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Le Directoire des Indiens (1755-1778)

Dans le document Rivalités Riveraines (Page 61-73)

Vivre le long de l’Arapiuns

2.2 Le Directoire des Indiens (1755-1778)

Réorganisation administrative du territoire et consolidation du peuplement

Le quasi-monopole des organisations religieuses sur les produits d’exportation attisait le mécontentement des colons. Leur prestige était tel, à la fin du XVIIe siècle, qu’en plus du pouvoir temporel sur les missions, les ordres religieux obtinrent le partage territorial de l’Amazonie27, comme dans d’autres pays où ils étaient implantés. Cet Etat dans l’Etat finit par s’attirer les foudres de la couronne portugaise : les jésuites furent finalement expulsés de l’ensemble des colonies portugaises en 1757.

L’effort d’exploitation économique de l’Amazonie fut alors poursuivi et intensifié grâce à une politique volontariste menée depuis le Portugal par le marquis de Pombal, Secrétaire

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La lettre royale du 19 mars 1693 attribue aux jésuites la partie méridionale de l’Amazone ; aux capucins de la Piété, Gurupá et la rive gauche de l’Amazone (du Trombetas à l’Urubu); aux capucins de Saint Antoine, le Cabo Norte, les rivières Jari et Paru ; aux carmélites, le Rio Negro et le Solimões ; aux mercédaires, la rivière Urubu.

62 d’Etat de Joseph Ier de Portugal, effort relayé dans la colonie par son frère, Francisco Xavier de Mendonça Furtado, Gouverneur de l’Etat du Grão-Pará e Maranhão entre 1751 et 1759 (Chambouleyron, 2010). Cette période se caractérise par l’augmentation de la production au moyen d’une politique agricole offensive et le monopole de la Compagnie de Commerce ; l’importation d’esclaves africains allait résoudre la carence en main-d’œuvre, tout en permettant d’intégrer les Indiens à la société coloniale (Freire, 1991 ; Chambouleyron, 2010).

Des mesures pour la réorganisation administrative de l’Amazonie furent prises à travers la loi du « Directoire des Indiens » (1757), destinée à les intégrer au monde « civilisé », en les libérant de l’esclavage et en les acculturant grâce à des mesures comme la prohibition de l’usage du nheengatu, l’encouragement des mariages mixtes, etc. Sécularisées, les missions furent transformées en « Vilas » (unité administrative), rebaptisées avec des noms issus de la nomenclature portugaise. Pour chaque nouvelle Vila, une paroisse était créée. C’est ainsi qu’en 1758 la mission N. Sra da Conceição dos Tapajó devint Vila de Santarém et paroisse Nsa Sra da Conceição. Les autres missions du bas-Tapajós furent également rebaptisées :

Ancienne mission jésuite Vila (1758) Paroisse (1758)

Mission Nsa Sra da Conceição dos Tapajó Vila de Santarém Nsa Sra da Conceição Mission Nsa Sra da Asunção dos Arapium Vila Franca Nsa Sra da Asunção Mission Nsa Sra da Purificação dos Borari Vila Alter do Chão Nsa Sra da Purificação Mission Santo Inácio de Loyola Vila Boim Sto Inácio de Loyola Mission São José dos Maitapú Lugar Pinhel Sto Inácio (annexe)

Suite à l’expulsion des jésuites, leurs biens (missions, plantations, réserves de pêche, fazendas) furent annexés au patrimoine de la couronne, et administrés par les Directeurs des Vilas issus de l’élite portugaise locale (Harris, 2009). Ceux-ci avaient la charge de répartir la main-d’œuvre indigène des anciennes missions (Santarém, Vila Franca, Alter do Chão, Pinhel et Boim) entre les colons (APEP, 1759) et les investissements de la couronne, comme la réserve de pêche royale (Daniel, 2004 ; APEP, 1772) localisée à Itacomini, dans le Lago Grande – désormais rebaptisé Lago Grande « da Franca », en référence à la nouvelle Vila Franca (ancienne mission des Arapium) – et la plantation de cacao royale (APEP, 1791).

