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Chapitre 2 État de la question Traductologie et formation du traducteur, outils d’aide à la

2.1 Les diverses orientations de la traductologie

2.1.1 Origine et évolution de la formation des traducteurs : de la linguistique aux travau

La formation des traducteurs est l’une des branches qui composent le domaine de la traductologie. Le terme traductologie a été mentionné pour la première fois par des chercheurs belges en 1968, puis repris par l’universitaire canadien Brian Harris (Zhang 2010). Il renvoie à l’étude de la production et de la description des traductions. En d’autres termes, la traductologie étudie la théorie et la pratique de la traduction. La formation en traductologie est instaurée relativement tôt au Canada. Elle est instituée à l’Université d’Ottawa en 1936, à l’Université McGill (Montréal) en 1943 et à l’Université de Montréal en 1951 (Delisle, 2005, p. 361). Plusieurs autres universités ont emboîté le pas dès les années 1970, et, de nos jours, ce pays compte une bonne dizaine de programmes de traduction. Avant l’institutionnalisation de la formation des traducteurs, plutôt tardive en Europe par rapport au Canada, les traducteurs étaient formés de manière informelle. En effet, il est question de formation « informelle », car les traducteurs étaient formés soit dans le cadre de leur travail, en regardant faire les plus anciens, soit dans le contexte d’autres disciplines comme la linguistique et l’apprentissage des langues étrangères, ainsi que le résument Caminade et Pym (1995, p. 280), en évoquant les réalités européennes : « Translators and interpreters have long been trained informally, basically through trial and error, unstructured apprenticeship arrangements, or any of the various translating activities that accompany the study of a foreign language and culture within the Liberal Arts tradition ». Dans sa genèse, la formation des traducteurs commence par une comparaison de deux langues, puis elle évoluera afin de traiter de sujets plus complexes. Au début des années 1950

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et 1960, la tendance des travaux est telle que la formation des traducteurs se fait sur une base purement langagière. Elle se concentre notamment sur la description des phénomènes de la traduction et de la langue. La préoccupation des chercheurs de l’époque est de savoir quels moyens utiliser afin de traduire convenablement. L’accent est mis sur le texte traduit. Un exemple d’ouvrage de référence utilisé dans le monde entier pour la formation est celui de Vinay et Darbelnet (1958), Stylistique comparée du français et de l’anglais, qui explique les différences et les particularités de l’anglais et du français et les expressions pièges auxquelles les étudiants doivent prêter une attention spéciale lorsqu’ils traduisent. Il est à noter que leur travail, malgré sa visée première, qui est le domaine de la stylistique, a comme particularité d’être parmi les premiers à avoir tenté de classer les méthodes de traduction entre le français et l’anglais, et que leur ouvrage sera, pour les enseignants, la seule ou la principale référence pour les décennies à venir. Les deux chercheurs proposent sept procédés techniques auxquels le processus de traduction peut se réduire : l’emprunt, le calque, l’adaptation, la traduction littérale, la transposition, la modulation, l’équivalence et l’adaptation.

Du point de vue d’un linguiste, ces procédés facilitaient la comparaison entre les deux langues. La traduction était alors perçue comme un moyen d’expliquer des faits linguistiques entre les langues, ce qui explique pourquoi les enseignants utilisaient ces procédés pour évaluer la qualité de la traduction de l’apprenant. Un étudiant devait pouvoir expliquer les procédés qu’il appliquait. Un deuxième ouvrage, qui marque l’évolution de la recherche et propose des stratégies de traduction que les enseignants peuvent utiliser, est celui de Georges Mounin, intitulé : Les problèmes théoriques de la traduction, et publié en 19632. Celui-ci

met en évidence la traduisibilité et l’intraduisibilité de certaines expressions d’une langue à une autre et démontre que, dans le processus de traduction, certains déplacements dans la phrase traduite sont nécessaires. Avant cette époque, la traduction était surtout perçue comme un simple exercice de recherche d’équivalents. Les interrogations de Mounin et d’autres chercheurs, comme Catford (1965), sur la relation qui existe entre la traduction, la

2 Il convient de noter que l’ouvrage de Mounin n’a guère été utilisé au Canada pour enseigner la traduction.

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linguistique, la connaissance des langues, les systèmes linguistiques et la capacité à traduire, permettent de définir plus précisément la formation des traducteurs en fonction des éléments sur lesquels la formation devrait être centrée. Leurapproche pédagogique amène l’étudiant à prendre conscience des différentes réalités des langues. Le travail de Mounin met notamment en relief les différences entre les langues, car elles ne s’expriment pas de manière identique, ce qui explique pourquoi il est déconseillé de traduire en cherchant systématiquement des équivalents à des éléments de phrase.

