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2. Variabilité dans la notion de personne raisonnable

2.3 Plusieurs « moyens » dans la moyenne

Il n’est jamais simple de déterminer concrètement ce qui est raisonnable. En ce sens, on peut plutôt se concentrer sur le caractère « moyen » qui est souvent associé à la personne raisonnable et parfois utilisé de façon interchangeable.214 La moyenne a un certain attrait pratique : elle peut être

déterminée mathématiquement à partir de données sur une population. Ne suffit-il pas de sonder un groupe et de faire une simple opération arithmétique pour découvrir qui est la personne moyenne? Serait-ce la réponse à l’énigme de la personne raisonnable? L’arrêt Richard c. Time Inc.215 permet

une réflexion sur le sujet.

212 R. c. Cairney, préc., note 75, paragr. 82; R. c. Tran, 2010 CSC 58, [2010] 3 RCS 350, paragr. 19, 30, 34; Canadian

Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), préc., note 192, paragr. 36.

213 Holmes, préc., note 3. 214 Brown, préc., note 80.

Dans l’arrêt Richard c. Time Inc., la Cour suprême a discuté et défini ce qu’est un consommateur « moyen », plus particulièrement pour déterminer si celui-ci est prudent ou se laisse facilement berner. Les faits à l'origine de ce litige sont les suivants: un Québécois reçoit une lettre en anglais lui annonçant avoir gagné un million de dollars. En fait, si on regarde les petits caractères, il a simplement « peut-être » une chance de gagner, le tout étant une promotion plus ou moins honnête visant à vendre des abonnements au magazine Time. La question de droit est donc la suivante: est- ce que cette promotion est trompeuse et contrevient aux articles 219 et 228 de la Loi sur la protection

du consommateur? Voici les articles en question :

219. Aucun commerçant, fabricant ou publicitaire ne peut, par quelque moyen que ce soit, faire une représentation fausse ou trompeuse à un consommateur.

228. Aucun commerçant, fabricant ou publicitaire ne peut, dans une représentation qu’il fait à un consommateur, passer sous silence un fait important.216

Même si les articles utilisent des termes pouvant servir de standards comme « faux », « trompeur » et « passer sous silence », la Cour ajoute un élément à son analyse. Elle fait appel à une autre personne-standard: le consommateur moyen (dans la version anglaise: average consumer). C'est à travers ses yeux que le juge détermine le caractère trompeur d'une publicité. Cette personne est inspirée d'un test similaire en matière de confusion entre marques de commerce. La Cour se réfère d'ailleurs à deux de ses arrêts précédents, Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée et

Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc.217 Dans l’arrêt Veuve Cliquot, l'expression utilisée est

« consommateur plutôt pressé » (version anglaise: casual consumer somewhat in a hurry), mais on y utilise aussi le terme consommateur ordinaire. Pour sa part, l'arrêt Masterpiece utilise les termes consommateur moyen et consommateur ordinaire de façon interchangeable (version anglaise: casual

consumer et average consumer).218

La nuance dans l'usage des termes est particulièrement importante dans la décision Time, car la Cour suprême reproche à la Cour d'appel d'avoir décrit le consommateur moyen comme « moyennement intelligent, moyennement sceptique et moyennement curieux ». La Cour suprême explique que le critère posé comme tel est trop strict et ne respecte pas l'esprit de la Loi sur la

216 Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., ch. P‑40.1, art. 219, 228.

217 Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23 paragr. 20; Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles

Inc., 2011 CSC 27, paragr. 41.

218 Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., préc., note 217. Le paragraphe 96 nous en donne un bon exemple: « Par

conséquent, il n’existait pas de consommateurs moyens ou ordinaires auprès desquels on pouvait vérifier l’existence d’un « vague souvenir » des marques de Masterpiece Inc. »

protection du consommateur.219 De prime abord, le reproche semble curieux. Comment une

mythique personne moyenne pourrait-elle être autrement que moyennement intelligente, moyennement sceptique et moyennement curieuse? Comment pourrait-elle être d'un soin inférieur à la moyenne qu'elle personnifie? Cela relève de l'impossibilité mathématique.

