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L’organisation des groupes résidentiels

Dans le document Rivalités Riveraines (Page 164-183)

Organisation socio-territoriale

4.2 L’organisation des groupes résidentiels

L’histoire du peuplement du lieu-dit Arimum et la façon dont elle est narrée par les habitants actuels des lieux permettent de poser les premiers jalons sur le fonctionnement et de l’organisation interne des groupes domestiques en tant qu’unités de production et de consommation mais également en tant que co-résidents sur un territoire spécifique. L’observation de ces populations par l’ethnologue et sa participation à leur vie quotidienne fut ce qui permit d’en compléter la compréhension. Le résultat de cette réflexion est livré ici, avec une attention particulière portée sur l’aspect diachronique des observations. L’objectif, malgré d’éventuelles maladresses, est de restituer la dynamique d’occupation des groupes domestiques101 « en cours » dans leur « cycle de développement » (development cycle) (Goody, 1958). Cet outil méthodologique est particulièrement pertinent dans les cas comme celui-ci où il est difficile de déceler statistiquement des règles d’alliance fixes dans le temps. Il s’est montré efficace pour l’étude de la famille riveraine de la várzea (Harris, 2000 ; Lima, 2004) et sera appliqué ici à la famille riveraine de terre ferme. J’étudierai dans cette section les formes de fission102 inhérentes au cycle de développement, c’est-à-dire à l’expansion démographique locale (les naissances) et au facteur temps (naissance de nouvelles familles et disparition d’autres).

Une analyse des groupes domestiques sur trois générations

Le groupe domestique consiste, dans l’Arapiuns, en une ou plusieurs maisonnées, constituées chacune d’un couple et de ses enfants non-mariés, interdépendantes dans l’accès

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Groupe d’individus partageant un foyer commun et dépendant d’une même source d’approvisionnement de nourriture. Goody (1958 : 56) fait remarquer que la co-résidence ne découle pas nécessairement du mariage et les groupes domestiques peuvent être composés de non-parents.

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165 aux abattis, la production et la consommation de nourriture. Il s’agit donc d’un ensemble de maisonnées de dépendants, vivant encore sous la tutelle parentale (ou filiale pour les anciens).

 Les unités de production Les activités productives

Le long de la rivière, la plupart des groupes domestiques vivent de la petite agriculture vivrière. Celle-ci consiste principalement en la culture du manioc, duquel sont tirés un ensemble de produits dérivés comme la farine (farinha), les galettes de manioc molles et sèches (beijú), le tapioca, le tucupi, un jus fermenté utilisé dans la confection du piment et pour la cuisson de certains mets, les gâteaux (carimã), le porridge (mingau) etc. Le manioc est l’aliment de base. Dans les essarts, on trouve également des cultigènes comme le potiron (jerimú), le haricot rouge (feijão), l’igname (cará), le riz, les patates douces, le gingembre (mangarataia) et le maïs (milho). Les plantations sont souvent éloignées de l’habitation principale, mais accessibles à pied en 15 à 30 minutes de marche. Devant la maison se trouve un jardinet (quintal) où sont plantés les arbres fruitiers (manguier, arbre à cajou, ananas, jutaízeiro, ingá, etc.), le manioc doux (macaxeira) et, en hauteur sur des tréteaux, les épices et condiments (petits oignons, herbes diverses pour l’assaisonnement). A l’arrière de la maison sont construits un poulailler et des sanitaires. Pour compléter le menu quotidien, à ces activités agricoles viennent s’ajouter celles d’extraction, à savoir la chasse et la pêche. Certaines familles élèvent du bétail, en général en nombre réduit (une dizaine de bêtes). Il est source de prestige et constitue une sorte de « livret d’épargne » en cas de coup dur ou pour une occasion spéciale. Une bête peut ainsi être abattue à l’occasion d’une fête religieuse (mariage, communion, fête patronale). Plus rarement, un animal sera tué et dépecé pour être vendu au kilo au sein du village. Il est à noter toutefois que quelques rares familles, originaires du Lago Grande où la tradition de l’agriculture bovine est plus répandue, possèdent des cheptels de moyenne portée (à Arimum le plus grand est de 120 animaux) et consacrent plus de temps à cette activité, considérée comme périphérique103 par les autres.

