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Chapitre 5 Présentation, interprétation et contre-vérification des résultats

5.1 Présentation et interprétation des résultats

5.1.1 Réponses aux questions de recherche secondaires

La conception des thèmes pour la codification des informations permettant de regrouper les questions de recherche nous a permis, lors des analyses, de savoir à quelle question de recherche nous étions en train de répondre et de nous assurer que nous avions répondu à toutes les sous-questions de recherche initialement posées, y compris notre principale question de recherche.

5.1.1.1 L’impact du profil de compétences de l’enseignant sur le processus d’intégration des OAT dans la formation des traducteurs

Notre première sous-question concerne, entre autres, le possible impact17 du profil de

compétences de l’enseignant sur l’insertion des OAT dans les cours pratiques de traduction. Comme remarque générale, nous dirons que les questions d’entrevues axées sur cette question de recherche ne reçoivent pas la même marque d’attention dans les deux pays et parmi nos deux catégories de participants. Au Canada, elle n’a pratiquement pas lieu d’être, car pour les participants qui y vivent, il y va de soi qu’un enseignant se voit attribuer un cours qui cadre avec son profil de compétences. Au cas où il est impossible de trouver un professeur d’université répondant aux critères de cours recherchés, il existe d’autres moyens de trouver son substitut tout en tenant compte de ses compétences. Quelle que soit la situation, l’aspect de méritocratie reste de mise, comme nous l’explique clairement une de nos participantes appartenant à la catégorie des enseignants au Canada :

Criteria here I will say is that for the school or university itself is that they need to have a master’s. For a situation where you cannot find anybody with a masters, that person could have documented experience as a professional or a PhD. Even for me, when I start to look over Cvs, I look at those who have a master’s degree

17 En tenant compte de ces caractéristiques, quel est l’impact, le cas échéant, que peut avoir le profil de

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or any kind of professional experience. For me, it is absolutely critical. They need to have some kind of experience. I think, I mean it will be weird to hire somebody with no experience, somebody very new out of school but even with students you can create ways for them to gain experience in the academic setting somehow. (Entrevue avec Doume, Canada)

Dans la catégorie des étudiants, le fait qu’aucun participant ne fait mention de cet élément nous amène à conclure qu’ils n’y voient actuellement aucun problème. Les zones problématiques évoquées sont situées ailleurs comme nous les présenterons au cours de notre interprétation des résultats.

Au Cameroun par contre, cette question semble trouver toute sa place; étudiants comme enseignants nous ont fait part de leur avis à ce sujet. D’après des témoignages de certains étudiants, leur programme de formation connaît une réelle pénurie d’enseignants. Les directions de programme sont donc parfois contraintes d’attribuer des cours sans tenir compte des compétences de l’enseignant à l’égard du cours spécifique qui lui assigné, en espérant compter sur son savoir-faire traductionnel et son expérience sur le terrain. Comme le relève un des participants qui déplore la qualité de la formation reçue dans le cadre du cours sur les OAT dans son programme et qui attribue ce défaut au manque de maitrise de la matière par l’enseignant :

Premièrement, le problème de temps. Nous ne mettions pas long au laboratoire et deuxièmement ce n’est pas tout le monde qui avait les logiciels installés dans l’ordinateur. Et l’enseignant aussi ne maîtrisait pas vraiment l’utilisation justement de ces outils et même l’utilisation de ces logiciels. Parce qu’il y avait des questions qu’on posait parfois il était coincé. Donc c’était assez compliqué. (Entrevue avec Eton, Cameroun)

Pour d’autres participants de cette même catégorie, la pénurie d’enseignants crée une impression de recrutement aveugle qui ne tient pas compte des compétences parce que les enseignants sont souvent acculés à donner plusieurs cours mal préparés. Comme elle le justifie dans son extrait d’entrevue ci-dessous, pour la participante Bessemina, les responsables de programme mis dos au mur par un manque d’enseignants ont tendance à mal organiser le processus de recrutement, à attribuer les cours hasardeusement aux enseignants et à les informer tard. La communication étant mal faite, ceux-ci se retrouvent avec peu de temps pour se préparer ou même enseigner et ce sont les étudiants qui en souffrent :

