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La personne raisonnable et la connaissance d'office

3. Épistémologie de la personne raisonnable

3.1 La personne raisonnable et la connaissance d'office

269 L’expression rule of thumb est aussi similaire. Voir notamment Nouse, préc., note 79, 34 et D.G. Goldstein et al.,

La connaissance d'office, dans son sens général, est l'ensemble des faits qu'un juge peut prendre en compte sans qu'il soit nécessaire de les prouver.270 Le concept de connaissance d'office est

probablement familier aux avocats québécois à travers l'article 2808 du Code civil du Québec: « Le tribunal doit prendre connaissance d'office de tout fait dont la notoriété rend l'existence raisonnablement incontestable. » Il s'agit cependant d'un principe de common law utilisé par les tribunaux québécois, qui d'ailleurs n'était pas codifié avant l'avènement du Code civil du Québec en 1994.271

La définition de ce concept dans le traité The Law of Evidence ajoute une facette que l'article du

Code civil ne mentionne pas, c’est-à-dire le pouvoir du juge de consulter par lui-même des sources

considérées comme indiscutables. Voici le texte en question :

Facts which are (a) so notorious as not to be the subject of dispute among reasonable persons, or (b) capable of immediate and accurate demonstration by resorting to readily available sources of indisputable accuracy, maybe be noticed by the court without proof of them by any party.272

Comme mentionné précédemment à la section 2.2.1, la personne raisonnable est utilisée par la Cour suprême pour déterminer la notion de connaissance d'office.273 Sa définition semble d'ailleurs

fortement inspirée de celle de l'ouvrage The Law of Evidence. En effet, la définition de la Cour suprême est la suivante :

(1) les faits qui sont notoires ou généralement admis au point de ne pas être l’objet de débats entre des personnes raisonnables; [ou] (2) ceux dont l’existence peut être démontrée immédiatement et fidèlement en ayant recours à des sources facilement accessibles dont l’exactitude est incontestable274

Il n'est peut-être pas surprenant d'apprendre que la Cour suprême s'appuie significativement plus souvent sur la connaissance d'office depuis l'adoption de la Charte canadienne, bien que cette tendance ait cependant commencé avant la Charte.275 La Cour suprême rend plus d’arrêts

qu’autrefois et fait souvent face à des enjeux sociaux complexes, particulièrement lorsqu’il s’agit de déterminer l’inconstitutionnalité d’une loi. La connaissance d’office peut aider à cette tâche. La Cour

270 Selon les termes de l'art. 2806 C.c.Q.: « Nul n'est tenu de prouver ce dont le tribunal est tenu de prendre

connaissance d'office. »

271 La common law l'aurait pourtant elle-même jadis emprunté au droit civil. Danielle Pinard, « La notion traditionnelle de

connaissance d'office des faits », (1997) 31 R.J.T. 87, 94-95.

272 John Sopinka et al., The Law of Evidence in Canada, Toronto, Butterworths, 1992, p. 976. 273 R. c. Find, préc., note 156, paragr. 48.

274 Id.

275 Claire L'Heureux-Dubé, « Re-Examining the Doctrine of Judicial Notice in the Family Law Context », (1994) 26 Ottawa

utilise particulièrement la connaissance d’office dans des litiges de droit constitutionnel, dont en bonne partie ceux relatifs à la Charte.276

Sur la connaissance d’office, certains auteurs opposent les « faits en litige » (adjudicative facts) des « faits législatifs » (legislative facts) ou faits sociaux.277 Les faits adjudicatifs sont ceux directement

relatifs aux parties au litige (qui a fait quoi à qui et comment, etc.), tandis que les faits sociaux relatent des mouvements sociétaux et servent à interpréter la loi (jusqu’où la loi peut-elle aller? Atteint-elle son objectif sans brimer d’autres intérêts importants?). La connaissance d’office viserait plutôt cette deuxième sorte de faits.

