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Partie 6. Contraintes administratives et de redevabilité : l’impact sur le travail

1. Des contraintes administratives croissantes et des règles changeantes

Les contraintes administratives sont liées à l’ampleur des éléments de reporting et au cadre fixé pour l’enregistrement de ces données. Le financement des ML par l’État, de 1 600 € par jeune, est lié au respect d’objectifs qualitatifs (sorties positives ou volume d’immersions durant le parcours) et d’obligations de reporting.

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SGMAP, Déploiement de la Garantie jeunes, Diagnostic, 2015.

De plus, pour les missions locales situées sur des territoires éligibles à l’IEJ, le fonds social euro- péen rembourse à l’État un forfait de 3 600 € (accompagnement + allocation) par jeune bénéficiaire en sortie positive, après contrôle du service fait, qui est réalisé par la DGEFP. « Ainsi, l’exhaustivité et la qualité des données communiquées à la DGEFP sont indispensables afin de garantir le niveau des financements européens qui conditionne le déploiement de la Garantie jeunes ».73 Les ML ont

ainsi l’obligation de procéder à la collecte des données et à l’archivage numérique des pièces justi- ficatives utiles. Tous les territoires, qu’ils soient « territoires IEJ » ou non, ont à procéder à cette traçabilité. Une note de fin juillet 2015 est venue préciser ces nouvelles exigences. Des formations ont été réalisées pour accompagner les ML dans la mise en œuvre de ces nouvelles instructions. Depuis septembre 2015, la numérisation s’opère par le biais d’un portail qui est une « réplique » informatique du portail « Ma Démarche FSE » utilisé comme interface habituel pour les institutions bénéficiant de financements européens. Nous avons compris que cette réplique était nécessaire pour homogénéiser la procédure de l’ensemble des ML, sur les territoires IEJ ou non.

Cette procédure de rassemblement de toutes les pièces et de leur numérisation est lourde et intense. Ce sont surtout les pièces justifiant de l’accompagnement et des expériences du jeune qui représen- tent la charge la plus volumineuse.

En général, les pièces à l’entrée au dossier sont disponibles, conservées ; c’est de plus le jeune qui participe lui-même à leur obtention, ce qui peut conduire à des phénomènes de déperdition (abordés

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Note DGEFP relative au processus de contrôle et de gestion de la GJ pour 2015, 31/07/2015.

Un financement des ML par objectifs

Les ML bénéficient d’un crédit d’accompagnement de 1 600 € par jeune entré dans le dispositif. Le versement de cette somme est conditionné par l’atteinte de plusieurs objectifs :

- un objectif quantitatif (70% du financement) : c’est un objectif annuel d’entrées de jeunes en Garantie jeunes ;

- des objectifs qualitatifs (20% du financement) : ces objectifs s’apprécient de la manière suivante :

o le jeune doit avoir suivi un accompagnement de 12 mois dans le cadre de la Garantie jeunes (18 mois en cas de réalisation d’une mission de service civique au cours de l’accompagnement en Garantie jeunes) ;

o la sortie du jeune doit être considérée comme « positive », c’est-à-dire que le jeune peut alternativement :

 être en emploi à l’issue des douze mois d’accompagnement (ou de 18 mois dans le cadre de la réalisation d’une mission de Service Civique) ;

 être en formation professionnelle qualifiante ou diplômante dans le cadre de la formation initiale ou continue à l’issue des douze mois d’accompagnement (ou de 18 mois dans le cadre de la réalisation d’une mission de Service Civique);

 avoir créé une entreprise à l’issue des douze mois d’accompagnement (ou de 18 mois dans le cadre de la réalisation d’une mission de Service Civique) ;

 avoir été en situation professionnelle pendant au moins 4 mois, dont 80 jours effective- ment travaillés, au cours des douze mois d’accompagnement (hors renouvellement) (ou de 18 mois dans le cas d’un renouvellement et dans le cadre de la réalisation d’une mis- sion de Service Civique). La mention des 120 jours de date à date précisée dans l’instruction financière et correspondant au moyen existant de comptabilisation des jours dans le SIMILO n’est plus d’actualité, seule la comptabilisation des 80 jours effective- ment travaillés prévaut pour déterminer si cet objectif est atteint.

