• Aucun résultat trouvé

sociales modernes

16 RAC – RFA – 500 ISEA (1945-1948) RG1.2 S500 B F

17 Le « cocotier » des économistes est un document administratif français qui regroupe l’ensemble des

économistes universitaires. Il « sert principalement, dans nos disciplines, à désigner le futur président du concours d’agrégation » (Marco, 2009, p. 287).

72

Steiner et Holland, 1999). Il nous a donc semblé opportun d’utiliser la méthodologie proposée par Malcolm Rutherford qui a étudié les institutionnalistes américains, afin d’étudier ces travaux français. Pour Rutherford (2011), le courant institutionnaliste a souvent été défini par

opposition au néoclassicisme. Cette perception tient à ce que les productions des institutionnalistes étaient diverses et ne prenaient pas place au sein d’une théorie générale, donnant l’impression d’un manque de cohérence : « l’institutionnalisme ne peut pas être défini comme une “école” de la discipline économique, mais comme un mouvement réuni

autour de certains engagements généraux au niveau méthodologique, théorique et

idéologique » (p. 9). Rutherford met en avant deux traits importants du courant institutionnaliste que l’on retrouve chez les économistes réalistes français : le réalisme empirique et la volonté de trouver des solutions aux problèmes sociaux.

Cette manière de saisir les économistes institutionnels américains offre une bonne

grille de lecture pour étudier le mouvement réaliste. En effet, on peut faire le même reproche

que celui adressé par Rutherford à l’historiographie des institutionnalistes américains de l’entre-deux-guerres à l’historiographie des économistes français dans les années 1950 : cette dernière a trop souvent étudié ces économistes à l’aune de leur réussite future et expliqué leur

échec par la faiblesse de leur programme théorique (Arena, 2000 ; Jeannin, 1996). L’approche

proposée par Rutherford qui tend à chercher les différentes caractéristiques qui permettent de

« tenir » le courant permet de mettre en évidence le « plus petit dénominateur commun » entre l’ensemble des économistes réalistes.

Le corpus sur lequel nous nous appuyons est composé d’articles et d’ouvrages écrits par les économistes réalistes membres de la VIe Section auquel nous ajoutons Charles

Bettelheim, même s’il est marxiste dans la mesure où il est membre de la VIe Section dès sa

création. De plus, bien que militant communiste, il critique la politique économique de l’URSS et ses travaux ne recourent « qu’implicitement aux schèmes d’analyse marxiste »

73

(Denord et Zunigo, 2005, p. 15). Nous ajoutons aussi l’historien Charles Morazé car il a joué

un rôle important dans la création de la nouvelle section, mais surtout parce qu’il est perçu

comme un économiste. Lui-même prétend se concentrer sur les questions économiques et ses

enseignements à la VIe Section sont classés parmi les enseignements économiques.18

Les économistes réalistes partagent trois caractéristiques. Ils remettent en cause les

travaux des économistes qualifiés de « traditionnels » en raison de l’irréalisme de leurs

théories (a) ; ils cherchent à produire une connaissance réaliste des faits économiques afin que

leurs travaux soient utiles à la prise de décision politique (b) ; ils élargissent les objets et les méthodes de l’économie (c). Nous verrons, pour conclure, un cas d’application de cette méthodologie (d).

a. La critique de l’irréalisme des connaissances économiques

La principale revendication des économistes réalistes est le réalisme de leur

production scientifique. La critique qu’ils portent aux connaissances économiques est de deux

formes : l’une provient de l’abstraction, qui peut être théorique ou mathématique ; l’autre provient de l’irréalisme des hypothèses.

Cette première critique est portée par Morazé (1947) dans « Economie et réalité »,

publié dans les Annales. Il s’attaque particulièrement à deux auteurs, représentant pour l’un l’abstraction théorique et pour l’autre l’abstraction mathématique, dont il juge qu’elles doivent être abandonnées. Pour la première, il reproche à Jean-Louis Guglielmi, professeur d’économie à l’université d’Aix-Marseille, de n’avoir aucune connaissance de la réalité de son objet d’étude : « Le salaire, l’auteur ne le connaît qu’à travers des théories. […] des hommes pas un mot » (p. 84). À ses yeux, l’abstraction théorique ne permet pas d’expliquer les mécanismes économiques car pour ce faire, il faut étudier les faits concrets et les hommes,

