• Aucun résultat trouvé

Histoires d’ensorcelés

Dans le document Rivalités Riveraines (Page 121-141)

123

Interlude

Histoires d’ensorcelés

Ce chapitre, conçu comme un interlude, consiste à restituer un résumé des récits d’individus ensorcelés ou accusés de sorcellerie, et de certains de leurs proches. Les quatre histoires sélectionnées – « une machine à coudre pour un mariage », la « crapaude », le « cerf encorné » et le « décès d’Andrelino » – dialoguent entre elles et couvrent un horizon temporel qui commence dans les années 1930, mettant en scène les primo-habitants d’Arimum, puis se poursuit dans les années 1970, à l’époque de la création du village d’Arimum, et se prolonge jusqu’à l’époque où je résidais dans ce village (2011 et 2012). Tous ces épisodes seront analysés dans les chapitres à venir. La présentation en bloc de ces récits, dans une mini-partie indépendante et libre de toute interprétation, permet d’en percevoir la cohérence d’ensemble, ainsi que la chronologie et la spatialité. Cet agencement est le résultat d’un travail d’analyse et de reconstitution temporelle des évènements mentionnés, résultant du croisement de récits et d’anecdotes ainsi que de mes observations. Les récits originaux sont tous transcrits dans l’annexe E à laquelle je renvoie le lecteur.

La première histoire, « un mariage contre une machine à coudre », est la plus ancienne chronologiquement. Elle met en scène Cícero, le père de Violeta qui est une femme accusée de sorcellerie que l’on retrouve, une génération plus tard, dans les récits 2 (« la crapaude » et 4 (« décès d’Andrelino »). Elle montre comment pouvaient être réalisées les négociations entre les parents et leurs enfants au sujet des alliances matrimoniales (chap. 4).

Les deux histoires suivantes (la « crapaude » et le « cerf encorné ») font état de plusieurs épisodes sorcellaires qui débouchent sur des crises de sorcellerie (chap. 9) et la migration des individus désignés comme coupables. Elles sont des exemples de la façon dont s’opère une partie des processus migratoires de familles nucléaires le long de la rivière. Les

124 accusations de sorcellerie sont une raison fréquemment invoquée pour expliquer la trajectoire migratoire des riverains de l’Arapiuns, mais également du bas-Tapajós66 (chap. 9). Ces récits balisent alors certains lieux (occupés par le passé ou dans le présent), fournissant de véritables cartes mentales pour penser les relations d’interconnaissance et un territoire pertinent (d’action potentielle) pour le narrateur. Les personnages et les lieux des récits se croisent et peuvent former un maillon commun dans des chaînes distinctes d’évènements passés. Ainsi, les intrigues sorcellaires (conçues comme des évènements qui se succèdent dans le temps et reliés entre eux par un lien de causalité dont l’origine remonte à une agression sorcellaire initiale) forment un réseau d’histoires. L’histoire de « la crapaude » donne un exemple de la façon dont peut être réalisé le recrutement d’alliés lors de la création de groupes factionnels lorsque le village est divisé sur un sujet (chap. 10, 11). Celle du « cerf encorné » insiste sur les disputes intrafamiliales entre germains pour l’accès à l’héritage (chap. 6).

La quatrième histoire (« décès d’Andrelino ») est un épisode récent des divers rebondissements de la crise de sorcellerie de la « crapaude ». Il ne déboucha pas sur une nouvelle crise mais met en exergue les logiques factionnelles qui prévalent à l’élaboration des diagnostics sorcellaires. Finalement, l’étude séquentielle et chronologique de ces récits permet de retracer l’histoire du peuplement et illustrer les logiques factionnelles au sein des villages. Elle fait apparaître le rôle des réseaux et groupes d’interconnaissance (religieux, familial, résidentiel, économique) dans les stratégies de positionnement des différents acteurs en faveur de l’un ou l’autre diagnostic et/ou faction (chap. 10, 11, 12).

A Un mariage contre une machine à coudre (années 1930)

Cf. Annexe E, récit n° 1

Le mariage avorté de Zezé et Cícero : le père du jeune homme n’est pas d’accord

Au début des années 1930, le lac d’Arimum était peu peuplé par deux familles. D’un côté du lac, dans la crique du Mangal, résidait le groupe résidentiel de Dona Elisabete. De l’autre, au bord du Camuci, demeurait le patriarche Taglia et ses fils adolescents. C’est alors qu’une famille originaire du lieu-dit Nazaré, plus en amont de l’Arapiuns, arriva dans les parages et demanda l’autorisation pour s’installer sur un cap formant l’entrée du lac d’Arimum et appelé boca do lago. Il s’agissait d’un couple et de ses sept enfants, six garçons

66

A ma connaissance, aucune enquête n’a été spécifiquement dédiée à ce thème. Pour la région, la relation entre processus migratoire et accusation sorcellaire a été recensée par Heloisa R. Almeida (Funai, 2001 : 16), lors des travaux d’identification et de recensement, réalisés auprès des Indiens Mundurucu du haut et moyen-Tapajós.

