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Les « fratries-résidentielles »

Dans le document Rivalités Riveraines (Page 183-200)

Organisation socio-territoriale

4.3 Les « fratries-résidentielles »

Nous venons de voir que le territoire est divisé en lieux-dits répartis de façon inégalitaire entre des groupes résidentiels formés de parents (descendants du fondateur du territoire) et d’alliés. Nous allons voir dans cette section les logiques sociologiques à l’œuvre dans la perpétuation et l’organisation des groupes résidentiels. Pour les décrire, je proposerai le concept de fratrie-résidentielle, puisqu’il s’agit de plusieurs générations de germains ainsi que de leurs conjoints, qui se partagent un territoire définit. Il s’agira de comprendre qui, parmi les germains, peut prétendre s’installer, avec son conjoint, sur le territoire familial, c’est-à-dire qui « est de la famille » au sens où l’entendent les riverains de l’Arapiuns. Ensuite, j’analyserai les tractations matrimoniales et proposerai un modèle explicatif de la parenté et de la transmission dans l’Arapiuns.

Qui peut créer son groupe domestique sur le territoire du groupe résidentiel ?

 « Être de la famille » dans l’Arapiuns

Pour « être de la famille » dont découle un droit de jouissance du sol, il faut cumuler deux critères : d’une part, être descendant du desbravador ou fondateur initial du territoire ; d’autre part, avoir été élevé par ses parents (biologiques ou adoptifs) sur ce territoire. La naissance sur les lieux peut être un argument mais elle n’est pas suffisante114.

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Être né dans un lieu spécifique (et y avoir son cordon ombilical enterré) est souvent invoqué comme argument pour légitimer une occupation (souvent) illégitime. Cet argument a ainsi été actionné par Antônio qui, en plus

184 Ainsi, lorsque Soldado s’installa avec sa femme Samira, dans la crique du São João, les cousins germains de cette dernière les délogèrent sous prétexte qu’ils « n’étaient pas de la famille » (des Taglia). Pourtant, ils étaient parents puisqu’ils possédaient un aïeul commun : le grand-père paternel, fondateur du lieu-dit Camuci (Virginio Taglia). Or, dans ce cas, la parenté biologique de Samira n’était pas pertinente pour lui garantir un droit sur ces terres. En effet, Samira était la fille d’un des fils de Virginio. Or, sur les sept fils, une partie quitta le Camuci pour s’installer définitivement le long de l’Arapiuns. Ce fut le cas de son père et de celui de son cousin germain Juno (fils d’Orlano Taglia) qui vit aujourd’hui à Vila Brasil. La famille de ce dernier s’installa au lieu-dit Santana, un centre de l’actuelle communauté Coroca, sur les terres du mari de la sœur de sa mère. Les enfants nés de ces unions grandirent loin du Camuci et ne sont pas aujourd’hui considérés comme « étant de la famille »115 par leurs cousins du Camuci (principalement les enfants de Geovane). A l’inverse, les descendants de Geovane Taglia ont tous été élevés (à défaut d’y être nés) entre le Camuci, la Pointe du Sarará et Itacomini, d’où était originaire la famille (cf. la généalogie des Taglia en annexe G). Ce sont eux les actuels « maîtres » des lieux.

 La « fratrie-résidentielle »: une concurrence entre germains Définition de la fratrie-résidentielle

Faire partie de la famille est une condition sine qua non pour former un nouveau groupe domestique sur le territoire du groupe résidentiel. Or, tous les germains qui font partie de la famille n’ont pas un accès égal. En effet, l’octroi d’un lopin de terre dépend du bon vouloir des parents. Nous avons vu que le père ou le beau-père cède, s’il le souhaite, et au bout d’un certain nombre d’années de co-résidence au sein de son groupe domestique, un terrain à son fils ou son gendre.

Dans la pratique, on observe huit situations possibles (qui figurent en gras) : 1- le père cède un lopin de terre à son fils

2- le père ne cède pas de lopin de terre à son fils …

2-a- le beau-père cède un lopin de terre à son gendre 2-b- le beau-père ne cède pas de lopin de terre à son gendre … 2-b-1- le gendre trouve une « terre libre » et s’y installe

d’être le « fils adoptif » de l’occupant précédent, aurait son cordon ombilical enterré sur la pointe du Sarará, ce qui justifie, selon lui, le lien qu’il possède avec Arimum et son « droit » d’y établir sa résidence.