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Parce qu’on s’est souvent retrouvé dans des cas où l’on donne un cours à un enseignant, il n’est pas disponible, parfois on ne l’a pas contacté longtemps à l’avance, mais on a déjà élaboré un emploi du temps qu’on a distribué aux étudiants prétendant que M. X va vous donner cours à tel moment, or M. X n’est même pas au Cameroun : il doit peut-être se trouver au Canada ou aux États-Unis en train de dispenser un autre cours là-bas pendant que les étudiants ici sont en train d’attendre et que certainement il n’est même pas au courant qu’il a été programmé pour ce cours. (Entrevue avec Bessemina, au Cameroun)

Le fait qu’il existe un manque de transparence dans le processus de recrutement du personnel enseignant tel que relaté par les enseignants nous amène à nous questionner sur l’équilibre réel de cette adéquation profil-cours attribué, signalé par certains surtout dans l’attribution de cours plus nouveaux, techniques et dont les connaissances sont en demande sur le marché de la traduction, comme les cours sur la gestion de projets en traduction. À cet égard, nous avons reçu la recommandation ci-après d’une participante :

Il faudrait qu’un comité scientifique s’asseye pour définir les modules de formation en traduction et, à partir de là, faire une distribution à partir des compétences des uns et des autres enseignants qu’ils recrutent. Ça permettrait que les étudiants sortent de là avec un bagage assis et une formation professionnelle bien assurée. (Entrevue avec Bessemina, au Cameroun)

Pour certains enseignants du même pays, bien que cette critique faite par les étudiants soit valide, elle mérite d’être reformulée. Il existe une pénurie d’enseignants en effet, mais loin de là l’idée de penser que le recrutement est fait sans tenir compte des compétences de l’enseignant. Pour dire les choses autrement, le véritable problème, c’est celui de trouver un enseignant dont le profil de compétences répond aux exigences actuelles du cours qu’il doit enseigner. Longtemps piégés par l’histoire qui les lie à l’État du Cameroun, le profil de compétences des enseignants actuels reste celui qui dessert le besoin linguistique de l’État et qui boîte en ce qui concerne les exigences du marché international de la traduction. Pour dire vrai, la plupart des enseignants au Cameroun sont dotés d’une bonne expérience en traduction, mais certaines compétences utiles pour transmettre des connaissances de pointes dans un cours leur manque, comme nous explique d’ailleurs un de nos participants enseignant au Cameroun :

Maintenant sur le plan du profil de ceux qui donnent ces cours, il faut travailler les profils. Généralement, au Cameroun, on prend des traducteurs, pas des

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enseignants de traduction, donc soit on choisit le bon profil de l’enseignant qui a fait de la traduction ou qui a publié en matière de pédagogie de la traduction, ou alors on le forme à la pédagogie de traduction à travers des séminaires internes. (Entrevue avec Rice, au Cameroun)

Cette affirmation est confirmée par l’avis d’un autre participant qui cumule à la fois une fonction d’enseignant et de responsable de programme de formation en traduction :

Mais comme je vous l’ai dit, ce n’est pas tous les enseignants, je dois avouer. On a essayé de jouer sur deux critères, c’est-à-dire les anciens qui sont expérimentés, et les nouveaux. Donc vous verrez ici peut-être à 50 %, un ancien dont je préfère taire le nom, qui dispense le cours intitulé « Traduction économique » qui ne s’y connaît pas en OAT, qu’est-ce qu’il va faire ? Il va juste traduire et demander aux étudiants de faire comme on faisait d’antan. (Entrevue avec Don, au Cameroun) Au Cameroun, d’autres enseignants dénoncent le manque criant d’efforts de la part des directions des programmes de traduction à encourager le renforcement des compétences pédagogiques chez les enseignants. D’après eux, les directions de programme ne font pas suffisamment d’efforts pour aider les enseignants à parfaire leurs connaissances, mais sont promptes à la critique. Un exemple nous est donné par cet enseignant de traduction générale qui déplore l’absence d’une telle initiative dans son établissement d’enseignement :

I think […] as far as I know and for the time I have been here, that has not really been a strong point. C university is yet to be sending teachers to go and train or excel in these fields in the area of ICTs, in the use of modern communication technology tools. I think it is lacking. That aspect is lacking, and I think it will be a plus if it were to be started. (Entrevue avec Kanga, au Cameroun)

Cependant, pour qu’un enseignant puisse transmettre des connaissances et permettre aux étudiants de développer des compétences de pointe, cela passe par la mise à jour de son bagage intellectuel. Le fait que dans les recommandations en vue de l’amélioration de la qualité de la formation chez les enseignants, certains participants soulignent une fois de plus le manque d’encouragement des enseignants à l’égard des étudiants, voire l’interdiction d’utilisation des OAT dans leurs cours, est un indice que le profil de compétences de l’enseignant contribue à la qualité de la matière qu’il donne et de l’intérêt qu’ont ses étudiants pour cette dernière : il ne saurait enseigner ou encourager ce qu’il ne maitrise pas. La prise en compte des nouvelles avancées technologiques et d’une approche d’enseignement qui

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aligne transfert linguistique, développement des techniques de traduction et adoption des OAT lors des séances de mise à jour des connaissances donnerait par exemple une perspective contemporaine à l’enseignement de la traduction digne d’être inculquée aux enseignants pour que ces derniers puissent offrir un enseignement plus actualisé des cours de traduction.