Dans les années 1970 et 1980, la traductologie connaît un flux de changements grâce aux contributions de certains chercheurs, parmi lesquels figure Holmes, connu pour son célèbre article « The Name and Nature of Translation Studies », paru en 1972. Celui-ci place la formation des traducteurs parmi les domaines de recherche en traductologie et met l’accent sur l’institutionnalisation d’une discipline universitaire axée sur les connaissances plutôt que sur le savoir-faire, ce que la nouvelle discipline cherche néanmoins à expliquer. La même période est également marquée par la naissance des courants de pensée comme la « Théorie interprétative » de Seleskovitch et de Lederer (1984) et la « Théorie du fonctionnalisme » de Nord (1988), qui donnent une nouvelle vision à cette discipline. Fondamentalement, ces nouveaux courants de pensée introduisent une nouvelle dynamique dans la formation des traducteurs. Sous l’influence de la théorie interprétative, également connue sous l’appellation de théorie du sens (Seleskovitch et Lederer, 1984), les enseignants commencent à souligner le fait que les mots doivent tirer leur signification du contexte dans lequel ils sont utilisés. La théorie de Vermeer (1970), présentée dans Skopos and Commission in Translational Action, est en accord avec la théorie interprétative. Selon Vermeer, l’essence d’un texte repose avant tout sur sa fonction. En effet, d’après lui, il est important de savoir à quoi servira le texte traduit, ainsi que l’effet que le donneur d’ouvrage désire produire chez ses lecteurs. Ces paramètres déterminent le choix des mots, ce qui va bien au-delà d’un exercice de recherche d’équivalents. De nombreux chercheurs s’inscriront dans cette nouvelle dynamique, notamment Holz-Mantarri (1984) et sa théorie sur l’action et le message en traduction, qui préconise de tout faire pour rendre le message selon les normes culturelles de la langue cible. Inspirée de la théorie de la communication, la théorie actionnelle met moins l’accent sur le texte source, qui n’est considéré que comme un moyen de contextualisation, que sur le texte

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cible. Le message et la manière de le rendre de telle sorte que le public cible puisse le comprendre naturellement sont les éléments les plus importants. À l’époque de Vermeer et de Nord, la formation met moins l’accent sur la recherche d’équivalents, mais les étudiants sont encouragés à réfléchir à la signification des mots et des phrases dans leur contexte. Parallèlement, nous voyons la traduction se dissocier progressivement de la linguistique. Dans son célèbre article définissant la traductologie, Holmes (1972) présente une structuration claire des différents domaines qui composent la discipline de la traductologie. Ce découpage contribue à enrichir, d’une part, l’aspect théorique de la formation des traducteurs au moyen des différentes théories qui seront proposées et, d’autre part, il permettra de faire progresser les recherches pour mettre en place l’aspect pratique de la discipline. Cet article établit une distinction entre la traductologie théorique, ou pure (description des phénomènes de traduction, définition des principes explicatifs, théorisation des pratiques traductionnelles), et la traductologie pratique, ou appliquée (développement d’outils d’aide à la traduction, critique de la traduction, promotion de la recherche). Nous reproduisons ci-après sa célèbre carte (traduite par nos soins).

