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L E MANAGEMENT DE L ’ INTERVENTION SOCIALE

Les travailleurs sociaux, considérés au sens large, jouent un rôle essentiel dans la détection des non-demandeurs du fait que, même si les stratégies d’intervention choisies peuvent avoir une forte influence, au bout du compte une grande partie du succès des actions est liée à des effets de relations humaines. Au-delà des qualités de chacun, la façon dont ces travailleurs sociaux exercent leurs missions mais aussi dont fonctionnent les organismes dans lesquels ils interviennent, peut favoriser ou non ces relations.

3.3.1 Le fonctionnement des organismes

L’intervention vis-à-vis des non-demandeurs ne représente souvent qu’une partie de l’activité des services et ce n’est pas en fonction de cet objectif que l’ensemble des services est organisé. En revanche, la connaissance des modalités d’organisation et de leurs évolutions peut éclairer la problématique de la prise en compte des non-demandeurs. Seuls sont évoqués des points essentiels constatés lors de la mission.

Les évolutions successives qui ont affecté le périmètre de compétences des organismes du champ social (déconventionnement, désectorisation totale ou partielle, décentralisation de 1983 puis celles de 2004) ont conduit les responsables des différents organismes à réorienter leurs stratégies et à adapter les services dont ils ont la charge aux nouvelles missions qui sont les leurs ainsi qu’à des changements dans les conditions de vie et d’environnement de travail.

La structuration d’équipes de proximité réparties sur le terrain ou chargées de parties du territoire a conduit à la mise en place d’animateurs d’équipes qui se voient confier des responsabilités de hiérarchie intermédiaire. Pour assurer la cohérence et la sécurité des actions

93 Cet effet a cependant été très bien mesuré dans le champ de la protection de l’enfance par certains conseils généraux employeurs de centaines d’assistantes maternelles.

conduites, le management comporte en fait dans plusieurs organismes, à la fois une délégation déterminée pour l’instruction des dossiers, la proposition et le suivi de projet mais aussi un maintien d’une centralisation des décisions majeures et un accompagnement régulier lors de réunions des différents responsables concernés. Des organismes ont mis en place des tableaux de bord regroupant des indicateurs permettant de suivre l’évolution des dossiers, les charges de travail et l’activité assurée.

Dans le but de permettre aux travailleurs sociaux de se consacrer plus avant aux aspects difficiles des dossiers et à leur suivi effectif dans la durée, des organismes ont introduit une répartition des tâches entre ces travailleurs sociaux et les personnels chargés de l’accueil ; ceux-ci, après une formation adaptée, procèdent à une écoute et une pré-évaluation de la situation de la personne reçue. Ces évolutions organisationnelles et professionnelles donnent lieu à discussion (voir annexe 3.4).

L’introduction des outils informatiques est apparue à la mission variable selon les services.

Certains professionnels n’ont pas accès à un ordinateur, d’autres qui en disposent ne peuvent pas communiquer par un réseau Intranet ou accéder à une messagerie électronique. Des projets sont en cours pour améliorer les situations mais le manque de moyens pénalise certains services et rend plus difficile l’homogénéisation de procédures et le développement de réels réseaux entre partenaires. Par ailleurs, l’examen d’un cas a montré des faiblesses dans la sécurité informatique du traitement des informations.

En outre, compte tenu du nombre de dossiers traités, du fait que ces dossiers sont le reflet de situations personnelles et que certaines procédures s’étalent sur plusieurs années, les services sociaux, comme les autres, doivent disposer d’un plan d’archivage et de pratiques sécurisées, ce qui n’est pas toujours le cas.

Sous des formes différentes - fiches de procédure, cahiers techniques de pratiques - des services ont cherché à décrire leurs fonctions et les principaux enchaînements de celles-ci en déterminant, dans certains cas, les personnels concernés par leur exécution et en prévoyant des documents types pour faciliter le travail des agents. Les charges de travail et le choix d’autres priorités n’ont pas toujours permis la mise à jour de ces documents lors de changements de réglementation ou d’organisation interne, ce qui peut alors conduire à une nouvelle hétérogénéité des pratiques voire à des erreurs de procédures.

Toutefois, de telles démarches techniques doivent être encouragées. Elles permettent d’améliorer la conduite des procédures, le partage entre les acteurs et donc d’aller vers une plus grande cohérence94 dans la façon dont les usagers seront pris en charge. Elles peuvent servir de base à de futures approches qualité. Au cours des visites de services sociaux de terrain, la mission n’a vu qu’une démarche qualité engagée et menée à son terme (la CPAM du Cher bénéficie du label ISO 9001) même si des organismes comme la CCMSA et des caisses de MSA, commencent à réfléchir à ce sujet.