On dit souvent que la connaissance d’office est inévitable : sans elle les tribunaux seraient embourbés dans la preuve de détails.278 De même, le juge ne peut pas en pratique faire abstraction

de tout ce qu’il sait. Il faut souligner que le juge ne discute pas toujours de la connaissance d’office en mentionnant la personne raisonnable et peut prendre connaissance d’office de faits de façon tacite ou même inconsciente. Chaque décision deviendrait interminable si le juge devait déclarer prendre connaissance d’office des jours de la semaine, de l’alphabet, des chiffres arabes et ainsi de suite. Le défi avec la connaissance d'office est de savoir jusqu'où elle peut aller, de lui donner des limites. Quelles sont ces sources incontestables? Peut-on faire une preuve contraire à la connaissance d'office, c’est-à-dire la paradoxale notion de contester l'incontestable?279 Sans oublier

la question récurrente : qui sont les personnes raisonnables et sur quoi sont-elles toutes d’accord? L'arrêt Law c. Canada, traité précédemment sous l'aspect de la personne raisonnable et la dignité humaine, utilise aussi la notion de personne raisonnable à travers la connaissance d'office :

77 En premier lieu, je me dois de souligner que rien dans les observations qui précèdent n’implique que le demandeur doive produire des données ou autres éléments de preuve du domaine des sciences sociales qui ne sont pas accessibles à tous, pour établir une atteinte à sa dignité ou à sa liberté. Des éléments de ce genre peuvent être produits par les parties et s’avérer très utiles au tribunal chargé de déterminer si un demandeur a démontré que les dispositions en cause sont discriminatoires. Toutefois, ils ne sont pas obligatoires. Un tribunal peut souvent, dans les cas opportuns, s’appuyer uniquement sur la connaissance d’office et sur le raisonnement logique pour trancher la question de savoir si les dispositions contestées violent

276 Id., p. 561; Danielle Pinard, « La connaissance d’office des faits sociaux en contexte constitutionnel », (1997) 31

R.J.T. 315.

277 Walker & Monahan, préc., note 237, 881.

278 Gail S. Perry & Gary B. Melton, « Precedential Value of Judicial Notice of Social Facts: Parham as an Example »,

(1983-1984) 22 Journal of Family Law 634, 638.

le par. 15(1). Il est bien établi qu’un tribunal peut prendre connaissance d’office de faits notoires et non contestés, ou de faits que l’on peut démontrer immédiatement et avec exactitude en se reportant à des sources facilement accessibles d’une exactitude incontestable: voir J. Sopinka, S. N. Lederman et A. W. Bryant, The Law of Evidence in Canada (1992), à la p. 976. Il arrivera souvent qu’un tribunal puisse, à bon droit, prendre connaissance d’office d’une partie ou de la totalité des faits nécessaires pour établir le bien-fondé d’une allégation de discrimination, et qu’il doive s’en remettre au raisonnement logique découlant de ces faits pour parvenir à la conclusion de droit qu’il y a eu atteinte aux droits garantis par le par. 15(1).280

Le juge Iacobucci déclare donc que la Cour peut prendre connaissance d'office de la totalité des faits sociaux nécessaires à ses conclusions et que, par conséquent, le demandeur n'assume pas forcément de fardeau de preuve en cette matière. Si on se rappelle le rôle de la personne raisonnable décrit à la section 2.2.1, le travail de la personne raisonnable dans l'arrêt Law devient double: non seulement elle différencie la simple distinction de la discrimination à travers sa vision de la dignité humaine, mais cette même personne raisonnable permet aussi à la Cour de prendre connaissance d'office de toute étude sociale qu'elle estime pertinente. Ces études vont ensuite influer sur l’évaluation de la dignité humaine. Peut-on contester les conclusions de nature sociale de la Cour? La réponse n'est pas évidente. Par exemple, au lieu d'utiliser le terme « incontestable », le juge Iacobucci écrit plutôt « non contesté ». Peut-être est-il donc possible de contester ses conclusions. Pourtant, si la Cour ne demande pas aux parties de fournir des données qui figureront au dossier de la Cour et que celle-ci consulte des études de son propre chef après l'audience, on peut se demander de quelle façon une contestation est possible. Selon l’auteure Danielle Pinard, la Cour suprême en fait même parfois « l’aveu judiciaire » : c’est-à-dire que les juges expriment ouvertement dans leurs motifs avoir fait des recherches personnelles sur une question

indépendamment de la preuve.281

Le fait pour la Cour de prendre connaissance d'office de rapports ou d'études est aussi ambigu. Est- ce que la Cour reconnaît simplement l’existence de l’étude? Accepte-t-elle les données que l’étude contient comme significatives ou exhaustives? Considère-t-elle les conclusions de l’étude comme incontestables parmi les personnes raisonnables?282 Dans un article sur le sujet, le juge de première

instance James Williams souligne que les sciences sociales ne sont généralement pas

280 Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), préc., note 178, paragr. 77.

