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De l’usage de l’indication géographique

II. L’indication géographique institue un droit de propriété validant la qualité liée à l’origine

2.1.2. Établir un cahier des charges pour fixer les règles de production

En tenant compte des éléments impliqués dans le lien au terroir, un cahier des charges est rédigé et adjoint à la demande d’enregistrement. Ce CdC contient l’argumentation de la preuve de ce lien à l’origine (cf. 2.1.1.), une description des règles de production à respecter pour que le produit présente

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la spécificité attendue, la délimitation de l’aire géographique de production et éventuellement un plan de contrôle pour vérifier le respect du CdC.

Bérard et Marchenay (2007) posent la question de la prise en compte de la diversité des pratiques agricoles et de transformation dans l’élaboration des CdC. Par exemple, pour le saucisson de couenne consommé dans le Sud-Est de la France, on peut trouver une dizaine de déclinaisons du produit bien identifiées, correspondant chacune à une composition spécifique. De même, le chevrotin produit en Savoie et Haute-Savoie relève de multiples pratiques fromagères qui présentent toute une certaine spécificité74. L’établissement d’un CdC d’IG s’appuie sur une certaine codification des pratiques qui implique de faire des choix. Un CdC aux règles strictes permet l’élaboration de produits homogènes mais exclut une bonne partie de la diversité des produits (qui ne pourront plus être commercialisés en mentionnant la dénomination géographique réputée). À l’inverse, un CdC aux règles minimales ou trop flexibles permet d’intégrer cette diversité mais peut entraîner une image du produit mal identifiée, une hétérogénéité dans la production et une forme de dilution du lien au terroir (Belletti et al., 2014). Le processus d’élaboration du CdC doit à la fois tenir compte de la richesse et de la diversité du produit tout en opérant une réduction de cette diversité afin de mettre en exergue les qualités distinctives précises qui fondent la réputation et permettent la différenciation du produit sur le marché. L’enjeu est de taille car une fois l’IG enregistrée, les produits ne correspondant pas au CdC se verront dépossédés de l’usage du nom géographique. C’est pourquoi il convient d’associer les acteurs locaux à l’élaboration des CdC et de raisonner les choix avec eux (nous y reviendrons dans la section III. de ce chapitre).

Outre les règles de production, le CdC précise également l’aire géographique au sein de laquelle le produit peut être élaboré. La délimitation de cette aire s’appuie sur le repérage sur le terrain de l’existence, ou non, des facteurs de production particuliers (facteurs naturels et humains). Il convient que l’aire « possède des caractéristiques sensiblement différentes de celles des zones voisines »75 et que les conditions, à l’intérieur de l’aire, soient relativement homogènes. En tenant compte de ces objectifs, on comprend que les aires de production des IG ne correspondent pas nécessairement aux limites des découpages administratifs.

74 « […] celui des Aravis représente le berceau du reblochon et le chevrotin – parfois nommé reblochon de chèvre – est fabriqué selon les mêmes techniques. Dans le Chablais, le chevrotin se faisait en alpage par les producteurs du fromage abondance, selon des méthodes proches de celles qui s’appliquent au reblochon, mais dans un format un peu plus grand. Dans le massif du Mont-Blanc, on rencontre le chevrotin à croûte lavée du côté de Saint-Gervais, ou simplement frottée à Megève. Dans les Bauges, le chevrotin désigne habituellement un fromage à croûte grise » (Bérard et Marchenay, 2007, p. 29).

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Bérard et al. (2001) mettent en garde sur l’absence de critères objectifs, dans la réglementation européenne, pour délimiter les aires de production des IG. Selon les auteurs, « le risque était grand (et il l’est toujours aujourd’hui !) de voir émerger des IGP reposant sur des territoires délimités uniquement selon l’intérêt des acteurs économiques ou politiques en présence » (Bérard et al., 2001, p. 49). Ce risque apparaît d’autant plus grand lorsque l’on constate la difficulté technique de la délimitation d’une aire de production pour une IG. Bérard et al. (2001) identifient six critères susceptibles d’intervenir dans la délimitation de l’aire : l’origine des matières premières, les facteurs écologiques, les savoir-faire locaux, la réalité économique actuelle mais également historique et l’existence d’un zonage préalable. À chaque critère peut être relié un périmètre aux limites plus ou moins précises. La zone finalement retenue pour l’IG n’est pas « le plus petit dénominateur commun » de tous ces périmètres, mais une combinaison pondérée de ces périmètres, reflétant des choix stratégiques. Là encore, on comprend la nécessité de réunir la diversité des acteurs du territoire (producteurs, transformateurs, tourisme, services publics…) pour que cette délimitation résulte d’un travail collectif.

En Europe, la réglementation distingue entre AOP et IGP76. La principale différence étant que l’AOP protège une dénomination qui identifie un produit dont toutes les étapes de production ont lieu dans l’aire géographique délimitée, alors que dans le cas de l’IGP, au moins une des étapes a lieu dans l’aire (art. 5 du Règlement UE N° 1151/2012). Cette distinction, datant de 1992 dans le droit communautaire, n’existe pas dans nombre de pays. En conséquence, si le CdC ne précise rien, on doit pouvoir considérer que l’ensemble des opérations décrites doivent être réalisées dans la zone délimitée.

Dans certains pays, comme en Europe par exemple, les CdC contiennent également un plan de contrôle visant à expliquer les modalités de vérification des produits77. Cette vérification doit s’appuyer sur quelques indicateurs précis, permettant aux acteurs de vérifier la typicité et ainsi pouvoir autoriser l’utilisation du nom enregistré. Ce contrôle peut être réalisé par le groupe titulaire d l’IG, ou par un tiers certificateurs extérieur. Pour résumer, le cahier des charges doit contenir au moins les éléments suivants : (1) la dénomination devant être protégée ; (2) une description du produit (composition, principales caractéristiques physico-chimiques et microbiologiques) et de ses qualités typiques ; (3) la description des méthodes de production, de transformation, de conditionnement (en fonction de ce qui a été identifié comme typique) ; (4) la preuve du lien à l’origine en se basant sur les qualités et, le cas

76 Pour les éléments concernant la réglementation européenne, nous nous appuyons sur le texte actuellement en vigueur : Règlement UE N° 1151/2012 relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires.

77 Ce plan de contrôle, obligatoire pour l’enregistrement en Europe, n’est pas systématiquement demandé d’autres pays. Par exemple au Vietnam, le plan de contrôle est élaboré après l’enregistrement de l’IG (cf. chapitre 5).

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échéant, sur les usages du nom et la réputation ; (5) la délimitation de l’aire de production (liste de communes, éventuellement une carte) ; (6) un plan de contrôle si exigé par le cadre national du pays (comprenant les coordonnées de l’organisme assurant le contrôle du respect du cahier des charges).

Le respect du CdC conditionne l’utilisation de l’IG enregistrée. Ainsi, pour apposer le nom géographique sur un produit, ce dernier doit avoir été élaboré selon les conditions de production (règles de production et aire géographique) garantissant le maintien des qualités spécifiques.