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3. Épistémologie de la personne raisonnable

3.2 La personne raisonnable et l’objectivité

Si on en croit les nombreux arrêts de la Cour suprême, l'objectivité et la personne raisonnable sont inséparables. L'un apparaît presque toujours aux côtés de l'autre. Cela dit, les arrêts de la Cour suprême demeurent des écrits ponctuels. Ils regroupent une combinaison de description des faits, d'explications des décisions antérieures, de théorie et d'application de cette théorie aux faits de

306 On peut en donner ici un autre exemple, tiré de R. c. Khawaja, [2012] 3 RCS 555, 2012 CSC 69, paragr. 79 :

[79] Dans certains cas, l’existence de l’effet paralysant peut être inférée de faits connus et d’observations antérieures. Par exemple, toute personne raisonnable conviendrait qu’une loi rendant les journalistes passibles de dommages‑intérêts en cas de reportages réalisés de manière responsable sur des hommes ou des femmes politiques aurait probablement un effet paralysant sur le travail journalistique. Dans un tel cas, il peut être inutile de prouver l’effet paralysant.

307 Pinard, préc., note 8, p. 140.

308 En voici des exemples : il n’est pas « admis qu’aucune personne raisonnable ne saurait contester » que le condom

seul écarte le risque de contracter le VIH (R. c. Mabior, [2012] 2 RCS 584, 2012 CSC 47, paragr. 71.) De même, la personne raisonnable qui a pris la peine de s’informer ne considère pas incontestable que l’habileté à témoigner d’un adulte déficient intellectuellement est la même que celle d’un enfant (R. c. D.A.I., [2012] 1 RCS 149, 2012 CSC 5, paragr. 130).

l'espèce. Lorsqu'il y a une ou des dissidences, ces passages peuvent être contradictoires. Il n'y a donc pas une seule source de base contenant tous les principes épistémologiques qui animent les réflexions de la Cour.

Néanmoins, le lien établi entre la personne raisonnable et l'objectivité par la Cour suprême est constant. Il traverse les années, peu importe les juges siégeant à la Cour, les domaines de droit et même les majorités et les dissidences. On peut en donner une série de 30 exemples (voir en annexe). Comme la personne raisonnable, ces exemples couvrent pratiquement tous les domaines : le droit criminel et la responsabilité délictuelle, mais aussi le droit commercial, le droit judiciaire et le droit du travail. Ces exemples sont d’ailleurs loin d'être exhaustifs.309

Une précision: bien que maintenant le lien entre la personne raisonnable et l'objectivité soit constant, il n'en a pas toujours été ainsi. Comme expliqué précédemment, la personne raisonnable a fait sa première apparition à la Cour suprême en 1879.310 Pour sa part, l'appel au raisonnable a commencé

dès la première décision de la Cour suprême: Taylor v. R.311 en 1876. Ces arrêts ne parlent

cependant pas de test objectif ou d'objectivité.

De même, la Cour a prononcé plusieurs arrêts impliquant la personne raisonnable durant des dizaines d'années sans parler d'objectivité. Les premiers signes de l'objectivité-personne raisonnable sont apparus en 1951 dans un arrêt sur la négligence lourde où les deux termes sont présents dans la même décision : Studer v. Cowper312. En 1954, l'arrêt Savage v. Wilby313, portant lui aussi sur la

négligence, réunit l'objectivité et le reasonable man dans le même paragraphe, sans faire de lien direct entre les deux concepts.

Ce n'est qu'en 1960 que la Cour affirme le lien directement, ouvrage de doctrine à l'appui:

In the reasons of my brother Judson, which I have had the advantage of reading, he refers with approval to passages in Glanville Williams on Criminal Law (1953) and in the 17th Edition of Kenny's Outlines of Criminal Law in which the distinction is drawn between "inadvertent negligence" and "advertent negligence". At page 82 of his work Glanville Williams says:

309 La recherche ["personne raisonnable" ET objectif OU objectivité] dans CanLII produit 243 résultats (en date du 19 mai

2014). Les résultats vont des premières décisions en français dans les années 1970 à aujourd'hui. Cependant, ce ne sont pas toutes ces décisions qui font un lien direct entre les deux concepts.