Le travail aux champs est une activité mixte. Dans les abattis, les hommes sont chargés des travaux les plus physiques, comme l’essartage et le brûlis, qui interviennent vers la fin de la saison sèche (de septembre à décembre), tandis que les femmes s’occupent de l’entretien du jardin, c’est-à-dire désherber, récolter les racines de manioc et replanter les boutures. Dans la

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Posséder quelques bovins n’est pas rentable : leur élevage nécessite de louer un espace de pâture, acheter les vaccins et vermifuges, etc. Il s’agit davantage d’une affaire de prestige que d’un investissement financier.

166 pratique, même si les femmes passent plus de temps aux champs que les hommes, la récolte se réalise souvent à deux, car elle est en principe suivie de la confection de farine, une activité de longue haleine qui mobilise l’ensemble du groupe domestique, y compris les enfants. Ces derniers sont mis à contribution dès 6-7 ans, pour effectuer de petites tâches comme éplucher le manioc, transporter l’eau, etc. (Medaets, 2013).

La pêche est une activité réalisée à l’aube et à la tombée de la nuit. En général, les hommes adultes et les adolescents du groupe vont poser les filets à « l’heure de la marée » (indiquée par le cri du singe hurleur). L’Arapiuns est assez pauvre en poissons. Aussi, rester aux aguets d’une prise est une perte de temps, à moins que l’époque de l’année y soit propice (lors de la piracema, lorsque l’on pêche debout sur la barque en jetant un filet circulaire [tarrafa] sur le poisson lorsqu’il passe). Les filets sont relevés quelques heures plus tard et repositionnés. Certains préfèrent traverser l’interfluve et se rendre dans le Lago Grande, où la pêche est moins hasardeuse. Quelques heures plus tard, l’homme rentre avec une prise et rejoint sa femme aux champs. Le soir, certains couples vont relever les filets ensemble. La pêche peut donc être considérée comme une activité mixte. La chasse, en revanche, est une activité exclusivement masculine et plutôt nocturne. La présence féminine est supposée apporter la panema104 au chasseur. L’élevage est aussi considéré comme une activité masculine et nécessite des absences prolongées.

A Arimum, il est à noter l’introduction récente (2008) d’activités de « tourisme communautaire » et de confection d’artisanat destiné à la vente. Un groupe de femmes issues du groupe résidentiel de la pointe du Macaco, organisées en association – Jararaca105, s’est spécialisé dans la production de paniers, dessous-de-plat et sacs-à-main en palme de tucumã (Astrocaryum Aculeatum). Elles dédient régulièrement une partie de leur temps à la production d’artefacts qui sont ensuite commercialisés par un circuit équitable via l’ONG Saúde e Alegria, localisée à Santarém (Medeiros, 2013).

La force de travail du groupe domestique

On peut donc considérer que les hommes comme les femmes représentent une force de travail essentielle au bon développement des activités productives entreprises au sein du groupe domestique (Harris, 2000: 153 et suiv.). Le travail des hommes est en revanche davantage valorisé car ce sont eux qui approvisionnent effectivement le groupe en

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Affliction d’ordre cosmologique affectant la capacité d’un homme à attraper du gibier ou du poisson.

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167 « nourriture ». En effet, seule la viande (et par extension le poisson) est considérée comme de la « vraie » nourriture à l’inverse des aliments végétaux (Lins e Silva, 1980). En conséquence, manger signifie consommer de la viande.

Les enfants participent activement aux tâches quotidiennes. Dès l’âge de 6-7 ans, ils aident les adultes en réalisant de petits travaux annexes facilitant ceux des grands lors de la fabrication de la farine. Ils sont aussi sollicités dans l’espace domestique et sont par exemple chargés de récolter les fruits tombés au sol. Dès l’âge de 10 ans (et même avant pour l’aînée), les filles assistent leur mère dans l’ensemble des tâches domestiques : faire la cuisine, passer le balai, s’occuper des enfants en bas âge, etc. Les garçons commencent à s’initier aux arts de la pêche et de la chasse. De manière générale, dès qu’un enfant arrive à réaliser seul et correctement une tâche, il est invité à l’effectuer pour assister les adultes (Medaets, 2013). Les adolescents prennent donc activement part à l’ensemble des activités de production auprès de leurs parents.

