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5. Résultats personnels : Etude des anhydrases carboniques chez Corallium rubrum

5.2. Résultats et discussion

Ces résultats ont fait l’objet d’une publication dans Plos One en 2016 : Le Goff, C., Ganot, P., Zoccola, D., Caminiti-Segonds, N., Allemand, D., & Tambutté, S. (2016). Carbonic anhydrases in Cnidarians: Novel perspectives from the Octocorallian Corallium rubrum. Plos One, 11(8), e0160368.

L’analyse du génome et du transcriptome de C. rubrum a permis d’identifier six isoformes d’ACs par homologie avec les 15 ACs humaines et les 7 ACs identifiées chez Nematostella

vectensis. Les isoformes ont été nommées CruCAs pour « Corallium rubrum carbonic

anhydrases ». L’analyse in silico des séquences protéiques, nous indique que CruCA1-2-4-6 sont des enzymes sécrétées, que CruCA5 est sécrétée et liée à la membrane cellulaire externe par une ancre GPI et qu’enfin CruCA3 est cytosolique. De plus, CruCA2 est caractérisée comme étant une CARP, en raison de la substitution de deux histidines nécessaires pour lier le zinc au niveau du site actif. L’alignement des séquences protéiques des CruCAs est présenté sur la Figure 60.

Figure 60| Alignement des séquences protéiques de CruCAs par Clustal Omega.

Les acides aminés conservés à 100%, 80% et 60% sont ombrés en noir, gris foncé et gris clair respectivement (logiciel GenDoc, matrice de score BLOSUM62). Les peptides signaux N-terminaux sont colorés en bleu. Le site prédit de l’ancre GPI est indiqué par un rectangle violet en C-terminal de CruCA5. Les trois histidines liant le zinc sont indiquées par des cadres rouges. Le « proton shuttle residue » est indiqué par un triangle vert inversé. Les « gatekeeper residues » sont indiqués par des triangles jaunes inversés. Les cystéines impliquées dans les ponts disulfures sont représentées comme suit : le pont Cys57Cys250 (selon la nomenclature de CruCA2) commun à toutes les ACs extracellulaires de cnidaires, est indiqué par des triangles oranges ; le pont Cys138Cys284, spécifique au groupe des ACs sécrétées de cnidaires, est indiqué par des triangles orange inversés. Les multiples sites de phosphorylation en C-terminal de CruCA5 sont indiqués par un cercle plein au dessus des résidus prédits. Figure extraite

Des expériences de qPCRs menées sur trois préparations (Figure 61) d’ARNs extraits de (1) tissus calcifiants (tissus enrichis en scléroblastes et cellules de l’ectoderme aboral), (2) tissus non calcifiants (polypes), et (3) tissus totaux, ont montré que CruCA4 présente une expression préférentielle dans les tissus enrichis en cellules calcifiantes (Figure 62 A-B). Ce résultat a été confirmé par Western blot (Figure 62 C) sur les extraits protéiques de ces mêmes fractions par l’utilisation d’anticorps spécifiques dirigés d’une part contre CruCA4, l’isozyme candidate pour jouer un rôle dans la calcification, et CruCA3 qui présentait un niveau d’expression similaire dans les deux fractions tissulaires.

Figure 61| Histologie de Corallium rubrum et protocole de dissection afin d’obtenir les trois différentes fractions. (A) Photo d’une colonie de C. rubrum. (B) Cryosection

transversale d’une branche déminéralisée colorée à l’hématoxyline/éosine/bleu d’aniline. (C) Représentation schématique de l’organisation de C. rubrum. OE : Epithélium oral, Mgl : Mésoglée, Po : Polypes, Ske : Axe squelettique, SE : Ectoderme squelettogénique, GC : Canaux gastrodermiques, Scl : Scléroblastes/Sclérites. (D) Protocole de dissection utilisé pour obtenir les trois fractions de tissu non calcifiants, calcifiants et total, pour les expérience de qPCR et les western blot. Figure extraite de Le Goff et al., 2016, Plos One.

