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Partie 5. La médiation active : un référentiel complexe à opérationnaliser

3. Comment solliciter les entreprises et avec quels supports d’intéressement ?

3.1. Un réseau constitué par les jeunes

La recherche d’immersions ou plus généralement d’expériences professionnelles en entreprise est un moment important de la phase d’accompagnement collective mais aussi individuelle (voir ci- dessus, 3.4.). Les acteurs de l’insertion confèrent à ces actions une dimension pédagogique cen- trale : elle permet de vérifier l’engagement des jeunes dans leur parcours, et de les activer dans le cas contraire. Les jeunes sont incités à chercher par eux-mêmes un terrain d’immersion le plus rapi- dement possible après l’accompagnement collectif. Le discours revendiqué par certains acteurs est bien de mettre la « pression » sur les jeunes, comme à MUSEE où le modèle « 2-2-2 » (voir plus haut) oblige les jeunes à trouver une immersion en moins de deux semaines. À la ML REPUBLIQUE cette pression est efficace puisque entre 80 et 90 % des jeunes obtiennent une im- mersion à la suite des six semaines. À la ML ECOLE, le directeur assure également mettre une pression sur les jeunes, mais les taux d’obtention d’une immersion rapide sont nettement plus bas. Le réseau d’entreprises est ainsi constitué par les jeunes. Les jeunes sont le « premier réseau pro-

fessionnel » explique un conseiller ; ils se transmettraient même des offres entre eux, dans les co-

hortes initiales ou dans les regroupements « inter-cohortes » comme à la ML REPUBLIQUE.

Dans la majorité des ML, il n’y a donc pas d’utilisation du réseau connu de l’équipe emploi, mais création d’un propre réseau par les jeunes eux-mêmes. Les conseillers peuvent bien sûr orienter les jeunes vers des employeurs locaux, mais on ne retrouve pas de logique de fournir un stage « en dernier ressort », quand bien même l’aspect inégalitaire de cette délégation de la re- cherche de stage au jeune lui-même est connu60. Cette recherche d’expériences professionnelles

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A la différence des lycées professionnels où les responsables pédagogiques finissent par « trouver des stages » aux jeunes lycéens ; cette fourniture en dernier ressort de stage suit toujours une première phase dite « pédagogique » dans laquelle les jeunes cherchent par eux-mêmes, même si cela fait ressortir différents mécanismes discriminatoires notamment. Voir Farvaque N. (2009) « Discrimination dans l'accès au stage : du ressenti des élèves à l'intervention des enseignants », Formation Emploi, n° 105. Voir aussi sur ces mêmes questions de l’inégalité devant les stages : Forner Y., Dosnon O., Gonnin-Bolo, Lebeaume J. (1996), « Les

autonome permet donc d’évaluer justement l’autonomie du jeune. La ML « outille » cette autono- mie. Un stage trouvé de façon autonome a ainsi une certaine valeur aux yeux du jeune et permet d’élargir la base d’entreprises connues de la ML. Les jeunes vont en effet frapper à la porte d’employeurs jamais contactés auparavant par la ML. Les quelques employeurs que nous avons contactés sont entrés en contact par le biais d’un jeune. C’est ainsi que les jeunes sont considérés comme les « ambassadeurs » de la mission locale explique la direction à EGLISE. Le concours des jeunes en tant qu’ambassadeurs voire intermédiaires entre la ML et les employeurs locaux a donc une certaine efficacité dans l’obtention des stages. Dans cette ML à EGLISE, les conseillers GJ ainsi que l’adjointe de direction qui anime le dispositif ont rejeté l’idée qu’ils étaient des intermé- diaires visant à mettre en relation les jeunes et les entreprises. Ils disent ainsi ne pas faire de pros- pection d’entreprises, ne pas faire de mise en relations, deux activités qui seraient celles du service « emploi » de la ML avec laquelle ils ne sont pas en phase. « Ce n’est pas moi qui fait la mise en

relation, elle se fait par le jeune (…) car c’est au jeune d’être acteur de sa recherche d’emploi »

(conseiller GJ), « ce sont eux les ambassadeurs de la mission locale » (directrice adjointe). « Le

jeune sait pourquoi il a envie de venir dans telle entreprise parce qu’on aura travaillé avec lui sur la valorisation de ses savoirs, savoir-faire et ses compétences transverses qu’il va pouvoir aller vendre directement auprès de l’entreprise, et on va cibler avec lui (…) on va préparer : « je pré- pare une immersion, qu’est-ce que je vais faire, pourquoi je cible cette entreprise, qu’est-ce que je vais y faire ? » (idem). La coordinatrice GJ à CRECHE est sur la même position : « ce sont les jeunes qui nous ouvrent les portes des entreprises ». L’idée de prospection est disqualifiée. « Il vaut mieux un bon noyau d’entreprises que 60 entreprises » pour le directeur adjoint de CHATEAU.