310 Moore v. Connecticut Mutual Life Insurance Co. of Hartford, préc., note 51. 311 Taylor v. R., 1 SCR 65.

312 Studer v. Cowper, [1951] SCR 450.

Responsibility for some crimes may be incurred by the mere neglect to exercise due caution, where the mind is not actively but negatively or passively at fault. This is inadvertent negligence. Since advertent negligence has a special name (recklessness), it is convenient to use "negligence" generally to mean inadvertent negligence. If it is said that such-and-such a crime can be committed negligently, this means that the crime can be committed by inadvertent negligence; and the reader will understand that the crime can a fortiori be committed recklessly.

In the law of tort negligence has an objective meaning. It signifies a failure to reach the objective standard of the reasonable man, and does not involve any inquiry into the mentality of the defendant. The same rule prevails in criminal law, in those spheres where negligence is recognised at all.

In my opinion the effect of s. 55(1) is to enact that a person who in driving a vehicle on a highway fails to reach the objective standard of the reasonable man in regard to the use of due care and attention or in regard to having reasonable consideration for other persons using the highway is guilty of an offence and subject to punishment.314

Pour ce qui est de la langue française, ce n'est qu'environ cent ans plus tard, soit en 1971, que la personne raisonnable a été associée à l'objectivité: « il faut évaluer les paroles de provocation d’après l’effet qu’elles auraient sur une personne raisonnable. Lorsque ce critère objectif ne se trouve pas vérifié en l’espèce, tout examen ultérieur de la provocation devient hors de propos. »315 Il ne faut

pas trop s’attarder à cette différence entre les langues anglaise et française: l'écart relève simplement du fait que les décisions ont commencé à être intégralement traduites en français à cette époque.

La relation objectivité-personne raisonnable n'a certainement pas été inventée par la Cour suprême.

Cette conception est au minimum commune parmi les pays de common law.316 Déjà en 1881, Oliver

Wendell Holmes associait le standard idéal de l'homme ordinaire à un standard objectif.317 On doit

pourtant préciser qu'il préférait la dichotomie interne/externe à celle subjectif/objectif, c.-à-d. que le standard interne est celui que le justiciable considérait approprié pour lui-même et l’externe est celui que le tribunal considère approprié.

En fait, on pourrait peut-être même dire que la Cour suprême utilise la définition originelle de l’objectivité, c’est-à-dire celle de Kant à qui on attribue l’usage moderne du mot.318 Le lien fait entre la

314 O'Grady v. Sparling, [1960] SCR 804, p. 817. 315 Perrault c. R., préc. note, 251.

316 Kathy Laster, Law as Culture, Sydney, Federation Press, 1997, p. 180-182. 317 Holmes, préc., note 3, p. 33, 43, 51.

318 Oscar Bloch & W. von Wartburg, Dictionnaire étymologique de la langue française, Paris, Presses Universitaires de

personne raisonnable et l’objectivité rappelle effectivement les propos de Kant : « Quand le fait de tenir en sa créance possède une validité pour chacun, en tant qu'il a simplement de la raison, ce sur quoi il se fonde est objectivement suffisant, et la créance s'appelle dès lors conviction. »319 Est

objectif ce sur quoi les gens doués de raison peuvent tous se mettre d’accord. Comme on l’a vu dans la précédente section, cela se rapproche beaucoup de la définition de la connaissance d’office : ce sur quoi toutes les personnes raisonnables (au pluriel) sont d’accord. Néanmoins, si on considère cette définition, on en revient au même écueil que constituent les désaccords fréquents entre les juges : si toutes les personnes raisonnables doivent être d’accord, comment expliquer la dissidence? Les juges de la Cour suprême ne sont-ils pas tous doués de raison?