Dans l’Arapiuns, comme dans la várzea, l’agentivité est pensée comme proportionnelle à la force de travail (Harris, 2000: 144) : les jeunes enfants ne sont pas considérés comme maîtres de leur travail (ibid), ce qui les exclut d’une partie des activités et ils ne sont pas prioritaires dans le partage de nourriture. Dans la plupart des familles, les enfants n’avaient pas le droit de se resservir à table ; ils étaient servis en dernier et si la viande se faisait rare, ils ne recevaient que du bouillon de farine de manioc. La viande était en priorité réservée aux hommes – notamment à celui qui l’avait chassée – puis aux femmes adultes et ensuite en ordre décroissant proportionnel à la force de travail. La place et le statut accordé aux vieillards dont la force va en faiblissant est significatif. Ce n’est qu’à partir des années 1990, suite à un meilleurs accès aux pensions de retraite dans le monde rural, que le statut des personnes âgées a été revalorisé, au point que les enfants se disputent désormais leur garde.

Un groupe domestique est donc à l’apogée de sa force productive lorsqu’un couple est aidé par l’un de ses enfants en ménage et par ses enfants adolescents ou plus jeunes (Harris, 2004 ; Lima, 2004). Cependant, le groupe domestique fissionne rapidement après que les jeunes adultes se sont mariés. En général, le jeune couple travaille dans les essarts des beaux-parents pendant quelques années (de trois à cinq ans en moyenne d’après les récits), puis est invité par le patriarche à choisir un terrain sur lequel il s’installera et ouvrira son propre abattis (tout en restant encore dépendant de l’aide du beau-père pendant les deux premières années nécessaires avant la première récolte). Avant même d’accéder à une terre, les couples

168 nouvellement formés construisent immédiatement leur propre maison. Il est rare que deux couples cohabitent sous le même toit. Il résulte de cela qu’il y a forcément moins de groupes domestiques qu’il n’y a de familles : en 2012, ce ratio était de 1,7 à Arimum et de 1,6 à Garimpo ; c’est-à-dire que les 34 familles permanentes d’Arimum représentaient 24 groupes domestiques tandis que les 18 familles d’Arimum correspondaient à 12 groupes domestiques (Annexe F).

 Les unités de consommation

Le repas quotidien est constitué de farine de manioc, éventuellement de riz dans les familles ayant les moyens d’en acheter en ville, et de viande ou de poisson. Aux femmes incombent la préparation et la distribution du repas. A ce titre, une de leurs tâches réside dans la redistribution de nourriture (envoi et réception) à l’intérieur de circuits de réciprocité au sein du groupe domestique, résidentiel et entre groupes domestiques (Gow, 1989; Harris, 2000). Lorsqu’un jeune ménage est encore sous la coupe des beaux-parents, la fille ou la belle-fille est tenue d’assister sa mère ou belle-mère dans la préparation du repas. Celui-ci une fois prêt, la matriarche en prélèvera alors une partie qu’elle donnera à sa fille/bru, qui l’emportera chez elle pour son mari et ses enfants. Chacun mange chez soi. Il en est de même pour les doyens du groupe qui, tant qu’ils ont un conjoint, vivent dans leur propre maison. Un petit-enfant leur apportera de la nourriture préparée. Lorsqu’une personne âgée se retrouve seule, elle intègre la maisonnée d’un de ses enfants ou celle d’une petite-fille. D’après les récits, il était courant que la fille cadette « donne » 106 à ses parents, à la naissance, l’ainée de ses filles. Ils l’élevaient comme leur propre enfant et elle les prenait en charge dans la vieillesse.

 Les unités résidentielles

La néo-localité étant de rigueur, chaque couple, qu’il soit ou non marié, possède sa propre maison, séparée de celle des parents/beaux-parents mais sur le terrain de ceux-ci. Cette autonomie dans la sphère domestique n’est que partielle. En effet, ce n’est qu’après une fission suite à l’octroi définitif d’un lopin de terre par le patriarche que le couple peut se considérer comme un groupe domestique autonome. Jusque-là, il est entièrement dépendant de la cuisine et des essarts des parents/beaux-parents. A ce titre, il travaille pour les parents/beaux-parents et doit partager avec eux l’ensemble des ressources : « Untel ne

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Cette pratique, assez fréquente, consiste dans l’adoption, par une grand-mère, d’un ou plusieurs de ses petits-enfants afin qu’il soit élevé comme s’il s’agissait de son propre enfant.