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À partir de cette présentation d’Holmes, il devient possible d’envisager la traductologie comme une science. Vers la fin des années 1990 et pendant la première décennie des années 2000, d’autres chercheurs, comme Jeremy Munday (auteur de Introducing Translation Studies : Theories and Applications) et Gideon Toury (auteur de Descriptive Translation Studies – and Beyond) poursuivent la mission d’asseoir la traductologie en tant que discipline en mettant en évidence son étendue considérable. Munday passe en revue toutes les théories, les approches et les modèles de traduction qui existent à l’époque dans le domaine. Il les regroupera sous forme de chapitres et utilisera des textes de natures et de langues différentes pour expliquer le processus de traduction dans sa complexité. Toury, quant à lui, montre quelle est la place d’une étude descriptive de la traduction au sein de la discipline et en quoi une telle approche permet de réunir ses aspects théoriques et pratiques. Depuis les années 1990, l’intérêt de certains chercheurs s’est porté sur l’aspect appliqué de la carte d’Holmes. Les réflexions tournent autour de thèmes comme les processus de traduction ou encore les éléments qui guident la prise de décision du traducteur. Un autre domaine d’intérêt concerne le profil du formateur; notamment les critères auxquels doit répondre ce profil. La question de la théorie et de la pratique en traduction a également été abordée. Par exemple, est-il possible de parler d’une bonne formation sans que celle-ci comporte un aspect pratique qui permet à l’étudiant de se faire une idée du milieu professionnel ou faut-il se passer de la théorie en traduction et mettre davantage l’accent sur l’aspect pratique de la formation des traducteurs? La relation entre l’enseignant et l’étudiant et le rôle de chacun dans la formation font également partie des thèmes abordés à cette époque, notamment la manière d’améliorer la relation entre l’étudiant et son enseignant et d’amener l’étudiant à participer activement à sa formation.

Les années 2016 et 2018 voient également naître ou renaître un intérêt pour la traduction en sciences humaines et sociales en France. Des groupes de recherche comme le « Social Science Translation Project », lancé par les chercheurs William Tymouski et Michael Heim, visent à encourager une meilleure rédaction et une meilleure traduction des écrits dans ces sciences qui ont parfois été négligées en matière de traduction des travaux. Ces chercheurs estiment qu’il est nécessaire d’inclure un spécialiste de la langue dans les groupes de

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recherche ou de travaux afin d’améliorer la qualité des documents produits (Matoussowsky, 2019, p.7-8). Les chercheurs en traductologie se posent également des questions sur les outils d’aide à la traduction. Par exemple, ils se demandent s’il est judicieux de les inclure dans la formation ou encore de quelle manière le faire. Si la réponse est négative, ils se demandent s’il ne vaudrait pas mieux laisser l’étudiant les découvrir par lui-même sur le terrain.

La mondialisation est également l’une des raisons de l’évolution de la formation des traducteurs. Le monde, devenu un petit village planétaire, a créé davantage d’exigences quantitatives relatives au travail, car ce dernier prend de plus en plus d’importance. En traduction, L’Homme (2008) fonde la réussite du traducteur sur sa capacité à « faire vite et mieux ». La pression du travail augmente le besoin d’aide du traducteur, ce qui justifie, par exemple, le nombre croissant de logiciels de traduction automatique apparaissant sur le marché, ainsi que la prolifération d’autres outils d’aide à la traduction créés pour faciliter le travail du traducteur.

Nous sommes consciente que les théories ne suffisent pas à elles seules à offrir une bonne formation aux traducteurs en vue de les préparer à répondre aux besoins du marché, bien que celles-ci les guident à travers le processus de traduction. Cette situation crée également le désir d’améliorer la formation afin de répondre plus efficacement aux différentes exigences. Dans cette perspective, nous verrons des efforts comme ceux de Gile (1995), Kiraly (2000), Kelly (2005; 2008), Secara et Hartley (2008) et les travaux du groupe d’experts stratégiques EMT (2010; 2009). Ces travaux revêtent une importance particulière dans la mesure où ils mettent l’accent sur la participation active et l’autonomie de l’étudiant dans son processus d’apprentissage et tiennent également compte du profil de l’enseignant qui, selon ces chercheurs, a une incidence sur la compétence de l’étudiant qu’il forme. L’étudiant doit prendre conscience de ce que représente la vie quotidienne d’un traducteur, au moyen de stages et d’ateliers avec des experts, grâce à l’effort de rapprochement entre le milieu professionnel et la formation.

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Somme toute, mis à part le désir de toujours chercher à expliquer plus clairement quels moyens utiliser pour traduire convenablement, les différents travaux mentionnés laissent également entrevoir la place de la formation au sein de la traductologie.