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Le rôle de l’église catholique dans la genèse des « communautés »

Dans le document Rivalités Riveraines (Page 103-121)

Vivre le long de l’Arapiuns

3.2 Le rôle de l’église catholique dans la genèse des « communautés »

La mise en place des communautés ecclésiales de base

La Prélature de Santarém avait été créée en 1903, mais faute de sacerdote, ce n’est qu’à partir des années 1960 que les visites paroissiales reprirent dans la région de l’Arapiuns et du Lago Grande. Les Franciscains s’installèrent ainsi à Vila Curuai en 1963 (Canto, 2006). Lorsqu’ils visitaient les hameaux, les prêtres célébraient le culte dans des chapelles privées dressées pour l’occasion par l’un ou l’autre groupe résidentiel souhaitant célébrer des baptêmes. Cette époque est marquée par l’essor de la théologie de la libération et l’organisation des communautés ecclésiales de base (CEB)58. La communauté avait été conçue comme un élément fédérateur d’individus, dont on espère entraide et solidarité, autour de principes moraux et religieux. L’organisation de travaux communautaires pour l’entretien de la vila par les instigateurs des CEB en est un exemple: baptisé mutirão ou puxirum, comme les travaux agricoles réalisés collectivement au sein des unités de production entre groupes résidentiels, il consistait à transférer dans la sphère communautaire un système par ailleurs conçu comme un échange de force de travail. La « communauté » était matérialisée par un espace collectif appelé « vila », le siège du village, destiné à accueillir en habitat groupé les familles souhaitant fonder ensemble une communauté spirituelle et morale. Il s’agissait avant tout d’un simple concept. Une petite chapelle y était érigée et les familles de l’ensemble des groupes résidentiels des environs pouvaient y construire une maison et participer aux activités religieuses. Symboliquement, le passage du village (povoado) à la communauté revenait à considérer que l’habitat groupé était réalisé non plus autour d’une échoppe mais d’une église. De freguês, les villageois devenaient des « comunitários » (« membres de la communauté »).

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La Conférence Nationale des Evêques Brésiliens (CNBB) est créée en 1952. « La première assemblée […], réalisée à Belém en 1953, […] ressent le besoin de soutenir la réforme agraire comme moyen de fixer des populations migrantes. Dès la seconde moitié des années 1960, « le renouvellement du mystère de l’Eglise en tant que communauté » (CNBB, 1966) devient l’axe majeur d’un plan d’ensemble d’action pastorale. Concrétiser la « communauté visible » des fidèles par le biais d’une meilleure intégration sociale des populations marginalisées est la condition de leur adhésion au mystère de l’Eglise – communauté invisible et corps mystique du Christ : « Il est urgent de décentraliser la paroisse (…) et de susciter la création (…), à l’intérieur du territoire paroissial, de communautés de base, comme les chapelles rurales, où les chrétiens ne soient pas des individus anonymes cherchant à se débarrasser d’une obligation, mais où ils soient bien reçus et se sentent responsables dans une communion de vie avec le Christ et avec leurs frères » (CNBB, 1966 : 38-39)» (Araújo, 1993 : 22-23).

104 Avec la théologie de la libération et sa « préférence pour les pauvres », l’Eglise adopta un répertoire mobilisateur de religiosité politisée, où les thèmes de la lutte pour la terre et la valorisation de la vie communautaire étaient déclinés à partir de codes moraux et d’une allégorie de la sortie d’Egypte en tant que fin de la servitude (Houtzager, 2004). Ce discours était véhiculé par les Semaines de catéchèse annuelles auxquelles étaient invités les dirigeants et futurs dirigeants communautaires. La première Semaine de catéchèse de Santarém eut lieu en 1959, suivie, en 1960, du premier congrès eucharistique de la prélature. Les efforts de « conscientisation » de l’Eglise59 conjugués, à partir des années 1980, à ceux du Syndicat des travailleurs ruraux (Leroy, 1991)60, s’appuyaient sur l’idéologie pédagogique de Paulo Freire, martelant inlassablement les idées de l’émancipation du travailleur rural (« lève-toi et marche », Actes 3,6). Relayés localement par un homme charismatique, les prêtres encourageaient dans toute la région – y compris la várzea (O ‘Dwyer, 2005) – la formation de « communautés ».