Cela dit, tant en ce qui concerne « les » personnes raisonnables de la connaissance d’office et « la » personne raisonnable seule, la vision de la Cour suprême du raisonnable fait penser aux propos de Chaïm Perelman : « [L’homme raisonnable] est l’homme qui, dans ses jugements et sa conduite, se laisse influencer par le sens commun, considéré comme le bon sens. »320 Comme l’explique

Perelman, cette vision du raisonnable peut permettre de résoudre un litige là où la rationalité pure échoue, mais deux sens communs peuvent donner deux solutions bien différentes. On rapproche d’ailleurs le sens commun au heuristic mentionné précédemment.321 La Cour elle-même est

généralement favorable à l‘utilisation du sens commun et s’appuie parfois directement sur celui-ci,

mais exprime aussi une certaine méfiance à son égard.322 Les aléas du sens commun expliqueraient

certainement pourquoi des membres d’un même banc peuvent être convaincus de choses

319 Emmanuel Kant, Critique de la raison pure, Paris, Presses Universitaires de France, 1950, p. 667. Voici le passage

suivant sur le sujet :

La pierre de touche de la créance, pour reconnaître s'il s'agit d'une conviction ou d'une simple persuasion, est donc, de façon extérieure, la possibilité de la communiquer, et de trouver que la créance possède une validité pour la raison de chaque être humain; car, dès lors, du moins est-ce une présomption que la raison d'être de l'accord de tous les jugements, indépendamment de la diversité des sujets entre eux, reposera sur le fondement commun, à savoir l'objet, avec lequel ils s'accorderont par conséquent tous, prouvant ainsi la vérité du jugement.

Voir aussi Lorraine Daston & Peter Galison, Objectivity, Brooklyn, Zone Books, 2007, p. 205-206, 262.

320 Chaïm Perelman, « The Rational and the Reasonable », dans The New Rhetoric and the Humanities: Essays on

Rhetoric and its Applications, Dordsrecht, Reidel, 1979, p. 117.

321 Goldstein et al., préc., note 269, p. 1.

322 Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 RCS 877, paragr. 116 : « Même si les tribunaux

ne doivent pas invoquer le sens commun pour masquer des suppositions sans fondement ou controversées, ils peuvent toutefois l’utiliser à juste titre dans leur raisonnement lorsque la possibilité de préjudice relève des connaissances et expériences quotidiennes des Canadiens ou lorsqu’il y a chevauchement de constatations des faits et de jugements de valeur. »

diamétralement opposées à partir des mêmes informations. Cela démontre aussi que le sens commun se réfère à des valeurs.

Au lieu de la dichotomie objectif/subjectif, en droit civil, on sépare aussi la norme de la personne raisonnable ou du bon père de famille de l'évaluation du justiciable avec la dichotomie concret/abstrait. Au Québec, c'est aussi ces termes que certaines publications gouvernementales officielles ont utilisés pour traiter des standards de la négligence et de la mauvaise gestion, c’est-à- dire la responsabilité civile extracontractuelle de l’art. 1457 C.c.Q. et l’administration du bien d’autrui.323 Voici un exemple de citation, qui s’approche d’ailleurs d’une définition : « Pour apprécier

l’obligation de diligence et, par conséquent, la faute qui découle de sa violation, le juge a recours au critère in abstracto, c’est-à-dire en appréciant la conduite du défendeur en tenant compte des circonstances externes dans lesquelles il se trouve lors de la réalisation du préjudice. »324

Un survol des dictionnaires juridiques nous permet d'en apprendre un peu plus sur la question. Le

Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues ne définit pas directement ce qui est objectif.

Cependant, celui-ci définit la faute objective d'une façon familière: une « faute civile qu'une personne raisonnable n'aurait pas commise dans les circonstances. »325 Le Pocket Dictionary of Canadian Law

est plutôt laconique sur le sujet, définissant ce qui est objectif comme « raisonné, impersonnel, observé » (reasoned, impersonal, observed).326 Le Black's Law Dictionary attribue à l'année 1915 la

première utilisation du terme « standard objectif » défini comme l'attitude de la personne raisonnable.327 Plus important encore, ce dictionnaire donne deux définitions légèrement différentes

de ce qui est « objectif » et du « standard objectif » :

objective, adj. (17c) 1. Of, relating to, or based on externally verifiable phenomena, as opposed

to an individual's perceptions, feelings, or intentions <the objective facts>. 2. Without bias or prejudice; disinterested <because her son was involved, she felt she could not be objective>. Cf. SUBJECTIVE.

323 Vincent Karim, Les obligations, vol. 1, 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2009, p. 839, 849, 862, 869.