La distribution des terres sous forme de sesmarias dans la région connut une légère hausse pendant le Directoire, qui alla en s’intensifiant lors de la période suivante. En l’espace

63 de vingt ans, neuf sesmarias furent distribuées (Figure 15), principalement dans la várzea du Lago Grande da Franca (3), d’Ituqui (2) et autour de Monte Alegre, Alenquer et Curuá (4) (Harris, 2010 ; cf. Annexe C). Les bénéficiaires étaient les principales familles de notables, c’est-à-dire Ayres Pereira (Alenquer), Pereira (Santarém), Corrêa Picanço (Lago Grande da Franca, Curuá), Pimentel (Alenquer), Rabello (Ituqui), Marinho (Alenquer), Gonçalves (Santarém). Le peuplement des Vilas par les Portugais et les néo-Brésiliens du bas-Amazone se consolide à cette période (Freire, 1991 ; Chambouleyron, 2010), également marquée par l’essor de la culture du cacao, soutenu par l’implantation de la Compagnie de Commerce du Grão-Pará et Maranhão et l’introduction d’un nombre limité d’esclaves africains. En 1778, la famille Corrêa Picanço, la plus riche de la région, était propriétaire de 39 esclaves, dans ses plantations au nord du Lago Grande (Harris, 2010).

Le règlement du Directoire des Indiens prévoyait la libération des Indiens captifs des missions et des mesures étaient destinées à les amener progressivement à s’intégrer à la société en tant que travailleurs ruraux : l’alphabétisation, l’octroi de terres, les mariages mixtes furent en principe encouragés. Dans les faits, les Indiens furent durement exploités durant toute cette période (Galvão, 1976 : 11). Les documents disponibles aux archives publiques de l’Etat du Pará (APEP ; Meira, 1993) font état des allées et venues de canoës chargés d’Indiens en état de semi-servitude entre Vila Franca et les autres Vilas d’Indiens du bas-Tapajós. Sous la conduite du cabo das canoas, les Indiens y étaient utilisés pour travailler au service du roi et des colons dans les plantations de cacao, la fabrique de farine de manioc, la collecte des épices, la pêche, la navigation et sur des chantiers de construction. Petite anecdote : en avril 1788 (APEP), le naturaliste Alexandre Rodrigues Ferreira faisait escale à Santarém d’où il embarqua des Indiens de Vila Franca pour la poursuite de son expédition scientifique en direction du Mato Grosso.

Des recherches récentes (Silva, 2006) menées sur les Vilas d’Indiens du Ceará Grande montrent que, si la période du Directoire est synonyme d’exploitation intensive de la main-d’œuvre indigène, elle constitue également un espace de négociation fondamental pour la reconfiguration sociale et l’élaboration ethnique de cette société métisse en devenir. Les nouvelles institutions (conseil municipal, tribunal de paix, etc.) offraient aux habitants un code de sociabilité dans lequel les Indiens étaient aussi insérés et grâce auquel ils pouvaient interagir avec les autres groupes sociaux. Ainsi, un Indien pouvait envoyer une réclamation à des personnalités hiérarchiquement élevées et faire valoir ses droits. Leur insertion effective dans ce squelette institutionnel rendait possible les négociations et avait permis à leurs

64 représentants (les « Principaux », des membres choisis parmi eux pour les encadrer) de jouir d’une certaine marge de manœuvre vis-à-vis du directeur de la Vila (membre de l’édile portugaise). L’idée de « negociated settlements » va dans le même sens :

Les habitants indiens des Vilas du Directoire n’étaient pas de simples victimes de l’oppression portugaise, mais des acteurs lors d’évènements, de conflits, et de changements pendant la période coloniale. (Sommer, 2005: 315, trad. libre). Ainsi, les Indiens avaient une certaine liberté de choix quant à la distribution de leur main-d’œuvre par la médiation de leurs représentants. Les Principaux obtenaient en retour certains privilèges, comme l’accès à certaines fonctions (Sommer, 2005 ; Silva, 2006 ; Harris, 2010).