En théorie, une personne moyennement intelligente, moyennement sceptique et moyennement curieuse est exactement pareille à une personne moyennement stupide, moyennement crédule et moyennement indifférente. La seule différence est que les mêmes idées sont exprimées à la négative dans le deuxième exemple. La décision Métromédia de la Cour d’appel du Québec discutée précédemment en offre un exemple: « J'estime enfin que le citoyen ordinaire aurait donné autant de poids (c'est-à-dire aussi peu) aux propos de l'appelant […]. »220 Cependant, exprimer un standard à

la négative peut laisser croire qu'il est plus facile à atteindre. C'est peut-être ce que croirait le « lecteur moyennement attentif ». Ceci pourrait expliquer la position de la Cour suprême, même si elle ne fait pas cette réflexion dans ses motifs.

Si on relit les paragraphes ci-dessus, le terme utilisé dans la décision Veuve Cliquot est « consommateur ordinaire ». La Cour aurait-elle décidé, contrairement à l'arrêt Masterpiece, que les termes n'étaient pas interchangeables et que le consommateur ordinaire est moins prudent que le consommateur moyen? Cela ne semble pas le cas, puisque la Cour adopte le terme consommateur moyen sans jamais utiliser l'expression consommateur ordinaire.

Pourtant, la Cour explique plus loin que dans une autre décision en matière de confusion le standard de « l'acheteur ordinaire pressé » est utilisé, standard qu'elle semble approuver:

[66] La jurisprudence de notre Cour en matière de marques de commerce fournit un bon exemple de cette approche interprétative. Dans l’arrêt Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22 (CanLII), 2006 CSC 22, [2006] 1 R.C.S. 772, la Cour était appelée à préciser la norme au moyen de laquelle les tribunaux doivent décider si une marque de commerce porte à confusion avec une marque enregistrée. Au nom de la Cour, le juge Binnie a conclu que le consommateur moyen que veut protéger la Loi sur les marques de commerce est « l’acheteur ordinaire pressé » (par. 56). Il a précisé que « [l]a norme applicable [n’était] pas celle des personnes [traduction] “qui ne remarquent jamais rien”, mais celle des personnes qui ne prêtent rien de plus qu’une [traduction] “attention ordinaire à ce qui leur saute aux yeux” » (par. 58). [67] Le critère de l’impression générale prévu à l’art. 218 L.p.c. doit être appliqué dans une perspective similaire à celle de « l’acheteur ordinaire pressé », c’est-à-dire celle d’un

219 Richard c. Time Inc., préc., note , 135, paragr. 73.

consommateur qui ne prête rien de plus qu’une attention ordinaire à ce qui lui saute aux yeux lors d’un premier contact avec une publicité. Les tribunaux ne doivent pas conduire l’analyse dans la perspective du consommateur prudent et diligent.221

(je souligne)

Encore une fois, ceci laisse croire que la Cour voit une nuance importante entre ordinaire et moyen. On peut aussi voir une certaine équivalence entre « l'attention ordinaire » de la citation et le consommateur « moyennement curieux » de la Cour d'appel du Québec.

Il peut aussi être avancé que dans l'expression « acheteur ordinaire pressé », c'est le mot « pressé » qui est le plus important. L'idée que le consommateur moyen est éternellement pressé est attrayante, car elle invoque l'image du parent qui doit vite faire ses courses pour revenir préparer le repas pour sa famille ou d'un centre commercial bondé de gens affairés.

