• Aucun résultat trouvé

Pour des raisons économiques plutôt que politiques - le libéralisme du début du XIXe siècle professait que la circulation plus rapide des biens et des patrimoines

favoriserait le développement économique -, les codifications ont eu la volonté de

supprimer tout ce qui pouvait rappeler la théorie du double domaine, les charges

féodales, les majorats, les privilèges d'aînesse et de masculinité, et surtout les biens

703 Pour une critique de la conception québécoise de la fiducie, cf. WATERS (1995), pp. 405-407.

Plus nuancé, DUNAND (2000), pp. 376-384.

704 Cf. BUNGE(1995), pp. 300 et 302. Outre le Code civil du Québec de 1991, le législateur argen-tin s'est aussi inspiré du Code de commerce colombien et du droit mexicain, panaméen et chilien.

^ Cf. POTHIER (1890), pp. 455-535.

706 Par convention, on considérait avant 1789 que le sud de la France était un pays de droit écrit, et que le reste de la France était un pays de coutumes.

707 Ce qui montre que le principe de l'unité du patrimoine n'avait pas le caractère d'un dogme intangible.

708 DUNAND (2000), pp. 364 s.

7og "[_es substitutions sont prohibées."

7'° En fait, le Code Napoléon de 1804 ne faisait que confirmer l'interdiction des substitutions fidéi-commissaires promulguée par les révolutionnaires français en 1792. Cf. DUNAND (2000), p. 365.

de mainmorte et autres patrimoines d'affectation. Le droit suisse est certes allé moins loin sur cette voie que le droit français, puisque le Code civil suisse conserve les charges foncières (articles 782-792) et les substitutions fidéicommissaires en

pre-mière ligne (articles 488-492). Mais cette volonté du législateur historique de

rom-pré avec le passé se trouve exprimée par le Tribunal fédéral dans le célèbre arrêt Harrison contre Crédit suisse du 29 janvier 197071 ' : tout en reconnaissant la validité d'un trust constitué par un étranger domicilié en Suisse, la Cour rappelle que la

ratio legis des articles 335 alinéa 2 CC et 488 alinéa 2 CC est la volonté de ne pas lier

d'une manière inadmissible une fortune à une certaine famille.

Ainsi, par un paradoxe de l'Histoire, la modernisation et la mondialisation met-tent le juriste d'Europe continentale en contact avec des institutions comme le trust, que son droit médiéval, peut-être injustement sacrifié, lui aurait permis de mieux appréhender que son droit moderne. Une réception du trust dans le droit suisse

paraît en définitive improbable. Plus que des difficultés techniques, une telle

déci-sion impliquerait des remises en cause déchirantes de choix juridiques fondamen-taux faits au début du XIXe siècle. L'Allemagne, la France ou la Suisse contempo-raines n'ont pas le même héritage et pas le même passé que le Québec de 1879.

Ajoutons que la réticence d un pays comme la Suisse, un temps placé, à son

grand dam712, par la Forum de stabilité financière (FSF) créé en 1999 par le G7 (groupe des sept pays les plus industrialisés de la planète713) sur la liste des places financières offshore, serait bien compréhensible à l heure actuelle.

De vigilantes organisations internationales de lutte contre le blanchiment de capitaux714 font de la reconnaissance trop généreuse des trusts et des institutions analogues un facteur de suspicion. Ainsi, la trente-quatrième des quarante recom-mandations715 du Groupe d'action financière (GAFI), qui regroupe trente et un États ou gouvernements716 et deux organisations internationales717, demande dans sa dernière version (2003) aux pays de prendre des mesures pour empêcher

ATF96H79,JdT1971 l 329.

Cf. les protestations du président de la Commission fédérale des banques, KURT HAURI, lors de la conférence de presse de la CFB du 26 avril 2001, disponible sur le site Internet de la Com-mission : www.ebk.ch.

Allemagne, Canada, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie et Japon.

Sur l'utilisation malheureusement fréquente des trusts pour le blanchiment de capitaux, cf.

BROYER Philippe, L'argentsale. Dans les réseaux du blanchiment, L'Harmattan, Paris 2000,pp.