2.3 La période transitoire : de la pré à la post-Cabanagem

Années 1790 à 1830: Période post-Pombal et pré-Cabanagem :

Expansion économique, assise portugaise et éclosion de tensions sociales

Après l’administration de Pombal, les années 1790 furent marquées par un certain nombre de mesures économiques et sociales libérales. Le nouveau gouverneur du Pará, Francisco de Souza Coutinho (1790-1803) et le nouveau monarque, la Reine Marie Ière de Portugal (dite « La Folle »), souhaitaient développer les exportations de la colonie. Pour encourager la culture du cacao, le gouvernement misa sur la disponibilité de main-d’œuvre et de terres cultivables. Des esclaves africains furent importés en plus grand nombre et des sesmarias distribuées. L’ambition civilisatrice du gouvernement visait par ailleurs à intégrer les Indiens à la société nationale. L’idée était de les émanciper et de les transformer en petits agriculteurs sédentaires au moyen de leur participation dans un « corps de travailleurs ».

Cette période, faisant suite au Directoire, va façonner les contours de la société amazonienne moderne, c’est-à-dire une classe rurale semi-autonome et mobile, formée des Blancs pauvres, de métis et d’Indiens détribalisés – appelés tapuios –, spécialisée dans la production de produits extractivistes et jouant un rôle actif dans l’économie régionale (Cleary, 1998 : 113-4 ; Harris, 2000, 2010). Le Tapuio est un Indien détribalisé d’interface, qui a perdu une grande partie de sa culture d’origine et qui est perçu comme vivant en marge du monde des Blancs (Veríssimo, 1887 ; Moreira Neto, 1988). Cet Indien générique est dénigré par les Blancs qui le considèrent comme un sauvage, tout comme par les Indiens « de la forêt » qui le dénomment canicarú, c’est-à-dire « personne habillée, civilisée », « Indien des

65 Vilas », voire « traître, celui qui est passé à l’ennemi »28 (Stradelli cité par Moreira Neto, 1988: 53; Noronha, 1768; Martius, 1824). Cette définition relationnelle préfigure la catégorie des caboclos, qui prendra forme au XIXe siècle. Les Vilas d’Indiens reflètent dans leur organisation spatiale la ségrégation existante entre les deux groupes sociaux qui l’habitent (tapuios et « Blancs »). Elles sont, en général, constituées d’un centre-ville, où vivent les Portugais et néo-Brésiliens, et d’un quartier périphérique, à l’emplacement de l’ancienne mission religieuse (le village indien « aldeia »), où vivent les tapuios et autres populations pauvres non-esclavagées (Figure 13). Jusqu’au début du XIXe siècle, les tapuios représentent la majeure partie de la population des Vilas et de la zone rurale alentour, où se trouvent les fermes d’élevage, les plantations de cacao, les réserves de pêche, les établissements de collecte d’épices, de transport fluvial etc. (Moreira Neto, 1988 : 15).

 1790 – 1821 : le cycle du cacao

De 1790 à 1821, la production du cacao fut encouragée par l’octroi de terres et la baisse du prix des esclaves africains en Amazonie (Harris, 2010 : 134). Les exportations augmentèrent de façon significative dès l800 et environ 4 000 esclaves (Harris, 2010 : 49) furent introduits dans la région de Santarém et Óbidos, dont la várzea se retrouva quadrillée par les plantations de cacao, et qu’on surnomma le « couloir du cacao » (Figure 15).

A la fin du XVIIIe siècle, deux types d’organisation domestique coexistaient à Santarém : la « famille paysanne » qui comptait sur la main-d’œuvre domestique, et la « plantation » qui fonctionnait avec une main-d’œuvre esclave (Harris, 2010 : 77). D’après Harris (2010), il n’y avait pas toujours un grand écart de condition entre les deux types d’organisation (ce que l’auteur appelle « class flatness »): une plantation avec peu d’esclaves était tout aussi modeste qu’une famille agricole qui n’en possédait pas. Ceci explique sans doute pourquoi certains maîtres d’esclaves étaient trop pauvres pour posséder une sesmaria, tandis que certains sesmeiros ne possédaient pas d’esclaves qui étaient très chers lorsque la main-d’œuvre familiale suffisait.