169 possède pas son propre jardin. Il est déjà parti de la maison [il a construit sa propre maison] mais il n’est pas encore véritablement parti [il n’est pas constitué en groupe domestique autonome] » (« O fulano não tem roça própria. Já saiu de casa mas ainda não ‘saiu’ »).

Cette situation n’est pas sans créer de tensions et il peut arriver que le jeune couple décide finalement d’aller s’installer auprès des parents de l’autre conjoint où ils espèrent se voir proposer un lopin de terre plus rapidement. Ce choix est important car il implique de prendre en compte l’environnement socio-territorial – le groupe résidentiel – dans lequel s’inscrit et auquel fait allégeance le groupe domestique des parents.

Figure 37: Relation entre groupes domestiques (GD) et groupe résidentiel

GROUPE RESIDENTIEL Toponyme GROUPE RESIDENTIEL Toponyme N0 N1 N2 GD1(f 1) GD2 GD1 GD2 f ission 1 f ission 1 GD1(f2) f ission 2 GD3

Ainsi, en principe, une unité résidentielle correspond à une maison où résident un couple et les enfants célibataires. Cette unité résidentielle se voit augmentée temporairement par les maisons des enfants en ménage, jusqu’à ce qu’opère une fission cyclique, laquelle peut correspondre soit au départ définitif du couple, soit à son émancipation du joug parental suite à la donation par le chef de famille d’une terre dans le périmètre du territoire du groupe. Cette dernière option équivaut à une autonomisation et à la naissance d’un nouveau groupe domestique (c’est-à-dire une nouvelle unité de production, consommation et résidence).

La relation du groupe domestique au territoire du groupe résidentiel

 Le desbravador : l’appropriation initiale de « terres libres »

L’ensemble des groupes domestiques localisés sur un même territoire forment un groupe résidentiel. Nous avons vu les mécanismes cycliques de fission à l’origine de leur

170 création. Ceci a pour conséquence que tous les groupes domestiques sont parents : le groupe résidentiel est un ensemble de parents et leurs conjoints localisé sur un territoire spécifique.

Ce territoire, dont les contours sont relativement stables dans le temps, est réputé avoir été « ouvert » ou « dompté » (desbravado) par un ascendant nommé et remémoré comme étant à l’origine de la formation du groupe résidentiel en question. Cet ascendant est le desbravador initial (ou fondateur107) ; celui qui a dompté la forêt sauvage pour faire du lieu un espace de vie sociale. Il est considéré comme le premier occupant des lieux. Parfois, son nom est donné au lieu : « pointe de Lourenço », « pointe d’Idelfonso », etc.

L’appropriation d’un nouveau territoire par ce biais suppose qu’il s’agissait de « terres libres » (terras livres), c’est-à-dire qu’elles n’ont pas de propriétaire ou d’usufruitier connu. Il ne s’agit pas de terras devolutas (terres sans propriétaire au sens juridique) mais d’une forme d’occupation de lieux en dehors du système juridique par des riverains sans terre venus tenter leur chance. Il était admis que sur ces terres pouvait être assise une domination et un droit de maîtrise (Musumeci, 1988). N’importe qui pouvait donc s’approprier un territoire « libre », c’est-à-dire sans occupant et libre d’une projection d’occupation. Jusque dans les années 1970108, il y avait beaucoup de terres considérées « libres » le long de l’Arapiuns.

Une fois délimités, ces terrains étaient et sont toujours transmis de génération en génération, ce qui implique la présence de germains et de cousins issus de germains dans un même groupe résidentiel. Il arrive qu’émerge un clivage accompagné d’une division politique entre les unités domestiques d’un groupe résidentiel. Ces situations se soldent par une division territoriale et la naissance de deux groupes résidentiels (et la suppression du groupe initial). Dès lors, le nom de l’ascendant éponyme est oublié au profit de celui du doyen du nouveau groupe. Dans le cas des terrains dits « du Singe », occupés et aménagés par la fratrie Elisabete, Jacqueline etc., personne, ne parle aujourd’hui de ce territoire comme ne faisant qu’un, ni d’un ancêtre éponyme. Les différents noms donnés aux lieux (pointe du Macaco, champs des Macacos, Macaquinho) et la reconstitution généalogique de leurs occupants laissent pourtant entrevoir qu’ils ont une origine commune. Les frères et sœurs se sont partagé les lieux et chacun a créé un groupe résidentiel autonome : Jacqueline dans le Macaco, Elisabete dans le Mangal, Otávio dans le Macaquinho, etc.

