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une réponse par le secteur lucratif

Dans le document Quel accueil pour le jeune enfant (Page 94-97)

Si les programmes des diplômes se révèlent plutôt succincts pour apprendre la prise en charge de problématiques spécifiques comme la pauvreté, des actions ponctuelles proposées par le secteur lucratif et des projets conduits par les direc-tions en fonction de leur sensibilité à ces problématiques sociales sont souvent mis en œuvre au sein des structures. Ces projets semblent généralement liés à la spécificité sociale du territoire où se trouve implanté l’EAJE et sont habituelle-ment impulsés par les directions des structures. Ils confirhabituelle-ment la thèse de Rayna et Brougère (2014) sur le fait qu’il faut repenser la prise en charge de la petite enfance à travers le développement d’un « répertoire de pratiques » (Rogoff, Moore, Najafi et al., 2007) à adapter en fonction de chaque contexte et situation.

De nombreux EAJE mobilisent du temps collectif pour construire des projets per-mettant la prise en charge spécifique des enfants pauvres (Humblet, 2013 ; Rayna, 2016). Celles-ci sont souvent couplées avec des centres sociaux où un travail est conduit parallèlement avec le. s parent. s responsable. s de l’enfant. Les différentes études relatant des actions spécifiques montrent l’importance de travailler la prise en charge de l’enfant avec celle d’une aide sociale des parents. Des recherches relatent, par exemple, différentes expériences où cette prise en charge de l’enfant en situation de pauvreté s’effectue parallèlement avec un accompagnement du parent lui permettant de s’insérer socialement (Marcella, 2014 ; Peeters, 2016).

Les implicites de ces études sont que l’insertion professionnelle et/ou sociale des parents, notamment des mères, faciliterait la séparation avec l’enfant, parce que ce dernier remplit le vide professionnel de ses parents. Est peu abordé le fait que les institutions peinent à considérer comme prioritaire l’accueil d’un enfant qui peut être gardé par un parent chômeur. Les situations de précarité peuvent donc être doublement invalidantes : elles impliquent, de la part des professionnel.le.s, un travail du côté de l’institution comme du côté de la dyade parent/enfant.

Les études portent plutôt sur les parents et peu sur les résistances des insti-tutions à prendre en charge des tout-petits dont un des parents (mais le plus souvent la mère) ne travaille pas. Des angles morts de la recherche apparaissent ici sur le rapport que les professionnel.le.s développent à l’égard de parents chômeurs qui laissent leur enfant à la crèche, sur leurs perceptions des diffé-rences de temps passés à la crèche par les enfants de familles aisés au regard des familles pauvres. Rien n’est dit également sur la manière dont se déroulent pour ces différents enfants leurs journées alors même que ces informations seraient précieuses pour comprendre comment se passe ce que l’on pourrait nommer une socialisation en acte. Les études (Ahfir, 2015, op. cit.) qui relatent ces actions en direction des parents pour accompagner la séparation avec l’enfant, ne peuvent mettre en avant une « politique de grand nombre » ; elles soulignent toujours l’importance d’un travail ajusté et individualisé qui

concerne non seulement l’enfant mais également les parents et leurs réseaux sur le territoire. Dans ces différentes études, l’articulation de la dyade parent/

enfant, épaulée par les ressources du territoire, s’avère un point central pour agir concrètement sur les conséquences pour les enfants des situations de précarité de leurs parents. Les rapports d’ATD Quart monde sont de ce point de vue très édifiants pour montrer l’importance d’un travail partenarial suivi entre des structures d’insertion locales, les parents et la crèche. Ces études et leur moindre visibilité tiennent au fait qu’elles sont difficilement « démulti-pliables » en grand nombre tant elles se trouvent insérées à la spécificité du territoire, de l’enfant et de sa famille et, de fait, agissent sur peu de personnes en même temps. Comme le souligne le rapport de la commission enfance et adolescence de France Stratégie (De Singly et Wisnia-Weill, 2015, 105), « la stabilité des liens affectifs est un objectif clé ». Cette stabilité affective suppose une stratégie d’action subtile et des partenariats pour ne pas isoler l’action avec l’enfant d’un travail avec et sur son milieu.

Outre ces actions d’accompagnement et nécessitant fréquemment des étayages pour les professionnel.le.s, la formation continue fait également l’objet de convoitises nombreuses, parce qu’elle s’inscrit dans une logique de marché. En France, on peut constater que les organismes de formation s’investissent sur ce champ pour augmenter leur chiffre d’affaires. Ils proposent aux professionnel.

le.s des « offres formatives » susceptibles de venir « compléter » les cursus de formation initiale, qui ne seraient pas suffisamment fournis pour répondre à des préoccupations sociales comme les retards d’acquisition, le dépistage de signes avant-coureur de comportements hors normes. Parmi ces offres, des méthodes ou des « fiches d’activité » leur sont proposées pour les « outiller » et de cette manière contribuer simultanément au développement de leur professionnalisme et à celui des enfants. Les EAJE, et dans une moindre mesure les parents, consti-tuent des marchés potentiels où ces offres sont présentées comme bénéfiques pour la stimulation de l’enfant.

