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d’indications géographiques Caractère collectif du demandeur d’enregistrement

4.2. Importance du moment d’intervention de l’IG dans le processus de qualification territoriale

En tenant compte des conditions de fonctionnement du modèle des indications géographiques que nous venons d’exposer, ces signes de qualité peuvent constituer des outils de maintien d’une rente de qualité territoriale. En effet, dans la situation « classique » d’un produit de terroir aux qualités typiques, reconnues par les consommateurs, et réputé, les acteurs locaux partagent certaines pratiques de production relativement stabilisées ainsi que la réputation du produit comme ressource commune. Une forme de coordinations des acteurs autour de la qualité préexiste à la démarche d’IG. La fonction généralement attendue de l’IG dans cette situation est de « fixer » certaines règles de production particulières ainsi qu’une aire géographique, afin de maintenir les qualités typiques et réserver l’usage de la réputation (et donc le bénéfice de la rente) aux producteurs qui investissent effectivement dans la qualification du produit. Dans cette approche de l’IG, la justification de la démarche d’enregistrement est en premier lieu l’outil juridique de lutte contre les usurpations. Le DIL de l’IG apporte des outils de traçabilité du produit et permet d’installer un cadre renouvelé pour l’action collective au sein du territoire. La démarche d’enregistrement intervient donc ici « en bout de course », en s’appuyant sur le processus de qualification territoriale du produit déjà à l’œuvre et sur les coordinations existantes entre les acteurs que l’IG tente de renforcer. L’objectif principal de la démarche est donc la protection et éventuellement une meilleure valorisation de ressources déjà révélées et actives.

Mais comme nous l’avons mentionné en introduction générale, certaines IG en Indonésie et au Vietnam sont construites sur des produits encore faiblement réputés et pour lesquels le processus de qualification est encore récent. Il est également repéré que certaines indications géographiques européennes portent sur des produits faiblement ancrés territorialement. Par exemple, le fromage Picodon présente un « système de production faiblement localisé » (Esposito-Fava, 2010) et n’utilise pas l’image de sa région de production (Drôme et Ardèche) pour se valoriser ni ne permet pas véritablement à celle-ci de tirer un grand bénéfice. Nous pouvons également citer l’exemple du fromage anglais AOP Beacon Fell Traditional Lancashire Cheese pour lequel « one producer dominates the entire qualification process out of perceived marketing advantages […] the strategy adopted in this latter case is clearly not territorial » (Tregear et al., 2007, p. 19).

Dans certains cas, il apparaît donc que les coordinations territoriales autour du produit sont encore faibles et que les stratégies des différents acteurs peinent à converger vers des actions collectives. Tous les produits candidats à l’enregistrement en IG ne font donc pas ressource localement. Ceci nous permet de nous détacher du « mythe » économique du produit de terroir réputé dont l’usurpation de la

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réputation appellerait naturellement à un enregistrement de la dénomination. De nombreux cas de produits enregistrés en tant qu’IG ont emprunté des trajectoires différentes de celle décrite au chapitre 1. Ainsi, pour des produits encore faiblement réputés, l’IG n’intervient pas « en bout de course », mais bien en amont d’un processus de qualification territoriale, qui peut –ou non- survenir.

L’objectif que les acteurs assignent à l’IG dans une telle situation ne peut donc pas être de protéger la réputation et de maintenir la rente, mais plutôt de stimuler l’établissement de cette réputation, grâce à une qualification du produit et à sa différenciation sur les marchés. L’IG est alors pensée comme un projet de territoire et un outil de mise sur le marché, visant à la fois à stimuler les coordinations entre acteurs, à créer les cadres d’action collective et à établir localement une convention de qualité sur laquelle la réputation du produit va progressivement être construite. Pour que ce projet prenne vie localement et se développe, l’intentionnalité des acteurs, et donc l’accord sur un objectif commun, est absolument nécessaire.

Nous pouvons ainsi reconsidérer certaines des conditions du modèle des IG. En effet, la spécificité et la typicité du produit ne sont pas systématiquement présentes au début de toute démarche d’enregistrement d’IG. De même, si l’objectif est de construire une réputation, l’existence d’un marché pertinent sur lequel les consommateurs reconnaissent déjà la réputation ne peut être considérée comme une condition du succès des IG. La question de la capacité d’action collective est également plus fortement posée pour ces produits en cours de qualification territoriale, car la réputation du produit ne pourra constituer la ressource commune permettant de rassembler les acteurs et d’orienter les stratégies individuelles vers une stratégie collective. Dans cette situation, la capacité de l’IG à susciter l’intérêt des acteurs n’est pas garantie, tout l’enjeu de la démarche sera de stimuler l’adhésion des producteurs et des autres acteurs de la filière, afin de renforcer le processus de qualification et les coordinations territoriales. Le degré de participation des acteurs dans la construction du projet d’enregistrement est un élément important car « il ne s’agit pas seulement de demander leur avis aux acteurs locaux mais bien plus fondamentalement de susciter leur adhésion, leur participation et leur implication dans une idée de construction collective des systèmes d’action publique » (Leloup, 2005, p. 10).

La question de l’utilisation de l’IG par les producteurs est également une question centrale. En effet, des règles de productions strictes peuvent faciliter la qualification du produit et son identification sur le marché, mais elles peuvent constituer des barrières à l’entrée importantes pour certains producteurs qui ne sont pas en mesure de réaliser les investissements éventuellement nécessaires pour le respect de ces règles de production. Ainsi, les producteurs les moins équipés se verront exclus de la dynamique de l’IG (Galtier et al., 2013), ce qui peut fragiliser la cohésion au sein du groupe de producteurs. En outre, le

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nombre d’utilisateurs est particulièrement important car le contrôle du produit et du respect des règles de production par l’association est généralement payé par les producteurs, ce qui permet à l’association de constituer un budget propre pouvant être utilisé pour des activités de promotion collective du nom. Un cercle vicieux peut s’instaurer : si un nombre élevé de producteurs choisissent de ne pas utiliser l’IG et donc ne font pas contrôler leurs produits, l’association sera peu rémunérée ce qui limitera sa capacité à développer des activités de promotion ; alors la réputation du produit ne sera que peu renforcée, ce qui n’incite pas les producteurs à continuer ou à commencer à faire contrôler leurs produits.

Comme le soulignent Belletti et al. (2014), l’utilisation ou non de l’IG est un choix raisonné par chaque firme en fonction du coût/bénéfice qu’elle peut retirer de cet usage. Si de petites firmes peuvent être contraintes de ne pas demander le contrôle (du fait d’une incapacité à pouvoir attester du respect des règles de production), de grandes firmes peuvent également trouver peu d’intérêt à l’usage de l’IG s’il leur apparaît trop coûteux d’insérer le produit sur un marché de niche spécialisé. Ainsi, le choix d’utiliser l’IG est incontestablement lié à la stratégie de marketing de firmes (Belletti et al., 2014, p. 7).

Il nous semble évident qu’il existe un gradient entre ces deux situations polaires. Des produits situés à des stades variés dans le processus de qualification territoriale peuvent être candidats à l’enregistrement en IG. Nous avons observé que l’action collective autour de ressources communes se heurte souvent à de multiples difficultés, et avons souligné que dans le cas de l’usage des IG dans le but de créer une réputation de qualité liée à l’origine, ces difficultés peuvent être renforcées du fait de l’absence de perception d’une ressource commune nécessitant des actions collectives pour son maintien.

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Conclusion du chapitre 3 – Diversité des usages des indications