; les principales actions de politique de l’emploi.

44 Voir la fiche n° 19 du rapport déjà cité Synthèse des bilans de la loi d’orientation du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les excusions.

mesures prises en faveur des immigrés vieillissants sont ponctuelles et ne s'inscrivent pas dans une véritable politique ».

La complexité des systèmes organisationnels liée à l’enchevêtrement des compétences est souvent avancée comme principal facteur explicatif de l’existence de non-demandeurs. Ce facteur explicatif, certes important, apparaît de fait secondaire vis à vis de l’absence de traduction politique à travers des moyens correspondants aux objectifs affichés comme le démontrent les contrôles réalisés par l’IGAS dans le domaine de l’aide sociale à l’enfance45.

Cette situation pourrait paraître très surprenante dans des domaines très médiatisés comme celui de l’aide sociale à l’enfance, ou comme celui de la lutte contre les violences faites aux personnes prostituées (voir annexe 2.1). Mais, en fait dans les deux cas (maltraitance à enfants et prostitution) des caractéristiques communes peuvent expliquer l’absence d’un dispositif performant d’écoute des demandes latentes :

- une forte dimension émotionnelle tend à favoriser le souci de l’ordre dans une acception de court terme (et donc souvent répressive) au détriment d’une approche centrée sur les personnes et donc l’évaluation de leur situation. Le Pr. Maurice BERGER décrit ainsi de façon très convaincante46 le poids de ce qu’il appelle l’idéologie du lien familial au détriment de l’analyse raisonnée des besoins de l’enfant. Il rejoint ainsi les conclusions d’un autre pédopsychiatre, le Dr Frédéric JESU qui, parti d’un point de vue fort différent, insiste sur le nécessaire développement d’actions collectives47 pour renforcer les capacités des parents et donner ainsi un contenu réel à la volonté politique de « renforcement du lien social » ;

- l’enfant victime de maltraitance dans sa famille de même que la personne victime du proxénétisme n’ont pas une parole « libre », leurs actions sont sous surveillance de quelqu’un (ou de plusieurs personnes) qui les terrorise. Que, dans ces conditions, leur demande d’intervention sociale ait du mal à s’exprimer, est d’une extrême évidence et appelle donc des moyens adéquats.

La large connaissance de telles situations tragiques devrait légitimer la mise en place de politiques publiques adaptées. Au contraire, de telles situations de détresse persistent. Des résistances de diverses natures peuvent les expliquer, certaines ont d’ailleurs été déjà présentées ; mais ces résistances devraient céder ne serait-ce que par leur confrontation avec une logique économique.

1.3.3.2 Les conséquences économiques néfastes de l’absence de moyens d’écoute adaptés aux besoins de nombreuses personnes

Faute d’une écoute adaptée à leurs besoins, des personnes souffrent et ne sont pas en mesure de valoriser leurs capacités. Quelques dépenses d’intervention sociale évitées à court terme induisent à moyen et long termes d’importantes dépenses publiques mais aussi à priver des personnes de participer activement à la création de richesses au niveau national.

45 Et qui est amplifié dans ce champ par la grande faiblesse de l’organisation et du nombre des juges des enfants et des personnels de leurs greffes (voir rapport IGAS-IGSJ-IPJJ de juin 2000).

46 Voir L’échec de la protection de l’enfance, Dunod, 2ème édition, décembre 2004.

47 Co-éduquer, Pour un développement social durable, Dunod, septembre 2004.

Ainsi, un investissement ponctuel dans l’évaluation de situations familiales grâce à des interventions sociales véritablement professionnelles permettrait d’éviter que des nourrissons vivent ultérieurement dans une série d’institutions médico-sociales ou sanitaires, étant donné les déficiences et/ou les troubles mentaux qui auront été générés par les carences de leur prise en charge au cours de leurs premiers mois48. En regard de quelques dizaines de milliers d’euros « économisés » pendant les premiers mois de la vie de ces personnes, peuvent être mis en balance plus d’un million d’euros49 qui devront être dépensés pour leur permettre de mener une vie néanmoins marquée très souvent par des déficiences mentales et des troubles psychiques.

L’intérêt de la prévention est évident en termes de qualité de vie ; il est démontré dans de nombreux domaines de la santé, il peut l’être tout autant dans le domaine des interventions sociales. Mais la traduction opérationnelle dans des politiques publiques adaptées pour répondre à un intérêt social bien identifié est souvent bien en deçà des besoins.