281 Pinard, préc., note 271, 148. Elle donne en exemples les arrêts R. c. Sioui, [1990] 1 R.C.S. 1025 et Willick c. Willick,

[1994] 3 R.C.S. 670 (discuté plus bas).

282 Danielle Pinard, « Institutional Boundaries and Judicial Review — Some Thoughts on How the Court is Going About

incontestables et sont même souvent très incertaines.283 En d’autres mots, il doute qu’une étude

sociale, même sérieuse, puisse véritablement être incontestable.

D'ailleurs, sitôt après avoir fourni les explications contenues à la précédente citation, le juge Iacobucci en appelle à la prudence:

79 En faisant ces observations relativement à l’utilisation de la connaissance d’office dans le cadre de l’analyse relative à l’égalité aux fins de la Charte, je ne voudrais pas que l’on interprète mes propos comme voulant étendre le nombre des faits dont il convient de prendre connaissance d’office. Il y a lieu de faire preuve d’une certaine prudence lorsqu’il s’agit de prendre connaissance d’office d’un fait. Tout particulièrement, bien qu’il convienne manifestement, pour les fins du par. 15(1), de prendre connaissance d’office de certaines formes de désavantages et de préjugés, entre autres, la connaissance d’office ne doit pas être utilisée, par inadvertance ou autrement, pour inventer des stéréotypes ou d’autres phénomènes sociaux qui peuvent ne pas exister ou qui n’existent pas en fait dans la réalité.284

Le juge Iacobucci suggère que la connaissance d'office pourrait servir à inventer des stéréotypes, peut-être même volontairement. Ce serait donc remplacer des préjugés par d'autres.285 Si le sujet

mérite une telle mise en garde, on peut se questionner sur le bien-fondé de faire usage de la connaissance d'office. On s'imagine mal un juge faire un pareil avertissement en préface à des faits plus courants de la connaissance d'office: qu’il y a douze mois dans une année, que la ville de Paris est en France, que le chat est un mammifère à quatre pattes ou qu'un objet glissant d'un toit tombera vers le bas. Le pont à faire entre ces banalités et des faits sociaux complexes n'est pas évident. L'absence de balise méthodologique encadrant l’utilisation de la connaissance d'office ou des sources considérées comme incontestables rend toute la notion difficile à saisir. En ce sens, on peut présenter comme exemple l'arrêt Willick c. Willick.286 Dans cet arrêt, la juge l'Heureux-Dubé fait, dans

ses motifs concordants, un appel à l'élargissement de la connaissance d'office. Elle cite avec approbation un texte de J. Monahan et L. Walker, «Social Authority: Obtaining, Evaluating, and

283 James Williams, « Grasping a Thorny Baton », (1996) 14 Canadian Family Law Quarterly 179, p. 17 (PDF), citant,

K.C. Davis, « A System of Judicial Notice Based on Fairness and Convenience », (1964) Perspectives on Law 69, 87: The bulk of social science probably cannot be called clearly indisputable. Even though anyone would prefer to found law-making upon clearly indisputable facts, the practical choice is often between proceeding in ignorance and following the uncertain, tentative and far from indisputable searchings of social science...for the simple reason that clearly indisputable facts are not available.

284 Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), préc., note 178, paragr. 79.

285 C'était ce que considérait le juge Major dans l'arrêt R. c. S. (R.D.), préc., note 138, paragr. 18-19. 286 Willick c. Willick, préc., note 281.

