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2. Variabilité dans la notion de personne raisonnable

2.4 Est-ce que la personne moyenne est raisonnable?

Les comparaisons entre la personne moyenne et la personne raisonnable sont peut-être trompeuses. La personne raisonnable est-elle un plus grand parangon de vertu que la moyenne des Canadiens? Est-elle, selon l'expression consacrée, plus prudente et diligente? Comment se compare-t-elle, par exemple, à un groupe de personnes sélectionné aléatoirement dans le proverbial autobus Clapham? Qu'en est-il de la personne ordinaire?

237 On peut donner certains exemples de sondages auprès de consommateurs : une cour américaine a retenu un

sondage mené auprès d’enfants à savoir si une auto jouet leur semblait être celle de l’émission The Dukes of Hazzard, voir Laurens Walker & John Monahan, « Social Facts : Scientific Methodology as Legal Precedent », (1988) 76 California

Law Review 877, 880.

238 Morissette, préc., note 64, 538 cité dans R. c. Collins, préc., note 61, paragr. 50. Yves-Marie Morissette est d'ailleurs

maintenant juge à la Cour d'appel.

Certains auteurs de doctrine considèrent que la personne raisonnable est supérieure à la personne ordinaire.240 Un argument, avancé particulièrement par les auteurs féministes, est que les gens dits

« ordinaires » sont en proie à des préjugés inacceptables qu'une personne raisonnable ne posséderait pas.241

Un exemple de distinction entre personnes raisonnable et ordinaire nous est présenté par le juge Binnie dans l'arrêt R. c. Grant.242 La question centrale de cet arrêt était de définir ce qui constitue une

détention par les policiers. Le juge Binnie, concordant en partie avec la majorité, considère que le test de la personne raisonnable exagère les capacités « d'une personne ordinaire de résister à l'affirmation par les policiers de leur autorité. »243 Il ajoute: « En d’autres termes, des contacts avec

les policiers qui porteraient le citoyen moyen à croire qu’il n’a d’autre choix que d’obtempérer échappent à la catégorie des « détentions » grâce à un subterfuge qui consiste à lui substituer une « personne raisonnable » dotée d’une force et d’une confiance en soi artificielles. »244 Il explique

ensuite qu'il soupçonne que le citoyen moyen est moins conscient de ses droits que la personne raisonnable telle que définie par la majorité.245 Ce passage laisse donc inférer que la personne

raisonnable est supérieure à la personne ordinaire.

Cependant, on peut répertorier de très nombreux exemples où les personnes moyenne, ordinaire et raisonnable sont traitées comme des synonymes. Plusieurs exemples ont déjà été donnés.246 De

même, comme expliqué dans The Law of Defamation de Brown, la personne raisonnable est ordinaire, moyenne.247 Selon la synthèse de la jurisprudence faite dans cet ouvrage, ordinaire et

moyen sont deux mots qui qualifient également la personne raisonnable. Le Dictionnaire de droit

privé et lexiques bilingues explique que la personne raisonnable se comporte comme « la moyenne

240 Arthur Ripsen, Equality, Responsibility, and the Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 7; Cynthia

Lee, Murder and the Reasonable Man : Passion and Fear in the Criminal Courtroom, New York, NYU Press, 2003.

241 Moran, préc., note 71, page 9. Martha C. Nussbaum, Hiding from Humanity — Disgust, Shame and the Law,

Princeton, Princeton University Press, 2004, p. 36.

242 R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 RCS 353. 243 Id., paragr. 166.

244 Id., paragr. 169. 245 Id., paragr. 170-171.

246 Lacroix, préc., note 226; Holmes, préc., note 3; R. c. Gomboc, préc., note 36, paragr. 139-140. 247 Brown, préc., note 80, p. 5-38-5-50.

des gens ». 248 En fait, le standard est parfois même exprimé comme celui de la « personne ordinaire

raisonnable » (ordinary reasonable person).249

Pour illustrer le lien entre la personne raisonnable et la personne ordinaire, on peut utiliser comme exemple la provocation en droit criminel. Une des décisions clés en la matière citées par la Cour suprême est l'arrêt DPP v Camplin.250 Cette décision utilise le terme « homme raisonnable » pour

juger de l’atteinte suffisante à la provocation. On y spécifie d'ailleurs que « homme » peut être substitué par « personne » et « raisonnable » par « ordinaire », « moyen » ou « normal ». Jusqu'à assez récemment, la Cour suprême jugeait parfois la provocation en fonction de la personne raisonnable.251 L'expression « personne ordinaire » est cependant plus fréquente, surtout

dernièrement. Dans l'arrêt R. c. Tran de 2010, la juge Charron donne des explications à ce sujet :