Observations : premièrement, nous notons que dans les deux pays, les programmes de traduction connaissent une pénurie d’enseignants et aucun enseignant interviewé n’a associé celle-ci à la nature complexe du processus d’intégration des OAT dans la formation. Deuxièmement, nous avons observé deux types de comportements à chaque fois que cette sous-question de recherche était abordée avec les participants. Au Cameroun, en majorité chez les enseignants, ceux-ci y répondaient avec un certain tact, en choisissant bien leurs mots afin d’éviter de faire une déclaration hâtive sur le manque de transparence dans le processus de recrutement des enseignants souvent évoqué. Pourtant, pour une poignée de cette même catégorie, la réalité serait qu’il est difficile de parfois respecter le protocole de recrutement à cause du manque d’enseignants dans la discipline. Du côté des étudiants, les avis étaient plus spontanés. Ceux qui étaient insatisfaits de la manière dont avait été dispensé le cours sur les OAT et qui attribuaient cet échec au manque de maitrise de la matière par l’enseignant, n’hésitaient pas à soutenir leur propos par des exemples de difficultés rencontrées. Dans le cas du Cameroun, la faute est souvent mise sur l’enseignant et aucune explication n’est donnée sur le fait qu’aucun effort supplémentaire n’est fourni par l’étudiant pour s’autoformer ou approfondir ses connaissances. Troisièmement, les besoins ou difficultés des deux pays en matière de recrutement ou de profil de compétences sont disparates. Alors qu’au Cameroun, le recrutement relève encore d’un facteur qui crée le déséquilibre entre les réalités du terrain et ceux de la formation, au Canada cette difficulté semble avoir été résolue il y a longtemps au point de ne plus exister. En effet, nous remarquons qu’à cause des processus de recrutements différents utilisés dans les deux pays, il est plus facile au Canada de remédier à certains problèmes qu’au Cameroun. Comme l’a dit une des participantes de la catégorie des enseignants, à défaut d’avoir un enseignant qui réponde au profil recherché, l’attention du recruteur de programme se tourne vers l’étudiant en maitrise ou le traducteur sur le terrain; une réalité pas encore connue au Cameroun

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probablement parce que jusqu’ici la formation en traduction débutait dans la plupart des programmes de niveau maitrise contrairement au Canada où elle débute au baccalauréat. Notre conclusion à cette question est d’affirmer qu’en général, il n’existe pas d’inadéquation entre les profils de compétences des enseignants et les cours qui leur sont attribués : pour plusieurs, leur profil de compétences cadre avec les exigences des cours qu’ils offrent tandis que des facteurs ne dépendant pas toujours de la volonté de l’enseignant ou des décideurs universitaires reflètent parfois une autre image de l’enseignant. Toutefois, il existe une exception à ce constat : pour des cours plus techniques tels que le cours sur les OAT qui semblent avoir du mal à trouver des profils de compétences qui cadrent avec ses exigences, on constate effectivement que le profil de l’enseignant a encore une incidence sur la qualité et le contenu de son cours. La réponse à cette question de recherche soulève le besoin de davantage inciter les enseignants et les étudiants à s’intéresser au volet technologique de la traduction. Elle met également en évidence la nécessité de motiver le peu d’enseignants déjà en fonction à mieux s’outiller pour pouvoir intégrer avec aisance les nouveaux besoins du marché dans leur cours.