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Boyer (2014: 543) relève le cas de familles rurales de l’Acre se disputant la terre : les enfants ayant quitté la terre natale (notamment pour étudier en ville) ne sont plus considérés comme des héritiers légitimes par leurs parents restés sur place. Cf. chapitre 12 de cette thèse où un cas similaire est développé.

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2-b-2- le gendre se fait céder un lopin de terre 2-b-3- le gendre n’accède à aucune terre …

2-b-3-a- le gendre devient l’agrégat d’un de ses germains

2-b-3-b- le gendre devient l’agrégat d’un germain de son épouse 2-b-3-c- le gendre s’approprie de la terre illégitimement

2-b-3-d- le gendre part vivre en ville

À ces huit configurations s’ajoute les terres achetées, souvent par des personnes externes.

Tableau 4: Situation territoriale des unités domestiques d’Arimum et de Garimpo

1 père>fils 2a père>gendre 2b1 terre libre 2b2 donation 2b3a agrégat germain H 2b3b agrégat germain F 2b3c illégitime 2b3d part en ville Acheté

ARIMUM (37 unités domestiques)116

14 8 - 1 5 4 3 (2)* 2

GARIMPO (18 unités domestiques)

5 8 - 1 1 2 - - 1

* correspond aux deux unités domestiques de l’Antonella-zada (absentes d’Arimum).

En général, lorsque les enfants sont nombreux, un petit nombre de descendants reçoit un terrain. Les autres sont évincés. A chaque génération, les germains sont mis en concurrence pour la transmission. La relation sociale pertinente pour appréhender les enjeux sociologiques de ce système est la germanité. Plusieurs générations de fratries (donc par extension cela inclut les cousins dès la troisième génération) se disputent la permanence sur la terre de leurs ascendants.

Sont donc membres du groupe résidentiel (1) les germains (2) mariés (3) qui « sont de la famille » et dont (4) la résidence et les essarts se trouvent sur le territoire du groupe. C’est donc la résidentialité et non la seule filiation qui conditionne l’appartenance au groupe et aux droits territoriaux. La terre est transmise aux enfants qui restent vivre près de leurs parents. Ceci m’amène à proposer le terme de fratrie-résidentielle en lieu et place de celui de groupe résidentiel. Il désigne donc un groupe formé de plusieurs générations de germains entretenant une relation de « maîtrise » sur un territoire circonscrit (initialement délimité par un ascendant commun), reconnue et « respectée » par les groupes résidentiels voisins. Plusieurs strates de cousins y cohabitent donc.

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Les groupes domestiques du Sarará et du Camuci (de la Taglia-zada) ne sont pas comptabilisés ici, car ils participent à la « communauté » Santa Luzia.

186 Egalité de principe et inégalité de fait : les germains dés-apparentés et déshérités

Il existe une égalité de principe entre les germains pour l’accès à une parcelle en vertu de la filiation bilatérale. Or, j’ai observé qu’environ 5 à 11 enfants par foyer atteignent l’âge adulte. Une administration raisonnée de la démographie devient cruciale pour assurer à chacun un accès aux ressources suffisant pour vivre et éviter les divisions politiques et les segmentations territoriales qui s’en suivraient. Des mécanismes sont mis en œuvre afin de favoriser la permanence des descendants sur le territoire familial tout en préservant son unité. Il s’en suit une inégalité de fait pour l’accès à une terre. Dans la pratique, on peut faire trois constats : 1) les conjoints – presque toujours issus d’autres fratries-résidentielles – sont apparentés ; 2) une partie des descendants de la famille sont dés-apparentés ; 3) une partie des descendants de la famille restent apparentés mais sont déshérités.

Dans l’exemple de Samira, le frère ou la sœur qui part vivre définitivement sur les terres de la fratrie-résidentielle de son conjoint est ainsi dés-apparenté ; il ne fait plus « partie de la famille » et perd (ainsi que ses enfants) le droit sur la terre de ses parents. Cette situation fréquente est encouragée par les propres parents (chap. 6). Par dés-apparenté j’entends donc qu’il ne fait plus partie du bloc politique, en revanche, il continue à être perçu comme un parent et peut à ce titre maintenir des relations amicales voire économiques avec ses germains. Par ailleurs, les enfants célibataires sont déshérités ; ils continuent à vivre dans la maison de leurs parents et à cultiver les essarts de ces derniers, peu importe leur âge. Après le décès des parents, ils intègrent le groupe domestique d’un germain resté sur le terrain familial.

