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La réputation des produits typiques comme ressource commune La notion de ressource commune, parfois nommée bien commun ou encore propriété commune

Le maintien de la rente grâce à l’information et l’action collective

II. Le problème de l’action collective

2.1. La réputation des produits typiques comme ressource commune La notion de ressource commune, parfois nommée bien commun ou encore propriété commune

dans la littérature, renvoie à l’idée d’une ressource, qui peut être naturelle ou « artificielle » c'est-à-dire construite par les acteurs, et qui est utilisée par plusieurs personnes comme si elle appartenait à tous. Une des caractéristiques fondamentales d’une ressource commune, c’est qu’aucun individu membre du groupe des utilisateurs ne peut être exclu (d’où l’idée de propriété commune). Une autre caractéristique importante est que ce type de ressource est limité, une utilisation déraisonnée et excessive pourrait à terme épuiser la ressource et l’ensemble des acteurs s’en trouveraient privés. Nous commençons par revenir sur la classification des biens selon les critères d’exclusion et de

rivalité (2.1.1.), puis nous examinons la réputation au regard de cette classification (2.1.2.)

pour souligner qu’elle constitue une ressource commune à l’ensemble de la communauté de production.

2.1.1. Exclure et soustraire : une approche des types de biens

Divers types de biens ont été identifiés en se basant sur les modalités de consommation dont ils font l’objet. Samuelson (1954) distingue initialement deux catégories, les biens de consommation privée et les « biens de consommation collective »55 pour lesquels « each individual’s consumption of such a good leads to no subtraction for any other individual’s consumption of that good » (p. 387).

Buchanan (1965) ajoute une troisième catégorie, les « biens de club » en observant la possibilité pour les individus de se rassembler en associations privées (les « clubs ») pour acquérir des biens ou proposer des services exclusivement destinés aux membres du club, en excluant les non-membres de leur usage. La taille du groupe apparaît comme un élément central, du fait de possibles problèmes de congestion56.

55 Qui sont décrits comme des biens publics purs.

56 Cornes et Sandler (1996) proposeront la définition suivante « a club is a voluntary group of individuals who derive

mutual benefits from sharing one or more of the following: production costs, the membership characteristics or a good characterized by excludable benefits » (p. 347). Plusieurs caractéristiques des clubs sont ensuite détaillées : le

volontarisme, le partage, l’exclusivité, le mécanisme d’exclusion, la décision double (créer le club et y adhérer), l’équilibre de Nash sous-optimal (problème de free-riding) et un support gouvernemental nécessaire.

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Hardin (1968) analyse un autre type de biens qu’il nomme « biens communs », pour lesquels il n’est pas possible d’exclure des acteurs de l’usage du bien, alors même que l’usage par un acteur réduit la possibilité d’en faire autant pour les autres (nous y reviendrons au 2.1.2.).

Deux critères de classification sont donc identifiés : le critère d’exclusion fait référence à la possibilité d’empêcher un individu ou un groupe d’utiliser le bien et le critère de rivalité correspond à la situation où l’utilisation du bien réduit ou empêche les autres acteurs de l’utiliser à leur tour (tableau 2).

Tableau 2 : Classification des biens selon les critères de rivalité et d’exclusion

Exclusif Non exclusif

Rival Bien privé Bien commun ou bien public impur

Non rival Bien club Bien public pur

Ostrom et Ostrom (1977) confrontent cette classification à des observations empiriques et proposent d’en modifier certains termes. Ils proposent de renommer les biens communs en « ressources communes », ce qui permet de souligner la rivalité avec l’idée qu’une ressource peut être dégradée. Ils proposent également de renommer les « biens de clubs » en « biens à péage » afin d’insister sur la possibilité d’exclure des acteurs en instaurant des barrières à l’entrée (il y a des coûts pour pouvoir accéder au bien, d’où le terme « péage »). Il ressort de leurs observations que le terme « rivalité » ne traduit pas la réalité des conditions d’usage (notamment des ressources communes) car quand le stock de ressource est encore important cette rivalité n’est pas vécue par les acteurs. De plus, si la ressource est étendue géographiquement (une forêt par exemple), sa diminution progressive n’est pas perceptible par tous les acteurs. Ostrom et Ostrom proposent alors de remplacer le terme « rivalité » par « soustractibilité d’utilisation ». Ils recommandent enfin d’utiliser des gradients entre les catégories, en faisant varier par exemple la capacité d’exclure de faible à forte, ce qui apparaît plus réaliste qu’une approche binaire de biens exclusifs ou non (tableau 3).