Establishing Social Science in Law ».287 Dans cet article, les auteurs proposent que les tribunaux

puissent obtenir toute étude sociale pertinente au litige de leur propre chef, ce que les auteurs ne qualifient cependant expressément pas de connaissance d'office. Voici un extrait de la réflexion de la juge L’Heureux-Dubé :

16 En outre, depuis l'école du réalisme juridique et la «théorie sociologique du droit» (sociological jurisprudence) de Roscoe Pound, il est reconnu que le droit n'est pas au‑dessus des autres institutions sociales et qu'il n'existe pas en vase clos. La distinction largement reçue, établie par des juristes éminents tel Kenneth Culp Davis, entre «faits en litige» ‑‑ se rapportant spécifiquement à l'espèce en cause ‑‑ et «faits législatifs» ‑‑ intervenant dans des décisions de droit ou de politique générale ‑‑ démontre clairement que le droit et la société entretiennent des liens d'interdépendance inextricables et que les faits sociaux font partie intégrante du processus d'élaboration des lois. Lorsqu'elles sont pertinentes dans la création d'une règle de droit, les données et les recherches sociales revêtent un caractère général qui va bien au‑delà du contexte précis dans lequel celles‑ci ont été utilisées. Elles deviennent une partie constitutive de la règle de droit qu'elles contribuent à étayer. De fait, elles représentent une partie des sources dont cette règle de droit tire son autorité. À ce titre, la théorie selon laquelle les sciences sociales ont valeur d'autorité en droit est intrinsèque à la notion même de science du droit. Sont à leur tour intrinsèques à la science du droit le pouvoir et, dans une certaine mesure, la responsabilité du tribunal d'acquérir la connaissance des sources qui l'aideront à apprécier le bien‑fondé des arguments juridiques qui lui sont présentés et à en tirer, en dernier ressort, ses conclusions de droit. Le rôle bien établi des tribunaux comme juges de l'intérêt public les amène parfois à puiser dans les données des sciences sociales lors même que les parties n'ont pas présenté de preuve pertinente sur des questions pertinentes de politique générale: G. Perry et G. Melton, «Precedential Value of Judicial Notice of Social Facts: Parham as an Example» (1983‑84), 22 J. Fam. L. 633, à la p. 642. Dans la grande majorité des cas, les juges sont parfaitement capables d'acquérir à tout le moins une compréhension pratique de ces données, d'y porter un regard critique et de leur attribuer le poids approprié dans leurs délibérations. Monahan et Walker, «Social Authoriy», loc. cit., aux pp. 508 à 512.288

Dans sa réflexion, la juge L'Heureux-Dubé omet cependant de mentionner le corolaire que les auteurs posent à ce pouvoir élargi: le juge devra expliciter systématiquement ses sources, soupeser leur crédibilité, leur méthode de collecte de données, leur pertinence par rapport au litige ainsi que l'existence d'autres études supportant la même position.289 Bref, l'argument voulant que les sources

devraient être analysées avec un regard critique et non simplement citées est passé sous silence.290

De même, les juges majoritaires estimaient dans l’arrêt Willick que le litige pouvait être résolu sans

287 J. Monahan and L. Walker, «Social Authority: Obtaining, Evaluating, and Establishing Social Science in Law» (1986),

134 U. Pa. L. Rev. 477.

288 Willick c. Willick, préc., note 281, paragr. 16. Curieusement, la juge cite aussi l’article de Perry et Melton dans son

appel à l’élargissement de la connaissance d’office alors que l’article est extrêmement critique face à la connaissance d’office et particulièrement en droit familial. Voir Perry & Melton, préc., note 278.

289 Monahan & Walker, préc., note 287, 498 et suiv. 290 Williams, préc., note 283, p. 24, 25, 39-40.

faire un aussi grand changement de principe que de modifier la nature même des règles de preuve.291

Très peu de temps après l'arrêt Willick, la juge L'Heureux-Dubé publie un texte traitant exactement de la même question, c’est-à-dire de la connaissance d'office en droit familial.292 Elle apporte

plusieurs arguments intéressants. Par exemple, elle dénonce que des règles strictes en matière de connaissance d'office découragent les juges de s'exprimer clairement lorsqu'ils y ont recours.293 Elle

émet aussi le commentaire qu'une objectivité détachée de tout fait signifie simplement être laissé à ses propres perceptions.294 Cependant, encore une fois, le texte de Monahan et Walker est la pierre

angulaire de son argumentaire. Cette fois-ci les mises en garde des deux auteurs sont mentionnées, mais très brièvement, sans élaboration. L'importance de discuter de la crédibilité des sources et le mode de collecte de données est minimisée.