- des obligations de reporting (10% du financement) : ce sont des obligations de collecte des données et de stockage des pièces justificatives.

Ne sont pas considérées comme des situations professionnelles le bénévolat, le service civique ou les travaux d’intérêt général.

Source : Questions/réponses n° 4 – 18 mars 2016

plus haut, § 3.4.). Ces différentes pièces (Cerfa, pièce d’identité, justificatifs divers) apparaissent nécessaires pour l’entrée dans un dispositif lié à une allocation monétaire. Pour les conseillers, la lourdeur tient donc à la fois de l’obtention de ces différentes pièces (mais cela est difficilement ob- jectivable et, de plus, le jeune participe à cette tâche administrative) et à la numérisation de ces do- cuments. Il faut respecter un nom d’enregistrement de ces pièces une fois scannées, du type AAAAMMJJ-NOM-P-identité.pdf. Le document d’instruction le plus récent, en date du 31 juillet 2015, fait apparaître de nouvelles exigences (comme celle d’obtenir une copie de la pièce d’identité en cas de tiers hébergeant le jeune) qui n’avaient jusque-là pas été posées.

Mais ce sont les pièces « attestant de la réalité de l’accompagnement par la ML » et celles « justi-

fiant la sortie positive du jeune » qui représentent la charge la plus lourde. Pour ce qui est de

l’accompagnement, les ML doivent remplir et scanner les trois fiches de progression complétées à l’entrée, à mi-parcours et à la sortie du dispositif (chaque fiche fait deux pages soit 18 pages à rem- plir au total). Pour ce qui est de l’évaluation des sorties, cela dépend de la situation du jeune au terme des douze mois :

- Si le jeune est en emploi : Contrat de travail ou fiche de paye et attestation de l’employeur que le jeune est bien en emploi (modèle fourni par l’administration)

- S’il est en formation continue : attestation de l’inscription et attestation de l’organisme que le jeune est bien présent

- Si le jeune n’est pas en emploi ou en formation à la sortie, il faut prouver qu’il a bien passé 80 jours de situation professionnelle sur l’année. Pour cela sont réclamés tous les contrats ou conventions jus-

tifiant ces expériences (Cerfa PMSMP ou contrats de travail), tous les bilans de mises en situation professionnelle et leurs annexes, et un tableau récapitulatif… Les bilans de mises en situation font

deux pages tandis que l’annexe demandée correspond à un tableau de présence indiquant les jours, heures de début et de fin des expériences (fig. ci-dessous). Le caractère infantilisant de ce type de documents a été pointé.

Plusieurs ML se plaignent ainsi de la charge conséquente de ce suivi administratif massif et en décalage avec la logique d’expérimentation. « 90 pages numérisées par jeune, est-ce tolé-

ments, il faut prendre en compte le temps de récupération, de prise de contact avec les employeurs ou centres de formation, dans une logique infantilisante (prouver que le jeune est bien en emploi). De plus, ces nouvelles instructions ont un caractère rétroactif. Les ML ont donc dû recontacter l’ensemble des employeurs ayant recruté ne serait-ce qu’une ou deux semaines pour obtenir ces éléments ! Cette charge de travail est inquantifiable. L’introduction de nouvelles règles rétroactives vient prescrire ces nouvelles tâches ; il est impossible d’y déroger sous peine de ne pas obtenir les financements publics. Comme l’indique le Question-Réponses du 4 mars 2016, à la question : « La note DGEFP date du 31 juillet 2015 a été connue début septembre par les conseillers GJ et les pièces demandées deviennent retro-obligatoires : que faire s'il est impossible de les récupérer ? », la réponse apportée est la suivante : « Dans la mesure du possible, il convient de réunir l'ensemble des pièces justificatives sans lesquelles la sortie positive ne pourra être constatée ni les obligations de

reporting respectées ». La ML REPUBLIQUE témoigne sur ce point. Elle a réalisé, suite à la for-

mation « Ma démarche FSE », que les émargements n’avaient pas souvent eu lieu pendant les mises en situation professionnelles. Il faut rappeler l’employeur pour régulariser. Ça ne se passe pas tou- jours bien…

En plus de ces obligations « rétro-obligatoires », les règles elles-mêmes changent en cours de route. Le FSE imposerait ainsi depuis peu un décompte non en jours mais en heures des temps d’expériences professionnelles réalisées par les jeunes. Il ne suffit plus de décompter les jours, il faut maintenant décompter les heures (cf. annexe ci-dessus). Ceci dégrade les relations avec les en- treprises. Les ML du département d’ECOLE et REPUBLIQUE évoquent en commission départe- mentale un problème de crédibilité et d’image avec les employeurs locaux.

