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Le maintien de la rente grâce à l’information et l’action collective

II. Le problème de l’action collective

2.3. Pour une gestion locale et collective des ressources

2.3.1. Conditions de l’action collective localisée

Pour Ostrom (1990), l’action collective nait de la résolution de dilemmes sociaux lorsque les acteurs sont en interdépendance face à une ressource. Cette interdépendance prend vie sous l’effet des institutions du groupe, qui sont un ensemble de règles qui relient les acteurs entre eux. Comme le soulignait Olson, c’est un accord des acteurs sur leur intérêt commun à gérer collectivement la ressource, par la prise de conscience de leur interdépendance, qui initie les actions collectives. Des attributs propres aux micro-contextes analysés ont été identifiés comme des conditions favorables à la coopération des acteurs. Des « principes de conception » des règles au sein de systèmes de gouvernance ont également été relevés.

Attributs des micro-contextes affectant le niveau de coopération

Des variables structurelles du contexte local de l’action (non liées à la répétition des situations de gestion collective) sont identifiées (Ostrom, 2010), en particulier le nombre de participants, l’hétérogénéité des acteurs et l’intensité des communications entre eux. La capacité d’action collective apparaît directement influencée par les la capacité d’interactions entre les acteurs et donc potentiellement diminuée par l’entrée de nombreux acteurs n’ayant pas de liens entre eux. Les

échanges au sein du groupe et entre les groupes sont donc placés au cœur de l’analyse. La capacité

d’action collective est renforcée dans les communautés qui maintiennent « frequent face-to-face communication and dense social networks – sometimes called social capital – that increase the potential of trust, allow people to express and see emotional reactions to distrust, and lower the cost of monitoring behavior and inducing rule compliance » (Dietz, et al. 2003, p. 1907).

Ostrom (2010) relève aussi plusieurs variables découlant de la répétition des situations de gestion collective. Les interactions répétées entre les acteurs augmentent le niveau d’information sur les actions passées. Les acteurs peuvent alors utiliser la réciprocité et la réputation pour construire une confiance dans les choix coopératifs des autres acteurs. Réputation, confiance et garantie de

réciprocité influencent donc positivement la capacité d’action collective.

Poteete et al. (2010) observent également que la communication et la connaissance de la réputation des acteurs améliorent le niveau de coopération, ils ajoutent également que la capacité

d’entrée et de sortie, un horizon lointain de coopération ainsi que la possibilité de décider les sanctions collectivement favorisent la coopération.

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121 Principe de conception des règles communes

Les échanges et les interactions entre les acteurs ne suffisent pas à garantir l’efficacité des coordinations et la continuité des actions collectives. Pour être efficaces, ces coordinations doivent permettre aux acteurs d’apprendre (savoir, savoir faire et savoir mieux faire), de déléguer leur pouvoir et leur responsabilité et d’élaborer continuellement de nouvelles règles (Ostrom, 1992).

Des règles générales encadrant la propriété des ressources communes sont identifiées (Schlager et Ostrom, 1992). Un faisceau de droits de propriété apparaît et dessine des règles générales devant être partagées par l’ensemble des usagers de la ressource : (1) l’accès - droit de prendre part à la propriété sur la ressource, (2) le prélèvement - droit de prélever des produits spécifiques de cette ressource, (3) la gestion – droit de transformer la ressources et de réglementer son usage, (4) l’exclusion – droit de décider qui a accès, peut prélever et peut gérer, et (5) l’aliénation – le droit de déléguer et céder l’ensemble de ces droits.

Pour ce qui est des règles spécifiques associées à la réussite ou à l’échec des systèmes de gestion, Ostrom (2012) reconnaît qu’elles varient selon les environnements et qu’il n’est pas possible de dégager des règles valables dans tous les contextes. Cependant, elle repère des « régularités institutionnelles » communes aux systèmes de gestion persistants sur de longue période et qui sont absentes en cas d’échec. Ces « principes de conception » des systèmes de gestion pérennes sont abordés dans divers travaux (Ostrom, 1990, 2005) et synthétisés par Cox et al. (2010) en huit principes :

1. Limites « intérieur-extérieur » bien définies : les utilisateurs légitimes et les non-utilisateurs sont clairement identifiés et cette identification est connue de tous au niveau local, les limites de la ressource par rapport à son environnement sont également identifiées par les utilisateurs. 2. Congruence entre les conditions locales et les règles ; congruence entre les coûts et les

bénéfices de règles : les règles de production et d’usage de la ressource sont congruentes (coïncident, s’ajustent simplement) avec les conditions sociales locales ; la répartition des coûts est proportionnelles à celle des bénéfices.

3. Modalités de choix collectifs : la majorité des utilisateurs affectés par les règles peuvent participer à leur modification. Possibilité de participer au choix ou de se faire représenter (chacun peut donner son avis).

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4. Gestion et surveillance : surveillance des utilisateurs (de leurs actions) et surveillance de l’état de la ressource, elle doit être faite par des acteurs qui tirent un bénéfice direct d’un meilleur état de la ressource.

5. Sanctions graduelles : les infractions aux règles donnent lieu à de faibles sanctions, le niveau de sanction est élevé si un utilisateur enfreint plusieurs fois les règles (les sanctions sont applicables par le groupe d’usagers ou par l’autorité locale selon la gravité).

6. Mécanismes de résolution de conflits : des instances locales permettent de réunir les utilisateurs ou des utilisateurs et des non utilisateurs en cas de conflits, cette instance est opérante (rapide, peu coûteuse).

7. Reconnaissance minimum des droits par les autorités : les autorités publiques locales ne doivent pas concurrencer les utilisateurs dans l’établissement de leurs propres règles d’usage et de gestion de la ressource60.

8. Coordinations horizontales et verticales : un réseau d’entreprises locales imbriquées (« intercommunity connections thought as horizontal linckages ») assurent la gouvernance autour de la ressource, en collaboration avec des institutions publiques reliées à divers niveaux (« vertical linckages »).

L’analyse d’Ostrom porte donc davantage sur la construction des règles et leur adaptation au contexte, que sur le contenu précis de ces règles qui peut varier d’une situation à une autre. Une institution efficace permettant de surmonter les conflits d’intérêts dans les dilemmes sociaux est donc une institution qui dure, c'est-à-dire qui s’adapte (qui est adaptée par les acteurs) aux changements de l’environnement. L’efficacité institutionnelle selon Ostrom est donc liée à la « robustesse » des institutions (Weinstein, 2014), à leur durabilité, ce qui reflète leur capacité d’adaptation. Ainsi, dans des systèmes complexes, caractérisés par des interactions multiples entre acteurs, la construction des institutions de gouvernance procède d’une sélection progressive des règles congruentes au contexte et apparaissant légitimes à la majorité des acteurs. Ceci relève d’un processus d’expérimentation (essais/erreurs) et d’apprentissages collectifs visant à une auto-organisation autour de la ressource pouvant s’avérer plus efficace qu’une autorité centrale unique de gestion (Ostrom, 2005, p. 281).

60 Scott (1998) observent les échec de règles de gestion lorsqu’elles sont imposées aux communautés par les gouvernements et ne correspondent pas aux conditions locales. Padgee et al. (2006) analysent la gestion de forêts dans 69 cas différents et observent que l’association de gouvernements locaux (notamment pour la sécurisation foncière) aboutit à des modes de gestion des forêts plus durables.

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Nous soulignons dans la sous-partie suivante que des variables structurelles extérieures à la situation d’action collective influencent les principes de conception des règles et les arrangements institutionnels locaux.