Les obstacles actuellement rencontrés par des intervenants sociaux pour permettre à des personnes alcooliques de se désintoxiquer montrent que les conséquences de la violence subie par les conjoints d’alcooliques (ainsi que leurs enfants) restent encore mal prises en compte. Or les blessures physiques et les traumatismes psychologiques aux effets multiples et de long terme indiquent clairement l’intérêt social de dispositifs adaptés pour écouter les besoins de personnes qui souhaitent cesser d’être dépendantes de l’alcool.

La publication de l’étude ENVEFF (déjà citée ; Enquête Nationale sur les Violences envers les Femmes en France) a permis de porter sur la place publique un phénomène occulté. Mais, cette mise en lumière ne suffit pas, comme le montre l’annexe 2.2 : les actions mises en place depuis la publication de cette étude ont jusqu’à présent plutôt consisté en des actions de communication, certes utiles ou des évolutions législatives, également indispensables, qu’en des actions permettant concrètement à des femmes victimes de violence (ainsi que leur(s) enfants) d’être protégées et à des hommes violents d’être pris en charge.

Dès lors il est permis de s’interroger sur l’impact possible des formalisations proposées par des économistes contemporains utilisant des outils pourtant très différents comme par exemple en France Eric MAURIN ou Hervé DEFALVARD. Ainsi celui-ci présente les raisons50 ayant conduit au vote en 1841 de la loi interdisant le travail des enfants, en utilisant des approches historiques, sociologiques, politiques et économiques.

48 Y compris dans le cas d’un accueil dans une pouponnière : l’utilité de « l’opération pouponnière » lancée il y a plus de 20 ans a permis d’indéniables progrès dans le fonctionnement de ces institutions. Mais le maintien dans une pouponnière pendant plusieurs mois d’un nourrisson produit des effets délétères sur son développement mental et affectif.

49 Un tel chiffrage a par exemple été fait par les services du Dr Maurice BERGER du CHU de St Etienne.

50 Dans une recherche pour le Centre d’Etudes de l’Emploi ; cet auteur fournit les clefs d’une réflexion contemporaine sur les conditions permettant la prise en compte de non-demandes. De même qu’il est devenu illégal, à partir de 1841, que des enfants travaillent de façon excessive sans avoir à qui se plaindre, ni d’ailleurs de quoi se plaindre en l’absence d’une loi (sauf cas particulier comme la loi de 1813 interdisant le travail d’enfants de moins de 10 ans dans les mines), de même l’acceptation actuelle du déni du droit (constitutionnel) au logement, ou du déni du droit (également constitutionnel à travers le préambule de la constitution du 27 octobre 1946) à des « moyens convenables d’existence » pourrait devenir inacceptable parce qu’il serait constaté par les décideurs économiques et politiques que ceci est économiquement contre-productif à l’échelle de la Nation.

Toute personne résidant sur le territoire national, a en effet à la fois des droits mais aussi le devoir de participer à la vie de la collectivité nationale. Or certains en sont empêchés durablement sans que cet empêchement leur soit imputable.

Afin d’éviter cet état de fait, les dispositions législatives doivent aller de pair avec des modalités concrètes d’intervention auprès des personnes concernées. L’accès aux droits sociaux doit être considéré comme une lutte contre les exclusions qui passe par une modernisation administrative51. Les voies de cette « modernisation administrative » dans le domaine de l’intervention sociale en direction des personnes qui ne demandent rien, nécessitent notamment des évolutions dans la stratégie des organismes compétents dans le champ social ainsi que dans les modes d’actions des intervenants sociaux, salariés et bénévoles. Ces voies sont décrites dans les parties suivantes de ce rapport.

DEUXIEME PARTIE. LA DETECTION DES NON-DEMANDEURS S’ORGANISE MAIS ELLE DOIT ENCORE PROGRESSER

La diversité des interventions sociales et des organismes qui les réalisent, fait que de nombreux acteurs peuvent identifier ou contribuer à identifier des non-demandeurs. L’objectif de la mission n’était pas de dresser un bilan national des actions conduites mais, au travers de l’analyse de différents exemples, d’apprécier la façon dont la détection des non-demandeurs est mise en œuvre par différents organismes. Les investigations menées font apparaître que certaines institutions se sont organisées pour détecter et aider ensuite les non-demandeurs, mais que cette prise en compte est très inégale selon les structures.

2.1 L’intervention sociale à destination des personnes qui ne demandent rien