125 et une fille, Zezé (actuellement 93 ans, habite à Vila Brasil). L’adolescente, nouvelle dans les parages, ne tarda pas à attirer la convoitise des jeunes hommes célibataires des environs, d’autant plus qu’elle fréquentait les fêtes dansantes.

Dès les débuts, Zezé et un fils de Taglia, appelé Cícero, s’éprirent l’un de l’autre. A l’époque, l’investisseur nord-amérincain Henri Ford avait inauguré, en 1934, une ville ouvrière à Belterra (bas-Tapajós) spécialisée dans la production de caoutchouc. Le jeune Cícero y travaillait afin d’amasser un petit pécule. Lorsqu’il rentrait voir ses proches dans le Camuci, Zezé et ses parents l’attendaient pour l’aider à décharger ses bagages (peut-être pour gagner de l’argent, ou parce que les parents de la jeune fille approuvaient l’union). Alors que la jeune fille s’affairait devant l’embarcation, un serpent la mordit au pied. La plaie était purulente et saignait abondamment. On envoya chercher le guérisseur Gonçalo. D’après Zezé, il s’agissait d’un Indien car il parlait le portugais « tout tordu » (avec un fort accent). Ce dernier examina la blessure et déclara qu’il s’agissait d’un serpent « envoyé » par Taglia : le père de Cícero qui était contre cette union et lui avait envoyé un sort.

Personne ne pensa plus au diagnostic de l’Indien. Environ un mois plus tard, Zezé accompagnait son père à Santarém, où il était allé vendre et acheter des produits. Après tout ce temps, la blessure faisait encore souffrir la jeune fille qui se déplaçait en boitant. En arrivant au magasin, près du port, le propriétaire de l’enseigne apostropha le père de la jeune fille : « Cardoso, cette jeune fille est ta fille ? ». Le père répondit par l’affirmative. « Jeune fille, tu me donne une boucle de tes cheveux ? ». Zezé avait le phénotype des grands blonds aux cheveux clairs. Le père intervint en réfutant la demande de l’homme : elle devait s’en méfier car, d’après lui, il s’agissait d’un « macumbeiro », c’est-à-dire un sorcier. Alors, l’homme se pencha sur la blessure de Zezé et déclara : « Et elle va l’épouser, ce jeune homme ? […] Si tu veux encore voir ta fille vivante, ne la laisse pas se marier avec lui ! ». Le père du prétendant de Zezé était fâché car son fils ne lui avait pas demandé l’autorisation pour convoler (et sans doute espérait-il un meilleur parti pour son fils, comme une fille du Lago Grande). Ce second avertissement qui venait confirmer les dires du guérisseur de l’Arapiuns (Gonçalo) fut pris au sérieux par le père de la jeune fille. Six mois plus tard, lorsque Cícero arriva de Belterra, le père de Zezé renvoya le jeune homme et lui interdit d’épouser sa fille. Suite à ce refus, Cícero se maria avec Célia, une fille du Lago Grande, comme le souhaitait son père.

126 Figure 29: Histoire « un mariage contre une machine à coudre »

MANGAL (Arimum) centre Uxicara (Vila Brasil) CAMUCI (Arimum) BOCA (Arimum) D. Elisabete Taglia Cícero Cardoso Zezé Célia Violeta 1 2 1 2 B C D A ensorcellement centre

groupe résidentiel ensorcelé spécialiste rituel

127

Mariage de Zezé et ensorcellement du nouveau mari par une prétendante rivale

A la même période, les parents de Zezé l’encouragèrent à se marier avec un autre jeune homme originaire d’un centre d’Uxícara. Le garçon lui faisait la cour mais la jeune fille ne l’aimait guère car « il était bagarreur et coureur de jupons », d’ailleurs, il entretenait une liaison avec la fille d’Elisabete (du Mangal, à Arimum). Pour la convaincre, sa mère lui promit qu’elle lui donnerait une machine à coudre après son mariage. Zezé épousa Jorge et le couple s’installa dans le groupe résidentiel des parents du jeune homme, à Uxícara. Les parents de la jeune mariée et leurs fils célibataires quittèrent Arimum et s’installèrent auprès de leur gendre. En effet, entre Taglia qui avait ensorcelé leur fille et Elisabete qui voyait d’un mauvais œil ce mariage, les relations de voisinage étaient devenues tendues à Arimum.