Nous avons donc deux types de dynamiques : (1) l’héritage est subordonné à l’alliance : il exclut les célibataires; et (2) la parenté (entendue comme un ensemble de droits et de devoirs politico-fonciers) est subordonnée à l’héritage : elle est refusée aux germains dés-apparentés. Pour le reste, les parents ont tendance à choisir les enfants qui hériteront la terre. Certaines fratries-résidentielles semblent favoriser une transmission plutôt uxorilocale (fratries d’agriculteurs : Jacqueline, Elisabete, Maria Eduarda), et d’autres plutôt virilocale (fratries d’éleveurs de bétail, originaires du Lago Grande : Taglia, Otávio). Il est difficile de généraliser et les choix sont liés au stade de développement du groupe domestique et de la fratrie-résidentielle. Les laissés-pour-compte de cette répartition ont tendance à devenir des agrégats de leurs germains (de 50 à 80%, cf. Tableau 4 et Tableau 5), ce qui équivaut à une hiérarchisation de fait entre germains, une source latente de conflits (chap. 6).

187  la fratrie-résidentielle : un groupe uni vis-à-vis de l’extérieur

L’alliance politique de principe : la « -zada »

L’idée de fratrie-résidentielle repose sur deux principes : l’appartenance de ses membres à une filiation spécifique (incarnée dans la figure du fondateur) et leur occupation spatiale d’un espace circonscrit. Il s’agit d’un patrimoine (foncier et symbolique) commun mais non collectif. En effet, la fratrie est composée de plusieurs groupes domestiques liés par la filiation, la germanité ou le cousinage, chacun étant seul responsable et « maître » de son habitation et de ses plantations (selon le principe de néo-localité).

Cependant, l’autonomie économique et résidentielle de ces groupes domestiques est relative, puisqu’elle se réalise à l’intérieur d’un réseau intrafamilial (entre ceux qui « sont de la famille ») et donc est soumise aux intérêts du groupe. Ainsi, la fratrie-résidentielle s’appuie sur une solidarité de principe entre ses composantes lorsqu’il s’agit de défendre des intérêts communs, c’est-à-dire de prendre position sur des questions territoriales, de prestige, et « communautaire » (politiques). Selon les enjeux, les villageois parlent en leur nom propre ou en tant que collectif.

Lorsqu’un différend survient entre un groupe domestique et les autres composantes de la fratrie-résidentielle, le premier préférera s’éloigner un temps pour éviter l’affrontement. La migration temporaire est un mécanisme de résolution pacifique des conflits très fréquemment utilisé. Il devra prendre garde à ne pas être considéré comme définitivement parti pour ne pas être dés-apparenté. En général, il viendra régulièrement visiter son terrain ou y installera un proche pour s’en occuper (comme par exemple dans le cas des Sucuri qui avaient laissé Idelfonso sur la pointe de la Boca après leur départ pour Uxícara).

Cette exigence de cohésion politique est étendue aux agrégats de la fratrie-résidentielle. Nous avons vu que Marília était agrégat dans le groupe résidentiel du Macaco (où était mariée sa sœur), puis qu’elle s’est tournée auprès du groupe résidentiel de Soldado (où résidait une autre sœur). Ce type de rapprochement peut être lu comme un changement d’allégeance politique d’une fratrie-résidentielle à une autre.

L’idée d’un corps uni de parents et alliés faisant bloc autour de positions politiques est exprimée par l’emploi du suffixe « -zada », accolé au nom de référence du groupe. Ainsi, la Taglia-zada désigne l’ensemble des ayant-droits et dépendants de la fratrie-résidentielle Taglia unis dans la défense d’une position politique conjointe.