18 «Ma compétence, en ces temps [l’immédiate après-guerre, l'auteur ne donne pas de date], était celle d'un

74

ce qui passe par l’observation de terrain. Pour critiquer l’abstraction mathématique, il prend l’exemple d’un économiste ingénieur. Même si Michel Cépède est cité, c’est l’ensemble du courant qui est visé : « on sait que l’économie fait des ravages dans le monde des calculateurs et à l’Ecole Polytechnique en particulier » (p. 81). Les modèles mathématiques sont trop éloignés de la réalité : les économistes ingénieurs ne font que « simplifier la réalité sur le plan

historique pour la compliquer sur le plan mathématique » (p. 81). Bien qu’il ne rejette pas les

outils mathématiques – il reproche même aux économistes de ne pas assez s’intéresser aux

méthodes mathématiques – Morazé récuse l’économie mathématique marginaliste car ces

derniers tournent « le dos à la vérité pour raisonner à l'aise dans l'abscons » (p. 81). On voit

donc que la critique est proche de celle adressée par Simiand aux économistes traditionnels : l’abstraction mathématique, non la mathématique, est remise en cause.

La seconde critique de l’irréalisme des connaissances économiques concerne les

hypothèses. Cette critique est portée notamment par Jean Fourastié (1949, p. 57) :

« [L]a tare la plus grave des théories classiques est qu’elles sont issues d’hypothèses délibérément choisies en dehors de la réalité. Animés par cette idée traditionnelle, mais fausse, que la difficulté de la science économique est due à la “complexité” des phénomènes, les économistes se sont, en effet, considérés comme obligés de recourir, pour trouver un déterminisme simple, à des hypothèses simples. Et comme la réalité observée ne leur fournissait pas ces hypothèses simples, ils sont pris l’habitude de se donner à eux-mêmes des hypothèses simples ».

Les raisonnements rationnels qui sont basés sur des hypothèses irréelles font que « ces théories ne s’attachent pas à décrire les relations ni les évolutions de phénomènes concrets » (p. 56). Il faut donc réaliser des observations grâce aux statistiques et « expliquer les faits [qu’]après les avoirs observés » (p. 62).

André Marchal (1950) reprend pareillement la question des hypothèses dont il

considère qu’elles doivent être « modifiées ou réajustées » (p. 10). Ainsi se rapproche-t-il de

75

pas être le fondement de toute une théorie, mais un outil pour faire émerger la réalité ; pour

cela, elles doivent être réinterrogées constamment pour s’assurer qu’elles correspondent au

réel. Si les économistes réalistes critiquent l’abstraction, c’est aussi parce qu’elle nuit à l’utilité de la discipline économique pour les pouvoirs publics.

b. Produire des connaissances économiques utiles à la reconstruction économique

L’exigence de réalisme ne peut être dissociée de la volonté de produire des connaissances utiles pour les classes dirigeantes. En effet, pour l’ensemble des économistes

réalistes, la discipline économique doit apporter une expertise plus efficace à la reconstruction d’après-guerre. Or, les connaissances économiques de l’entre-deux-guerres ne sont pas en mesure d’être utiles aux pouvoirs publics quand elles sont trop éloignées de la réalité. Alors que Morazé portait un grand intérêt aux problèmes mathématiques (A.R.E.H.E.S.S., 2007) et

donc était en mesure de saisir les équations des ingénieurs économistes, il commente très ironiquement une équation de l’économiste Cépède : « Quoi ! si j'avais pu comprendre la loi logistique et l'équation pt = E p (t) — 4p² (t), j'aurais en tête le moyen de régler le problème

de l'alimentation du monde ? » (Morazé, 1947, p. 81). Pour Morazé, il n’y a pas d’intérêt à

produire ces connaissances théoriques car elles ne permettent pas d’avoir de prise sur la

réalité et ne sont donc pas utiles aux décideurs. De la même manière, Fourastié (1949, p. 56)

juge les connaissances basées sur des hypothèses irréalistes d’une « totale inutilité pratique ».

