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3. La biomineralisation chez Corallium rubrum

3.2. Les biominéraux chez Corallium rubrum

C. rubrum produit deux types de biominéraux : un axe squelettique et des sclérites, tous les

deux composés de carbonate de calcium sous le polymorphe de calcite enrichie en magnésium (~12 mol% MgCO3) (Dauphin, 2006; Milliman, 1974; Vielzeuf et al., 2013, 2008). L’élaboration de ces deux structures minéralisées est caractéristique du genre Corallium.

L’étude de l'ultrastructure cristallographique de l’axe squelettique (Vielzeuf et al., 2010, 2008) et des sclérites (Floquet & Vielzeuf, 2011, 2012) a permis de révéler leur organisation

Les mésocristaux sont formés à partir de l’assemblage ordonné de nanocristaux qui présentent une orientation cristallographique similaire, leur conférant des propriétés (morphologie et diffraction) similaires aux monocristaux. Le monocristal résultant contient donc de la matrice organique.

Cette organisation est également décrite chez les spicules d’éponges (Sethmann et al., 2006; Sethmann & Wörheide, 2008), la nacre des mollusques (Oaki et al., 2006; Rousseau et al., 2005), les éléments squelettiques des oursins (Oaki & Imai, 2005; Sethmann et al., 2005) et la coquille d’œuf (Oaki et al., 2006). Cette organisation cristallographique modulaire permet d’obtenir des formes complexes avec des propriétés mécaniques remarquables.

Figure 25| Schéma hypothétique de la formation de monocristaux biogéniques à partir de « clusters » d’ions. Modifié d’après Cölfen (2007)

a) Les sclérites

Les sclérites sont des petits grains (jusqu’à 100 μm de long) de CaCO3 présents dans la mésoglée à une densité de 106 sclérites/mg de protéines de tissu. Leur taux de calcification est trois fois supérieur par unité de surface à celui de l’axe squelettique et leur taux de synthèse dans la partie apicale de la colonie est de 10 sclérites/mg de protéines/jour(Allemand & Grillo, 1992). La proportion de matrice organique les constituant représente 1,7 % de leur poids sec (Allemand et al., 1994). Les sclérites de C. rubrum présentent deux morphologies prédominantes (Figure

26). La première, en forme d’haltère est formée de six ou plus généralement de huit

Figure 26| Morphologie des sclérites de Corallium rubrum observés en microscopie à balayage. (a) Sclérite en forme d’haltère avec huit protubérances. Deux protubérances sont

situées aux extrémités du sclérite, les six autres sont divisés en deux groupes de trois, disposés autour de l’axe ; (b) Sclérite en forme de croix avec quatre protubérances. D’après Floquet and Vielzeuf (2011).

 Formation des sclérites

On dispose de peu d’informations sur le mode de formation des sclérites chez C. rubrum. Ces informations proviennent d’observations histologiques (Grillo et al., 1993) indiquant que les sclérites matures, ou presque matures, sont entourés de plusieurs scléroblastes étirés et allongés qui sont en contact entre eux par des extensions cytoplasmiques reliées par de « simples jonctions » (Figure 27 a-b). La croissance des sclérites a lieu par la sécrétion de couches concentriques de CaCO3 (Figure 27 c-d).

 Structure cristallographique des sclérites

La structure interne des sclérites est composée de l’assemblage de cristaux sub-micrométriques de calcite d’environ 80 nm, organisés en couches concentriques résultant de stades de croissance successifs (Floquet et Vielzeuf, 2011, 2012). L’observation des sclérites en lumière polarisée montre qu’ils présentent des caractéristiques cristallographiques différentes selon leur forme. Les sclérites en forme d’haltère sont définis comme des « sclérites à domaine unique » car ils sont composés d’unités cristallines présentant une orientation cristallographique similaire (Figure 28 a-b-c). Les sclérites en forme de croix sont référencés comme « sclérite à multi-domaines » car deux protubérances adjacentes présentent des orientations cristallographiques différentes (Figure 28 d-e).

Figure 28| Images optiques de sclérites de Corallium rubrum observés en lumière blanche (a et d) et en lumière polarisée (b, c et e). (a, b, c) Sclérite en forme d’haltère dont l’axe

longitudinal est parallèle au plan d’observation, montrant un contraste uniforme en lumière polarisée (sombre ou clair) et révélant une orientation cristallographique similaire des unités cristallines composant ce sclérite. (d, e) Sclérite en forme de croix montrant des domaines opposés contrastés en lumière polarisée. D’après Floquet et Vielzeuf (2012).