188 Le territoire de la fratrie-résidentielle

En général, les territoires des fratries-résidentielles possèdent des toponymes et sont localisés sur des points saillants du paysage. Ainsi, tout autour du lac d’Arimum il est possible d’énumérer les lieux-dits suivants:

Fratrie-résidentielle Toponyme

Taglia-zada………. Crique (enseada) de São João Pointe (ponta) du Sarará Lac (lago) du Camuci

Maria Eduarda-zada... Crique de formateur (cabeceira) du Sepetú Jacqueline-zada... Pointe du Macaco

Elisabete-zada... Crique de formateur du Mangal

Otávio-zada……….... Savane (campos de natureza) du Macaquinho Tapajó-zada……… Centre forestier (centro) Garimpo

Sucuri-zada………. Pointe de la Boca [du lac d’Arimum]

A ces lieux-dits s’ajoutent les terrains des familles arrivées plus récemment (et ayant formé de nouvelles fratries-résidentielles suite à la cession de fractions des territoires précités). Les derniers furent baptisés, mais ils sont malgré tout toujours référés aux premiers :

Fratries-résidentielles Toponymie Localisation du terrain Soldado-zada………... Fazenda dos 3 irmãos..

Centro do Soldado...

Crique de formateur proche du Mangal Centre d’Arimum

Raymundo-zada………. Vista Alegre………… Crique de formateur entre le Mangal et le Macaco Antonella-zada……….. Pointe du Galo [coq]... Crique de formateur proche du Mangal

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Les alliances sur trois générations formées à Arimum et Garimpo

Ici comme ailleurs, les questions de transmission de la terre sont donc au cœur des stratégies d’alliance. En dépendent : 1) la disponibilité de terres où travailler pour la pérennité du groupe domestique ; 2) une union politique de principe autour (3) d’un patrimoine commun.

Une alliance non-stratégique entraîne à l’inverse (1) une condition d’agrégat, donc de dépendance sociale semi-servile et d’un poids politique nul ; donc (2) des migrations fréquentes et (3) une difficulté pour valoriser les enfants sur le marché matrimonial, provoquant à terme une dispersion des membres du groupe résidentiel.

 L’univers symbolique et discursif des transactions matrimoniales

Dans l’Arapiuns, l’univers symbolique et discursif dans lequel se déroulent les transactions matrimoniales obéit à un principe de stricte exogamie : en principe, on ne se marie pas au sein de sa propre fratrie-résidentielle et on évite même les voisins trop proches géographiquement. Dans la pratique en revanche, les mariages entre cousins existent, même si, à Arimum et Garimpo, ils étaient plutôt rares et toujours critiqués moralement. Les pratiques et discours actuels sur l’exogamie sont forgés en opposition à une temporalité antérieure (située deux à trois générations en arrière) pendant laquelle les cellules familiales étaient marquées par une plus grande fluidité, la circulation des hommes et des pratiques polygames souvent présentées comme incestueuses.

Circulation des conjoints et « arrangements » familiaux

Jusqu’aux années 1970, seuls les couples issues de « bonnes » familles étaient mariés par un prêtre. Il ressort des récits que les structures familiales qui sortaient de ce cadre présentaient une certaine fluidité. Les hommes circulaient d’une femme à l’autre, et celles-ci sont souvent présentées comme des figures stables, ancrée dans un territoire. Les anecdotes de tromperie amoureuse (de la part des hommes comme des femmes) sont monnaies courante et peuvent intégrer des détails sur des pratiques polygyniques (souvent sororales).

Dans un récit, un homme est présenté comme entretenant une liaison extraconjugale avec la sœur cadette de sa compagne, c’est-à-dire un inceste du deuxième type (Héritier, 1994). L’enfant éventuellement né de cette union était « donné » à l’épouse officielle qui l’élevait comme son propre enfant.

190 Un autre fait-divers relate avec une pointe d’ironie comment un homme obtenait les faveurs sexuelles de la fille de son épouse et des sœurs de celle-ci avec, en prime, son consentement. En effet, comme il savait lire, m’a-t-on dit, il pouvait « prétendre lire le journal et annoncer les nouvelles lois du pays », comme celle qui l’autorise à avoir des relations sexuelles avec les sœurs et avec la fille de sa compagne (dont il n’était pas le père). L’homme en question était d’ailleurs connu localement par le surnom « Manuer três paus » (Manuer aux trois triques), en référence à ses exploits sexuels.

Une troisième fait état d’une pratique de polyandrie, comme le cas de Maria Eduarda qui vivait de manière stable avec « deux oncles » – ses conjoints – dans le Sepetú, et avec lesquels elle alla fonder un nouveau hameau dans un centre d’Uxícara (chap. 3). Aucun de ces hommes n’était le père de ses deux enfants.