Figure 25: 1er congrès de l’Eucharistie à Santarém (1960)

Source : Museu de arte sagrada de Santarém

 Des « villages » aux « communautés » Vila Brasil et Arimum

Une fois la structure du nouveau village mise en place, Seu Dourado s’enquit de l’articuler avec les institutions présentes en ville, en l’occurrence avec l’Eglise catholique. En 1959, le commerçant participa ainsi à la première Semaine de catéchèse de Santarém, destinée à former les catéchistes de la zone rurale. A partir de cette date et de la construction de la

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En 1984, le Diocèse de Santarém est réorganisé en « régions pastorales » afin de rendre son action missionnaire plus efficace. Les communautés de l’Arapiuns passent alors dans la circonscription des Verbitas.

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105 chapelle (Araújo, 1993: 146), Uxícara fut reconnue officiellement comme une communauté ecclésiale de base (CEB) par l’Eglise et par les groupes résidentiels locaux.

Quelques années plus tard, une école radiophonique du MEB (mouvement ecclésial de base) fut installée dans le village pour alphabétiser les adultes, et ses cours étaient transmis depuis Santarém par Rádio Rural61. Une église fut construite et Seu Dourado ouvrit un commerce de produits manufacturés. Il était devenu entre-temps par consensus le premier « président de la communauté »62, laquelle avait pris officiellement le nom de Vila Brasil.

Au début des années 1970, Vila Brasil comptait 380 habitants (Prelazia, 1970), soit une soixantaine de familles. Le commerçant était devenu le principal acheteur de latex de la région et les gens s’en souviennent comme d’un homme populaire, jovial et généreux. Lorsque les visites des prêtres devinrent plus fréquentes, il encouragea des groupes résidentiels à construire une église à Arimum, localité voisine et jusqu’ici centre de Vila Brasil. Avant cette date, ces groupes se déplaçaient jusqu’au village au prix de plusieurs heures d’efforts, pour participer aux cérémonies religieuses et aux autres activités. L’apprenti du commerçant, Lucas, était lui-même devenu l’un des ministres de la catéchèse (chargé des baptêmes) de la zone rurale pour le bas-Arapiuns. Il fut chargé d’engager la réflexion avec les familles d’Arimum :

« Il est venu [à Arimum], Lucas de Vila Brasil, pour voir Raymundo [un militaire à la retraite qui y était installé]. A cette époque, c’était lui qui commandait toutes les contrées, n’est-ce pas, c’était le catéchiste, c’était lui qui commandait, à Vila Brasil, à Arimum, Lago da Praia, toute cette zone. Et c’est par son intermédiaire qu’il y a eu la vila. C’est lui qui a aidé à la créer. Il est venu, bon, il n’y avait que de la forêt. Et Raymundo habitait de ce côté-ci. Il lui a dit: “Ce ne serait pas une bonne chose pour vous de faire une vila ici ?”Alors Raymundo a dit: “Oui, ce serait bien”. Comme Soldado se considérait déjà comme le maître d’Arimum, vu qu’il faisait et défaisait sa loi, alors…il a dit : “Oui, allons parler avec le compadre Mestre Soldado”. Alors ils ont appelé Mestre Soldado, Seu Ítalo, parce que Lucas est le neveu d’ Ítalo, le cousin de mon mari. [...] Donc, alors ils ont fait une réunion ensemble, ce jour où Lucas est venu expliquer ce que c’était qu’une communauté. […] Bon, tout le monde était d’accord. Alors c’est à partir de là qu’ils ont commencé à y travailler ici.

– C’était en quelle année environ?

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Première radio émettant à Santarém, fondée par l’Eglise catholique, en 1964. Cette radio a notamment aidé à organiser le « Championnat rural », une compétition sportive favorisant la formation et la rencontre d’équipes de football entre les « communautés » rurales. Elle réalise jusqu’à aujourd’hui un service de communication important entre la ville et la zone rurale par la diffusion de messages sur les ondes.

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Araújo (1993 : 63) montre comment « les citoyens-électeurs » sont transformés en « obligés d’un leader charismatique ».

106 – En 68, 69 ».