Après six mois de mariage, le mari de Zezé fut mordu par un serpent alors qu’il travaillait dans son centre. La blessure prit de telles proportions qu’il fallut l’emmener à l’hôpital de Santarém en bateau à voile (à l’époque, il n’y avait pas de bateau de ligne), où il fut amputé d’une jambe. Le guérisseur affirma qu’il s’agissait d’un sort, un serpent « envoyé » par Elisabete, la mère de son ancienne petite-amie du Mangal, qu’il avait délaissée pour épouser Zezé. Le jour où le jeune homme avait été mordu, il était à l’agonie et Dona Elisabete lui avait même apporté un peu de farine de manioc, en signe de coopération. Postérieurement, ce geste fut interprété comme une « dose » de sorcellerie supplémentaire qu’elle lui aurait administrée.

B La « crapaude » et les « malinados » d’Arimum (années 1970)

Cf. Annexe E, récits n°2 à 9 et 11 à 21

Décédés pour avoir offensé la « mère » du ruisseau

Au milieu des années 1970, quatre jeunes hommes célibataires du village d’Arimum rentraient chez eux après une journée de labeur dans l’abattis d’Andrelino. Le groupe était constitué d’un fils du guérisseur Mestre Espelho, d’un fils du guérisseur Soldado, d’un fils de l’épouse de Soldado, et d’Arnaldo, fils de Dona Antonella. Ils avaient bu67 et étaient dans un état d’ébriété passablement avancé, lorsqu’au bord du ruisseau qui traverse Garimpo, ils rencontrèrent une grosse « crapaude » (uma sapa deste tamanho)68. Pour plaisanter, ils enivrèrent l’animal avec de l’alcool de canne. En arrivant chez eux, vers 17 heures, ils

67

En général, les travaux collectifs de type puxirum sont effectués à grand renfort de boissons alcoolisées.

68

Le terme, utilisé au féminin, est un néologisme qui fait référence à la femelle du crapaud. En effet, les villageois considèrent qu’il s’agit d’une femme enchantée (partie 2, chap. 2), prenant la forme de cet amphibien.

128 souffraient tous de migraine et avaient de la fièvre. Trois d’entre eux, les fils des guérisseurs Mestre Espelho et Soldado, décédèrent dans les jours qui suivirent69. Arnaldo (fils d’Antonella) guérit après qu’un autre guérisseur de l’amont, Mestre Anacleto, appelé à la rescousse, eut réalisé une séance de pajelança (rituel chamanique métis, cf. Maués, 1995). Selon le guérisseur, l’agent pathogène avait été envoyé par la « mère du ruisseau » pour les courroucer. Celle-ci n’était autre que cette grosse crapaude que les jeunes gens avaient maltraitée. Ce diagnostic mettait en cause une des entités subaquatiques peuplant le territoire du groupe. Il rappelait également que les riverains doivent respecter certains animaux susceptibles d’être les « véritables maîtres » des lieux saillants, comme ce ruisseau (chap. 5). Les adolescents n’auraient pas dû importuner sans raison un être dont ils ne connaissaient rien. Cette explication « cosmologique » fut amplement relayée, au point que la Rádio Rural de Santarém émette sur les ondes une nouvelle sur les « malinados »70 d’Arimum.

Le contre-diagnostic des parents des défunts : il s’agit d’un sort

Les pères des trois victimes, tous deux guérisseurs, se réunirent et réalisèrent une pajelança pour découvrir la cause réelle du décès de leurs enfants. Pour eux, la crapaude n’était pas une entité subaquatique courroucée (la « mère du ruisseau ») mais bien un sort, envoyé par un villageois malveillant dans le but de les tuer. C’est Andrelino qui fut soupçonné, le « maître » du travail collectif auquel participaient les garçons.

Au fil des récits, on apprend qu’une jeune femme mariée, Violeta, la fille de Cícero Taglia (l’amant de Zezé dans l’histoire précédente), gérante d’une petite échoppe à Arimum et mère de quatre enfants, entretenait une liaison avec un fils de Mestre Espelho pendant l’absence prolongée de son mari, chercheur d’or à Curuatinga (une rivière entre le Tapajós et le Xingu). Elle était tombée enceinte et, à son retour, le mari se rendit compte que l’enfant n’était pas de lui. Avec la prolifération des ragots, Andrelino avait fini par se disputer frontalement avec le jeune homme.

