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Partie 4. L’accompagnement des jeunes et la gestion des promotions

5. L’après-six semaines : une difficile maîtrise des temps

La gestion de l’accompagnement individuel après ces semaines d’accompagnement collectif est plus complexe. L’arrivée d’un accompagnement collectif a condensé la plupart des réflexions dans les ML, car cela représente une nouveauté, alors que l’accompagnement collectif a moins été l’objet d’une pensée et d’un outillage. Or, cela concerne plus de dix mois sur les douze de la GJ. L’accompagnement individuel est davantage invisibilisé comparativement à la visibilité forte des groupes de jeunes dans les ML. Autant l’accompagnement en groupe a fait l’objet d’une pen- sée, d’une planification, d’une gestion dans le temps et dans l’espace, et donc d’une incorpora- tion précise dans le temps de travail des conseillers, autant le suivi individuel est géré de façon plus éparse selon une logique de flux moins maîtrisée. Des rendez-vous de suivi et de contrôle

peuvent être organisés à la demande de la ML ; de même certains jeunes peuvent solliciter leur con- seiller qui va les convier à un rendez-vous. Cependant, la plupart des conseillers nous évoquent des cas à traiter en flux immédiat, par téléphone ou en présence du jeune qui s’est rendu à la ML. La place du téléphone est ici importante. La plupart des CGJ sont équipés de téléphones portables pro- fessionnels et laissent leur numéro aux jeunes suivis. Ces derniers, en emploi ou hors emploi, sem- blent faire un usage important du téléphone, ce qui est une source de contrainte temporelle pour les conseillers – mais aussi un moyen pratique de conserver un lien constant avec les jeunes une fois qu’ils ont quitté l’accompagnement collectif.

En théorie, nous rappelle une CGJ de ECOLE, le contact doit être quasi quotidien. Dans les faits cela varie beaucoup d’un jeune à l’autre. Certains donnent spontanément des nouvelles, en particu- lier s’il y a un problème urgent à régler. D’autres ne contactent pas, même pour prévenir d’une dif- ficulté. Est par exemple cité le cas d’un jeune homme qui a abandonné une formation qualifiante (aide de vie) aux trois quarts de la formation et n’a pas prévenu. La ML a découvert la situation plusieurs semaines après. Les conseillers connaissent bien leur portefeuille de jeunes et savent ceux qu’ils doivent contacter et ceux qui sont dans une position connue.

Nous reprenons par exemple les listes de jeunes d’une cohorte de 2015, choisie aléatoire- ment, avec un conseiller GJ de CHATEAU : « L., elle a un projet pour travailler dans les

pompes-funèbres, mais elle est contre passer son permis ! M., il est dans le sport, ça le fait. E., elle a contrat dans une boutique de hamburgers. J., je l’ai perdu. O., il est à l’armée. E., il fait un Emploi d’avenir dans le paysage. D., lui il est ultra-violent, il a perdu la garde de sa fille, j’y arrive pas… » Il est loin de contacter systématiquement chaque jeune de façon

régulière, et s’en tient aux cas compliqués, ainsi qu’aux sollicitations de leur part. Cela con- duit à un emploi du temps assez difficilement planifiable sur le temps de suivi individuel. (notes d’observation)

À la ML ECOLE, les deux CGJ semblent actuellement dépassées par la charge relative au suivi individuel. Elles disent recevoir les jeunes une fois par mois maximum (sauf si sollicitation directe du jeune) et réfléchir à une offre de service qui permettrait de mettre davantage ces jeunes « sous tension »55. Elles insistent sur les fortes sollicitations des jeunes après les six semaines.

on est en contact direct, il y en a qui ont beaucoup de demandes. Il faut être mobilisé très tôt le matin, très tard le soir, le weekend parfois ! On a un portable professionnel, après on ne répond pas forcément le weekend, il y a une barrière à poser, mais sur la GJ je pense qu’ils ont un appui, comme si c’était les parents, quelqu'un qui va les appuyer dans toutes les dé- marches, pas que l’emploi. Parce qu’on n’est pas que sur l’emploi sur la GJ, on est beau- coup sur le social aussi. Ce sont des jeunes qui partagent beaucoup, leurs difficultés. (CGJ ECOLE)