Zhou, préc., note 68; Québec (province), Code civil du Québec : Commentaires du ministre de la Justice, Tome 1, Québec, Gouvernement du Québec, 1993, p. 785 (sur la responsabilité de l’administrateur); Noël Dejean de la Batie,

Appréciation in abstracto et appréciation in concerto en droit civil français, Paris, Librairie générale de droit et de

jurisprudence, 1965, p. 4; J.-L. Baudouin et P. Deslauriers, La responsabilité civile, 5e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998, p. 127.

324 Office de révision du Code civil, Rapport sur le Code civil du Québec, vol. II, t. 2, Québec, Éditeur officiel, 1977, p.

629, art. 94.

325 Allard, préc., note 244, p. 157.

326 Daphne A. Dukelow, Pocket Dictionary of Canadian Law, Toronto, Carswell, 2011, p. 410. 327 Garner, préc., note 256, p. 1178, 1535.

objective standard. (1915) A legal standard that is based on conduct and perceptions external

to a particular person. ● In tort law, for example, the reasonable person standard is considered an objective standard because it does not require a determination of what the defendant was thinking.328

La différence, peut-être en apparence subtile, est quand même de taille. Le standard de la personne raisonnable est objectif simplement parce qu'il ne dépend pas de l'état d'esprit du défendeur. En soi, établir un standard indépendamment de ce que pense le défendeur n'en fait pas automatiquement une balise particulièrement juste, ni même crédible. Contrairement à la première définition « d'objectif », il n'est pas nécessairement requis de se baser sur des « phénomènes externes vérifiables ». Un standard objectif qui se veut simplement externe au justiciable est, dépendamment du justiciable, parfois très facile à atteindre.329 Voici un autre argument à ce sujet, venant du juge

Binnie : une personne placée dans une situation donnée peut ne pas être objective en ce sens que même si elle est raisonnable, voire brillante et perceptive, elle peut quand même ne pas être au courant de faits essentiels à sa situation, en l'occurrence, ce que des policiers pourraient sciemment lui cacher.330 Le glissement entre ces deux définitions de l’objectivité est aussi traité dans l’ouvrage

Law and Objectivity de Kent Greenawalt :

“Objectivity” in the sense of nonsubjective standards differs from “objectivity” in the sense of external behavior, but they share a hesitancy to make legal results depend on what a particular individual thinks and feels. If every aspect were judged from the standpoint of a reasonable person, legal liability would be determined solely by a person’s external movements and their consequences. Any talk of “perception” or “intent” would reduce to asserting what a reasonable person would have perceived or intended in the circumstances.331

Pourquoi le choix des mots subjectif/objectif est-il important? Ne pourrait-on pas le considérer comme une simple décision arbitraire de termes de l'art que les juristes comprennent bien? Le choix n'est pourtant pas anodin: objectif et subjectif sont des mots chargés. L'objectivité est positive, la subjectivité souvent négative. « Objectif » est synonyme de « détaché, exact, fidèle, impartial, précis, réel, scrupuleux » et est le contraire d’« arbitraire, chauvin, partial, tendancieux ».332 Pour sa part,

328 Id., p. 1178, 1535.

329 Voir par exemple: Starson c. Swayze, [2003] 1 R.C.S. 722, 2003 CSC 32. 330 R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 RCS 353, paragr. 152, 175, 178.

331 Kent Greenawalt, Law and Objectivity, New York, Oxford University Press, 1992, p. 100.

332 Larousse, « Objectif (adj.) - synonymes » In Larousse, Dictionnaires français monolingue et bilingue en ligne, [En

ligne] http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/objectif_objective/55356/synonyme (Page consultée le 24 novembre 2014).

« subjectif » est synonyme de « personnel, individuel » et le contraire de « réel, vrai, réaliste ».333 En

ce sens, contrairement à la dichotomie subjectif/objectif, les dichotomies concret/abstrait et interne/externe présentent l'avantage de ne pas suggérer que la vision du justiciable est nécessairement moins bonne que la vision du juge.