Cela dit, les deux mots qui sont la clé du litige sont « crédule et inexpérimenté », deux mots que la Cour d'appel du Québec n'utilise jamais. Ils sont le cœur d'un débat doctrinal entre deux auteurs québécois sur le standard à appliquer en matière de protection du consommateur. C'est ce qu'expliquait la Cour d'appel du Québec.222 Une auteure, Nicole L’Heureux, explique que la loi vise à

protéger le consommateur moyen :

La Loi n’indique pas si le tribunal, dans l’appréciation du caractère trompeur de la représentation, doit s’en rapporter au consommateur attentif et lucide ou au consommateur moyen, souvent inattentif, crédule et inexpérimenté. Cependant, le fait d’énoncer que le caractère trompeur de la représentation doit s’apprécier selon l’impression générale qui se dégage de l’annonce nous incite à favoriser l’appréciation par rapport au consommateur moyen. D’autant plus que, si l’on se rapporte à l’objectif général du législateur en matière de droit de la consommation, on peut dégager l’idée du consommateur moyen, inexpérimenté sur le marché auquel la notion de consommateur réfère implicitement.223

(je souligne)

Pour sa part, l'auteur Claude Masse préfère le standard du consommateur crédule :

Le critère de l’impression générale et du sens littéral a été emprunté à l’article 52(4) de la Loi sur la concurrence. La publicité commerciale joue en effet souvent sur l’impression générale que peut laisser une publicité et même sur le sens littéral des mots employés. Les informations publicitaires sont transmises rapidement. On y mise sur l’image et l’impression du moment.

221 Richard c. Time Inc., préc., note 135, paragr. 66-67. 222 Time inc. c. Richard, 2009 QCCA 2378, paragr. 14.

223 Nicole L'Heureux, Droit de la consommation, 5e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2000, p. 347. Ce paragraphe

C’est cette impression générale qui est souvent recherchée par la publicité. Le consommateur n’a pas, par définition, le temps de se livrer à de longues réflexions sur le sens véritable des messages qu’on lui communique ou sur la question de savoir si le sens des mots employés correspond ou non à leur sens littéral. Le droit de la consommation prend le contenu de la publicité au sérieux. Le consommateur n'a pas à se demander si les promesses qu'on lui fait ou les engagements que l'on prend sont ou non réalistes, sérieux ou vraisemblables. […]

Les Tribunaux ont utilisé le critère du consommateur « crédule » pour juger du caractère trompeur de la publicité dans le cadre de la Loi sur la concurrence […] On a en effet jugé qu’une publicité est trompeuse, même si elle peut facilement être détectée par un consommateur moyen, une personne raisonnable, mais qu’elle peut induire en erreur la personne crédule et inexpérimentée. Ce critère de la personne crédule est maintenant utilisé dans le cadre de l’application de la L.P.C.224

(je souligne)

Malgré les expressions différentes, une lecture attentive nous informe que les deux auteurs considèrent que la Loi sur la protection du consommateur doit protéger le consommateur crédule et inexpérimenté. Le débat doctrinal n'est qu'apparent, car les deux auteurs appliquent le même standard. C'est leur vision de ce qui est « moyen » qui les sépare. Bref, on en arrive au même écueil qui sépare la Cour d'appel et la Cour suprême.

Il est nécessaire de souligner de nouveau que la Cour suprême accepte le standard du consommateur moyen, la distinction étant qu'elle le considère comme « crédule et inexpérimenté »: « Les qualificatifs « crédule et inexpérimenté » expriment donc la conception du consommateur moyen qu’adopte la L.p.c. »225

Voici donc une synthèse de la situation: le consommateur moyen tel que vu par la Cour d'appel du Québec est moyennement intelligent, moyennement sceptique et moyennement curieux alors que le consommateur moyen de la Cour suprême est crédule et inexpérimenté.

Malgré les distinctions dans les termes parfois ténues, l'enjeu est clair: le standard à atteindre est plus élevé selon la Cour d'appel que selon la Cour suprême. L'écart qui sépare ces deux standards est difficile à cerner, mais on peut au minimum constater que les deux cours auraient choisi une issue différente au litige.

224 Claude Masse, Loi sur la protection du consommateur — Analyse et commentaires, Cowansville, Éditions Yvon Blais,

1999, p. 828.