Femme mariée, 71 ans, habite Arimum Groupe résidentiel du Sepetú. « Il y avait trois familles ici et l’église n’existait pas. Ils se sont réunis et ont décidé de créer l’église : Dona Antonella, Mestre Soldado et mes parents. Ils participaient au culte de Vila Brasil et ils ont demandé au curé de venir par ici. Ils ont fait un barracão là où il y a l’église et ils ont célébré la messe ».

Homme marié, 42 ans, habite Arimum Fils de Raymundo. Après avoir été consultés les groupes résidentiels d’Arimum décidèrent de fonder leur propre communauté, à la fin des années 1960. Vers 1973, une chapelle fut construite et une taverne fut ouverte, confiée à l’un des jeunes apprentis du commerçant. Il s’agissait du fils de Juliana et d’Ítalo, une famille qui résidait à Vila Brasil mais possédait des essarts à Arimum.

« [Le commerçant de Vila Brasil] disait qu’il allait le former, le faire monter dans la vie. Alors il lui a dit: « Mon garçon, là-bas à Arimum c’est très bien pour toi, parce que c’est votre terre à vous, alors tu vas aller travailler là-bas ». Alors [le jeune et son père] ont commencé par construire un petit entrepôt et ils sont partis vivre là-bas »

Belle-fille d’Ítalo et Juliana, 71 ans Groupe résidentiel du Sepetú. C’est ainsi que Juliana, son mari Seu Ítalo, et leur fils aîné Juliano, déjà en ménage, quittèrent le centre de Vila Brasil pour Arimum, afin d’accompagner le fils cadet qui tiendrait boutique. Avec la construction de l’église, une dizaine de familles ayant leurs centres dans les parages leur emboîtèrent le pas pour aller former la communauté d’Arimum.

Fondateur(s) et premier président de la communauté

En écoutant les habitants d’Arimum et de Vila Brasil raconter la genèse de la communauté, on s’aperçoit qu’il y a une divergence sur l’identité des fondateurs. En général, les descendants de celui qui en a été l’initiateur ont tendance à le présenter comme le fondateur du village. Or, nous avons vu à travers l’exemple de Vila Brasil que, même si l’idée émane initialement d’un individu, le travail qui permet la construction de la vila (défricher un pan de forêt, construire les bâtiments communautaires puis les habitations, etc.) est réalisé par l’ensemble des groupes résidentiels qui occupent ces lieux. Sans doute, le besoin de légitimité des descendants de l’initiateur provient-il d’un détail non négligeable : ces initiateurs-fondateurs sont très souvent des hommes de l’extérieur, qui ont parfois passé plusieurs années

107 en ville (comme c’est le cas de Seu Dourado ou encore de Raymundo), d’où ils ont rapporté cette idée. A cette époque, il semble que les présidents de communauté choisis (par consensus ou par vote) étaient, de la même façon, souvent issus d’autres parages. A Vila Brasil, l’initiateur fut ensuite élu président de la communauté ; à Arimum, le premier président fut Raymundo, un militaire à la retraite installé à Arimum avec sa femme et ses enfants (sans lien de parenté avec les autres familles du lieu).

 La figure du « président de la communauté »

Le rôle du président était principalement de représenter la communauté en tant qu’unité de peuplement dans ses rapports avec l’extérieur, notamment les institutions publiques, à Santarém. C’est le président qui devait aller négocier l’ouverture d’une école et le versement d’un salaire pour une institutrice. C’est à lui qu’il incombait de négocier auprès des politiciens les subventions pour la construction d’équipements communautaires : des briques pour les bâtiments, le forage d’un puits, etc. Sa fonction principale était donc l’intermédiation avec ces interlocuteurs urbains, ce qui requérait qu’il soit instruit et sache se comporter avec prestance en public. Le président était soutenu par une équipe comprenant un catéchiste (le coordinateur de la chapelle) et un secrétaire. Il était chargé de recevoir les délégations venues de Santarém : religieux, techniciens de l’INCRA, politiciens en campagne.

Sa deuxième attribution, sans doute la plus polémique, était d’indiquer aux familles nouvellement arrivées pour peupler le village, les terres encore « libres » afin qu’elles puissent s’y installer. En effet, à partir du moment où un espace communautaire – la vila – était créé, des familles sans terre pouvaient venir s’y établir. Lorsque des espaces étaient encore inoccupés (en général dans les centres éloignés de la vila) et n’étaient revendiqués par aucun groupe résidentiel, le président pouvait les attribuer à ces familles. Parfois, ces transactions nécessitaient des négociations, de façon à ce que des familles qui possédaient de vastes terrains en cèdent une partie à celles qui en étaient dépourvues (à ce sujet, cf. chap. 4).