La situation n'inspire pas confiance : alors même que la juge propose d'augmenter son pouvoir de consulter des études empiriques, elle choisit un article qui supporte sa position, mais évacue presque entièrement toutes les contraintes de méthodologie et de rigueur qu'il contient.295 Cela laisse planer

une autre crainte typique aux réalistes : que les juges peuvent faire de la « cueillette de cerises »

291 Willick c. Willick, préc., note 281, paragr. 1 :

[…] Vu le champ restreint de la présente affaire, il n'est pas nécessaire à mon avis d'examiner les larges questions de principe que ma collègue mentionne. Cette approche nous obligerait à résoudre la question épineuse de l'utilisation d'éléments extrinsèques tels des études, des opinions et des rapports et la question de savoir s'il y a lieu d'en prendre connaissance d'office et dans quelle mesure les avocats doivent être avisés. Nous serions aussi obligés de déterminer dans quelle mesure notre façon d'aborder ces questions est différente dans un cas comme l'espèce et dans une affaire constitutionnelle où la latitude est plus grande. Aucune question constitutionnelle n'a été soulevée en l'espèce. La disposition n'a pas été attaquée et aucune des parties n'a invoqué la Charte canadienne des droits et libertés comme outil d'interprétation. Quoi qu'il en soit, j'ai d'importantes réserves quant à l'utilisation de la Charte comme outil d'interprétation dans le cas où les autres règles d'interprétation font clairement ressortir l'intention du législateur. Une telle utilisation de la Charte conduit à atténuer l'intention manifeste du législateur en la restreignant aux valeurs qui sont consacrées dans la Charte, sans recours à l'article premier. Si cette démarche était légitime, le recours à l'article premier serait inutile. L'intention du législateur serait déformée par une interprétation anodine. Le résultat serait d'empêcher le législateur d'exercer pleinement ses pouvoirs comme le lui permet l'article premier.[…]

292 L'Heureux-Dubé, préc., note 275. 293 Id., 558.

294 Id., 558.

(cherry picking) en choisissant uniquement les précédents qui supportent leur position et pourraient faire la même chose avec les études empiriques.296

Cela dit, peut-être que le droit de la famille est effectivement propice à l'utilisation de la connaissance d'office. Le coût de poursuivre un litige jusqu’en Cour suprême et de produire des études sociales est probablement trop élevé pour bien des particuliers. Selon les auteurs Perry et Melton, ce serait aussi parce qu’il est particulièrement tentant pour les juges de faire, sous le couvert de la connaissance d’office, des recommandations sur la « bonne » façon dont devrait fonctionner la famille.297 Toujours

est-il qu’un autre dossier de droit familial récent où la connaissance d'office et la personne raisonnable ont joué un rôle important est Québec (Procureur général) c. A298, beaucoup mieux

connu sous le nom de l'affaire Éric et Lola. Rappelons que l'enjeu était l'application aux conjoints de fait de l'ensemble des règles juridiques liant les conjoints mariés en cas de rupture : patrimoine familial, pensions alimentaires, etc. Comme dans l'arrêt Law, la personne raisonnable a servi non seulement à déterminer s'il y avait effectivement discrimination299, mais a aussi été utilisée par

rapport à la connaissance d'office des faits pertinents. La majorité ne partage cependant pas la position de la juge L'Heureux-Dubé sur la connaissance d’office et rappelle que celle-ci doit être utilisée de façon conservatrice. La majorité, sous la plume du juge LeBel, refuse de prendre connaissance d'office d'un fait. Elle écrit ceci au sujet des faits « qui ne peuvent faire l'objet de débats entre personnes raisonnables ou pouvant être démontrés par des sources incontestables » :

[239] Ces catégories de faits sont manifestement restreintes. Dès lors, les tribunaux doivent se montrer prudents lorsqu’on les invite à prendre connaissance d’office de certains faits. Ils