Le fait que des actions d’amélioration des processus soient réalisées par chaque service permet une meilleure appropriation par les personnels associés, mais le travail reste local alors que les mêmes problématiques se retrouvent d’un département à l’autre. Des outils

94 Cohérence à la fois entre travailleurs sociaux et lieu géographique de leur intervention (dans un même département, voire au niveau national) ; mais aussi cohérence vis-à-vis des besoins des personnes : un écart considérable existe entre le domaine médical (où les référentiels sont très développés et d’usage courant, voire impératifs) et le domaine social où l’usage de référentiels est très exceptionnel.

existent pourtant à l’instar du réseau Idéal. Celui-ci, créé par une association de collectivités locales permet aux abonnés de poser des questions à d’autres services ou professionnels à travers un forum et de bénéficier d’informations sur des actions déjà réalisées par certains. Le manque d’accès à un tel outil conduit des services à recommencer l’ensemble de la démarche alors qu’un premier niveau de données existe peut être déjà et qu’il pourrait ensuite être adapté au contexte local. Le partage de procédures et de pratiques nécessite que des professionnels décrivent et explicitent ce qu’ils font. Les professionnels rencontrés par la mission, y compris ceux qui ont conduit des projets innovants, sont souvent réticents, au moins dans un premier temps, à produire de tels documents qui s’apparentent pour eux à une publication. Il s’agit plus d’un problème de culture que d’un manque de compétence.

L’animation réalisée par le Réseau Idéal (voir ci-dessous) montre que cette situation peut évoluer rapidement.

Le réseau Idéal

Il a été créé en 1985 sous la forme d’une association de collectivités locales avec la vocation d’animer l’échange de savoir-faire sur les pratiques existantes et émergentes dans tous leurs domaines de compétences. Pour cela, d’une part, il crée et anime des réseaux professionnels, d’autre part, il organise des évènements autour des meilleures pratiques (une quarantaine par an qui peuvent chacun réunir plusieurs centaines de personnes).

Actuellement, Idéal anime 10 réseaux et clubs professionnels dont un développé en partenariat avec l’assemblée des départements de France, s’adresse aux conseils généraux (réseau Interlocal - plus de 1200 contributeurs), un autre concerne l’Association nationale des directeurs d’action sociale et de santé des départements et 4 portent sur des thèmes techniques rattachés au domaine social : Insertion, Enfance, Gens du voyage, Logement social (pour la Belgique).

Chaque réseau est suivi par un comité de pilotage composé d’une dizaine de professionnels. Son activité dépend de son thème et de la mobilisation des participants mais, quel que soit le domaine, des outils de partage sont mis en place : un forum de dialogue ; des dossiers d’enquêtes ; une bibliothèque de documents recueillis ; trois séances de formation par an ; chaque mois : un bulletin d’information, une revue de presse et le sommaire des échanges ; chaque trimestre : un dossier thématique.

A titre d’exemple, le réseau « Insertion », organisé en partenariat avec la direction générale de l’action sociale, est ouvert, selon des modalités adaptées, aux agents des conseils généraux, aux agents de services déconcentrés de l’Etat (DDASS, DDTEFP) et associations ou structures partenaires de conseils généraux qu’ils désignent. En 2004, il a regroupé 542 membres utilisateurs ; le nombre de collectivités abonnées a augmenté de 33% et les contributions échangées de 54 %.

Tous les organismes n’ont pas défini une politique explicite vis-à-vis des non-demandeurs.

Cette intervention demande une énergie particulière et du temps qui ne peuvent être employés pour l’exercice d’autres missions également importantes telles celles tournées vers les demandeurs. Des arbitrages sont donc nécessaires. Les responsables hiérarchiques doivent indiquer clairement aux travailleurs sociaux les orientations retenues.

Lorsque des organismes s’engagent, au moins sur certains sites, dans des démarches de développement social local, les responsables hiérarchiques doivent adapter le management aux particularités de ces projets (voir annexe 3.1).

3.3.2 L’exercice de leur activité par les travailleurs sociaux

Sans chercher à faire une analyse exhaustive des activités menées par chacun des professionnels rencontrés, la mission a noté lors des études de cas et des visites de services, les fonctions exercées en particulier par les assistants sociaux (voir les fiches de cas en annexe

IV). Par ailleurs, la mission a approfondi les démarches administratives mises en œuvre dans une circonscription (voir annexe 3.4) et, dans une autre, la participation des travailleurs sociaux à différentes réunions et commissions.

De cet ensemble d’informations recueillies, il ressort que, dans l’intervention vis-à-vis des non-demandeurs, les assistants de service social rencontrés exercent à un moment ou à un autre les fonctions indiquées dans le référentiel d’activités figurant en annexe I de l’arrêté du 29 juin 2004 relatif au diplôme d’Etat d’assistant de service social :

- Accueil – évaluation – information – orientation ; - Accompagnement social ;

- Médiation ;

- Veille sociale – expertise – formation ;

- Conduite de projets – travail avec les groupes ; - Travail en réseau.

Des investigations menées par la mission, il ressort, en outre, que les fonctions et les pratiques concrètes d’intervention sociale mises en œuvre par les conseillers en économie sociale et familiale et les éducateurs spécialisés, pour ce qui concerne plus particulièrement la détection de non-demandeurs puis leur accompagnement, sont proches de celles des assistants de service social.