[30] Les tribunaux assimilent généralement la notion juridique de « personne ordinaire » à celle, bien connue, de « personne raisonnable » et ils emploient souvent les deux termes indifféremment : voir p. ex. l’arrêt Hill, p. 331. J’estime que les deux personnes fictives partagent les mêmes attributs, mais d’aucuns pourraient y voir de prime abord une faille logique étant donné qu’une personne « raisonnable » ne commettrait tout simplement pas un homicide coupable. En effet, le mot « raisonnable » qualifie souvent la norme de conduite établie par la loi, et la conduite qui respecte cette norme n’engage normalement pas la responsabilité. Or, la provocation confère seulement un moyen de défense partiel, et l’accusé, même s’il parvient à la prouver, est tout de même déclaré coupable d’homicide involontaire coupable. Il n’y a donc pas d’incohérence. L’emploi du terme « personne ordinaire » tient par conséquent aux dimensions normatives du moyen de défense : la personne dont le comportement respecte les normes et les valeurs de la société actuelle bénéficie de la compassion du droit. Satisfaire à la norme ne procure cependant qu’un moyen de défense partiel. Le terme « personne ordinaire » me paraît

248 France Allard et al., Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues — Les obligations, Cowansville, Éditions Yvon

Blais, 2003, p. 157.

249 Voir par exemple Judith N. Levi & Anne Graffam Walker, Language in the Judicial Process, New York, Plenum Press,

1990, p. 301.

250 DPP v Camplin, préc., note 68.

251 Perrault c. R., [1971] RCS 196; R. c. Hill, [1986] 1 RCS 313, paragr. 20 :

20. Dans l'arrêt R. v. Lesbini (1914), 11 Cr. App. R. 7, la Court of Criminal Appeal anglaise a refusé de tenir compte de la déficience mentale de l'accusé pour décider s'il pouvait invoquer la défense de provocation. Elle a confirmé le critère objectif préliminaire de la provocation en vertu duquel il doit y avoir une provocation suffisante pour exciter une personne raisonnable. Une personne raisonnable ou ordinaire n'est pas déficiente mentale. Dans l'arrêt Mancini v. Director of Public Prosecutions, [1942] A.C. 1, la Chambre des lords a endossé l'arrêt Lesbini et a expliqué d'une manière plus approfondie le critère objectif de la provocation. Le vicomte Simon a dit, à la p. 9:

[TRADUCTION] Le critère qui doit être appliqué est celui de l'effet de la provocation sur un homme raisonnable, comme l'a établi la Court of Criminal Appeal dans Rex v. Lesbini, de manière qu'une personne querelleuse ou inhabituellement excitable ne puisse pas se fonder sur la provocation qui n'aurait pas amené une personne ordinaire à agir comme elle l'a fait.

Par conséquent, la personne ordinaire ou raisonnable était d'un tempérament normal et d'une capacité intellectuelle moyenne.

mieux convenir dans ce contexte, ce qui peut expliquer la terminologie employée par le législateur.252

La juge Charron explique que non seulement la plupart des tribunaux considèrent la personne raisonnable et la personne ordinaire comme interchangeables, mais elle-même semble le croire en affirmant que les deux personnes partagent les mêmes attributs. Elle fait la distinction non sur le fait que le comportement d'une personne-standard est différent de celui de l'autre, mais plutôt parce que la personne raisonnable suggère une absence de faute, ce que le terme personne ordinaire ne suggère pas selon elle. C’est effectivement un usage qui diffère de la norme : dans sa conception classique, celui qui agit comme la personne raisonnable est blanchi de toute faute (criminelle ou civile), alors que la provocation n’est qu’un moyen de défense partiel.253 Ce n’est pas cependant le

seul rôle dans lequel la personne raisonnable doit déterminer un élément autre que la faute.254

La juge Charron soulève aussi un autre point pertinent: « personne ordinaire » est le terme utilisé par le législateur pour définir la défense de provocation au paragraphe 232(2) C.Cr. Il est donc logique que les juges formulent le test en ces termes: on peut ainsi éviter une certaine confusion. Dans l’arrêt

Tran, la Cour envoie tout de même un signal clair que la défense de provocation doit dorénavant être

retenue avec parcimonie.255 Cet arrêt est donc un bon exemple ou même si le standard de la

personne raisonnable/ordinaire est encore théoriquement le même, ses balises en pratique sont modifiées.