Un modèle cristallographique basé sur l’assemblage de blocs d’unités rhomboédriques a été défini (Floquet & Vielzeuf, 2011, 2012) afin de mieux comprendre (1) l’organisation générale des sclérites, (2) la relation entre les orientations cristallographiques et la morphologie du sclérite, et (3) les désorientations progressives observées des unités cristallines.

Les sclérites à domaine unique peuvent être représentés par l’empilement de rhomboèdres11 (Figure 29 b), tandis que les sclérites à multi-domaines peuvent être représentés par l’empilement de rhomboèdres et de pseudo-rhomboèdres. Si l’on approfondit l’ultrastructure des sclérites à domaine unique, il a été montré la présence de désorientations12 non aléatoires des unités cristallines (Floquet & Vielzeuf, 2011, 2012). Celles-ci sont faibles le long de l’axe central et augmentent progressivement dans la protubérance, du centre vers l’extérieur (jusqu’à 15°) (Figure 29 d). L’augmentation progressive des désorientations vers les extrémités des protubérances serait liée à la croissance par l’addition de couches concentriques de grains de calcite sub-micrométriques.

Figure 29| Structure cristallographique d’un sclérite de Corallium rubrum. (a)

Sclérite en forme d’haltère à domaine unique observé en lumière blanche, composé de huit protubérances mais avec six d’entre elles visibles dans ce plan. (b) Modèle cristallographique montrant l’assemblage des rhomboèdres (Rm) de calcite formant le sclérite à domaine unique en (a). (c) Observation du sclérite en (a) dans le plan perpendiculaire à l’axe longitudinal, montrant la disposition des trois protubérances disposées autour de l’axe. (d) Assemblage idéalisé des rhomboèdres formant le sclérite en (c) et montrant les désorientations progressives augmentant du centre vers l’extérieur des protubérances, jusqu’à 15°. Chaque protubérance est composée de trois lobes avec des désorientations similaires. D’après Floquet & Vielzeuf (2012).

b) L’axe squelettique

L’observation de la surface du squelette par microscopie électronique à balayage montre la présence de microprotubérances à une densité d’environ 700 microprotubérances par mm2 (Grillo et al., 1993; Perrin et al., 2015; Weinberg, 1976).

Figure 30| Vue macroscopique de l’axe squelettique de Corallium rubrum. (a) Vue

générale de la colonie. Les parties orange clair aux extrémités des branches et à la base de la colonie correspondent à des restes de tissus organiques. (b) Agrandissement de (a) montrant les crénulations (emplacements des canaux gastrodermiques profonds) et des dépressions circulaires (empreintes des polypes) dans la partie subapicale. (c) Morphologie caractéristique de la partie subapicale avec les crénulations présentant des bifurcations [A]. (d) Partie apicale d’une branche de C. rubrum. D’après Vielzeuf et al. (2008) et modifié parPerrin (2014).

L’apex de l’axe squelettique est composé d’agrégats de sclérites et de sclérites isolés intégrés dans une couche de calcite magnésienne. La partie subapicale est composée de couches continues recouvertes de microprotubérances. La structure interne de l’axe squelettique est constituée de deux zones distinctes mises en évidence sur une coupe transversale de l’axe : une zone médullaire, au centre, et une zone annulaire, en périphérie. La partie annulaire est composée de couches concentriques de calcite. Quelques sclérites sont parfois présents mais leur proportion ne dépasserait pas 1% en volume de l’axe (Perrin, 2014).

La disposition de la MO en couches concentriques permet d’estimer l’âge de la colonie et son taux de croissance par le comptage des anneaux de croissance (100 à 200 µm de large) sur une coupe transversale de l’axe colorée au bleu de toluidine (Gallmetzer et al., 2010; Marschal et al., 2004). Ces anneaux de croissance présentent des variations de concentration en MO (Marschal et al., 2004), en magnésium et en soufre (Floquet & Vielzeuf, 2012; Vielzeuf et al., 2008) qui seraient liées à la dynamique de croissance de la colonie. La surface du squelette présente des crénulations et des microprotubérances que l’on retrouve également au niveau de chaque anneau de croissance au sein du squelette (Vielzeuf et al., 2008). La zone médullaire, quant à elle, est située au centre de l’axe squelettique. Sa forme générale présente des dépressions qui seraient liées à la localisation de polypes dans un stade de développement primitif de la colonie (Figure

31 a) (Perrin et al., 2015). Cette zone est composée de sclérites et d’agrégats de sclérites intégrés

dans un ciment calcitique. En effet, l’immunomarquage réalisé sur une coupe d’axe squelettique de C. rubrum avec un anticorps dirigé contre la matrice organique a permis de mettre en évidence la présence de sclérites dans la zone médullaire (Figure 31 c) (Debreuil et al., 2011a). L’observation de cette zone en microscopie électronique en électrons rétrodiffusés a confirmé la présence de sclérites isolés et d’agrégats de sclérites cimentés dans des couches de calcite (Figure 31 b) (Perrin et al., 2015). Ces auteurs ont également montré que la structure de la zone médullaire de l’axe squelettique de C. rubrum est similaire chez d’autres espèces du genre