Pendant le cycle du cacao, la distribution des sesmarias s’accéléra fortement dans le périmètre Faró-Óbidos-Santarém-Alenquer (Annexe C ; Figure 15). Dans un premier temps, avec l’avènement du nouveau monarque (années 1780), 13 sesmarias furent octroyées (en 17 ans). Puis, après l’extinction du Directoire des Indiens (en 1798) et jusqu’à la proclamation de

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Les chroniqueurs mentionnent que cette dénomination péjorative se fait par opposition à celle de iapiruará qui désigne « l’Indien de l’amont de la rivière, des intérieurs, de la forêt » (Noronha, 1768 ; Martius, 1824).

66 l’Indépendance du Brésil (en 1822), 22 autres sesmarias furent distribuées, soit une par an en moyenne (Figure 15). L’octroi des sesmarias était justifié par l’exploitation préalable d’une terre ou sa projection permise par la disponibilité de main-d’œuvre (esclave)29. Les plantations de cacao (Arapixuna et Amazone) et l’élevage bovin (Lago Grande da Franca) étaient les activités économiques les plus mentionnées.

La fin de cette période est marquée par l’Indépendance du Brésil (en 1822) et par l’arrêt des sesmarias, les dernières ayant été distribuées en 1821.

 Synthèse sur la distribution des sesmarias dans la région

L’essor de cycles économiques agricoles explique que les zones inondables de várzea aient été les plus prisées pour l’emplacement de leurs terres par les notables du district de Santarém. Les premières sesmarias furent octroyées pendant l’ère jésuite et le Directoire (1661-1778), alors que débutait le cycle du cacao : elles sont principalement localisées dans la várzea d’Arapixuna et d’Aritapera. Lors des périodes suivantes (entre 1790 et 1800), elles furent accordées dans la várzea du Lago Grande et d’Ituqui – des zones proches de la terre ferme, mieux adaptées pour l’élevage bovin qui s’intensifiait. Finalement, très peu de titres de sesmarias connus sont localisés sur la terre ferme, deux se trouvent dans le bas-Tapajós (Harris, 2010: 88) et aucune le long de l’Arapiuns. En revanche, il est possible (cela reste à vérifier) que les sesmarias localisées à l’Est du Lago Grande da Franca, aient été transversales et donc contiguës à l’Arapiuns, étant donné les surfaces enregistrées et les terres réellement disponibles à cette hauteur du Lago Grande, où l’interfluve est très mince.

Sur l’ensemble de la période coloniale (1746-1821), près de 47 lettres de concession de sesmarias ont été rédigées puis distribuées au compte-goutte par les gouverneurs successifs du Grão-Pará pour la région de Santarém (incluant dans le périmètre Faró, Óbidos, Vila Franca et Monte Alegre). La plupart des bénéficiaires étaient des militaires ou des personnalités occupant des positions hiérarchiques élevées dans l’administration locale (Santos, 1974 ; Reis, 1979 ; Chambouleyron, 2010 ; Harris, 2010 : 26). A Santarém, on retrouve les noms de ces oligarchies locales au pouvoir jusqu’au XXe siècle.

De nombreux exploitants ne possédaient pas de sesmaria en raison du coût considérable que représentaient les démarches administratives (Silva, 2009). Déjà à l’époque coloniale, une

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Chaque maître ne possédait que quelques esclaves. Dans un cas, un individu en possédait une cinquantaine (Harris, 2010 : 49). En 1827, on comptait 2 095 esclaves à Santarém, 1 295 à Óbidos et 291 à Monte Alegre (APEP, 1828 apud Harris, 2010: 59).

