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Les médias représentent l‟agent de socialisation qui a fait l‟objet du plus grand nombre d‟investigations portant sur son rôle dans le développement d‟une orientation matérialiste chez les jeunes consommateurs. Ceci n‟est pas étonnant étant donné la grande inquiétude, et l‟intensité de critiques dont il faisait l‟objet relativement à son impact dans l‟adoption de cette orientation, comme nous l‟avons vu dans la section (I.3).

La description du rôle joué par les médias dans le matérialisme des jeunes semble être basée sur trois principaux facteurs : l‟exposition à la publicité, l‟influence des modèles de rôle vicariants, et la comparaison sociale avec les figures médiatiques.

L’exposition à la publicité

L‟une des principales raisons pour lesquelles le matérialisme est considéré comme une variable du côté sombre du comportement du consommateur, est qu‟il a été souvent considéré comme un médiateur dans la relation entre exposition à la publicité et insatisfaction avec la vie, notamment chez les jeunes individus (Buijzen et Valkenburg, 2003). En effet, d‟un côté plusieurs chercheurs affirment que l‟exposition à la publicité stimule le matérialisme de ces derniers (exemple : Churchill et Moschis, 1979 ; Ward et Wackman, 1971)), de l‟autre le matérialisme est largement considéré comme un antécédent à l‟insatisfaction avec la vie (Ladwein, 2005; Kasser, 2002 ; Burroughs et Rindfleisch, 2002).

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Plusieurs études ont été effectuées depuis une quarantaine d‟années, dans le domaine de la recherche sur le comportement de consommation des jeunes, pour comprendre comment la publicité pourrait justement stimuler une telle orientation envers les possessions matérielles. Globalement les recherches sont orientées vers l‟effet de deux variables : d‟une part, la fréquence d‟exposition et, d‟autre part, les motivations d‟exposition à la publicité.

Selon Ward et Wackman (1971), les facteurs qui expliquent le mieux l‟adoption d‟une orientation matérialiste chez les jeunes sont : (i) la motivation sociale pour regarder la publicité (« une motivation pour regarder la publicité comme un moyen pour collecter de l‟information sur des styles de vie et comportements associés aux utilisations de certains produits spécifiques »), et (ii) la motivation de consommation vicariante pour regarder ce même médium (« regarder la publicité comme un moyen de s‟identifier avec des styles de vie désirés, ou comme un moyen de créer une association vicariante avec les personnes attrayantes »).

Ces auteurs ont été les premiers à avoir introduit ces deux types de motivation, et ils ont notamment trouvé que l‟effet de ces deux facteurs sur le matérialisme ne diffère pas selon l‟âge de l‟adolescent. Toutefois dans les recherches ultérieures effectuées sur ce thème, de ces deux types de motivation, seule la motivation sociale pour regarder la publicité a été retenue, et elle a toujours été positivement corrélée avec le niveau de matérialisme à l‟adolescence (Chan et al., 2006 ; Moschis et Moore, 1982 ; Moschis et Churchill, 1978). Alors que la motivation de consommation vicariante a fait l‟objet d‟un autre courant de recherche, celui relatif à la notion de comparaison sociale, que nous verrons plus en détail dans le prochain paragraphe.

Concernant l‟effet de la motivation sociale, on note par exemple l‟étude longitudinale effectuée par Moschis et Moore (1982) afin d‟examiner les effets à court et à long termes de la publicité télévisée sur le développement d‟orientations spécifiques reliées à la consommation des adolescents, leur matérialisme entre autres. Pour connaître les effets de l‟exposition à la publicité télévisée, ces auteurs ont choisi de les mesurer par le biais de la fréquence d‟exposition à la publicité selon la motivation informative (rechercher de l‟information pour la prise de décision de consommation), et la

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motivation sociale. Ainsi, ils ont trouvé que la relation entre la publicité télévisée et le matérialisme à l‟adolescence est significativement positive dans le court terme. Toutefois, à long terme ces deux facteurs ne sont positivement corrélés que dans les familles où la communication relativement à la consommation est peu fréquente. Ce qui peut suggérer que l‟apprentissage par le biais de la publicité des orientations envers les possessions matérielles, pourrait être une conséquence de second ordre, avec la publicité servant comme catalyseur.

Par ailleurs la fréquence d‟exposition à la publicité, mesurée par le nombre d‟heures d‟écoute, semble avoir un effet incertain sur le niveau de matérialisme chez les jeunes. En effet, dans certaines études cet effet s‟est avéré positif (Buizjen et Valkenburg, 2003 ; Goldberg et al., 2003) alors que dans d‟autres il s‟est avéré non significatif (Chan et al., 2006 ; Ward et Wackman, 1971). Notons que dans le premier cas, les échantillons utilisés dans les deux études citées étaient composés d‟enfants et jeunes adolescents (8 à 14 ans), qui pourraient avoir une attitude moins sceptique par rapport à la publicité que les adolescents plus âgés (Roedder John, 2001).

