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Partie 2. Le repérage des jeunes « NEETs » vulnérables

4. Éligibilité, tri et sélection à l’entrée de la GJ

4.4. Le passage à un repérage sur flux

Le lancement de l’expérimentation a autorisé les ML à repérer les jeunes dans les « stocks ». Cer- tains jeunes déjà connus ont ainsi été recontactés. Mais très vite, le repérage des jeunes cibles s’est fait sur le flux. « On a tapé dans les stocks » nous dit une responsable de ML. Cela pose un pro- blème de « connaissance » du jeune : les jeunes dans les stocks, donc déjà suivis, sont déjà connus de la ML, ce qui signifie que le jeune a déjà reçu un ou plusieurs entretiens, que son projet a déjà été abordé, que ses problématiques (ou freins…) éventuels ont déjà été repérés au moins en partie. Avec la montée en puissance de la GJ, le repérage se fait désormais sur le « flux ». Ce sont ainsi des jeunes non connus, en primo accueil et donc jamais suivis auparavant qui sont invités à entrer dans la GJ. Ce temps d’accompagnement initial n’a pas lieu ou dans un temps moins important. Les con- seillers prescripteurs peuvent donc envoyer des jeunes reçus depuis peu vers la ML. La fiche de proposition d’entrée dans la GJ exige cependant un exposé des motifs supposant un premier travail entre ce conseiller prescripteur et le jeune. Mais à plusieurs reprises est déploré le fait que sont en- voyés vers la GJ des jeunes peu connus. L’échange suivant avec la directrice et son adjointe à la ML EGLISE résume le souci de réaliser un premier diagnostic des jeunes avant l’envoi en GJ.

DA : Ça a été quand même pointé hier en disant…, en tout cas sur les dernières entrées, parce qu’on a les entrées de juillet août, ils se sont tous accordés à dire que finalement cette injonction d’entrée a impacté sur l’orientation. Des jeunes qu’ils n’avaient vus…, ils l’ont

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On reprendra à notre compte la préconisation du SGMAP d’ « établir une procédure nationale entre la DGEFP et la DGFIP [Direction générale des finances publiques] pour faciliter l’obtention des documents fiscaux au niveau local ».

dit, alors vraiment…, c’était vraiment… pas quelque chose qui était agréable pour eux, mais que du coup ils les avaient vus une fois, pour certains deux fois, pour ces dossiers, et puis ils étaient orientés vers la Garantie jeunes.

D : Parce que du coup-là on n’est plus tout à fait sur le stock, comme on l’était au départ. Au départ on était quand même sur des jeunes qu’on connaissait quand même depuis un pe- tit moment. Là aujourd’hui on est un peu sur du premier accueil, donc… Il y a des question- nements à se poser.

DA : Du coup ils se sont posés en disant…, en tout cas il y en a plusieurs qui ont dit : « Moi je vais les garder avant ».

Q. D’accord, de faire un peu… DA : D’accompagnement.

Q. D’accompagnement avant de… D : En amont, pour mieux les connaître.

Le rôle des conseillers insertion en tant que prescripteur ou « gare de triage » est donc essentiel. Dans l’optique d’un accompagnement décloisonné qui interviendrait à terme, dans lequel la GJ se- rait une des modalités d’accompagnement pour les jeunes les plus vulnérables, il est donc important de penser au rôle de ces premiers accueils et de cette logique de flux. Dans les ML aujourd'hui, les jeunes de la GJ peuvent ainsi être bien connus d’un partenaire qui les aurait envoyé vers la struc- ture ; de même l’accompagnement collectif conduit les conseillers GJ à très bien connaître ces jeunes ; mais au moment du primo-accueil le conseiller travaille avec des jeunes sur flux qu’il con- naît moins bien.

CONCLUSIONS

Cette partie est revenue dans le détail sur la question du repérage des jeunes. Il s’agissait d’une question évaluative centrale pour notre étude. Son importance a été réaffirmée à mesure que les services du Ministère observaient que les jeunes entrants dans la GJ étaient déjà globalement con- nus des ML. Face au nombre de NEETs comptabilisé en France, ce constat a pu être réalisé avec étonnement : pourquoi les ML n’arrivent-elles pas à capter ce vivier apparemment massif ?