 Formation de l’axe squelettique

Lacaze-Duthiers (1864) fut le premier à proposer une hypothèse afin d’expliquer le mécanisme de formation de l’axe squelettique. En se basant sur l’observation d’une similarité entre la forme des sclérites libres dans les tissus et les microprotubérances recouvrant le squelette, il suggéra que la formation de l’axe squelettique résultait de la migration des sclérites de la mésoglée vers la zone de formation de l’axe squelettique, et de leur cimentation par un ciment calcaire. Mais plusieurs études ont apporté des éléments suggérant que l’axe squelettique résultait de deux mécanismes de croissance distincts (Allemand, 1993; Allemand & Bénazet-Tambutté, 1996; Allemand & Grillo, 1992; Debreuil et al., 2011a; Grillo et al., 1993; Perrin et al., 2015).

Ainsi il est actuellement proposé que la croissance axiale de la partie médullaire se ferait par l’addition de sclérites ou d’agrégats de sclérites cimentés ensemble par du ciment calcitique à l’apex (croissance bloc par bloc). La croissance radiaire de la partie annulaire se ferait quant à elle par l’addition de couches concentriques de calcite (croissance couche par couche) sécrétées par l’ectoderme aboral. Le passage d’un mécanisme de croissance à l’autre serait contrôlé par l’anatomie de l’organisme et principalement par le développement du réseau de canaux profonds. Les canaux gastrodermiques profonds constitueraient une barrière physique entre le squelette et la mésoglée contenant les scléroblastes et empêcheraient l’addition de sclérites dans l’axe tout en favorisant la croissance couche par couche. Ces deux processus de croissance distincts sont associés à des taux de croissance différents. Le taux de croissance du diamètre d’une branche de

C. rubrum a été estimé entre 200 et 350 µm par an (Garrabou & Harmelin, 2002; Marschal et al.,

2004; Vielzeuf et al., 2013) alors que le taux de croissance axiale a été estimé autour de 1,8 ± 0,7 mm par an par (Garrabou & Harmelin, 2002). Le matériel calcitique constituant les sclérites, les agrégats de sclérites, le ciment entre les sclérites, et les couches annulaires est constitué de cristallites de calcite magnésienne (Floquet & Vielzeuf, 2011; Lacaze-Duthiers, 1864; Vielzeuf et al., 2010) mais sécrété par des types cellulaires différents : les scléroblastes produisent les sclérites, l’ectoderme aboral produit les couches annulaires, mais l’origine cellulaire du ciment calcitique n’est pas formellement établie.

 Structure cristallographique de l’axe squelettique

L’analyse ultrastructurale de l’axe squelettique montre que les unités cristallines sont arrangées en huit niveaux hiérarchiques de modules cristallins allant d’une échelle millimétrique à une échelle nanométrique (Figure 32), avec la présence de faibles différences d’orientations entre chaque module.

Figure 32| Représentation schématique de l’organisation mésocristalline à huit niveaux hiérarchiques de l’axe squelettique de Corallium rubrum. Seul le niveau 8 est

observable à l’échelle macroscopique lors de coupes transversales de l’axe squelettique (cr : crénulations). Niveau 1 : nanograins ; Niveau 2 : sous-unités submicrométriques ; Niveau 3 : fibres ; Niveau 4 : losanges ; Niveau 5 : fuseaux ; Niveau 6 : assemblage des fuseaux ; Niveau 7 : chevrons de fuseaux ; Niveau 8 : arrangement radial des unités de deux chevrons qui sont observées sur coupe schématique transversale. Les angles et les longueurs ne sont pas respectés. Préservation de l’ordre cristallographique selon l’axe c. D’après Vielzeuf et al. (2010), modifié par Debreuil (2012b).