L'auteure Mariève Lacroix exprime dans un commentaire sur l'arrêt Time la difficulté de voir le citoyen moyen comme prudent dans son rapport aux autres, mais subitement vulnérable dans son rôle de consommateur :

Comment concilier ces deux modèles de comparaison : du citoyen ordinaire – normalement prudent et diligent – au consommateur – crédule et inexpérimenté – lorsque confronté à une représentation commerciale ? L'arrimage entre le modèle d'appréciation dérivé du droit commun de la responsabilité civile, au Code civil du Québec, et le critère issu de la Loi sur la protection

du consommateur semble délicat.226

L'auteure ajoute aussi que la personne raisonnable est historiquement considérée comme plutôt moyenne et n’a rien d'exceptionnel. Ceci ajoute du poids à l'idée selon laquelle la Cour suprême considère désormais la personne raisonnable comme supérieure à la moyenne. Elle compare également l'opinion de la Cour suprême dans l’arrêt Time à celle dans l’arrêt Dell227, où le même

consommateur moyen semblait être beaucoup plus débrouillard aux yeux de la Cour suprême. Enfin, Mariève Lacroix regrette que le vocable de « moyen » puisse englober plusieurs standards :

Sous le vocable d'un « individu moyen » qui se rapporte au modèle d'appréciation d'une norme comportementale, on peut relever une gradation en passant d'un consommateur inexpérimenté à une personne raisonnablement prudente et diligente, à un consommateur très méticuleux et détenant un sens critique aiguisé. On peut regretter un manque de cohérence.228

De la perspective d’un auteur australien, les standards de la personne raisonnable et du consommateur ordinaire sont si flexibles que malgré leurs définitions différentes, la différence de résultat serait petite ou nulle :

Whether in reality the difference between ‘the reasonable man’ and ‘the ordinary consumer’ of somewhat less than average intelligence is truly significant is a moot point. There are many instances, usually depending upon the particular area of the common law being relied upon, where the standards adopted for ‘the reasonable man’ have been applied with some degree of flexibility by the court. Thus, it might be argued by some that the common law cases and the statutory decisions based around the Trade Practices Act are reasonably consistent with the adoption of either test, and that whatever test is adopted would make little or no difference to the outcome of any case before the courts.229

226 Mariève Lacroix, « Attention au gros lot! — Richard c. Time Inc. », (2012) 71 Revue du Barreau 147, 158. Elle

explique néanmoins qu'il est possible d'abaisser volontairement le standard

227 Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, 2007 CSC 34. 228 Lacroix, préc., note 226, 159-160.

229 Bruce R. Clarke, The Death of the Reasonable Man, Hawthorn, Vic. : Faculty of Business, Swinburne Institute of

On peut ajouter un autre exemple récent de l'utilisation du consommateur moyen par la Cour suprême, celui-ci plus inusité. Il s'agit de l'arrêt R. c. Gomboc.230 En effet, il est plutôt curieux de voir

apparaître le consommateur moyen en droit criminel, plus particulièrement en matière d'attentes de vie privée. Ceci s'explique par le contexte: un obscur règlement découlant de la loi sur les services électriques permettait à l'utilisateur d'interdire à son fournisseur d'électricité de communiquer ses données personnelles de consommation aux policiers.231 A contrario, tous ceux qui ne se prévalaient

pas de cette option, probablement presque tout le monde, pouvaient voir leurs données de consommation fournies aux policiers à leur insu. Cela aurait été une option très intéressante, par exemple, pour un producteur de marijuana comme M. Gomboc, s'il l'avait connue.

Normalement hors de propos en droit criminel, la notion de consommateur moyen devient pertinente parce que le droit à la vie privée est déterminé en fonction du lieu et de l'activité. Dans le cas présent, la situation est celle d’une personne consommant tranquillement de l'électricité chez elle. Voici les explications des juges McLachlin et Fish :

[139] À notre avis, une personne raisonnable n’aurait pas conclu que le Règlement éliminait son attente en matière de vie privée relativement aux activités se déroulant à l’intérieur de sa maison. La situation n’est pas assimilable à celles qui existaient dans les affaires Branch ou Nolet, où il était normal de s’attendre qu’une personne raisonnable exerçant dans le secteur très réglementé du commerce des valeurs mobilières ou du camionnage, selon le cas, connaisse les dispositions législatives applicables. On ne peut attendre du consommateur moyen qui s’abonne à un service de distribution d’électricité qu’il connaisse le menu détail d’un régime de réglementation complexe ― dont la vaste majorité des dispositions s’appliquent aux entreprises qui fournissent ces services et non aux consommateurs eux‑mêmes ― qui permet aux entreprises de communiquer à la police des renseignements sur l’utilisation de l’électricité, particulièrement si la présomption de connaissance de ce régime a pour effet de réduire les droits constitutionnels garantis au consommateur.