67 forme d’occupation de la terre concurrente à la sesmaria se consolidait, à savoir la posse, c’est-à-dire l’occupation usufruitière sans titre foncier. Eleveurs et planteurs occupaient la terre sans toujours s’embarrasser de procédures administratives qui leur ouvriraient légitimement un droit sur les terres qu’ils cultivaient. Or, comme l’objectif de la couronne était justement la valorisation économique, la loi de la Bonne Raison (1769) vint légitimer ce type d’occupation, reconnaissant et légitimant la posse (Silva, 2009). Un exemple figure dans la lettre de sesmaria remise en 1804 à José Joaquim Pereira do Lago au sujet d’un terrain à Ituqui : afin de définir son terrain, l’intéressé prend pour limite la plantation da cacao d’un certain João Mathias de Barros, dans la várzea d’Ituqui (annexe C). Or, il n’existe aux archives aucun document relatif à un sesmeiro portant ce nom : il l’occupait donc de façon informelle. La coexistence de ces deux modes d’appropriation foncière – la sesmaria et la posse – n’était pas sans créer de conflits, notamment quant aux limites des terrains revendiqués (Silva, 2009).

 Emancipation des Indiens et sentiment de révolte

En 1798, le Directoire des Indiens fut officiellement aboli, suite à une demande du Gouverneur du Pará, Francisco de Souza Coutinho, qui fit valoir que les directeurs des Vilas exploitaient les Indiens de façon despotique. A Vila Franca, par exemple, le directeur en poste en 1790 était Antônio José Malcher30. Il fut mis à pied suite à la découverte d’un détournement de marchandises. Le Gouverneur nomma alors José Cavalcante de Albuquerque31 pour le remplacer (Harris, 2010). Un nouveau schéma fut donc pensé, dont le but était toujours l’intégration des Indiens à la classe populaire rurale au moyen de la suppression des législations spécifiques ou discriminantes. Tout fut fait de façon à effacer la distinction de ce groupe social, en le soumettant au même régime que le reste de la population. Ainsi, il était prévu que les Indiens des Vilas deviennent progressivement des hommes libres. La condition de leur émancipation était d’être mariés et de posséder une terre, un établissement propre ou une occupation fixe (c’est-à-dire de travailler pour un patron connu). Avant d’y parvenir, ils étaient enrôlés, ainsi que tous les hommes libres célibataires et non-propriétaires (métis et Blancs), pour une période de six mois dans des « corps de travailleurs » (Moreira Neto, 1988 ; Freire, 1991 ; Harris, 2010).

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Malcher était un militaire arrivé en Amazonie après avoir émigré de Mazagão en Afrique. Sa sœur, Anna Micaela Malcher, sesmeira, était mariée à un sesmeiro d’Alenquer, producteur de cacao et propriétaire d’esclaves (Harris, 2010: 81). L’un des fils de Malcher (Félix Antônio Clemente Malcher) a pris part aux côtés des insurgés pendant les conflits de la Cabanagem.

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José Cavalcante possédait deux sesmarias (une à Óbidos et l’autre dans le Lago Grande da Franca), il était planteur de cacao et possédait 12 esclaves. A partir de 1818, il occupa des fonctions administratives à Óbidos (Harris, 2010).

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69 Ce dispositif rompait avec le système antérieur du Directoire, fondé sur la mobilité de la main-d’œuvre. A Vila Franca, où la population était majoritairement indienne, les « travailleurs » étaient répartis entre les fazendas privées, la plantation de cacao royale (qui employait une trentaine de femmes [Harris, 2010]) et la réserve de pêche royale (entre 120 et 150 hommes). Les administrateurs provenaient du district d’Óbidos (Harris, 2010 : 160). D’après Harris (2010 : 162), Vila Franca était celle qui comptait le moins d’esclaves de toute la région et qui était parmi les plus peuplée (principalement d’Indiens). Les conflits sociaux autour de la main-d’œuvre étaient nombreux et ceci se traduisait, à la fin de la période coloniale, par de nombreux actes d’insoumission.