Raymundo avait bien le profil du président. Il s’entendait avec tout le monde et ne faisait partie d’aucun groupe résidentiel (puisqu’il était arrivé de Santarém dans les années 1960), ce qui aurait dû garantir, en principe son impartialité. Néanmoins, les récits des habitants d’Arimum comportent une certaine part d’ambiguïté quant à l’identité pratique du président. Tous s’accordent à dire qu’il s’agissait de Raymundo. Mais, à les écouter, c’est un autre personnage, Mestre Soldado (le guérisseur), qui semblait maître de l’ensemble des décisions prises par et pour le village. Comme le dit un peu plus haut une villageoise, Mestre

108 Soldado « se prenait pour le maître des lieux » et « décidait de tout », de l’attribution des terrains à la fondation de la communauté. Il est possible de comprendre que Raymundo était officiellement le président d’Arimum, mais qu’il remplissait cette fonction comme un fantoche, en obéissant aux injonctions de Soldado.

 Emplacement de la vila d’Arimum

Ainsi, dès les débuts de la formation de la communauté, des tensions étaient perceptibles entre les groupes résidentiels : certaines familles acceptaient mal qu’un individu– Mestre Soldado – arrive du dehors, prenne des décisions les affectant (puisqu’il s’agissait de l’organisation de l’occupation territoriale locale), et se comporte en « maître des lieux ». Ce point d’achoppement est perceptible dans le choix qui fut fait du lieu de fondation de la vila : un cap dont l’occupation était encore mal définie. En effet, a priori il n’appartenait à personne mais il se trouvait dans le prolongement du terrain du Sepetú : Seu Ítalo et Juliana y possédaient un tapirizinho où ils dormaient lorsqu’ils venaient travailler dans leurs abattis. Sur l’autre versant de ce cap, Mestre Soldado avait bâti sa maison, bien que ses essarts se situent dans une autre crique. Ainsi, le cap choisi pour la vila était initialement occupé, sans qu’il s’agisse encore réellement d’une appropriation de ce territoire, par deux groupes résidentiels qui y avaient construit, chacun sur un versant, une petite maison. Une grande forêt de courbarils (jutaí) séparait les deux habitations.

Figure 26: Emplacement de la vila d’Arimum (1974)

Légende :  maison de Mestre Soldado ; maison de Seu Ítalo.

Sepetú

abattis de Soldado

109 Lorsqu’il fut convenu de fonder la vila, Mestre Soldado suggéra de choisir ce cap qui n’était « à personne » et de le faire plus tard enregistrer auprès de l’INCRA sous le nom du saint patron de la communauté, à savoir São Benedito (saint Benoît l’africain), protecteur des collecteurs de caoutchouc (Galvão, 1955) et saint « des Noirs », dont, accessoirement, Soldado possédait une statuette. Sur un versant donc, Soldado construisit une salle communale ; sur l’autre versant, Seu Ítalo installa une taverne. Puis chacun invita ses proches à venir bâtir leur maison dans le village. Nous verrons dans les chapitres 10 à 12 que cette configuration spatiale et symbolique portait en elle le germe du conflit. Avec le temps, une césure se forma entre deux camps politiques antagonistes au sein du village, répartis de part et d’autre de cet axe initial (Mestre Soldado sur le versant ouest versus Ítalo sur le versant est).

Les désaccords postérieurs sur l’histoire de la fondation de la vila ont culminé au point que l’un de ces groupes réalisa, en 2008, un document dactylographié et signé par le président de la communauté de l’époque, qui présentait la version « officielle » de la coordination de la communauté de l’époque. En voici transcrit un extrait, qui vient compléter et nuancer les versions des descendants d’ Ítalo, présentées ci-dessus :

La communauté fut fondée entre les années 1960 et 1970, elle a pour fondateurs Mestre Soldado, Antônio Duarte, Raymundo, Dário e Elisabete. Au début, l’aire de la communauté était une forêt totalement remplie de courbarils. Après avoir déboisé une partie de la forêt, ils ont planté du potiron, pour cela ils attribuent l’origine du nom Arimum à ce végétal. En 1974, l’église de São Benedito existait déjà, le vicaire qui célébra la première messe fut frère Federico.