5.1.1.2 La conclusion du débat sur l’intégration des OAT dans les cours et l’atteinte des objectifs du programme

Les réponses aux questions de recherche jumelles deux18 et sept19 ont été une intéressante

source d’informations. Notre crainte initiale reposait sur l’idée que l’utilisation des OAT pourrait constituer un obstacle à l’atteinte des objectifs des cours et du programme de formation en général; le processus d’insertion pouvant être si chronophage que les

18 Les OAT ne sont pas seulement des outils; ils changent la façon de travailler du traducteur. Anciennement,

ce dernier traduisait des textes entiers, maintenant il est parfois appelé à traduire des portions de textes traduites au préalable par ces outils (Pym 2010 : 487). Ainsi, le rôle de l’enseignant n’est plus uniquement celui de transmettre le savoir, mais aussi d’exposer les étudiants aux rouages et aux nouveautés de la profession (Kiraly 2012 : 84). Du point de vue des enseignants et des étudiants, l’introduction de ces outils dans tous les cours de traduction peut-elle avoir une incidence sur l’atteinte des objectifs spécifiques de ces cours?

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enseignants passeraient plus de temps à insérer et choisir les activités pédagogiques qui concordent avec l’ajout des outils dans les cours. Comme pour la question de recherche précédente, les avis donnés pour ces deux questions jumelles étaient divergents selon le pays et même les catégories de participants. Les quatre éléments souvent évoqués par les participants pour défendre leur point de vue étaient le nombre d’« apparitions » du cours sur les OAT dans le cursus, le temps, la maitrise de la langue qui est l’outil principal du traducteur et l’importance d’avoir une assistance technique dans les cours.

Au Canada, pour la majorité des participants de la catégorie des étudiants, les connaissances acquises dans le cadre du cours sur les OAT ou un cours connexe sont satisfaisantes, comme nous l’explique le participant Ahala :

So, I was satisfied with how the course went on online. The instructor provided us with instructional videos and we had access to software so that we could practise and do our assignments given to us by the instructor. We had to turn in our own translations, we had to turn in our own translation memories and termbases. We actually had to create them. And if you had to do that you had to do that in school because a lot of the software companies that produced the software also offered online training and they offered a lot to get you started, in understanding how it works. So, you had to make some time to do the training, the training that I got were all good. (Entrevue avec Ahala, Canada)

Ou encore la participante Molyko, qui a suivi une formation sur les OAT dans le cadre de deux cours sur les outils informatiques à l’université :

Euh, non en fait à l’université A j’ai eu deux cours d’outils informatiques. Pour peu qu’on portait attention à ces outils-là, ces cours-là ont été très bien montés. Ils donnaient un bon panorama de ces outils-là. Par la suite en milieu de travail ce n’est pas nécessairement le même logiciel que j’ai eu à utiliser. Cela dit, le fait de maîtriser le fonctionnement en général m’a permis de m’adapter vraiment rapidement. (Entrevue avec Molyko, Canada)

De plus, en ce qui concerne le fait de les utiliser dans les autres de cours pratiques de traduction, que ce soit des indexeurs, ressources linguistiques ou agents de traduction, ceux- ci ne leur ont jamais donné l’impression que l’enseignant n’avait pas réussi à atteindre ses objectifs de cours parce qu’il les utilisait. La plupart des participants de cette catégorie qui ont eu à suivre des cours avec OAT intégrés en ressortent satisfaits et, pour eux, les enseignants ont toujours fait l’effort de respecter leur plan de cours :

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I just started this Fall and used CAT tools in two of my classes. In my Project Management class, we spent a good portion of the semester learning how to use SDL and in my Intro to General Translation course, we spent one class on learning how to build a translation memory using SDL. In both cases, I felt that it was useful to spend time learning how to use these tools as they are used in a professional setting. I think the realities of the job market dictate that training translators in the use of CAT tools is essential in preparing them for the next phase after their studies. And especially considering how technology is growing and taking a larger place in our everyday lives, I think teaching translators-in- training how to use CAT tools is unavoidable. (Entrevue avec Amos, Canada)

Cependant, si le contenu des cours et les formules pédagogiques ont été intéressantes jusqu’ici, la chose qu’ils déplorent c’est le nombre insuffisant de fois où le cours sur les OAT est mis au programme dans le cursus ou les rares occasions qui leur sont offertes pour les utiliser. Pour plusieurs étudiants au Canada, ce cours devrait être offert à longueur d’année ou encore les directions de programmes devraient sensibiliser les enseignants à ce qu’il y ait plus d’occasions pour utiliser ces outils ou mettre en pratique ce qui aura été appris dans d’autres cours, comme l’affirme le participant Amos ci-dessous :

Perhaps the biggest obstacle to me smoothly integrating CAT tools into my training is that they do not feature in enough of my classes. Beyond a couple dedicated classes and maybe a professor here or there who will devote a class to using them, CAT tools do not feature in a large enough portion of my curriculum.