• Aucun résultat trouvé

La principale difficulté que posait la mise en place du véhicule de titrisation en France était l'absence d'un instrument qui ressemblât de près ou de loin au trust

Rappelons que le but du véhicule de titrisation est avant tout d'isoler une certaine masse de biens, un certain patrimoine, du reste des biens de l'initiateur, et de l'affecter exclusivement au service des titres acquis par les investisseurs. On a vu que le trust s'était prêté à cet usage sans aucune difficulté dès la naissance de la titrisa-tion. En effet, en faisant abstraction de son origine historique et des règles propres au droit anglo-saxon comme la distinction entre propriété légale et propriété

"équitable", bref, en termes de droit romano-germaiiiqiie, le trust peut s analyser comme un patrimoine d'affectation, un ensemble de biens affecté à des destina-tions particulières expliquées par l acte constitutif du trust.

Or, l'impossibiHté d'un patrimoine d'affectation est une des maximes essentielles du droit français. Au moins depuis AUBRY et RAU418, on considère que le patrimoine est une émanation de la personnalité419. Le principe de l'unité du patrimoine se

déduit des articles 2092 et 2093 du Code civil420. Le patrimoine est la personnalité

de l'homme considéré dans ses relations avec les objets extérieurs"421. Seules les per-sonnes peuvent avoir un patrimoine (on n'admet pas l'existence d'un patrimoine sans une personne qui lui serve de support). Toute personne a nécessairement un patrimoine : "C'est une entité si abstraite que quelqu'un qui serait totalement démuni n'en aurait pas moins, en droit, un patrimoine, parce qu'il n'en aurait pas

moins vocation à devenir titulaire actif de droits subjectifs (de droits réels : droit de

propriété, droit d'usufruit... ; de droits personnels, ou droits de créance, à l'égard de telle ou telle personne)."422 Le patrimoine reste lié à la personne aussi longtemps que dure la personnalité et est donc intransmissible entre vifs. Une personne n'a

4'8 CHARLES AUBRY (1803-1883) et CHARLES RAU (1803-1877) furent les commentateurs du Code civil qui eurent la plus grande autorité au XIXe siècle. Cf. MALAURIE (1996), pp. 181-184.

4'9 Cf. BONNEAU (1991), §§ 37-38 p. 21.

420 Article 2092 : "Quiconque s'est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir." Article 2093 : "Les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers ; et le prix s'en distribue entre eux par contri-bution, à moins qu'il n'y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence."

421 TERRE François, Introduction générale au droit, 5e édition, Dalloz, Paris 2000, § 334 p. 345.

<"2 TERRE (2003), § 191 p. 185.

qu'un patrimoine : celui-ci n'est pas plus divisible que la personnalité. Le lien entre personnalité et patrimoine est si poussé en droit français que PLANIOL allait jusqu'à nier l'existence des droits réels tels qu'on les entend traditionnellement : "Le droit réel doit donc être conçu sous la forme d'un rapport obligatoire, dans lequel le sujet actif est simple et représenté par une seule personne, et le sujet passif est illimité en nombre et comprend toute personne qui entre en relation avec le sujet actif'423 -c'était là une position extrême. Par la force des choses, le droit français est de plus en plus contraint de s'éloigner de cette maxime. Le décret du 28 décembre 1957, en

instituant le fonds commun de placement, la loi du 11 juillet 1985, en créant l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée et la loi du 23 juillet 1987, en

admettant la fondation en tant qu' "acte par lequel une ou plusieurs personnes physiques ou morales décident l'affectation irrévocable de biens, droits ou res-sources à la réalisation d'une œuvre d'intérêt général" (article 18 alinéa l) semblent de plus en plus se rapprocher de la théorie du patrimoine d'affectation : même si les deux dernières institutions citées ont été dotées de la personnalité morale, elles sont surtout conçues comme un moyen pour une personne de séparer une partie de son patrimoine de sa personnalité.

A notre avis, il en va de même avec le fonds commun de créances. Le but étant toujours d'arriver à séparer les actifs titrisés du patrimoine de l'initiateur sans pour autant les céder à une autre personne physique ou morale, le législateur français s'est fortement inspiré de l'institution de son droit qui se rapprochait le plus d'un patrimoine d affectation, le fonds commun de placement, dans le but de lui faire jouer le rôle dévolu au trust dans les titrisations anglo-saxonnes. Il était cependant exclu de reprendre telle quelle l institution, en raison du droit des investisseurs d'exiger le rachat de leur part qui est, nous lavons vu, la caractéristique commune

des Opcvm. L existence du droit de rachat aurait impliqué, soit que le fonds dispose

en permanence des liquidités suffisantes pour faire face aux éventuels rachats exigés par les porteurs, ce qui n'est pas son but, soit qu il soit sûr de trouver à tout moment une personne obligée à racheter les parts. Cette deuxième solution aurait été diffi-cilement compatible avec le but de la titrisation de faire irrévocablement sortir les créances du bilan de rétablissement cédant : un engagement pris par un tiers envers le fonds de lui racheter à tout moment les créances n'aurait pu être pris que par un établissement de crédit, à cause du monopole prévu par la loi de 1984, et en pra-tique que par rétablissement cédant lui-même424. Voilà sans doute les raisons qui ont amené le législateur français à mettre en place cette étrange copropriété sans personnalité morale et excluant le droit de rachat qu'est le FCC.

423 PLANIOL Marcel, Traité élémentaire de droit civil, tome l, 1èr" édition, Paris 1900, §§ 762 et 763, cité in MALAURIE (1996), p.228.