CHAPITRE 3

Le développement de microcolonies pour

l’étude in vivo de la calcification chez

Corallium rubrum

Chapitre 3 L

E DEVELOPPEMENT DE MICROCOLONIES POUR L

ETUDE IN VIVO DE LA CALCIFICATION CHEZ

C

ORALLIUM RUBRUM

1. Apport des microcolonies pour l’étude de la calcification

1.1. Développement de la technique

Le microbouturage a été développé afin de travailler en écotoxicologie et en physiologie sur des fragments de coraux, essentiellement scléractiniaires, de petite taille et issus d’une même colonie mère. Cette technique permet d’obtenir des réplicas génétiquement identiques, ou clones, en grande quantité : les microcolonies (Al-Moghrabi et al., 1993; Davies, 1995; Reynaud-Vaganay et al., 1999; Shafir et al., 2001; Shafir et al., 2003). Elle est basée sur la capacité de régénération des coraux par reproduction asexuée. Le protocole consiste à couper des fragments de branches de coraux de quelques millimètres à centimètres de long, composés d’un ou plusieurs polypes, afin d’obtenir des entités clonales. Il existe deux types de microcolonies (Figure 33) : (1) les boutures qui sont suspendues par des fils ou déposées sur un tamis en nylon, et (2) les boutures qui sont collées sur différents supports (plexiglas, lamelle en verre...) et qui ont été également appelées « Lateral skeleton preparative assay » ou LSP par Raz-Bahat et al. (2006).

Figure 33| Présentation des deux types de microcolonies composées de fragments de

L’histologie des microcolonies et les premiers stades de calcification ont ensuite été décrits plus en détail chez S. pistillata (Raz-Bahat et al., 2006). Dans les deux types de microcolonies, quelques jours après le prélèvement du fragment, le tissu reprend sa croissance et recouvre entièrement le squelette mis à nu lors du bouturage pour ensuite s’étendre horizontalement sur le support.

1.2. Microcolonies et étude de la calcification

Les microcolonies bouturées et mises à pousser sur des supports ont jusqu’à présent été exclusivement utilisées pour des études sur les coraux scléractiniaires (Tableau 5).

Tableau 5| Tableau récapitulatif des études utilisant des microcolonies de coraux scléractiniaires poussant sur des supports. Les étoiles (*) indiquent les études relatives à la

calcification.

Auteurs Année Titre de la publication

* Tambutté E. 1996 Processus de calcification d'un scléractiniaire hermatypique

Stylophora pistillata (esper, 1797). Etude de la croissance in situ sur l'atoll de mururoa.

* Muscatine et al. 1997 Morphology of coral desmocytes, cells that anchor the calicoblastic epithelium to the skeleton.

* Reynaud-Vaganay et al. 1999 A novel culture technique for scleractinian corals: Application to investigate changes in skeletal δ18O as a function of temperature.

Shafir et al. 2001 Nubbing of coral colonies: A novel approach for the

development of inland broodstocks.

Shafir et al. 2003 The use of coral nubbins in coral reef ecotoxicology testing * Puverel et al. 2005 Antibodies against the organic matrix in scleractinians: A

new tool to study coral biomineralization.

Shafir et al. 2006 Coral nubbins as source material for coral biological research: A prospectus.

* Raz-Bahat et al. 2006 In vivo light-microscopic documentation for primary calcification processes in the hermatypic coral Stylophora

pistillata.

* Tambutté et al. 2007 Observations of the tissue-skeleton interface in the scleractinian coral Stylophora pistillata.

* Venn et al. 2011 Live tissue imaging shows reef corals elevate pH under

their calcifying tissue relative to seawater.

* Tambutté et al. 2012 Calcein labeling and electrophysiology: insights on coral tissue permeability and calcification.

* Venn et al. 2013 Impact of seawater acidification on pH at the tissue-skeleton interface and calcification in reef corals.

* Holcomb et al. 2014 Coral calcifying fluid pH dictates response to ocean acidification.

Auteurs Année Titre de la publication

* Tambutté et al. 2015 Morphological plasticity of the coral skeleton under CO2 -driven seawater acidification.

* Shapiro et al. 2016 A coral-on-a-chip microfluidic platform enabling live-imaging microscopy of reef-building corals.

Les microcolonies poussant sur des lamelles en verre sont un bon modèle d’étude in vivo pour la calcification. En effet, le développement des tissus au contact de la lamelle permet l’observation des premiers stades de formation des structures minéralisées par l’utilisation d’un microscope inversé, comme illustré ci-dessous avec des microcolonies de Stylophora pistillata (Venn et al., 2011) (Figure 34).

Figure 34| Microcolonie de Stylophora pistillata poussant sur une lamelle en verre, observée au microscope inversé. (A) Microcolonie vue du dessus. (B) Agrandissement de la

zone définie par un carré rouge en (A) montrant le front de croissance du tissu dépourvu de zooxanthelles à l’extrémité. (C et D) Images obtenues en microcopie optique des cristaux (c)

Ces cristaux de différentes morphologies grandissent et se rejoignent pour former une épaisseur ininterrompue de squelette, qui continuera ensuite de croître en épaisseur par dépôt successif de CaCO3. En plus de l’observation des premiers stades de formation du squelette, le développement de ces microcolonies a également rendu possible l’étude de la physiologie de la calcification et notamment d’un paramètre important, le pH au site de calcification, qui sera présenté dans le chapitre suivant.