Extrait de l’historique de la communauté (traduction libre) signé par la coordination de l’association d’Arimum.

La réorganisation « communautaire » de l’espace

L’Eglise catholique, grâce à l’appui de relais locaux (notamment des commerçants) contribua partiellement à la sédentarisation et au regroupement des populations riveraines en justifiant moralement le regroupement de la zone de peuplement, jusqu’ici éparse, autour d’une CEB et d’un ensemble d’infrastructures réputées collectives (salle communale, église, école). La formation d’un village à partir d’une idéologie moderne modifiait sensiblement l’approche du territoire et la conception de l’espace, puisque les familles issues de groupes résidentiels distincts (et jusque-là autonomes) étaient désormais destinées à vivre côte à côte sur un lopin de terre réputé « communautaire ». Ces groupes n’en continuaient pas moins à occuper leur territoire d’origine (les pointes et les criques transmises de génération en

110 génération), où se trouvaient leurs plantations de manioc. Aujourd’hui encore, les familles passent la semaine dans le tapirizinho, situé près des jardins, et le week-end dans leur maison, au village (sans doute est-ce pour cette raison que les enfants scolarisés habitaient chez le commerçant, dans la vila). La première de ces habitations, celle pourtant où les riverains passent le plus de temps (dans les abattis), n’est plus une maison mais un tapirizinho (notons l’utilisation d’un terme en nheengatu d’origine indigène), à l’inverse de celle qui se trouve dans la vila, où ils ne passent que le week-end.

Une hiérarchisation s’est alors opérée entre la vila, regroupement villageois nouvellement créé, et les centres, c’est-à-dire les territoires des groupes résidentiels où se trouvent encore aujourd’hui leurs espaces de production. Tout oppose ces espaces, à commencer par l’existence ou non d’une chapelle. Des couples antinomiques caractérisent la vila et le centre, tels que centralisé/dispersé, collectif/individuel, habitation/lieu de travail, éducation/ignorance, propre/sale (la forêt est un lieu sauvage qu’il faut dompter en la déboisant, la « nettoyant »), jusqu’à des conceptions essencialistes telles que moderne/arriéré, et même, civilisé/sauvage. La moralisation des concepts associés à l’idée de communauté n’est pas étrangère à son origine religieuse et teintée de prosélytisme. D’ailleurs, l’initiative communautaire est souvent attribuée à un individu sábio du dehors qui s’est installé de façon durable dans le paysage local. La formation communautaire impose dès ses débuts une reclassification sociale et une évaluation morale de l’espace et de ses occupants. Cette hiérarchisation transparaît dans le processus de nomination des nouvelles communautés : souvent, les toponymes anciens sont des noms en nheengatu qui faisaient référence aux ressources naturelles du lieu, ou dont la signification s’est perdue. Une partie des villages remplacèrent ces appellations issues du passé par des noms « modernes » : par exemple, Uxícara (du nom de deux fruits que l’on trouve en abondance dans ce lieu) devint Vila Brasil (« le district du Brésil ») mais le plus souvent, le village recevait, avec l’encouragement des religieux, le nom de son saint patron : par exemple, le lieu-dit Garimpo fut transformé en « communauté Nsa Sra de Fátima ».

Changer de communauté, en créer de nouvelles

 Un principe de participation

Les « communautés » devinrent une unité régionale de référence pour les institutions publiques et l’Eglise. Pour ces acteurs externes, l’espace géographique de la « communauté », représentée par la vila, comprenait l’ensemble des terres des groupes résidentiels qui y

111 participaient (c’est-à-dire la vila plus les centres). La communauté venait se superposer à une répartition territoriale préexistante (celle des groupes résidentiels, cf. chap. 4) et ne fonctionnait pas comme une circonscription préétablie, mais en fonction de l’adhésion des familles à un groupe spirituel c’est-à-dire de leur participation aux activités religieuses et de l’observation de règles de conduite édictées par les dirigeants communautaires (qui pouvaient être issus d’autres groupes résidentiels) : pour ces raisons, ses frontières étaient mobiles au gré

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