Tableau 3 : Classification des biens selon les gradients d’exclusion et de soustractibilité d’utilisation

Exclure un acteur de l’utilisation du bien Difficile Facile

Soustraire l’usage du bien à autrui

Difficile Facile

Bien Publics Biens de péage (clubs) Ressources communes Biens privés

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Les ressources communes, telles que nous les avons décrites en introduction du 2.1. sont limitées et non-exclusives. Ce sont donc des ressources pour lesquelles il est possible de soustraire l’usage à certains acteurs (en dégradant la ressource par exemple), alors qu’il est relativement difficile d’exclure un acteur de son utilisation. En se plaçant du côté d’un utilisateur « raisonné », cette situation apparaît pour le moins inquiétante. En revanche, d’un point de vue opportuniste, elle est intéressante car il est possible d’utiliser intensément et sans coût supplémentaire une ressource dont l’accès ne pourra jamais être fermé. Il est alors tentant de se comporter comme dans le cas d’un bien public pur, bien que la ressource commune ne soit jamais infinie.

2.1.2. La réputation comme ressource commune ou bien-club ?

La réputation des produits de terroir peut être entendue comme une ressource commune car il semble a priori difficile pour un acteur d’exclure un autre acteur de l’utilisation de la réputation, par contre, il est possible pour un acteur de soustraire l’usage de cette réputation aux autres acteurs, ou de diminuer leurs possibilités de consommation de cette ressource. En effet, utiliser la réputation pour un produit ne possédant pas les qualités attendues peut affaiblir cette réputation et par conséquent réduire la possibilité pour les autres d’en bénéficier. Chaque utilisation du nom réputé pour un produit ne possédant pas les qualités attendues - que cette utilisation soit opportuniste ou non - revient donc à dégrader la ressource et à diminuer le bénéfice potentiel que le groupe peut retirer de son usage.

Winfree et Mc Clustrey (2005) examinent le cas des pommes de Washington, un produit anciennement reconnu pour ses qualités mais qui témoigne récemment d’une baisse générale de qualité, notamment gustative et de texture, au profit d’un système de calibrage (couleur, forme, taille) qui ne tient pas compte du goût. Les pommes de Washington bénéficient toutefois encore d’une réputation collective, partagée par l’ensemble des producteurs. Le nom “pommes de Washington” « only signals origin; it does not relfect specific quality or production standards » (Winfree et McClustrey, 2005, p. 212). Les auteurs estiment que l’excluabilité est très faible, ils relèvent d’ailleurs des utilisations du nom pour des pommes présentant une qualité jugée trop faible « the smaller producers, who do not attempt to differentiate their product, still have the economic incentive to cut costs by selling lower-quality products, while still benefiting from the collective reputation that Washington has built up over time » (p. 212). Ils affirment que cette réputation doit être entendue comme une ressource commune qu’il convient de gérer pour éviter qu’elle ne se dégrade. Sans un système de traçabilité, « the firms will extract too much from the stock of reputation ». Les auteurs appellent à l’introduction d’un standard minimum de qualité afin de limiter les incitations à utiliser la réputation pour de « mauvais produits ».

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Il en est ainsi pour les produits de terroir pour lesquels il n’y aurait aucune restriction efficace permettant de réguler l’usage du nom. La réputation étant construite par les acteurs, sa qualité de ressource commune apparaît progressivement, au fur et à mesure du processus de qualification et de la commercialisation du produit. Son caractère instable apparaît tout aussi graduellement, les acteurs sont alors parfois incités à gérer la ressource en même temps qu’elle s’amenuise.

Un moyen de gérer la réputation des produits de terroir consiste à construire des barrières à l’entrée dans le but de « consacrer une situation collective de monopole, organisée conjointement par l’ensemble des acteurs de la filière de production » (Perrier-Cornet, 1990, p. 28). La mise en place d’indication géographique, qui sera détaillée dans le chapitre suivant, peut permettre cela. En utilisant les critères de classification des biens, cette stratégie revient à instituer une non-rivalité pour la réputation entre certains acteurs et à exclure d’autres acteurs de ce groupe. Les AOC sont ainsi analysées comme des biens de club (Dupuy et Torre, 1998 ; Perrier-Cornet et Sylvander, 2000 ; Torre, 2002). Thiedig et Sylvander (2000) observent que les coûts d’exclusion élevés dans les AOP/IGP européennes (coûts liés au contrôle) qui peuvent être supportés individuellement par les groupes de producteurs. L’État doit prendre en charge en grande partie ces coûts, les AOP/IGP sont alors vues comme des « good-club coupled with governmental support to provide it » (p. 432). Torre (2002) observe que la non-rivalité entre les membres demeure partielle en prenant en compte les phénomènes d’encombrement et de congestion liés à un trop grand nombre d’utilisateurs.

Ces travaux permettent de mettre en lumière la nécessité de gérer la réputation des produits de terroir. Si cette ressource commune ne fait pas l’objet de coordinations, la réputation peut se diluer et par conséquent diminuer la rente de qualité territoriale associée.

2.2. Des « passagers clandestins » dans la logique de l’action collective ?