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L’image du « fondateur » et son autorité sert également d’argument dans les discours justifiant l’implantation d’églises pentecôtistes (Boyer, 2008 : 62).

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Les années 1970 s’accompagnent d’un processus de sédentarisation en villages groupés, renforcé par la création de l’INCRA et l’intervention étatique sur la structure foncière de la région (chap. 3).

171  « Ser dono do lugar » : « propriété », « maîtrise » ou « domination » d’un lieu ? Une fois le territoire approprié de façon non litigieuse, il était considéré comme appartenant au groupe résidentiel du desbravador. Les autres groupes résidentiels des alentours « respectaient » alors cet espace : « Personne n’allait l’envahir » (ninguém ia invadir). Même lorsque ses occupants s’absentent sur de longues périodes, si le terrain a été marqué, il demeure sous la domination du groupe résidentiel du desbravador initial.

La domination d’un territoire n’est pas localement conçue comme une mise en valeur intégrale de celui-ci. Seules les zones d’habitation et les essarts sont déboisés. Un territoire comprend nécessairement des zones de forêt « vierge » dont l’utilisation future est projetée (pour ouvrir de nouveaux abattis) ou investie actuellement pour chasser et extraire des produits de la forêt. Parfois, ces territoires sont très vastes et peuvent donner l’impression d’être inhabités.

Comme l’occupation et la domination ne sont pas toujours visibles, les nouveaux arrivants souhaitant s’installer aux abords doivent impérativement « demander la permission » au « propriétaire/maître » (dono) afin d’être certains de ne pas s’installer chez autrui. Le terme « dono » peut être traduit par « propriétaire », dans son acception la plus courante, ou par « maître », dans le sens de « maître des lieux ». L’un et l’autre signalent la possession d’un territoire exclusive et reconnue comme telle par les habitants du voisinage.

L’ambivalence de la signification de « dono » réside dans deux aspects. D’une part, elle évoque la propriété privée. Or, aucun habitant d’Arimum n’est juridiquement propriétaire de son terrain. Certaines familles, comme celle des Taglia, ont initié, au début du XXe siècle, une procédure administrative pour y accéder (au mieux, ils possèdent une écriture publique de declarações de posse). D’autres ont déclaré l’occupation de leur terre auprès de l’Institut National de la Réforme Agraire (INCRA) à partir des années 1970 et même payé l’impôt sur la terre (au mieux, ils possèdent une quittance fiscale ou une licence d’occupation). Dans tous les cas, l’instabilité législative, le manque d’accès à l’information et l’absence de motivation réelle font qu’aucune procédure n’a jusqu’ici abouti. Tous les habitants sans exception sont donc aujourd’hui des posseiros, c’est-à-dire des occupants sans titre foncier ; les usufruitiers d’une terre appartenant à l’Union109.

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En 1971, une loi a fédéralisé les terres comprises dans un intervalle de 100km de part et d’autre des grands axes routiers (BR-163) et des cours d’eau (Amazone, Tapajós). C’est la raison pour laquelle les interfluves Tapajós-Arapiuns et Arapiuns-Amazone ont été destinés à devenir des unités territoriales fédérales.

172 D’autre part, la notion de « dono » dépasse largement la simple idée de domination territoriale (imposer sa loi dans un périmètre déterminé). En effet, tous les riverains s’accordent à dire que les « véritables maîtres des lieux » (os verdadeiros donos dos lugares) sont les entités subaquatiques. Celles-ci peuplent la « cité enchantée » localisée à un étage inférieur du monde des humains, dans les « profondeurs » (no fundo). Les « portes d’entrée » correspondent à certains points saillants du paysage où elles se manifestent parfois : un monticule de végétation jamais immergée (le Sepetú), un certain cap où apparaît

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