Figure 62| Expression relative des gènes codant les CruCAs et Western blot sur des extraits protéiques de différentes fractions de Corallium rubrum. (A) Expression de gènes

dans la fraction de tissu total, relative à l’expression de RPLP0. Les lettres représentent les différences statistiques d’après l’ANOVA à un facteur (p < 0,05). B) Expression de gènes dans les tissus enrichis en cellules calcifiantes et dans les polypes, normalisée par rapport à l’expression de RPLP0 et relative à l’expression dans la fraction de tissu total. Les astérisques indiquent les valeurs statistiquement différentes entre les deux fractions d’après le t-test de Student (p < 0,05). Les barres d’erreurs représentent l’erreur standard à la moyenne. (C) Western blot avec un anticorps dirigé contre CruCA3 (29 kDa) (gel 12% polyacrylamide). (D) Western blot avec un anticorps dirigé contre CruCA4 (33 kDA) (gel 18% polyacrylamide). (E) Western blot contrôle avec un anticorps anti-actine (42kDa) (gel 12% polyacrylamide). (C, D,

E) Colonne 1 : Fraction de tissu total ; Colonne 2 : Fraction de tissu enrichis en cellules

calcifiantes ; Colonne 3 : Fraction de polypes. MW : Poids moléculaire du standard Plus Protein All Blue (Bio-Rad). Figure extraite de Le Goff et al., 2016, Plos One.

CruCA3, qui est une isozyme intracellulaire est probablement impliquée dans la régulation acide-base cellulaire, incluant la conversion du CO2 métabolique en HCO3-. En effet, Allemand et al. 1992 ont montré que la source majeure de CID pour la calcification des sclérites est le CO2 produit par la respiration cellulaire et ces auteurs ont suggéré l’implication d’une AC intracellulaire. Ce scénario implique que l’HCO3- soit transporté au site de calcification par un transporteur qui reste à identifier.

Suite aux résultats obtenus par génomique et transcriptomique, une approche protéomique a été réalisée dans l’équipe en collaboration avec le KAUST (King Abdullah University of Science and Technology, Arabie Saoudite). Les résultats ont mis en évidence que CruCA4 fait partie des principales protéines composant la matrice organique de l’axe squelettique et des sclérites. Ce dernier résultat confirme donc que CruCA4, préférentiellement exprimée dans les cellules calcifiantes, est impliquée dans la calcification et fait donc partie non seulement du sécrétome mais également du squelettome de C. rubrum. Cette isozyme sécrétée par les cellules calcifiantes (scléroblastes et/ou ectoderme aboral) au(x) site(s) de calcification pourrait, à pH 8, accélérer la conversion du CO2 en HCO3-. Dans ce scénario le CO2 diffuse hors des cellules vers le site de calcification. Il est fort probable que les deux scénarios, diffusion de CO2 et transport de HCO3-, aient lieu et permettent de fournir du carbone inorganique au site de calcification et dans ce cas à la fois une AC intracellulaire et une AC secrétée auraient un rôle à jouer.

Une analyse phylogénétique a ensuite été conduite sur les ACs de cnidaires (Figure 63). Afin de compléter les répertoires d’isoformes des ACs chez les cnidaires, nous avons criblé des organismes dont les génomes/transcriptomes sont complets. L’ensemble des séquences nucléotidiques des ACs (ACs et CARPs) des organismes suivants ont été répertoriées: un Hexacoralliaire non-calcifiant et non-symbiotique (Nematostella vectensis), un Hexacoralliaire non-calcifiant et symbiotique (Aiptasia pallida), deux Hexacoralliaires calcifiants et symbiotiques (Acropora millepora et Stylophora pistillata) et enfin un hydrozoaire non-calcifiant et non-symbiotique (Hydra magnipapillata). Les séquences de CARPs d’autres

D’une part, aucune corrélation n’a été montrée entre le nombre d’isozymes identifié chez les cnidaires et la calcification et/ou la symbiose (encart de la Figure 63). D’autre part, ce criblage dans les bases de données nous a permis d’identifier de nombreuses séquences d’ACs nouvelles chez les Hexacoralliaires.