Nous avons déjà cité les cas de Fourastié et de Morazé, mais l’économiste Jean

Lhomme, membre de la nouvelle section dès sa création, partage leur avis. En conclusion d’un article sur lequel nous reviendrons, sur le rôle du chiffre dans la discipline, il espère « que l’action [puisse] bénéficier à son tour des progrès de la connaissance » (Lhomme, 1950,

p. 59). De la même manière, André Marchal (1953, p. 189) conclut, dans son ouvrage, « que les recherches des économistes (théoriciens, observateurs, sociologues), aujourd’hui, ne sont

76

plus qu’exceptionnellement d’ordre spéculatif. De plus en plus, elles ont, à plus ou moins longue échéance, un but pratique : prévoir l’évolution historique, guider l’action ». Ainsi, l’ensemble des économistes réalistes revendiquent l’utilité des connaissances qu’ils produisent pour aider à la reconstruction économique.

De plus, il faut noter qu’à l’exception de Bettelheim, sûrement en raison de ses

engagements militants, tous les économistes que nous avons cités sont proches du pouvoir ou de l’expertise économique. Majoritairement, c’est par l’entremise de l’ISEA, qui comme nous l’avons vu, est l’institution réunissant des économistes universitaires afin d’apporter de l’expertise économique, que les économistes réalistes apportent leur contribution. On peut citer, par exemple, les cas de Fourastié et des frères André et Jean Marchal. D’autres apportent leur expertise par leur activité de recherche auprès d’organismes internationaux, comme Jean Weiller (Ducros, 2001, p. 14). Enfin, il faut citer les liens personnels de Morazé

avec De Gaulle et d’autres hommes politiques, même si nous ne pouvons affirmer qu’il les

conseillait sur les politiques économiques.

De la sorte, les économistes réalistes répondent à la dynamique qui émerge dès l’entre- deux-guerres de besoins en connaissances économiques. Ils répondent aussi aux défis

méthodologiques lancés par Simiand et les historiens des Annales.

c. Diversifier les objets et la méthodologie de l’économie

La volonté de guider l’action, soulignée par André Marchal, a aussi joué un rôle sur la

définition des objets de recherche des économistes réalistes. En 1950, Marchal souhaite que l’étude des « actions et réactions économiques [soit replacée] dans le milieu réel et vivant, analysant le rôle des institutions, des découvertes, des grands mouvements de pensée, des

77

l’American Economic Review, son frère Jean utilise la métaphore du corps humain pour justifier l’intérêt d’ouvrir l’analyse économique à d’autres champs d’études, en expliquant qu’un organe ne peut être pleinement étudié sans analyser ses interactions avec les autres organes (J. Marchal, 1951, p. 549–50).

Cette approche impliquait premièrement un rejet de l’individualisme méthodologique

défendu par les économistes traditionnels afin d’étudier de nouveaux objets. Pour Bettelheim, sans le rejet de l’individualisme méthodologique, « l’Economie Politique cesserait d’être une science sociale » (p. 270). Rares sont les économistes réalistes à s’attarder sur l’individualisme méthodologique car l’évolution dans les objets d’étude entrainait de facto un rejet de cette méthode. En effet, une fracture émerge entre les économistes qualifiés de

traditionnels et les réalistes sur la question des objets d’étude car l’individualisme

méthodologique ne permet pas de rendre compte de manière satisfaisante des structures de l’économie.

Selon André Marchal, cette divergence s’explique de la manière suivante : « Si tous reconnaissent donc désormais que la tâche de l’économiste est non seulement de décrire, mais aussi d’expliquer, des divergences apparaissent pourtant entre ceux qui prétendent limiter l’explication à la seule considération des causes “endogènes”, et ceux qui veulent l’étendre aux causes “exogènes”» (A. Marchal, 1953, pp. 38–39). Dès lors, comme le note Arena, « ce que la science économique usuelle considère comme des “données” (ainsi, les préférences, les dotations ou les techniques de production) [sont devenues] des variables dont l’économiste doit aussi expliquer l’évolution » (2000, p. 981).

L’ambition des économistes réalistes est de produire « une analyse du comportement individuel de l’homme replacé dans son contexte » (A. Marchal, 1950, p. 27). Cela passe par l’analyse des structures, champ d’études plus vaste que l’analyse des institutions. Pour

78

Perroux, les structures sont « ces proportions et relations caractérisant un ensemble

économique localisé dans le temps et dans l’espace ». La définition est très large, mais elle souligne la volonté d’étudier les faits économiques dans leur contexte social, ce dernier étant évolutif et non-universel. André Marchal (1953, p. 101) précise la nature de ces structures :

les structures physiques ou géographiques, les structures économiques (répartition du revenu

national et commerce international), les structures « institutionnelles » (les cadres juridiques

et politiques) et les structures sociales et psychologiques ou mentales (comportement du sujet

et des groupes auxquels il appartient).