Le Black's Law Dictionary est plutôt ambivalent sur la question du rapport entre la personne raisonnable et ordinaire, expliquant que la personne raisonnable correspond au standard parmi les gens ordinaires (ordinary people), mais qu'il ne s'agit pas nécessairement de l'homme moyen (average man).256

252 R. c. Tran, préc., note 212, paragr. 30.

253 John Gardner, « The Mysterious Case of the Reasonable Person », (2001) 51 University of Toronto Law Journal 273,

273.

254 Voir sections 1.3 et 3.1.

255 R. c. Tran, préc., note 212, paragr. 19 : « Le Parlement a décidé de ne pas s’engager dans cette voie [d’éliminer la

défense de provocation], et le moyen de défense existe toujours au Canada. Ce qui ne veut pas dire que, dans sa formulation actuelle, la défense de provocation ne doit pas continuer d’évoluer de façon à correspondre aux normes sociales contemporaines et, en particulier, aux valeurs consacrées par la Charte. Tout comme en common law, la notion d’« insulte . . . suffis[ant] à priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser », aujourd’hui codifiée à l’art. 232, n’est pas figée dans le temps. »

Même si la question de la différence entre les personnes raisonnable et ordinaire est en apparence hypothétique, elle a des conséquences profondes sur la nature du système judiciaire. Tout découle du fait que les juges appliquent le standard de la personne raisonnable. Si ce standard est posé au même niveau que le comportement moyen des citoyens, le travail du juge est celui d'être le reflet de la société.257 Lorsque le standard de la personne raisonnable est supérieur à la moyenne des

citoyens, le rôle des juges devient, selon certains auteurs, celui de transcender ses concitoyens et d'être le moteur de changements sociaux.258

L'implication pratique de cette distinction est plus prononcée que jamais puisque la Cour suprême se dit de plus en plus une cour de valeurs, notamment celles de la Charte. Comme vu plus tôt, le rôle de la personne raisonnable a été adapté à cette nouvelle réalité.

Si la personne raisonnable et la personne moyenne sont toutes deux purement des abstractions, leurs ressemblances ou leurs différences importent peu. Même si on considère la personne raisonnable comme purement abstraite, la personne moyenne, pour sa part, est plus facile à concrétiser : la « moyenne » d'une population est du moins un concept plus facile à cerner. Si la personne moyenne a un lien avec la société contemporaine, on peut empiriquement déterminer quelque chose à son sujet. C'est dans ce sens que la Cour suprême utilise le terme.259 Même si les

juges n'ont pas besoin d'une légitimité démocratique en tant que telle, faire référence à l'opinion publique ou aux valeurs canadiennes permet d'asseoir leurs décisions, soulignant qu'ils n'agissent pas par pure discrétion et décident en fonction d'un intérêt social. Ceci sera expliqué sous peu. Il est difficile, voire impossible, de synthétiser l'ensemble de la société en une seule « personne moyenne » qui soit en quelque sorte le portrait proportionnel de tous les Canadiens. D'ailleurs, dans quelle proportion une opinion ou un comportement doit être répandu dans la société pour faire partie de la personne moyenne? Une majorité simple? Une majorité écrasante? Il n'existe aucun test

257 C'est la vision "classique" du droit: Cardozo, préc., note 18, p. 106-107.

258 Les auteurs Morton et Knopff considèrent que ceci est déjà le cas de la Cour suprême et appellent le phénomène

l'ingénierie sociale (social engineering) : Morton & Knopff, préc., note 30, p. 74.