Il faut prendre également en compte pour certaines ML l’emprise des sollicitations permanentes de l’État, en demande de chiffres, de précisions sur les fiches de liaisons des jeunes, etc. Sur cer- tains départements comme celui de EGLISE et PARC, l’État a une volonté de reprise en main du dispositif et contrôle l’action des missions locales

J’ai même ma collègue de PARC qui me dit : « De toute façon maintenant la DIRECCTE nous demande un truc, on répond dans les cinq minutes », je dis : « Oui, parce que ça fait deux ans qu’on a les fesses collées à notre chaise ». Et ce n’est pas normal, ce n’est pas normal. L’autre jour je faisais la réflexion à [la directrice adjointe], j’ai été sur une réunion dans un quartier, sur un centre social, je suis arrivée, je suis revenue, j’ai dit : « A part une personne, je ne connaissais plus personne autour de la table », ce n’est pas normal, en tant que directrice de Mission locale, ce n’est pas normal. Je ne dis pas que… les chargés de projets ne sont pas présents, mais du coup il y a des choses qui nous échappent, et ça ce n’est pas normal. C’est vrai que…, oui, la DIRECCTE maintenant ils nous envoient un truc, tac tac, dans les deux secondes…, c’est tout juste si le tableau, il ne faut pas qu’on l’ait déjà fait, rempli et renvoyé (directrice ML EGLISE)

Douze mails par jour ! Dix coups de fil ! Ils avaient toujours l’impression qu’on était là, en train d’attendre leur truc quand on répondait : on est en réunion, on ne peut pas vous don- ner les chiffres avant deux jours, c’était impossible à entendre (directrice ML PARC)

Il convient également d’interroger la conversion des objectifs du dispositif en indicateurs de suivi et d’évaluation. Les objectifs visent l’« autonomisation » du jeune et sa mise en expérience pro- fessionnelle. Or, plusieurs cas de mise en situation de travail considérés comme positifs par les conseillers, dans cette logique d’autonomisation, sont écartées de fait de l’évaluation. Il s’agit du service civique notamment. Pour rappel le service civique est un engagement volontaire au ser- vice de l'intérêt général ouvert aux 16-25 ans et indemnisé. Ces missions font sens pour les jeunes qui y accèdent, pourtant elles ne peuvent être qualifiées d’expériences professionnelles ou de sorties positives. Ceci apparaît en contradiction avec la logique même du dispositif. L’acquisition d’expériences et l’autonomisation est réelle dans le cadre du service civique. Par ailleurs, nous avons déjà évoqué plus haut le cas de l’IAE (plus précisément des ateliers et chantiers d’insertion et des associations intermédiaires), qui offre également des expériences professionnelles réelles – c’est

le sens même de l’IAE ! – mais qui a été écartée des lieux d’expérience validant le suivi. Certaines ML réclament aussi de valoriser davantage le temps passé en formation et les éventuelles périodes de stage incluses dans les formations longues (actuellement non comptabilisées dans les 80 jours). Enfin il faut interroger la réduction de l’objectif d’autonomie à des indicateurs d’emploi. Un objec- tif fortement valorisé par les ML, qui donne sens au parcours dans la GJ et permet un usage orienté vers le « futur » de l’allocation (Loison-Leruste et al., 2016) concerne le financement du permis de conduire. C’est véritablement un enjeu d’autonomisation pour de nombreux jeunes en ML. L’obtention du permis de conduire représente un véritable élargissement des opportunités des jeunes dans ces parcours d’insertion. On peut l’analyser en termes d’expansion de leurs libertés d’agir. A l’inverse la non-possession du permis de conduire réduit ces libertés. Certaines ML de notre échantillon (ML CRECHE) innovent en proposant un service d’auto-école intégré. En tout cas il serait intéressant de considérer l’obtention ou la possession du permis dans les critères de suivi. Il s’agit d’un indicateur retenu par l’évaluation quantitative nationale du dispositif.