Les aspects qui sont apparus comme plus difficiles à réaliser, par certains professionnels, concernaient la rédaction d’écrits et, d’une façon plus générale, portaient sur la rédaction de rapports d’activité et d’évaluation des actions conduites surtout dans le cadre de projets. Or, cet aspect est fondamental pour que les managers soient conscients des enjeux qui s’attachent à ces projets pour les personnes qui demandent ou celles qui n’expriment pas de demandes qu’ils soient en mesure de prendre les décisions adéquates et qu’ils donnent des directives claires aux intervenants sociaux.

La mission a rencontré des travailleurs sociaux qui ont montré, dans leur ensemble, une forte compétence professionnelle, un intérêt pour leur travail et souvent une capacité d’innovation.

Certains ont fait part de leurs difficultés à traiter des dossiers dans lesquels se posent des problèmes d’emploi ou de logement « tout simplement » parce qu’il n’existe pas de solution réelle disponible au niveau local.

De même, plusieurs professionnels ont insisté sur l’importance, pour eux, lorsqu’ils sont confrontés à des situations sociales extrêmement douloureuses, de pouvoir disposer d’une aide psychologique externe en complément de l’apport méthodologique que peuvent leur apporter des responsables hiérarchiques ou des référents techniques.

A plusieurs reprises, ont été évoqués les problèmes d’accès aux informations et de leur partage entre des professionnels de différentes formations et de différents niveaux. Ces professionnels ont alors souvent fait référence à la déontologie qu’ils doivent respecter sans toutefois expliciter clairement le raisonnement qui les conduisait à limiter leurs échanges ou leur recherche d’éléments d’information.

Lors d’entretiens de ces professionnels avec les membres de l’IGAS (et qui se retrouvent en partie dans les études de cas de l’annexe IV), sont apparues plusieurs questions en relation avec l’intervention vis-à-vis des non-demandeurs mais qui rejoignent des préoccupations plus

générales. En substance, ces questions issues de discussions tenues dans un climat de confiance, peuvent être présentées ainsi :

- dans la mesure où, de façon consciente, certaines personnes refusent de demander à bénéficier d’une aide ou d’une action sociale, faut-il insister auprès d’elles ?

- peut-on faire confiance à des entraides locales (voisin, familles) et à la capacité à donner une alerte si nécessaire ?

- jusqu’où doit-on respecter la décision de la personne lorsque sa situation se dégrade et qu’elle peut commencer à être en danger, ou à mettre en danger des proches ?

- à partir de quand faut-il procéder à un signalement au procureur ?

Face à ces questions qui peuvent être résumées par deux interrogations : « jusqu’ou faut-il aller dans la recherche d’information ? » et « jusqu’où est-il possible d’aider les gens malgré eux ? », les rapporteurs de la mission font un constat à deux facettes :

• malgré la formation initiale et continue, le soutien du travail pluridisciplinaire et de leur hiérarchie ainsi que des méthodes d’analyse de pratiques, les travailleurs sociaux restent cependant le plus souvent démunis par manque d’outils d’aide à la décision (y compris en termes d’informations nécessaires pour pouvoir énoncer un avis ou prendre une décision). Certes, ils peuvent compter sur leur connaissance de principes généraux et sur leur expérience, mais ces moyens ne sont pas suffisants face à des situations qui par ailleurs induisent des réactions émotionnelles ;

• cependant, dans tous les cas étudiés ou lors de leurs entretiens avec des travailleurs sociaux, les rapporteurs n’ont pas observé de professionnel s’auto-limitant dans ses investigations ou ses actions par volonté de ne pas s’immiscer dans la vie privée des personnes rencontrant des difficultés de quelque nature que ce soit.

Et donc au total, si les membres de l’IGAS ont entendu plusieurs fois la formule « contrôle social » assortie de commentaires sur ses dangers, ils estiment néanmoins que l’emploi de cette formule est plutôt une modalité commode d’expression que la manifestation d’un risque repéré par leurs interlocuteurs dans des situations précises.

QUATRIEME PARTIE. PRECONISATIONS

A l’issue de ses investigations et en lien avec les constats qui ont été effectués dans les parties précédentes, la mission a souhaité indiquer des propositions d’amélioration de l’intervention sociale en direction des personnes qui ne formulent pas de demande :

- Une première série de propositions concerne les stratégies dont les organismes du champ social devraient se doter afin de mieux détecter puis aider les non-demandeurs.

- Une seconde série de propositions touche des points qui ont été vus à l’occasion de l’étude des problèmes de non-demandes mais qui correspondent à des aspects plus généraux de l’intervention sociale. Ainsi, l’amélioration de l’intervention sociale de proximité facilitera l’action vis-à-vis des non-demandeurs.

Ces propositions sont reprises dans le tableau (4.3) ci-après qui précise, pour chacune d’elle, les acteurs les plus directement concernés, des exemples de bonnes pratiques relevés par la mission et des modalités concrètes de leur mise en œuvre.

4.1 Huit principes d’action permettant de construire une stratégie spécifique à