259 Voir les propos de la majorité dans R. c. Burlingham, préc., note 81, paragr. 72: "[L'article 24(2)] a donc notamment

pour objectif de garantir que l'institution chargée de faire respecter ces valeurs fondamentales ne perde pas sa légitimité aux yeux de ceux dont elle a la tâche de protéger les valeurs."

juridique de la sorte.260 Quoi qu'il en soit, quelque chose doit être connu au sujet de la société

canadienne pour qu'on puisse en tirer des conclusions.

Voici un passage qui, bien qu'assez long, est un parfait exemple du paradoxe des juges basant un critère sur l'opinion publique. Pour mettre en contexte, il s'agit d'une discussion sur le critère de la « déconsidération du système de justice » permettant d'exclure de la preuve obtenue lors d'une fouille abusive (art. 24(2) de la Charte canadienne) :

32. La notion de déconsidération inclut nécessairement un certain élément d'opinion publique et la détermination de la déconsidération exige donc que le juge se réfère à ce qu'il estime être l'opinion de la société en général. Ceci ne veut pas dire que la preuve de la perception du public à l'égard de la considération dont jouit l'administration de la justice, qui, de l'avis du professeur Gibson, pourrait être produite sous forme de sondages d'opinion (précité, aux pp. 236 à 247), sera déterminante sur cette question (voir Therens, précité, aux pp. 653 et 654). La position est différente en matière d'obscénité par exemple, où le tribunal doit évaluer le degré de tolérance de la société, son caractère raisonnable et peut considérer les sondages d'opinion (R. v. Prairie

Schooner News Ltd. and Powers (1970), 1 C.C.C. (2d) 251 (C.A. Man.), à la p. 266, cité dans

l'arrêt Towne Cinema Theatres Ltd. c. La Reine, 1985 CanLII 75 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 494, à la p. 513). Il serait peu sage, à mon humble avis, d'adopter une attitude semblable à l'égard de la Charte. En règle générale, les membres du public ne deviennent conscients de l'importance de la protection des droits et libertés des accusés que lorsqu'ils sont eux-mêmes de quelque manière mis en contact plus intime avec le système, soit personnellement, soit par l'expérience de leurs proches ou d'amis. Le professeur Gibson a reconnu le danger qui peut se présenter si l'on permet à des membres du public mal informés de décider de l'exclusion d'éléments de preuve, lorsqu'il dit, à la p. 246:

[TRADUCTION] La détermination finale doit relever des tribunaux, parce qu'ils constituent souvent la seule protection efficace des minorités impopulaires et des individus contre les revirements de la passion publique.

La Charte vise à protéger l'accusé contre la majorité, donc la mise en application de la Charte

ne doit pas être laissée à cette majorité.

33. La démarche que j'adopte peut s'exprimer de façon figurative par le critère de la personne raisonnable proposé par le professeur Yves‑Marie Morissette dans son article "The Exclusion of Evidence under the Canadian Charter of Rights and Freedoms: What to Do and What Not to Do" (1984), 29 R. de d. McGill 521, à la p. 538. En appliquant le par. 24(2), il propose que la question à se poser soit la suivante: [TRADUCTION] "L'utilisation des éléments de preuve est‑elle susceptible de déconsidérer l'administration de la justice aux yeux de l'homme raisonnable, objectif et bien informé de toutes les circonstances de l'affaire?" La personne raisonnable est habituellement la personne moyenne dans la société, mais uniquement lorsque l'humeur courante de la société est raisonnable.261

260 Sur la difficulté pour les juges de démontrer un consensus, voir par exemple Canadian Foundation for Children, Youth

and the Law c. Canada (Procureur général), préc., note 192, paragr. 182.

Ce passage contient beaucoup de points intéressants. D'une part, le standard de la déconsidération du système de justice implique que l'opinion publique est pertinente. De l'autre, ce standard n'est pas déterminant, le public n'est supposément pas conscient des enjeux et le rôle de la Cour suprême à l'ère de la Charte est de protéger les minorités de la majorité.262 De même, la démarche appliquée

est celle du juge Morissette, celle-ci voulant que le juge n'ait pas à se soucier de l'opinion publique. Bref, l'appel à l'opinion publique est à peine mentionné qu'il est rapidement neutralisé.