Sur CHATEAU, l’objectif théorique de contacter une fois par semaine les jeunes n’est pas tenu. C’est un objectif impossible à tenir, d’ailleurs pas forcément nécessaire : « on voit ceux qui sont ni

en emploi ni en stage, faut être honnête on ne va pas voir ceux pour qui ça roule, peut-être un en- tretien téléphonique, mais s’ils travaillent c’est en même temps que notre travail, on ne va pas de- mander de venir en rendez-vous ici, ce serait absurde. » (CGJ CHATEAU). Ils accentuent en re-

vanche le suivi des jeunes en difficulté.

Et puis c’est surtout ceux qui n’ont rien, ou qui sont en attente de quelque chose et qui du coup ont besoin d’avoir un petit coup de pouce, pour lever les freins au niveau de la santé, du logement du budget où là, ça leur prend beaucoup, beaucoup d’énergie à résoudre ces difficultés. Tant que ça n’est pas résolu, on ne peut pas les mettre au travail. Parce que s’ils

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L’idée lors de nos entretiens était de mettre en place des « rallyes » au cours desquels les jeunes auraient à réaliser une tournée des entreprises locales d’un secteur porteur, en leur fixant des objectifs. Une autre idée est le projet de création (en fin de cette année) d’un club des chercheurs qui s’inspirera du « club des jeunes chercheurs » de Pôle emploi : l’objectif est de les amener a se réunir une à deux fois par mois mais les modalités ne sont pas encore définies.

ne savent pas où ils dorment le soir, comment leur dire : tu vas travailler, on s’en fiche moi j’ai fait mon job. Non, ce n’est pas possible. Pour nous ce n’est pas possible. Pour eux c’est la même chose. (CGJ CHATEAU)

Ce suivi individuel, mal préparé et mal prescrit, peut mettre les conseillers sous pression. Dans les termes de l’expérimentation, la GJ engage elle aussi fortement les conseillers qui se doivent d’offrir des solutions et des opportunités aux jeunes. Le sentiment de débordement qui peut être évoqué par les conseillers doit toutefois être pondéré par des données objectives. Selon les informations que nous pouvons obtenir du système d’information des ML, il y aurait un écart important entre le nombre de rendez-vous mensuels moyens par bénéficiaire tel qu'on peut le saisir dans le suivi for- mel des ML (déclarations des actions dans i-Milo), soit un par mois après la phase d'accompagne- ment collectif, et les déclarations des conseillers évoquant les sollicitations assez importantes des jeunes qui repassent à la ML de façon spontanée ou surtout qui les sollicitent par téléphone. Ces passages fréquents à la ML découlent d'une minorité, d’où une moyenne globale faible, mais suffi- samment « active » pour donner le sentiment aux conseillers d'être souvent sollicités. Cependant, seuls les rendez-vous donnant lieu à des échanges formels sont consignés, la plupart des interactions entre les conseillers et les jeunes qui repassent se faisant « entre deux portes », de façon ponctuelle ou par téléphone, et ne sont pas consignés. De plus le travail est fréquemment haché et interrompu par des appels de jeunes. C’est une conséquence de la relation de proximité avec les jeunes. Lors de notre entretien collectif avec un groupe de conseillers jeunes, une conseillère nous montre avoir reçu sept appels en moins d’une heure et demie. Le temps de l’après six-semaines peut correspondre à un temps de sollicitation permanente pour les conseillers.