L’analyse phylogénétique des ACs de Cnidaires montre la répartition des enzymes en deux groupes distincts en fonction de leur localisation cellulaire : les ACs intracellulaires (cytosoliques et mitochondriales) et les ACs extracellulaires. Ce deuxième groupe est ensuite sous-divisé entre les ACs sécrétées et les ACs sécrétées et/ou liées à la membrane. L’analyse des CARPs chez les cnidaires a montré la présence d’isozymes intracellulaires et extracellulaires. Les CARPs cytosoliques semblent être restreintes aux Hexacoralliaires et sont monophylétiques, tandis que les CARPs extracellulaires ont été réinventées à plusieurs reprises au cours de l’évolution des cnidaires comme le montre leur dispersion dans l’arbre, supposant des innovations classe ou genre spécifiques.

Figure 63| Arbre phylogénétique des 71 séquences protéiques des -ACs de cnidaires. Les ACs de l’Homme (HsCAI-XIV), de deux éponges calcaires : Sycon ciliatum

(SciCA1-16), Leucosolenia complicata (LcoCA1-6); et de cnidaires : Corallium rubrum (CruCA1-6), Stylophora

pistillata (SpiCA1-16), Acropora millepora (AmiCA1-10), Nematostella vectensis (NveCA1-7), Aiptasia pallida (ApaCA1-10), et Hydra magnipapillata (HmaCA1-15), ainsi que les CARPs

identifiées dans les différentes base de données des anthozoaires, c’est-à-dire Anthopleura elegantisima (AelCARP1-2), Favia sp. (FaviaCARP), Porites australiensis (PauCARP), Pocillopora damicornis (PdamCARP). Les séquences ont été alignées avec Clustal Omega et l’arbre construit en utilisant PhyML et la méthode d’inférence Bayésienne. La topologie présentée résulte de la méthode PhyML. Les valeurs aux nœuds indiquent les valeurs PhyML-aLRT/probabilités postérieures bayésiennes. Seules les valeurs > 50% sont indiquées. Les séquences bactériennes d’ACs bactériennes de

Pectobacterium astrosepticum, Klebsiella pneumoniae et Nostoc sp. ont été utilisées comme outgroup.

Les ACs sont regroupées en trois groupes : 1) les ACs cytosoliques et mitochondriales sans ponts disulfures, 2) les ACs sécrétées et liées à la membrane avec un pont disulfure, et 3) les ACs sécrétées avec deux ponts disulfures. Les gènes codants SpiCA8, 9, 12 - SpiCA13, 14 et NveCA6, 7 sont trouvés très proches sur le même contig. Les ponts disulfures et les CARPs sont indiqués pour les cnidaires. L’encart en bas à droite présente le nombre d’isozymes d’ACs et de CARPs pour chaque espèce. Sp. : Espèce ; C : organisme calcifiant (squelette en CaCO3) ; S. : organisme symbiotique. Figure extraite de

De plus, l’alignement de l’ensemble des séquences protéiques d’ACs de ces différents organismes a révélé la présence de résidus cystéines fortement conservés pour la formation de deux ponts disulfures. Le pont disulfure formé par les Cys57Cys250 (selon la nomenclature de CruCA2 sur la Figure 60) est commun à toutes les isozymes extracellulaires, et est également conservé chez l’Homme, les éponges et les bactéries. Le second pont disulfure correspondant aux Cys138Cys284 est spécifique du groupe d’isozymes sécrétées et est également spécifique des cnidaires. De façon intéressante, les ACs cytosoliques ne possèdent aucun de ces deux ponts disulfures.

L’analyse de 20 séquences de CARPs de cnidaires a permis de mettre en évidence une convergence dans la mutation des trois histidines (H-H-H) ayant pour rôle de lier le zinc, qui sont majoritairement converties vers les acides aminés suivants : Arginine, Histidine, Glutamine (R-H-Q). Ce motif R-H-Q est également trouvé chez les CARPs de vertébrés, chez les oursins, les huîtres et les éponges calcaires. La forte conservation de ce motif chez ces différents organismes va à l’encontre de mutations génomiques aléatoires et suggèrent donc un rôle important de ces protéines, quoique encore inconnu.