Que la Cour suprême veuille associer la personne raisonnable à un terme qui inspire confiance est compréhensible, même louable. Cependant, de l'aveu même de la Cour suprême, ses prétentions d'objectivité ne sont pas aussi exactes et précises que ces termes laissent croire. La vaste majorité des arrêts ne contient aucune telle mise en garde, mais l'arrêt Saskatchewan (Human Rights

Commission) c. Whatcott est une exception:

(1) La personne raisonnable

[33] La subjectivité n’est pas le propre de l’application de normes en matière de droits de la personne. Tant que le rôle de juge ou d’arbitre sera confié à des êtres humains, une certaine subjectivité jouera dans l’application de toute norme ou de tout critère à une situation factuelle donnée. Pour reprendre les propos du juge Cardozo : [traduction] « nos traditions juridiques nous obligent à une norme objective. Bien entendu, je ne prétends pas que cet idéal d’une vision objective soit atteint dans tous les cas », mais plutôt que, inévitablement, [traduction] « l’esprit subjectif colore la perception d’un droit objectif » : B. N. Cardozo, The Nature of the Judicial Process (1921), p. 106 et 110.

[34] Compte tenu de cette réalité, les tribunaux judiciaires établissent des principes juridiques comme repères pour traiter avec uniformité les questions semblables. Ils respectent les précédents établis, analysant la manière dont un principe ou une norme a été appliqué dans des situations de fait comparables. La norme ou le critère objectif est appliqué par les tribunaux judiciaires et administratifs en fonction de ce qu’une personne raisonnable ferait ou croirait dans la même situation ou dans les mêmes circonstances.334

D'une part, ce passage réaffirme le truisme voulant que nul ne soit parfaitement objectif. Comme le dit le juge Cardozo cité ci-dessus: « We cannot transcend the limitations of the ego and see anything as it really is. »335 La Cour explique donc que la solution à ce problème est d'appliquer le « critère

objectif » que constitue la personne raisonnable. Cependant, la Cour suprême dit à plusieurs reprises que ce que croit la personne raisonnable n'a pas à être prouvé.336 Elle est aussi parfois consciente

333 Larousse, « Subjectif (adj.) - synonymes » In Larousse, Dictionnaires français monolingue et bilingue en ligne, [En

ligne] http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/subjectif_subjective/75038/synonyme (Page consultée le 24 novembre 2014).

334 Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, préc., note 5, paragr. 33-34.

335 Cardozo, préc., note 18, p. 106. Cela rappelle d'ailleurs les propos de Kant sur la ding an sich: Kant, préc., note 319. 336 Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc., préc., note 35, paragr. 31-32; Sauvé c. Canada (Directeur général des

élections), 2002 CSC 68, [2002] 3 RCS 519, paragr. 18; par extension voir aussi Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), préc., note 178, paragr. 77.

que la personne raisonnable reflète les croyances personnelles des juges.337 Pourtant, « croyances

personnelles » est la définition même de ce qui est subjectif (l'une d'elles, du moins).338

D'un certain point de vue, l'usage que fait la Cour suprême de l'objectivité et la subjectivité est inversé. Ce que pense le justiciable est une réalité externe au tribunal qui étudie une question. Le justiciable est pour le juge un « objet » de connaissance qui existe à l'extérieur du juge et possède des propriétés. Dans ce genre de test, c'est souvent l'état d'esprit du justiciable qui intéresse le tribunal (par exemple, la négligence ou la provocation). À défaut d'avoir une technologie permettant d'extraire directement les pensées, on peut simplement demander au justiciable ce qu'il pense et pour les fins de l'exercice, on tient ici pour acquis qu'il dit la vérité. De même, si le juge n'a pas le luxe d'entendre directement le témoin, il peut le faire à l'aide d'enregistrements audio, vidéo ou de transcriptions. Il ne faut pas oublier que la validité des opinions du justiciable n’est nullement importante dans cette partie du test objectif/subjectif: seul le fait que le justiciable possédait une croyance sincère ou non importe. C'est donc pour cela qu'il s'agirait d'une croyance qu'on peut vérifier objectivement.

À l'inverse, lorsque le juge établit un standard de comportement à travers la personne raisonnable, il le fait dans le but d'appliquer ce standard au justiciable et à toute autre personne que l'arrêt peut viser. Il le fait généralement sans grande preuve des techniques applicables à l'activité en question,