Figure 40: unions pratiqués par la génération N0 (des fondateurs) d’après les récits

1 - polygynie sororale 3 – alliance fille de la femme 2 - polyandrie

Ainsi, à l’époque antérieure à la formation des « communautés » (l’époque des fondateurs), la majorité des couples n’étaient pas unis par les liens du mariage. Des arrangements de toutes sortes traversent les reconstitutions généalogiques. Il est cependant possible de distinguer de grandes tendances. Les couples mariés, souvent issus de villages davantage peuplés où se trouvaient une église et un curé (dans le Lago Grande, à Vila Franca), avaient une progéniture plus nombreuse que les cellules familiales plus lâches, telles que décrites précédemment. De cette façon, des femmes comme Maria Eduarda, Jacqueline et même Edna Tapajós, n’avaient que deux à quatre enfants. Elles n’avaient pas de « structure familiale » mais étaient des figures stables et ancrées dans un lieu-dit : le Sepetú, le Macaco et Garimpo. A l’inverse, les familles issues du Lago Grande, comme celle des Taglia, avaient jusqu’à une dizaine d’enfants. Sans doute la moralisation catholique de la vie conjugale, systématisée suite à la formation des « communautés » et à la catéchisation de masse des populations riveraines (depuis les années 1970), à laquelle s’ajoutent les progrès sanitaires, ont favorisé l’expansion démographique telle qu’on la connaît actuellement (exponentielle).

191 Néanmoins, certaines fratries-résidentielles maintiennent une gestion raisonnée des naissances. A Garimpo, par exemple, les « maîtres des lieux » sont les familles qui ont le moins d’enfants (au maximum quatre). En revanche, les familles plus fragiles, dans une situation de dépendance sociale (agrégats) ont tendance à avoir beaucoup d’enfants.

Les histoires ci-dessus (polygynie sororale, polyandrie, inceste) viennent contredire le principe de stricte exogamie mentionné précédemment. En effet, nous avons vu que parfois ces couples étaient relativement stables. Ces situations frisent l’inceste et sont d’ailleurs conçues comme telles localement. C’est sans doute la raison pour laquelle l’identité des parents biologique des enfants est toujours connue de tous, donc révélée, même lorsqu’il s’agit du fruit d’une liaison extraconjugale. De cette façon, des individus possédant des liens de parenté biologique peuvent se considérer comme des parents. L’exemple qui suit en est une bonne illustration : Maria Eduarda avait eu deux enfants dont le père n’était aucun de ses deux compagnons. Il s’agissait d’Orlano Taglia, fils du fondateur du Camuci. Dès lors, les deux enfants de Maria Eduarda – Juliana et son frère – étaient les cousins germains de Samira (épouse de Soldado) et des enfants de Cícero (premier prétendant de Zezé), le fils de Geovane Taglia. Le récit suivant est la restitution d’un dialogue entre Juliana et sa belle-fille (épouse de son fils) :

« Je lui ai demandé comme ça, « qui était son père », à Dona Juliana. Elle a dit que son père, c’était Orlano. Il était de la famille des Taglia. Donc elle était de cette famille-là, des Taglia. Elle, et son frère, les deux enfants de Maria Eduarda. Sauf que les Taglia n’ont jamais voulu reconnaître ces deux enfants. […] Ils ne leur ont jamais donné leur nom […]. Mais aujourd’hui, leurs enfants considèrent mon mari comme un de leurs parents […] Dona Nilda, la fille du défunt Cícero, elle l’appelle « tonton ». Par contre, Enzo, qui habite sur la pointe du Caporal (ponta do cabo), il devrait être le cousin de mon mari, mais il ne le considère pas comme tel. Tout ça parce qu’il a déjà quelque chose en plus [rires]. Donc il croit qu’il n’est pas de la même famille. Il se croit supérieur. Les gens se croient supérieurs dès qu’ils ont un petit quelque chose en plus, tu vois. Il a du bétail, il a une plus belle maison, il a une vie meilleure. Il se croit déjà supérieur à celui qui a une vie un peu plus au ralenti […]. Par contre, Basílo, Nilda, Clenilda, Maria, le défunt Jacaré comme on l’appelait, ils le considèrent tous comme un parent. Feu Cícero, leur père, ahhh, il venait beaucoup à la maison, il s’entendait très bien avec nous. Par contre le père de l’autre-là, du Caporal et des autres [du Camuci] […] c’était autre chose.

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