Par ailleurs, Andrelino était justement le fils du guérisseur (Mestre Anacleto) qui avait soigné le quatrième malade (le fils d’Antonella). Les guérisseurs d’Arimum insinuaient que leur confrère de l’amont avait diagnostiqué une pathologie « cosmologique » pour couvrir son fils.

69

Dans l’Arapiuns, il est admis que les guérisseurs n’ont pas le pouvoir de guérir leurs proches (conjoint et progéniture).

70

« Malinado » fait référence à la victime d’un mauvais tour (une frayeur à la vue d’un engerado ; chap. 8 et 9), d’une pathologie envoyée par un être enchanté (chap. 5) ou d’un ensorcellement (chap. 7 et 8) ; cf. Maués, 2004.

129 Figure 30: La crise de « la crapaude »

CAMUCI (Arimum) SEPETU (Arimum) GARIMPO (Arimum) "BACABAL-zada" (Pianã) "SOLDADO-zada" (Arimum) "ANTONELLA-zada" (Arimum) Cícero Célia Violeta Andrelino

Mestre Anacleto Seu Ítalo D.Juliana D.Edna

M. Soldado tia Samira M. Espelho D.Cabocla Antonella Anélio D E F "CABOCLA-zada" I H agrégats Macaco G haut-Arapiuns Légende : personne ensorcelée

médiums (guérisseurs, sage-femme, etc.) accusation d’ensorcellement

130 Andrelino était originaire du haut-Arapiuns mais avait pris résidence à Arimum en 1973, où demeurait le groupe résidentiel de son épouse : la Taglia-zada. Auparavant, le couple vivait à Pianã, auprès de la parentèle du mari (la « Bacabal-zada ») puis il avait résolu de s’installer à Arimum, terre de l’épouse, où deux des frères d’Andrelino habitaient déjà. Ces derniers, Adriel71 et Adrino72, avaient épousé des filles issues de deux autres groupes-résidentiels, respectivement, le Sepetú et Garimpo. La mise en vente de sa maison par un vieil ami de la famille (Antônio Duarte) permit à Violeta et Andrelino de s’installer dans la vila d’Arimum. Il n’est pas très clair, dans les différents récits, si le couple Andrelino-Violeta reçut ou non un lopin de terre de la part des parents de la femme. Des indices laissent penser qu’ils travaillaient en partenariat avec un germain d’Andrelino (dans un jardin « en société »73): le ruisseau qu’il fallait franchir pour se rendre depuis la vila à leur abattis (où la « crapaude » fut rencontrée) se situe dans la crique du Sepetú, où l’un d’entre eux résidait, passage obligatoire pour se rendre à Garimpo, où l’autre était installé. Les alliés des frères d’Andrelino (membres du Sepetú et de Garimpo) firent bloc avec le couple accusé de sorcellerie, appuyant le diagnostic de leur guérisseur (Mestre Anacleto, père des trois hommes), souscrivant à la version du courroux de la mère du ruisseau.

Conflit entre le couple Andrelino-Violeta et la « Cabocla-zada »

Les deux interprétations sur les causes des décès circulaient dans les réseaux de commérage et se cristallisèrent autour de ces deux positions. Les tenants de l’hypothèse de l’ensorcellement (les membres de la « Cabocla-zada » [chap. 10], groupes résidentiels des défunts) commencèrent à accuser publiquement Violeta et Andrelino.

D’après le récit de Violeta, les mères des victimes (Dona Cabocla, épouse de Mestre Espelho et tia Samira, épouse de Mestre Soldado) « obligèrent » le couple à payer les frais inhérents aux enterrements, sous peine d’aller « porter plainte auprès de la police » (à Santarém). Or, Samira et Violeta étaient cousines et deux des défunts les neveux de l’accusée, ce qui rendait la situation tendue à l’extrême. Mestre Soldado menaçait : « Andrelino a mangé mes enfants mais il va me le payer ! ».

A partir de cet épisode, les relations entre le couple Violeta-Andrelino et les membres de la Cabocla-zada se dégradèrent au sein du village. Manquant aux règles locales de la

71

Dans le chapitre 9, nous verrons qu’Adriel est accusé de se transformer en engerado depuis un aveu d’inceste.

72

Dans le chapitre 9, ce personnage intervient comme chasseur dans l’anecdote sur l’engerado-sac de farine.