216-221, 250 et 337. Cet auteur souligne (page 220) que les asset protection trusts de œr-tains paradis réglementaires "sont particulièrement appréciés par les organisations criminel-les et criminel-les blanchisseurs".

Les quarante recommandations du GAFI, régulièrement tenues à jour, sont disponibles en version française sur Internet : www1.oecd.org/fatf/40RecsJr.htm.

Afrique du Sud, Allemagne, Argentine, Australie, Autriche, Belgique, Brésil, Canada, Dane-mark, Espagne, Etats-Unis, Finlande, France, Grèce, Hong Kong, Irlande, Islande, Italie, Japon, Luxembourg, Mexique, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Rus-sie, Suède, Singapour, Suisse et Turquie.

La Commission européenne et le Conseil de coopération du Golfe.

l'utilisation illicite de constructions juridiques, notamment de trusts exprès, par les blanchisseurs de capitaux718. Le rapport du GAFI sur les typologies du blanchiment de capitaux du 1er février 2001 consacre un chapitre à l'utilisation des trusts pour le blanchiment719. Quant au rapport du groupe de travail du FSF sur les places

finan-cières offshore du 5 avril 2000, il fait de la flexibilité et du manque de transparence

en matière de trusts des indices qui caractérisent l'existence d'une place financière offshore 72°. La tentation est dès lors grande d'échapper à cette atmosphère de suspi-don en ne "naturalisant" pas du tout le trust.

Du point de vue qui doit être le nôtre dans le cadre de cette thèse, la réception du trust en droit suisse serait sans doute un moteur pour le développement de la titrisation. Il s'agirait là d'un instrument connu et apprécié des investisseurs étran-gers, qui a largement fait ses preuves dans la pratique, et qui permettrait aux initia-teurs suisses d économiser du temps dans le montage des opérations. Il deviendrait plus facile de s inspirer des opérations montées aux Etats-Unis et la Suisse pourrait ainsi bénéficier de l expérience acquise ailleurs. Si nous n avions à raisonner qu en prenant en compte le développement de la titrisation, nous donnerions notre

pré-férence à la réception dans le droit suisse d une institution qui paraît presque

consubstantielle à cette technique financière.

Toutefois, la réception du trust en droit suisse impliquerait une nécessaire réforme de certaines lois, la rupture partielle avec des choix juridiques fondamen-taux faits à l époque des grandes codifications et serait sans doute jugée peu oppor-tune à l'heure où de nombreuses pressions s exercent sur la place financière suisse.

Il y a donc fort peu de chances qu'elle ait lieu dans un avenir prévisible. Autre est la question de la meilleure reconnaissance du trust étranger.

10.3 Reconnaissance du trust de droit étranger?

Le droit suisse adopte une position ambiguë à l'égard des trusts. D'un côté, la posi-tion toujours affirmée est que le trust est une instituposi-tion inconnue du droit suisse.

D'un autre côté, force est de constater que le trust existe bel et bien en Suisse, dès lors qu'il est établi par des étrangers (même ressortissants d'un pays qui ne connaît pas cette institution !). Non seulement il ne fait aucun doute qu'un étranger domi-cilié en Suisse peut valablement constituer un trust à l'étranger, mais il ne fait aucun

718 Dans la version précédente (1996) des quarante recommandations du GAFI, la onzième recommandation demandait aux institutions financières de faire preuve d'une vigilance par-ticulière pour identifier leurs clients lorsque ceux-ci agissent au travers de structures de domi-cile (en particulier de structures fiduciaires) qui ne se livrent pas à une activité commerciale dans la juridiction de leur siège social.

"s Cf. GAFI (2001), §§ 19-30 pp. 8-12.