Ainsi l’approche du courant réaliste fait évoluer les frontières de la discipline économique en se proposant d’expliquer des variables précédemment considérées comme exogènes. Dès lors, les économistes doivent envisager de nouvelles méthodologies pour analyser ces structures car l’individualisme méthodologique ne peut le permettre : ils vont s’ouvrir à la méthodologie des autres sciences sociales en proposant une recomposition des rapports entre les disciplines des sciences sociales pour étudier les faits économiques.

Les économistes réalistes ont conscience que le chercheur en sciences sociales fait des

choix méthodologiques en fonction des objets qu’il souhaite étudier : « Chaque science se

crée à elle-même son propre objet. Chacune prend la responsabilité de choisir certains faits, pour les étudier à l’exclusion des autres ; la responsabilité aussi de choisir la méthode par laquelle elle les traite » (Lhomme, 1950, p. 47). Lhomme fait aussi apparaître un lien entre la question des objets d’étude et la méthodologie, soulignant que « la recherche demeure d’ordre méthodologique, puisque, en s’efforçant de préciser son objet, une science se cherche tout autant que lorsqu’elle détermine ses procédés d’investigation ». L’ouverture à de nouveaux objets entraine donc l’évolution des approches.

79

Pour les économistes réalistes, les échanges entre disciplines des sciences sociales sont porteurs d’espoir : « on peut espérer que, de l’interpénétration des différentes branches de la science économique avec les autres sciences sociales, surgiront de nouveaux progrès » (Marchal, 1953, p. 188 ; italiques dans l'original). Selon les auteurs, les approches pluralistes

peuvent être différentes ; mais toutes tendent à rapprocher la discipline économique d’une autre science sociale. Le choix de l’autre discipline est fonction de l’objet à étudier. On voit apparaître une vision imbriquée des sciences sociales, qui tend vers leur unité, chaque objet

étant connecté avec les autres. Cette conception est soulignée par Morazé lorsqu’il célèbre l’approche de Simiand: « il [Simiand] eut été sensible à certains points de sa méthode [celle de Durkheim] qui nous paraissent surannés : le fameux “isolement” prétendu nécessaire à l’étude des phénomènes sociaux est un leurre. […] il [Simiand] était trop humain pour ne pas […] répudier cette croyance qu’il existe des faits économiques “en soi” » (Morazé, 1942, p. 29).

En reprenant les différents types de structures - physiques ou géographiques,

économiques, institutionnelles, sociales et psychologiques ou mentales - décrites par Marchal,

on voit émerger un agencement des sciences sociales. Chacune ayant comme fonction d’étudier un aspect des faits économiques. Bien que nous n’ayons pas trouvé d’échanges à ce sujet entre les économistes et les historiens des Annales, ces structures sont très proches des

différentes temporalités théorisées par les Annales. Ainsi, on peut représenter la

pluridisciplinarité des économistes réalistes par le schéma ci-dessous, où les structures qui se

80

Avec ce schéma, on voit comment chaque structure doit être analysée, car elle permet

de comprendre les faits économiques qui sont eux-mêmes influencés par les autres faits

sociaux.

Avant d’étudier une application pratique de cette méthodologie, il faut s’attarder sur les rapports des économistes réalistes aux mathématiques. Leur crainte n’est pas fondée sur l’outil mathématique en lui-même, mais sur son utilisation. Ainsi, Morazé peut d’un côté reprocher aux économistes de ne pas suffisamment s’intéresser à ses outils et de l’autre rejeter les modèles mathématiques marginalistes en raison de l’irréalisme de leurs hypothèses initiales. Les réalistes sont même généralement assez ouverts aux approches mathématiques récentes, comme c’est le cas de la modélisation des comportements humains avec la théorie des jeux que l’économiste Georges Théodule Guilbaud, économiste à la VIe

Section à partir de 1955, introduit en France. Pareillement, l’économétrie est perçue comme un outil utile pour tester le réalisme des théories économiques. Mais leur attention se concentre