73

Coopération qui consiste à réaliser son jardin sur la terre de quelqu’un d’autre et de lui reverser, en guise de contribution une partie de la production.

131 bienséance (cf. chap. 9), les accusateurs commencèrent à les agresser verbalement et à les menacer ouvertement dans leurs interactions de face à face quotidiennes. Devant cette situation explosive, le président de la communauté de l’époque, Raymundo, tenta de calmer le jeu en effectuant une médiation entre les parties et en donnant l’air de vouloir défendre le couple sorcier.

Le président Raymundo tombe malade et Violeta est accusée par Mestre Soldado

Peu de temps après ces évènements, Raymundo tomba gravement malade. Violeta lui apporta de la farine de manioc en signe de coopération, ce qui lui valut d’être accusée postérieurement par Soldado (alors guérisseur officiel du village) de l’avoir ensorcelée (récit n°7). Raymundo décéda des suites de sa maladie au bout d’un an, période pendant laquelle il s’éloigna du village et s’installa avec ses proches à Santarém. Pendant l’absence de la famille, les porcs d’élevage s’enfuirent et envahirent les jardins voisins (qui appartenaient à Soldado et à Cabocla). Les propriétaires des jardins saccagés tuèrent et consommèrent les animaux pour compenser le préjudice. Lorsque la veuve de Raymundo retourna vivre à Arimum avec ses enfants, elle s’enquit de découvrir qui avait ensorcelé son mari et ses soupçons se portèrent sur Soldado. Depuis lors, les imputations sorcellaires mutuelles entre les enfants de Raymundo et les descendants de Cabocla et de Soldado forment une chaîne évènementielle exposée dans le chapitre 9. Un antagonisme larvé oppose encore aujourd’hui ces familles.

De leur côté, devant l’exposition continue à des violences, le couple Violeta et Andrelino choisit de s’éloigner. Ils achetèrent un terrain à Lago da Praia (qui, à l’époque, comptait environ 50 habitants) où une « communauté » (chap. 3) était en cours de formation et quittèrent Arimum. Le lopin de terre sur lequel ils s’installaient était une fraction d’un territoire plus ample qui appartenait à la Soriano-zada, une fratrie intialement issue de la Bacabal-zada, le groupe de Mestre Anacleto. Les Soriano étaient donc consins avec son fils Andrelino. L’acquisition faisait suite au divorce d’un couple de cet ensemble familial. En s’installant à Lago da Praia, Violeta et Andrelino restaient aussi à proximité du Camuci, la terre natale de Violeta, et s’assuraient l’appui politique de sa sœur, résidente dans ce village, après son mariage avec le premier président de la communauté Lago da Praia (récit n° 7).

L’accouchement difficile de Violeta : le sort est dans le cordon (récits n°7, 8, 9)

Violeta était enceinte du (défunt) fils de Mestre Espelho. Avant qu’elle ne quitte le village d’Arimum pour celui de Lago da Praia, pendant la phase de violence, elle avait refusé

132 de vendre à nouveau de l’alcool à crédit à Mestre Soldado, alors que celui-ci était déjà soûl et insistait pour revenir. D’après le récit de l’intéressée (n°7), il l’aurait alors ouvertement menacée de lui « jeter un sort dans le ventre », pour qu’elle et son enfant décèdent en couches. Le jour de l’accouchement, c’est Dona Célia, la mère de Violeta (une sage-femme originaire du Lago Grande, réputée pour les accouchements « difficiles »), qui l’assistait. Après plusieurs heures de labeur, l’enfant n’arrivait pas à naître. A cette époque, le père d’Andrelino séjournait chez son fils et on l’appela à la rescousse.

Après avoir réalisé son rituel, le guérisseur Mestre Anacleto déclara que le fœtus avait été ligoté dans le ventre de sa belle-fille suite à un sort. Le sorcier était Mestre Soldado et il convenait de le faire venir pour lui demander de défaire son maléfice, ce qui fut fait. Cette fois-ci, le sort était imputé non pas au scandale de « la crapaude », mais à un refus frontal de vendre de l’alcool. Pourtant, on voit bien la continuité entre ces histoires qui constituent un maillon supplémentaire dans une même chaîne d’accusations.

Finalement, l’accouchement eut lieu. La sage-femme trouva un coléoptère xylophage (« serra-pau ») dans le cordon ombilical. En argot, pau désigne le pénis : il s’agissait donc

Dans le document Rivalités Riveraines (Page 121-141)