"° Cf. FSF (2000), pp. 2,4, 9 et 18.

doute non plus qu un résident suisse puisse être trustee. La doctrine récente va jusqu'à considérer que l'ordre public ne s'oppose pas à la constitution d'un trust par un Suisse721, ce qui paraît logique, dès lors que le Tribunal fédéral a reconnu722

que les articles 335 alinéa 2 et 488 alinéa 2 du Code civil n'interdisent pas, en

prin-cipe, la constitution d'un trust en Suisse723. Pour être reconnu en Suisse, il suffit donc que le trust soit valablement constitué selon la législation étrangère et qu'il ne heurte aucune règle impérative de notre droit724. La loi accorde même une sorte de consécration au trust, puisque les articles 18 et 19 de l'arrêté du Conseil fédéral pro-tégeant par des mesures conservatoires les personnes morales, sociétés de personnes et raisons individuelles du 12 avril 1957725 permettent aux société suisses de proté-ger leurs actifs de la spoliation par une puissance étrangère en temps de guerre en constituant des trusts ou en effectuant des cessions fidudaires.

Et pourtant, le droit international privé suisse reste extrêmement lacunaire en matière de trusts. Nos tribunaux continuent à éprouver les plus grandes difficultés pour faire rentrer certains aspects du trust dans le cadre de notre système juridique.

Par exemple, dans le fameux arrêt Ha rrison contre Crédit suisse, le trust a été converti en une combinaison d'institutions du droit suisse726, "qui remplissait tant bien que mal la fonction du trust, mais qui ne correspondait en réalité pas vraiment au trust"727. Dès lors, il est en fait impossible de savoir si un trust sera qualifié en Suisse de patrimoine organisé ou de contrat.

En particulier au vu du grand nombre de ressortissants de pays anglo-saxons établis en Suisse, on peut redouter que le manque de clarté et de cohérence avec

laquelle le droit suisse appréhende cette institution ne crée un jour des difficultés préjudiciables à la réputation de la place financière (et judiciaire) helvétique. "De

l'absence de règles de rattachement propres aux trusts et qui leur soient adaptées résulte une assez forte insécurité juridique. Celle-ci n'est pas nouvelle (...) Mais les

effets négatifs de ces incertitudes sur la sécurité juridique et la prévisibilité se sont

accrus en fonction du nombre croissant des biens en trust déposés en Suisse et des demandes plus fréquentes de mesures provisionnelles ou d'exécution forcée sur ces biens."728 Non seulement il suffirait d'une décision judiciaire malencontreuse à forte publicité pour mettre en évidence les lacunes de notre droit international privé, mais l'incertitude s'étend aussi au domaine fiscal, où il n'existe aucune pra-tique unifiée sur l'ensemble du territoire. Certains cantons traitent la constitution

"' Cf.WATTER(1995),p.243.

7" Cf. arrêt déjà cité Harrison contre Crédit suisse du 29 janvier 1970 (ATF 96 II 79,JdT 1971 l 329).

"3 Cf. RiviER(1998), p. 323.

™ Cf. OBERSON (2002), N 16 p. 478.

7" RS 531.54.

726 Mandat, transfert de propriété à titre fiduciaire, promesse de donner et stipulation pour autrui.

727 GUILLAUME (2000), p. 7.

728 THEVENOZ(2001), p. 13.

du trust comme une donation au trustee, d'autres comme une donation au béné-ficiaire. Certains cantons imposent de manière différente les distributions de capi-tal et les distributions de revenus d'un trust, d'autres ne font pas cette distinction729.

A notre connaissance, seules les autorités fiscales genevoises730 ont édicté une direc-tive reladirec-tive à l'imposition du trust au titre des successions et donations desfixed-interest trusts - ce qui est loin de couvrir toute la matière, mais correspond

cepen-dant à la catégorie de trusts utilisés dans le cadre de la titrisation. Le traitement fiscal

des trusts dépend en dernière analyse de la pratique des autorités fiscales au cas par cas, ce qui n'est pas sans provoquer une certaine insécurité juridique.

La situation devient particulièrement gênante dans le domaine qui nous inté-resse, puisque l expérience montre que la plupart des titrisations suisses font ou feront intervenir un trust étranger, ne serait-ce que pour échapper au droit de

timbre d émission et à l impôt anticipé si l opération s'adresse à des investisseurs

étrangers731, mais aussi en raison de l'absence de véhicule adéquat en droit positif.

La Suisse peut donc encore se dispenser d introduire le trust dans sa législation, mais il lui devient difficile de ne pas améliorer la reconnaissance du trust étranger.

Si la Suisse allait dans cette direction, elle ne ferait qu emboîter le pas à trois

Outline

Documents relatifs