Sous prétexte de supprimer l’ingérence de l’empire dans les affaires indiennes, l’ensemble des biens collectifs destinés aux Indiens des Vilas, comme les terres publiques des aldeias (villages indiens), furent vendus aux enchères et les recettes intégrées au trésor de la Province. En théorie, n’importe qui pouvait les acquérir, mais sans ressource financière, les populations les plus pauvres (notamment indiennes) qui les exploitaient jusqu’alors en furent dessaisies au profit des descendants de Portugais. Ces populations furent contraintes de s’enfoncer davantage à l’intérieur des terres32 (Moreira Neto, 1988: 30 ; Harris, 2010: 110).

Avec la diminution du nombre d’Indiens dans les Vilas et la perte des règles de représentativité des populations indiennes, le pouvoir politique des Principaux fut rapidement érodé au profit des familles de planteurs, organisées en réseaux intrafamiliaux (voir à ce sujet l’excellente analyse de M. Harris, 2010). A Santarém, c’est pendant cette période que les Indiens disparurent du conseil municipal au profit de quelques familles de notables – Lobo, Gama, Malcher, Souza e Silva, Ayres, Picanço, Marinho, Faria, Printes, Rabello, Pimentel, Baptista, Bentes, Tavares – qui monopolisaient les terres (sesmarias et posses) et les postes hiérarchiques élevés dans l’administration régionale (à Santarém, Óbidos, Alenquer, Monte Alegre et Faró) : membres des conseils municipaux, administrateurs civils, militaires et juges. Harris (2010: 87) montre combien le maintien au pouvoir de ces familles a été fort depuis l’époque du Directoire jusqu’au milieu du XIXe siècle. Dans les agglomérations de moindre importance, comme Vila Franca, Alter do Chão ou Boim, les Indiens, pourtant analphabètes mais qui constituaient la plus grande partie (si ce n’est la totalité) de la population (Spix et Martius, 1824), continuèrent à occuper des places stratégiques dans les conseils municipaux jusqu’aux années 1830 (Harris, 2010: 47, 112). De manière générale, à l’aube du XIXe, les Indiens avaient perdu la plupart des responsabilités administratives acquises lors de la période

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70 précédente. Cet ensemble de facteurs participa à faire naître un sentiment de mécontentement et de révolte dans les couches les plus défavorisées de la population, ce qui mènera aux insurrections de la Cabanagem (en 1832).

Le métissage et la forte mobilité géographique avaient brouillé une partie des différences entre classes et ethnicités qui avaient marqué les XVIIe et XVIIIe siècles (Harris, 2010). A l’aube du XIXe siècle, les tapuios adoptèrent donc des stratégies diverses : dans le bas-Tapajós (Aveiros, Boim, Pinhel, Alter do Chão), un grand nombre s’enrôla dans le corps de milice (Harris, 2010: 119), comme une stratégie pour accumuler un petit pécule ou gagner du prestige (Cleary, 1998) ; certains s’établirent au service des familles de planteurs et d’éleveurs, principalement dans la várzea; d’autres, enfin, prirent le large, se dispersant le long de l’Arapiuns et du Tapajós, sur des terres jusqu’alors peu prisées par l’élite, établissant de petits peuplements et venant ainsi grossir, comme sans doute l’avaient fait de nombreux blancs pauvres, métis et esclaves affranchis, le nombre des posseiros tout en restant en marge de la dynamique d’occupation et d’exploitation économique de la région jusqu’ici principalement tributaire du cycle du cacao. C’est pendant les premières décennies du XIXe siècle que se structure l’occupation territoriale régionale et la nomenclature toponymique telles que nous les connaissons aujourd’hui.

1832-1841 : La Cabanagem dans l’Arapiuns

Avec l’indépendance du Brésil (1822), des insurrections éclatèrent dans plusieurs provinces du pays. Dans le Pará, cette période de troubles est connue comme « la Cabanagem ». La morosité économique liée au déclin du cycle du cacao dès les années 1820

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