81

particulièrement sur la statistique descriptive. Comme le souligne Lhomme (1950, p. 58),

« l’étude économique, s’attachant au nombre, en recueillera une plus grande certitude,

bénéficiera d’assises plus fermes. […] Le nombre demeure bien l’essence de l’économie […] C’est bien aux phénomènes nombreux que s’attache la science économique » (p. 58). La question de la mathématisation de la discipline a souvent été considérée comme une ligne de fracture historique entre les économistes français. La réalité est plus complexe sans doute. S’il est clair que les économistes réalistes avaient peu de compétences mathématiques – en raison

de leur formation, ils considéraient néanmoins les mathématiques comme un outil

méthodologique utile – pas le seul – pour décrire la réalité économique.

d. Étude de cas : l’analyse structurelle de l’évolution du salaire réel

Etner et Silvant (2017, pp. 449‑456) reviennent sur les travaux des économistes réalistes qui cherchent à expliquer les déterminants du salaire réel. L’article de Bauchet (1952), cité par les deux historiens de la pensée économique, est particulièrement probant sur l’application de cette méthode. Ce dernier rejette l’application d’une méthode purement micro-économique et procède par une analyse macro-économique afin de « déterminer les forces qui dans la France d’après-guerre ont joué un rôle essentiel dans les variations du niveau des salaires réels » (p. 300). De la sorte, Bauchet teste les hypothèses et les résultats de

la théorie économique aux statistiques empiriques existantes.

Tout d’abord, il teste les théories de la productivité marginale des salaires qui considèrent qu’il existe une limite automatique des salaires réels lorsqu’ils ont atteint la productivité marginale. Cette limite atteinte, toute hausse de salaire, ne pourra qu’aboutir à une augmentation des prix car la hausse de salaire sera rattrapée par une hausse des prix

permettant un rééquilibrage entre le salaire et la productivité marginale. Bauchet explique qu’ « il devient impossible de parler de détermination du salaire par la productivité marginale

82

de chaque firme lorsque ce salaire tend à être fixé uniformément par les groupes ou l’État dans toutes les entreprises » (p. 304). Puis, grâce aux statistiques descriptives, il regarde si les

augmentations de salaire depuis la fin de la guerre ont entrainé une augmentation des prix.

Les deux périodes inflationnistes (juin 1944-mai 1948 et avril 1950-mai 1951) proviennent d’une hausse des prix initiale, qui sera alors suivie de revendication salariale. Pour prouver cette temporalité, Bauchet explique que les poussées inflationnistes commencent d’abord sur l’or, les devises étrangères et les valeurs mobilières, puis ce sont les produits alimentaires qui augmentent, ensuite, ce sont les produits manufacturés non contrôlés, et enfin les produits

industriels contrôlés. Dès lors, « ce ne sont pas les montées de salaires qui, seules, ont provoqué l’inflation. Il faut en conclure que les salaires n’ont pas atteint la prétendue “limite de productivité marginale” et que leur fixation doit être expliquée par d’autres facteurs » (p. 312).

Une fois cette hypothèse infirmée, l’économiste en fait une nouvelle: « la détermination du salaire réel dépend moins de mécanismes aveugles que d’une volonté consciente des parties en présence, lors des discussions syndicales, pour en fixer le

montant » (p. 314). Il dénombre trois acteurs : l’État, les groupes patronaux et les ouvriers. Il teste d’abord l’influence de l’État à deux niveaux : comme employeur et comme législateur. Il démontre qu’étant un employeur, l’État cherche à limiter la hausse des salaires et ainsi réduit sa marge de manœuvre légale : « la nécessité de faire face à ses propres dépenses l’a empêché de promouvoir des hausses » (p. 316). En sus, l’État subit les pressions des groupes patronaux

et syndicaux sur l’augmentation du salaire. Il faut donc étudier leur impact. Bauchet note au

sujet des syndicats que « nous ne pouvons qu’être frappés de leur puissance et aussi de leur

incapacité à déterminer le niveau des salaires réels » (p. 322). De l’autre côté, les organismes

patronaux peinent à éviter les augmentations nominales de salaire, mais obtiennent généralement des hausses de prix aboutissant à limiter l’augmentation du salaire réel. Ainsi,

83

l’étude de ses rapports de force ne permet pas de déduire les déterminants du salaire réel, il