Cependant, certains jeunes restent sur le carreau à la suite de cette recherche autonome. Lorsque l’on observe les documents de suivi dans les ML, on constate que certains jeunes n’ont connu au- cune immersion depuis leur entrée dans la GJ. À STADE, le directeur est le seul responsable ren- contré à s’exprimer contre cette démarche de recherche autonome. Pour lui, il est essentiel de ga- gner la confiance des entreprises. « Je viens du marketing et ce que l’on apprend, c’est que le client

important n’est pas celui qu’on gagne, mais celui qu’on perd ». D’où certains doutes sur le fait de

faire faire la prospection par les jeunes eux-mêmes. « Il y a un risque à laisser l’initiative aux seuls

jeunes, on va perdre plein d’entreprises qui vont se lasser ». Ce risque de « flinguer le réseau » est

permanent quand les relations avec les entreprises sont fragiles et peu formalisées.61

Au final, cette prospection par les jeunes et non par les ML a malgré tout l’intérêt de créer des contacts avec de nouveaux employeurs ; cependant il y a peu de capitalisation par les ML de ces nouveaux contacts, sauf à avoir une structuration efficace permettant d’organiser des bilans avec temps et méthode. Les immersions s’apparentent à des expériences au coup par coup. Les employeurs sont vus comme offrant un service aux jeunes, mais dans peu de situations les ML se mettent en position d’offrir un service aux employeurs. La logique d’offre de service reste in- versée et donc classique : ce sont les employeurs qui acceptent de prendre en « stage » les jeunes. À cet égard, il est frappant que l’argument principal retenu par les conseillers de GJ soit la dimension citoyenne des employeurs. Ils recrutent des stagiaires car ils ont une « fibre sociale », en raison de leur « fibre de parents », pour des motifs liés à leur « RSE » (responsabilité sociale des entreprises), « par idéologie », la « volonté citoyenne de patrons », etc.

Les immersions sont donc ainsi principalement utilisées dans une logique de confirmation du projet ou de simple découverte des codes de l’entreprise, pour les jeunes, et non pour ouvrir de nouveaux

stages en entreprise : quels effets chez les jeunes de collège ? », Revue Française de Pédagogie, n° 115, pp. 33-42. Ce principe de démarche autonome reste toutefois porté par l’ensemble des acteurs du monde éducatif et de l’emploi (SPE, Education nationale, Afpa), comme le montre une récente étude du CESER Aquitaine, 2015, Les stages en milieu professionnel en Aquitaine, Avis adopté en séance plénière, 15 octobre 2015.

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Voir notre rapport, Farvaque (2007), Difficultés d’accès et discriminations dans l’accès au stage. Le ressenti des lycéens de

l’enseignement professionnel, le point de vue des enseignants et des employeurs, Rapport Equal pour la Fondation Léo Lagrange.

Voir aussi F. Dhume et N. Sagnard-Haddaoui, « La discrimination, de l’école à l’entreprise. La question de l’accès aux stages des élèves de lycée professionnel en région Lorraine », ISCRA, décembre 2006.

espaces avec employeurs. Dans cette logique, la ML REPUBLIQUE classifie en quelque sorte les entreprises constituant son « pool » (une centaine d’employeurs) en fonction du rôle qu’ils peuvent tenir dans l’aide à l’autonomisation d’un jeune GJ. Selon l’objectif suivi en correspondance avec la situation du jeune, le jeune serait « orienté » vers différents types d’employeurs. Les CGJ n’hésiteraient pas à mobiliser leur réseau personnel (restauration, boutiques de prêt à porter, arti- sans) pour envoyer des jeunes en test sur un métier (serveur, vendeur, boucher, aide en cuisine) sans craindre les conséquences pour la ML (« griller un bon contact » avec une entreprise du vivier de la ML). Les collectivités locales sont souvent bien connues des ML et perçues comme un vivier inté- ressant de futurs emplois aidés. La position de la ML REPUBLIQUE est assez différente. À ses yeux, l’employeur public se prête mal aux « contraintes » du dispositif de la GJ : difficulté à mettre en place un tuteur, lenteur du processus de signature de convention compte tenu du nombre de « vi- sas » requis avant renvoi à la ML, moindre ouverture à l’idée de « tester des jeunes » pour de futurs recrutements. À CHATEAU, les usages repérés des PMSMP sont essentiellement dans la confirma- tion du projet, dans certains secteurs comme les métiers de la sécurité ou la grande distribution. Il n’y a pas de stages réalisés dans des milieux professionnels « hors projet » du jeune, par exemple en vue de découvrir le monde du travail ou de révéler des compétences fortes.

La logique d’une offre de service par la ML en direction des employeurs, s’appuyant sur ses contacts ou destinée à lui ouvrir de nouveaux contacts, reste donc limitée. Nous avons cepen- dant observé différentes situations où cette offre de service ML se développe, sous des formes d’accords partenariaux plus ou moins élaborés, ce que nous présentons ci-dessous. D’abord, avec les entreprises d’intérim, qui deviennent des intermédiaires centraux pour la logique de mise à l’emploi des ML. Ensuite, avec d’autres partenaires locaux qui reconnaissent à la ML une qualité de mobilisation des jeunes, de présélection et de sécurisation des parcours, c'est-à-dire une mise en forme des jeunes et une collaboration possible dans le recrutement et le suivi dans l’emploi.