L’influence des modèles de rôle vicariants

Selon la théorie de l‟apprentissage social (Bandura, 1977), les individus apprennent leurs comportements, valeurs et attitudes suite à des expériences passées. Certaines de ces expériences peuvent être de type vicariant : l‟apprentissage survient par imitation (modeling) suite à l‟observation de médias.

Dans le domaine de la recherche sur le comportement de l‟adolescent consommateur plusieurs recherches ont montré qu‟en plus des parents et amis (considérés comme des modèles de rôle directs), les jeunes possèdent plusieurs modèles de rôle vicariants. Les célébrités du monde du spectacle (cinéma et télévision), ainsi que les athlètes peuvent être considérées comme étant de puissants modèles de rôle vicariants pour les jeunes (Lockwood et Kunda, 1997 ; King et Multon, 1996). Pour ces premiers auteurs, qui ont étudié l‟impact des modèles de rôle vicariants (les « superstars ») sur les évaluations du soi, les individus qui ont eu un succès remarquable et hors norme peuvent servir comme des modèles pour les jeunes, les motivant à adopter certaines images de soi et à avoir certaines tendances de style de vie.

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Lafferty et Goldsmith (1999) ont montré que, lorsqu‟elles sont présentées dans des publicités, les célébrités peuvent significativement influencer les intentions et comportements d‟achat. Plus intéressant encore, les jeunes les plus matérialistes ont plus tendance de répondre favorablement à ce type de publicités (Goldberg et al., 2003).

En utilisant des types plus spécifiques de modèles de rôle vicariants, Martin et Boush (2000) ont montré que les athlètes et les artistes de variété (entertainers) favoris ont un impact significativement positif sur les intentions et comportements d‟achat des adolescents. En se basant sur ces deux types de modèles, Clark et al. (2001) se sont intéressés plus précisément aux orientations matérialistes de ces jeunes, et ils ont trouvé que ce sont les athlètes qui influencent le plus cette valeur.

La comparaison sociale avec les figures médiatiques

La théorie de la comparaison sociale a été introduite par Festinger (1954). Selon cette théorie, les individus ont tendance à s‟auto-évaluer en comparaison aux autres en l‟absence de moyens d‟évaluations objectives du soi. Cette théorie a fait l‟objet de nombreuses applications dans divers domaines. En comportement du consommateur plusieurs recherches se sont orientées vers les comparaisons sociales survenant relativement aux possessions matérielles. La raison pour cet intérêt s‟expliquerait, selon Richins (1995), par le fait que les individus peuvent se comparer aux autres sur la base de plusieurs critères visibles. Toutefois, les comparaisons les plus importantes seraient celles portant sur les critères qui définissent le mieux l‟identité individuelle et qui constituent les principales parties du soi. Les possessions matérielles appartiennent à cette catégorie de critères, puisqu‟elles sont particulièrement importantes dans la définition du soi (Belk, 1988).

Richins (1991 ; 1995) s‟est basée sur cette théorie pour étudier l‟impact des images idéalisées, qui sont présentées dans les publicités (des images qui représentent la vie plus comme elle est imaginée que comme elle existe réellement), sur les perceptions des consommateurs vis-à-vis de leurs possessions matérielles. Elle a notamment démontré que l‟exposition à ces images amène le consommateur à s‟engager, souvent inconsciemment, dans une comparaison de sa propre vie avec celle représentée dans les

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publicités. Suite à une exposition répétée, cette comparaison engendre à la longue une insatisfaction en matière de consommation et un désir accru de possessions matérielles.

Plusieurs autres chercheurs ont approfondi ces résultats. Ainsi, on a démontré que lorsque l‟individu s‟engage dans des comparaisons sociales avec des référents indirects, il se trouve confronté à des estimations élevées et non réalistes du standard de vie de ces modèles vicariants (Kasser, 2002). Par conséquent, un déclenchement du désir pour les possessions matérielles survient suite à la perception d‟un large écart entre l‟état actuel du standard de vie et l‟état idéal (Sirgy, 1998). D‟ailleurs il n‟est pas étonnant qu‟on ait trouvé que la comparaison sociale avec des figures médiatiques (chanteurs populaires et acteurs cinématographiques) soit positivement reliée au matérialisme chez les jeunes (Chan et Prendergast, 2007).

En explorant récemment l‟étendue et le type de l‟engagement d‟adolescents chinois dans la comparaison sociale des biens matériels, Chan (2008) a noté plusieurs résultats intéressants concernant les référents vicariants. Ceux qui étaient les plus fréquemment mentionnés par ces jeunes sont les acteurs de cinéma et de télévision, les chanteurs et les mannequins. Ils sont choisis pour leur beauté et popularité, et ils sont le plus souvent du même âge et du même sexe qu‟eux. Concernant les produits impliqués dans ces comparaisons, ils sont reliés surtout à l‟apparence et sont généralement consommés en public.