Nous avons tenté d’apporter une réponse détaillée. Il y a d’abord un problème de référence statis- tique. Le vivier de la GJ ce ne sont pas les NEETs, indicateur à faible portée opérationnelle pour les politiques d’insertion qui regroupe en coupe des situations conjoncturelles (jeune en transition entre une grande école et un premier emploi par exemple) et structurelles, parmi lesquelles les jeunes vulnérables, en décrochage, etc. La GJ vise précisément ces jeunes NEETs vulnérables, ce qui est un sous-ensemble difficilement quantifiable pour la statistique publique. Ce groupe cible ne peut être qu’estimé à l’aide de variables proches. Plus précisément, la GJ fixe des critères monétaires précis pour pouvoir bénéficier de la GJ, ainsi que des critères de vulnérabilité sociale ou familiale, tandis que les acteurs du terrain ont contribué – pour les raisons évoquées ci-dessus – à placer comme critère central la capacité du jeune de s’engager dans le dispositif. La vulnérabilité est donc un critère d’entrée mais aussi une cause possible de non-sélection, afin de ne pas proposer un ac- compagnement non adapté à des jeunes en grande difficulté.

La GJ s’adresse donc au sous-groupe des jeunes NEETs vulnérables, mobilisables dans l’emploi et repérés par la ML ou ses partenaires. Les ML ont redoublé d’efforts pour aller au contact de ces populations et il s’avère au final que ce groupe cible correspond assez bien au public habituellement suivi par elles. Cela signifie bien que les ML sont bien identifiées comme une structure-ressource

pour ces jeunes cibles43. Les autres jeunes plus vulnérables sont soit volontairement coupés des ins-

titutions, soit en retrait des ML en raison de déceptions passées, soit accompagnés par des travail- leurs sociaux qui hésitent à les faire entrer dans un dispositif d’emploi, etc. Une autre statistique trompeuse est celle du taux de prescriptions réalisées par les partenaires de la ML, qui ne rend pas compte du travail réel réalisé quotidiennement par les travailleurs sociaux de différentes institu- tions. Il est possible, de plus, que le public jeune adulte, bien repéré par les ML, soit par contraste un « point aveugle » des politiques d’action sociale au niveau local, centrées sur les plus de 25 ans (RSA) ou la jeunesse jusque 21 ans (ASE). Nous avons noté que la GJ a donné lieu à la constitution ou au renforcement de partenariats entre la ML et de nouveaux acteurs hors de la sphère habituelle « emploi formation », notamment avec ces équipes de travailleurs sociaux. Ceci se fait dans un con- texte où des référentiels de l’action sociale (aller vers les jeunes, voire aller dans les familles) se diffusent au sein des ML traditionnellement prises dans un référentiel d’accueil. La démarche vo- lontaire, centrale dans l’inscription à la ML et a fortiori dans la GJ, conduit nécessairement à des phénomènes de déperdition.

Il faut donc combattre l’idée d’une vision mécanique du repérage. Les partenariats sont com- plexes et prennent du temps. Les territoires professionnels y compris symboliques des acteurs ne sont pas identiques. Dans le cas précis de la GJ, il faut bien préciser les difficultés rencontrées. La principale est que les NEETs vulnérables sont plutôt bien repérés par les partenaires des ML. Mais le fait est qu’ils ne sont pas tous mobilisables dans l’emploi. Après une phase de lancement où les ML avaient un vivier large puisqu’il correspondait à l’ensemble de leurs jeunes en stock, elles font désormais face à une phase de croisière où elles puisent dans les flux et les primo-accueils, c'est-à- dire un volume de candidats moins importants. Toutes aujourd'hui sont concernées par cette diffi- culté de repérer « en flux tendu ».

Dans ce contexte, la perspective de généralisation et d’augmentation du volume global d’entrée pose question. Le souci d’ « alimenter » le dispositif, c'est-à-dire la pression sur la réalisation du nombre d’entrées fixé, a conduit par endroit à des prescriptions non pertinentes autant pour le jeune (cas de jeunes avec de trop grandes difficultés sociales) que pour la vie du groupe.

Il est donc nécessaire à nos yeux d’éclaircir cette question des critères d’éligibilité dans la perspective de généralisation. À critères identiques, les ML seront confrontées à une impossibilité pratique de réaliser les volumes. Un assouplissement des critères de vulnérabilité sociale permettrait à des jeunes également relégués sur le marché du travail, mais vivant dans des familles moins pré- caires financièrement (classes moyennes), de bénéficier d’un accompagnement utile et efficace. Des outils clairs et précis concernant le caractère discrétionnaire de la mesure devraient être mis au point. La question du bénéfice de la GJ dans le cadre d’un pré-accompagnement moins intensif et différencié pour les cas les plus vulnérables, en relation avec les différents partenaires, devrait être posée.

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L’expérience du contrat d’autonomie avait aussi conduit au constat de jeunes cibles déjà connus (à hauteur de 80 %) par les ML ou Pôle emploi. Cf. Crusson L., (2011), « Le contrat d'autonomie : mise en oeuvre par les opérateurs et profils des bénéficiaires »,

DARES Analyses, n° 013.