Certaines ML tentent de réinsuffler une part de collectif dans le suivi individuel, de façon à mieux maîtriser ce temps. C’est le cas de la ML REPUBLIQUE qui, à la suite des cinq semaines d’accompagnement collectif, organise des « clubs » inter-cohortes, alors que la ML EGLISE pro- pose un « Espace Regroupement » qui s’apparente à cette démarche. L’intérêt de cette méthode, telle qu’elle est formalisée à REPUBLIQUE, est qu’elle permet de voir au minimum une fois par semaine les jeunes GJ qui ne sont ni en emploi, ni en stage et ni en formation et surtout de les voir dans un cadre collectif renouvelé, les différentes cohortes étant mélangées. Les jeunes ont ainsi la possibilité d’étendre encore leur réseau. Ces « clubs » abordent des thèmes différents (CV en ligne, lettre de motivation, enquête métiers, etc.) en fonction des besoins. Les CGJ qui les connaissent bien (chaque binôme suit « ses » jeunes) leur fixent des objectifs d’une semaine sur l’autre. Cela n’empêche pas, bien entendu, la tenue d’entretiens individuels. L’organisation de ces collectifs « in- ter-promo » est actuellement prônée dans les formations réalisées par la DGEFP. L’exemple de la ML REPUBLIQUE semble montrer l’intérêt de cette pratique.

Le suivi individuel n’est bien sûr pas disqualifié et sert à gérer des cas complexes, relatifs aux pro- blèmes de logement par exemple, qui ne pourraient être résolus dans ces collectifs. L’accompagnement individuel permet également de remobiliser certains jeunes en difficulté au-delà des six semaines, parfois dans le cadre d’une forte psychologisation de la relation. Un conseiller de la ML CHATEAU évoque ainsi spontanément trois cas de jeunes qui ont connu des difficultés et qui ont peu été en immersion après les six semaines : pour chacun des cas, il évoque son propre rôle, mi-coach, mi-psychologue : « W., il n’a fait que deux semaines en entreprise et il a foiré ! il

avait même une proposition d’embauche ! Je suis allé lui secouer les puces. Et là, on voit l’histoire familiale assez lourde. Alors on lui fiche un peu la paix. Il a fini par cracher le morceau sur son histoire, maintenant je peux travailler avec lui en confiance. Le conseiller Garantie jeunes il a un boulot difficile, il faut trouver une fibre psychologique… On est dans la bienveillance et le soin. Le temps que ça sorte, des fois ça prend du temps. (…) » Le cas de M., une jeune fille, est présenté

comme un cas de parcours positif. Elle aussi a « craché le morceau », « on a établi un rapport de

confiance où elle m’a autorisée à la secouer ». Cette jeune fille a trouvé une formation. Le cas de I.,

un jeune homme, est également présenté comme un « cas intéressant », et c’est encore une fois un cas d’un jeune avec des problèmes de famille. « Je suis allé le chercher », dit ce conseiller. Ce jeune est actuellement en contrat de professionnalisation vente.

CONCLUSIONS

D’une façon générale, contrairement à l’hyper-organisation de la phase d’accompagnement collectif, cette phase post-accompagnement collectif est nettement moins organisée, au sens de ressources fournies aux conseillers pour être en mesure de maîtriser le flux. Les actes métiers sont nettement différents entre le travail de l’accompagnement collectif qui s’apparenterait à celui de formateur (et avec les mêmes contraintes d’organisation des plannings, de gestion d’un groupe, etc.) et celui de l’accompagnement individuel qui s’apparente davantage au métier de conseiller en ML, que de nombreuses recrues externes aux ML n’ont jamais exercé. L’enjeu est de bien gérer le flux entre rendez-vous planifiés et du temps libre permettant de réaliser les nombreuses tâches administratives et de s’ajuster aux sollicitations non prévues. Les conseillers du département où se situe la ML CHATEAU, réunis en séminaire d’échange de pratiques en mars 2016, en conviennent : « on a eu le nez dans le guidon, on n’a pas pensé à l’après-six semaines ». L’organisation des temps collectifs – innovation de procédé dans les ML – a donné lieu à un apprentissage progressif ; les ML ont appris à attribuer un sens à cet accompagnement qui est souvent celui d’accéder à une « meilleure connaissance » des jeunes et de parvenir à les mobiliser. Bien que présentée comme une expérimentation, la GJ s’est retrouvée associée à une convention d’organisation et à des impératifs (accompagnement pendant six semaines, des ateliers obligatoires, etc.). Les énergies se sont con- centrées sur ce premier volet collectif et le second volet de l’accompagnement individuel n’a ni été pensé ni cadré. Ceci entraine aujourd’hui une forte sollicitation des conseillers, selon une logique de flux non maîtrisé et de connexion permanente via les téléphones portables.