[140] De plus, même si un consommateur raisonnable était au courant de l’existence du Règlement — ce qui n’était pas le cas en l’espèce — il ne considérerait probablement pas que ce texte autorise le type d’intrusion en cause. Le consommateur pourrait raisonnablement supposer que les renseignements communiqués à la police seraient des renseignements obtenus dans le cours normal des activités de l’entreprise de services publics. Il ne croirait pas que les dispositions pertinentes habilitent les forces de l’ordre à demander à l’entreprise de prendre des mesures spéciales ― par exemple l’installation d’un nouveau moyen technologique comme l’AN ― pour obtenir des renseignements dont celle‑ci ne dispose pas déjà et qu’elle n’entendait pas recueillir au sujet de ce qui se passe à l’intérieur de sa maison.232

230 R. c. Gomboc, préc., note 36.

231 Code of Conduct Regulation, Alta. Reg. 160/2003. 232 Id., paragr. 139-140.

On peut d’abord remarquer que le premier paragraphe utilise l'expression « consommateur moyen » et le deuxième « consommateur raisonnable ». La situation est aussi unique puisqu'on évalue rarement un règlement par rapport au consommateur moyen, encore moins à sa connaissance de ce règlement. Nul n'est censé ignorer la loi, comme le veut l'adage. Ce n'est pourtant pas l'existence ou le bien-fondé de la règle que le consommateur moyen est appelé à juger, mais plutôt l'effet de l'existence du règlement sur l'attente de vie privée. Néanmoins, du point de vue du consommateur profane, un contrat et un règlement sont des documents similaires, que certains ne liront peut-être même pas.233 Du point de vue du juriste, il s'agit de deux univers. Il s'agit donc peut-être du même

« consommateur moyen » que dans le cas précédent, mais certainement pas du même test. On doit dire que les autres juges de la Cour ne semblent pas très convaincus par ce test.234 La juge Abella

reproche d'ailleurs aux juges dissidents de faire un usage exagéré de leur connaissance d'office sans égard à l'absence de preuve :

[92] Selon la juge en chef McLachlin et le juge Fish, « une personne raisonnable n’aurait pas conclu que le Règlement éliminait son attente en matière de vie privée relativement aux activités se déroulant à l’intérieur de sa maison » (par. 139). Ils affirment également qu’on « ne peut attendre du consommateur moyen [. . .] qu’il connaisse le menu détail d’un régime de réglementation complexe » (par. 139). Ils s’appuient sur cette « connaissance d’office », sans égard à l’absence de toute preuve concrète sur ce que savait M. Gomboc, pour présumer son ignorance et conclure, sur le fondement de cette présomption, que le Règlement n’avait pas d’incidence sur le caractère raisonnable de son attente en matière de vie privée.235

La juge Abella est encore plus directe un peu plus loin et ajoute que la vision du consommateur

moyen des juges minoritaires n'est que « des hypothèses sans fondement ».236 Pour des juges qui

sont polis même dans la discorde, le message est assez clair.

L'usage du terme « moyen » est problématique, puisqu'il porte à confusion. Les juges semblent rarement s'intéresser à la moyenne au sens mathématique du terme, c’est-à-dire à la somme d’un ensemble de données divisées par leur nombre, pas plus qu'ils ne s'intéressent au consommateur modal ou au consommateur médian. Pour en revenir aux faits de l’arrêt Time, aucune preuve n'a été faite, ni en Cour supérieure, ni en Cour d'appel, ni à la Cour suprême, du temps que les consommateurs passent à consulter une publicité (l'impression générale), du niveau de

233 L'arrêt n'explique pas si le règlement était facile à consulter ou si on en a directement fourni une copie au