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Partie 5. La médiation active : un référentiel complexe à opérationnaliser

2. Une transformation de la relation au jeune davantage qu’une transformation de la

2.2. L’accompagnement collectif transforme les jeunes

Pour rendre les jeunes « acteurs », les ML mettent l’accent sur l’intérêt de la phase d’accompagnement collectif. La relation au jeune est transformée dans la mesure où cette phase permet d’accéder à une « meilleure connaissance » de ces jeunes. L’idée est que lors de l’accompagnement collectif, les conseillers parviennent à mieux connaître les jeunes que par rap- port à un suivi individuel. « Les masques tombent » notait l’étude de l’ANDML. Deux responsables nous ont parlé du « vernis » derrière lequel les jeunes peuvent se cacher en entretien individuel ; or en collectif « on gratte et le vernis tombe rapidement » (directrice ML EGLISE). L’idée, évoquée à la ML d’ECOLE, est que cette meilleure connaissance permet d’être plus efficace dans l’orientation et la prescription d’outils. « On sent plus rapidement sur quoi il va falloir mettre la priorité », « on

peut plus facilement et rapidement lui faire des propositions puisqu’on l’a sous la main », « on peut déceler des problèmes graves d’ordre cognitif, physique, d’addiction etc. qui passaient inaperçus dans le cadre du suivi « classique », expliquent ainsi les conseillers GJ d’EGLISE. À meilleur dia-

gnostic, meilleurs remèdes, explique un conseiller à CHATEAU. « On connaît mieux les jeunes » est un constat fait partout dans les ML qui ont expérimenté la GJ. C’est un des points forts du dis- positif.

L’accompagnement collectif offre donc une meilleure base d’action aux conseillers, car ils connais- sent mieux les difficultés des jeunes. Cette démarche clinique confine parfois à une certaine psycho- logisation des relations, à la ML CHATEAU par exemple un CGJ évoque l’idée que « la connais-

sance de leur intimité s’impose à nous », ce qui est fortement valorisé par les conseillers, dans le

sens où cela permet une meilleure relation.

Cet accompagnement produit également des effets sur les jeunes. « Les jeunes sont transformés » dit le directeur de la ML ECOLE, ils sont mieux « outillés » (ML EGLISE), « ils apprennent de

nouvelles choses et enrichissent leur CV » (ML REPUBLIQUE). La transformation des jeunes,

au moins psychologique, est directement visible. La GJ dans sa dimension accompagnement collectif produit des effets de remobilisation et d’activation. « On n’est pas des formateurs, on

est des activateurs. On active les troupes, on met en action ! », dit un CGJ de ECOLE. Connaissant

mieux les jeunes, ils peuvent ainsi plus efficacement les activer, à la manière de coachs :

on les connaît hyper bien, quand on leur parle de la recherche d’un stage, ils vont plus nous solliciter, on est plus à même de les aider, dans leur prise de décision… (…) j’ai l’impression que je dis la même chose qu’avant [ancien CIP], je suis peut-être un peu plus exigeant parce que je connais mieux les jeunes, je suis en mesure de leur demander des comptes, mais pour autant ils font les mêmes recherches, les mêmes CV, les mêmes lettres de motivation, du coup c’est vraiment la relation qui change. (CGJ CHATEAU)

Ce terme de coaching n’apparaît jamais ni dans le prescrit ni dans les discours des acteurs, pourtant il nous semble qu’une transformation visible du métier de conseil liée à la GJ tient à cette relation de coach qu’entretiennent les conseillers aux jeunes. Un objectif jamais énoncé est celui de « déve- loppement personnel » des jeunes, qui est central dans les pratiques de coaching qui recourent aux méthodes d’accompagnement collectif comme individuel.57 À l’étranger, en Suisse romande par

exemple, des programmes d’insertion des jeunes en difficultés renvoient directement dans leur con- ception à une logique de coaching.58

Cette transformation valorisée de la relation au jeune grâce à la nouveauté de l’accompagnement collectif est certainement l’un des résultats majeurs de l’évaluation quali- tative du dispositif.59

Certains outils, comme les compétences fortes, les expériences positives, plus largement la dynamique du groupe, et bien entendu les immersions en entreprise, sont appréciés pour ce qu’ils permettent justement de « remobiliser » les jeunes, de leur faire prendre conscience de leurs talents et reprendre confiance en eux, et de les « booster » vers une démarche plus dyna- mique. Dans une telle démarche qualitative, il est bien entendu très difficile d’isoler le rôle et l’effet net du dispositif sur d’autres facteurs pouvant se produire dans bien d’autres sphères ; toutefois d’un point de vue professionnel la GJ est perçue comme ayant cet effet de mobilisation supérieur à l’entretien individuel classique pour les jeunes ciblés.

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Salman, S., 2013. Une hygiène psychique au travail ? Genèse et usages du coaching en entreprise en France. Thèse de doctorat en sociologie, Université Paris Ouest Nanterre.

58

Bonvin et al. étudient le dispositif FORJAD destiné aux « jeunes adultes en difficulté » (18-25 ans) sur le canton de Vaud en Suisse, avec plusieurs finalités : un travail d’aide aux jeunes en matière de définition d’un projet professionnel, une aide à l’orientation vers les dispositifs d’apprentissage en vue de décrocher un emploi. D’un point de vue normatif, le dispositif vise à rendre ces jeunes adultes « autonomes des régimes d’aides publiques » : en clair, faire de l’emploi le vecteur incontournable de l’intégration sociale mais aussi de la réalisation de soi, tandis que la formation par l’alternance est vue comme le meilleur moyen pour accéder à un emploi. Telle est la normativité particulière de cette politique cantonale, dans un contexte de très faible chômage structurel des jeunes (4.4% à l’époque de l’enquête mais un taux en progression significative) et d’un système éducatif dual dans lequel l’apprentissage a une place importante (avec une orientation très précoce). Le parcours des jeunes en FORJAD s’articule autour d’un coaching individualisé (sur différents axes : scolaire, professionnel, social et personnel) et d’utilisation de mesures d’insertion (ateliers, bilans de compétences, stages en entreprise etc.). Les coachs assurent le suivi de 20 jeunes contre 80 à 100 habituellement pour les conseillers en insertion. Il nous a semblé que le dispositif présentait certaines ressemblances avec la GJ. Voir Bonvin, J.-M., Dif-Pradalier, M., & Rosenstein, E. (2013). « Trajectoires de jeunes bénéficiaires de l'aide sociale en Suisse. Une analyse en termes de capabilités ». Agora débats/jeunesses, dossier "Normes sociales et bifurcations dans les parcours de vies des jeunes", 65(3), 61-75.

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Egalement visible chez Loison-Leruste et al. (2016)

2.3. Des organisations et une conduite du changement centrées sur la relation au