-"" Cf. LE HIR (1994), § 34 p. 28.

La doctrine française tend d'ailleurs à considérer que le FCC est en fait un patri-moine d affectation. Il n'est qu'en apparence un patripatri-moine commun des porteurs de parts. En réalité, il est un patrimoine distinct des patrimoines des souscripteurs, de la société de gestion et du dépositaire ; en outre, l'unité du fonds est réalisée autour d un but. Le FCC est bien un patrimoine indépendant, puisque seul l actif du fonds, et non les patrimoines des investisseurs, de la société de gestion et du dépositaire, répond des dettes du fonds, et puisque l'actif du fonds ne répond pas des dettes des investisseurs, de la société de gestion et du dépositaire425. L'unité de son patrimoine n'est pas réalisée autour de la personne du porteur de parts, mais bien autour "d'un but qu'est la gestion des fonds communs dans l'intérêt collectif du groupe des souscripteurs"426. On voit par là que les réalités économiques contemporaines poussent le législateur français dans une direction qui s'éloigne des maximes traditionnelles de son droit. Nous verrons plus loin qu'à notre avis, il convient cependant de s'interroger sur l'ancienneté de cette tradition hostile au patrimoine d'affectation.

Reste à examiner pour quelles raisons le recours à la fiducie de droit français a été exclu, puisque l'on considère en général qu'elle est l'institution du droit fran-çais la plus proche du trust. La fiducie du droit franfran-çais n'est pas reconnue comme telle ; il s'agit pourtant d'un contrat innommé bien présent en droit positif. On peut le définir comme l acte juridique par lequel une personne, le fiduciaire, acquiert d une autre, le fiduciant, un droit patrimonial, sous des obligations qui en limitent l'exercice"4 7. Parmi ces obligations figure généralement celle de transférer ce droit, à terme, soit au fiduciant lui-même, soit à un tiers bénéficiaire. On voit que l insti-tution rappelle beaucoup celle du trust, et on y retrouve les éléments principaux de la définition du trust par la Convention de La Haye, sauf la "masse distincte" ne faisant pas partie du patrimoine" du trustee / fiduciaire. La doctrine française envi-sage la fiducie dans cinq contextes : fiducie-gestion, fiducie-entreprise (contrat de fiducie en vue d'assurer la pérennité de l'entreprise en cas d'indisponibilité du chef d'entreprise), fiducie-dévolution (permettant de faciliter le transfert des biens du

défunt lors d'une succession), fiducie-libéralité (transfert de la propriété d'un

immeuble à un gérant, à charge pour lui de la rétrocéder ou de la transférer à un tiers à l'issue d'une certaine période), fiducie-sûreté428. Cependant, l'utilisation de

la fiducie dans le contexte de la titrisation était impossible en l'absence de

codifi-cation de cette institution. Dans la situation actuelle, toute fiducie de droit français se voit confrontée à deux risques majeurs : la non-reconnaissance de la fiducie par

425 Article 40 alinéa IV de la loi du 23 décembre 1988 : "Les porteurs de parts ne sont tenus des dettes du fonds qu'à concurrence de son actif et proportionnellement à leur quote-part."

126 BONNEAU(1991), § 55 p. 27.

427 GRIMALDI / BARRIERE (1 998, II), § 3 p. 239.

-"s Cf. GALIMARD (1998), pp. 200-201,

l'administration fiscale, entraînant des frais de mutation lors du transfert au fidu-ciaire et lors du transfert du fidufidu-ciaire au fiduciant, et l'absence de protection du

fiduciant en droit civil (le fiduciant n'a aucun droit réel lui permettant d'opposer

aux tiers un droit de suite même si le patrimoine en fiducie demeure en théorie

distinct du patrimoine du fiduciaire). Dans le contexte de la mise en place rapide de la titrisation à la française, le législateur a dû parer au plus pressé : l'utilisation

du mécanisme de la fiducie dans le cadre de la titrisation aurait nécessité la

pro-mulgation d'une législation sur la fiducie avant même de pouvoir légiférer sur la

titrisation elle-même. En effet, la reconnaissance jurisprudentielle de la fiducie en France semblait insuffisante pour permettre son utilisation à une aussi grande échelle. Cependant, pour une partie de la doctrine française, le FCC serait lui-même une fiducie innommée, car un patrimoine d'affectation résulte de sa création et la gestion des créances est manifestement fiduciaire429.

Alors que la législation française utilise déjà le principe de la cession fiduciaire

dans le contexte de la "cession DAILLY", la codification de la fiducie piétine depuis des années. Un avant-projet de codification de la fiducie a vu le jour en février

1990430, et un projet de loi (n° 2853) a été déposé par le gouvernement auprès du parlement le 25 février 1992431. N'ayant pas été discuté et adopté par l'Assemblée

nationale au cours de la session 1992, ce projet est devenu caduc432. Son objectif avoué était de concurrencer le trust et d assurer aux intéressés une protection sem-blable à celle qu'assure, en droit anglo-saxon, la différence entre la propriété "légale"

et les droits à titre "équitable"433. Les réticences à l'égard de ce projet de loi sont venues de l'administration fiscale, mais aussi de bon nombre de juristes. Nous reviendrons dans le chapitre 10, consacré aux possibilités d'introduction d'un véhi-cule de titrisation spécifique à la Suisse, sur ces fortes réticences de certains pays de droit romano-germanique à l'égard de la codification de la fiducie et de la recon-naissance des trusts étrangers.

Il nous semble en tout cas très probable que la codification de la fiducie ou une

Outline

Documents relatifs