Le passage ci-dessus provient d’un texte d'Yves-Marie Morissette263 repris à trois reprises par la

Cour suprême.264 Lorsque que ce même texte est cité à nouveau quelques années plus tard par le

juge Sopinka (motifs concordants), l'intérêt tout relatif porté à « l'humeur »265 du public est encore

plus manifeste :

140 Le professeur Paciocco et ma collègue sont tous deux d'avis qu'il y a un décalage entre notre position et l'humeur du public. Mis à part les avertissements du juge Lamer (maintenant Juge en chef) dans l'arrêt Collins, aux pp. 281 et 282, portant que les droits individuels ne doivent pas être assujettis à la décision de la majorité, il n'existe aucune évaluation juste de l'opinion publique. Il serait fort difficile de régler notre conception des droits garantis par la Charte sur les sondages d'opinion publique. L'étude empirique à laquelle ma collègue renvoie, effectuée par A. W. Bryant, M. Gold, H. M. Stevenson et D. Northrup, «Public Attitudes Toward the Exclusion of Evidence: Section 24(2) of the Canadian Charter of Rights and Freedoms» (1990), 69 R. du B. can. 1, le démontre bien. Cette étude visait à démontrer [traduction] «l'écart important qui sépare l'opinion publique et judiciaire» (p. 45)quant à l'application des facteurs énoncés dans Collins. Après la publication de cette étude, les mêmes auteurs ont conclu dans une autre étude, «Public Support for the Exclusion of Unconstitutionally Obtained Evidence» (1990), 1 S.C.L.R. (2d) 555, à la p. 557, que [traduction] «compte tenu d'une certaine ambiguïté dans la jurisprudence, l'écart entre l'opinion publique et celle des juges n'est peut‑être pas aussi marqué sur une vaste gamme d'affaires».

141 L'étude se termine avec l'avertissement suivant, à la p. 587:

[traduction] Quoi que l'on pense du bien‑fondé ou de la raison d'être de la règle d'exclusion, notre étude illustre la nature complexe et diversifiée de l'opinion du public quant à l'admissibilité. L'ampleur de l'appui à l'exclusion d'éléments de preuve a varié considérablement selon différents facteurs, dont certains étaient pertinents dans une affaire donnée, et d'autres relevaient du comportement et de la démographie. À cet égard, tout argument avancé pour ou contre la façon dont les juges devraient appliquer le par. 24(2), qui se fonde sur une «opinion publique» que l'on dit monolithique, doit manifestement être écarté. [Je souligne.]

262 Il faut rappeler que la Cour a fait du respect des minorités un principe constitutionnel de base aussi important que la

démocratie et la primauté du droit., voir : Renvoi relatif à la réforme du Sénat, 2014 CSC 32 (CanLII), paragr. 25; Renvoi

relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217, paragr. 79-82.

263 Morissette, préc., note 64..

264 R. c. Burlingham, préc., note 81, paragr. 71; R. c. Mack, [1988] 2 RCS 903, paragr. 147; R. c. Collins, préc., note 61,

paragr. 33-34.

142 Si la Cour avait réagi à la première étude et changé son approche de la question, la validité des affaires résolues suivant cette position modifiée aurait été remise en cause par l'étude subséquente. C'est pour cela que l'arrêt Collins dit que le critère relatif à ce qui est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice repose sur des valeurs de la société qui sont plus durables que la passion publique du moment. Ces valeurs durables véhiculées dans la société doivent être évaluées par rapport aux opinions de l'hypothétique personne raisonnable, objective et bien informée.266

Voici donc un enchaînement d'arguments contre l'utilisation d'études empiriques pour déterminer l'opinion publique: il n'existe aucune évaluation juste de l'opinion publique, l'écart entre ce que pensent les juges et la population n'est peut-être pas si grand, toute opinion monolithique est manifestement erronée et l'opinion du public va changer de toute façon. Pour quiconque a lu les sections précédentes, la solution à ce problème est prévisible: la personne raisonnable. Elle seule constitue un rempart contre les valeurs changeantes du public et représente les « vraies » valeurs de la société.

Il est ardu de définir précisément la personne raisonnable. Il est tout aussi difficile de faire la même chose avec la personne moyenne ou ordinaire. Les précédentes sections ont illustré qu’il est définitivement possible d’être en désaccord avec quelqu’un d’autre sur sa perception de ce qu’est la « moyenne » des gens, même dans un sens abstrait. Bien que la Cour puisse tenir compte de