Dans ce cadre de la formation continue, des programmes de formation centrés, par exemple, sur le renforcement des capacités cognitives des enfants, notam-ment pour l’acquisition du langage, comme « Parler bambin » ou « abcdarian », sont fréquents. Présentés comme des méthodes d’intervention fondées sur des recherches scientifiques ayant fait leurs preuves en Amérique du Nord, ces programmes mettent à disposition des méthodes susceptibles de répondre à des préoccupations immédiates d’acquisitions de vocabulaire, mais laissent souvent dans l’ombre les effets à long terme ainsi que les débats et les controverses sur les conceptions implicites du développement langagier de l’enfant, sur d’autres formes de son développement psychomoteur et sur la place laissée aux familles vivant dans des contextes plurilingues (Dolle, 2017 ; Rayna et al., 2016).

Sur un plan conceptuel de telles approches cherchent à agir par le principe d’une

« prévention précoce » (Brougère et Garnier, 2017). En ciblant de manière pré-ventive des sujets qui pourraient présenter des risques en raison de leur situation sociale, professionnelle, familiale ce processus entend empêcher le développe-ment de situations invalidantes pour eux. « En France, la prévention précoce intervient de manière transversale dans l’action publique. Elle recouvre une grande variété de programmes : réseaux de périnatalité, actions de soutien à la parentalité, action éducative précoce, etc. En outre, elle met en jeu des acteurs divers, tous niveaux et secteurs confondus. Au niveau local, elle est

majoritairement organisée au travers des services de la protection maternelle et infantile (PMI) et des réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents (REAAP). Ces dispositifs ont pour caractéristique première d’être ouverts à tous et de reposer sur la participation volontaire des usagers » (Malochet, 2010, 3). D’un point de vue scientifique, les évaluations effectuées sur le long terme semblent plutôt mitigées parce que ces actions peuvent conduire à stigmatiser davantage des personnes déjà vulnérables. Chartier et Geneix (2007) soulignent aussi que, s’agissant de l’acquisition d’une langue, la pédagogie de la petite enfance joue un rôle clef « dans l’évolution de questions culturelles et politiques grâce à une “double socialisation de l’enfant” (pour adopter la ter-minologie danoise). Cette double socialisation confronte les modèles éducatifs familiaux et scolaires autour des valeurs ou savoirs que véhicule chaque langue.

Chaque adulte les transmet “sans y penser” en parlant à ses enfants dans une langue donnée. L’usage scolaire d’une langue “naturelle” modifie celle-ci (pro-cessus de normalisation qui est vécu aussi comme une perte des particularités ou des variantes locales) et questionne les relations que chacun entretient avec son identité culturelle, en mettant la langue des échanges communautaires à distance » (op. cit., 57). Ces auteures montrent également, en prenant appui sur de nombreuses études, au Canada (OCDE, 2005), en Nouvelle-Zélande avec les Maoris (New Zealand, UNESCO, 2002), l’importance de la valorisation du statut de la langue et de la culture d’origine qui permet aux enfants « de construire une image valorisée d’eux-mêmes et de leur communauté d’ap-partenance. Cette valorisation ne se fait pas sans décision sur les pédagogies quand il s’agit de cultures ou de langues minoritaires. Il est alors nécessaire d’associer fortement les populations concernées aux programmes, en formant des pédagogues issus des communautés concernées » (op. cit., 58). Cette analyse de l’apprentissage des langues chez les enfants implique d’importants dispositifs d’accompagnement pour les professionnel.le.s. La limitation des moyens pour ces accompagnements peut expliquer le succès des offres commerciales moins onéreuses mais peu fondées scientifiquement et dont l’efficacité à long terme reste à prouver.

Le constat de cet attrait pour des offres formatives-commerciales complé-mentaires aux cursus de formation est à mettre en rapport avec les difficiles conditions d’emploi des professionnel.le.s de la petite enfance en France, et dans l’ensemble des pays proposant des modes d’accueil (Aballéa, 2005 ; Alberola et Doucet-Dahlgren, 2009 ; Fagnani et Math, 2012 ; Devetter et Rousseau, 2011) où les professionnelles, des femmes en majorité, sont davantage reconnues pour leurs qualités (douceur, patience…) que pour leurs compétences. Ce rapport à la formation peut aussi être mis en relation avec les principes du New Public Management qui innervent depuis plus d’une vingtaine d’années les politiques publiques et modifient progressivement les manières de travailler, en s’attachant principalement à l’efficacité, l’efficience et l’économie (Palmato-Guillemin et Dujarier, 2010). Il est enfin cohérent avec les analyses du récent rapport Eurydice qui s’appuie sur le recueil de données dans 38 pays de l’Union européenne des services offerts aux enfants de la naissance à leur entrée dans l’enseignement. Ce rapport souligne que les services proposés pour les enfants de moins de 3 ans par de nombreux pays ne s’appuient pas sur un programme éducatif précis et sur un personnel hautement qualifié. Cette fragilité des contextes et des personnels faci-lite l’implantation de méthodes supposées répondre facilement et efficacement à des problèmes de prise en charge des tout-petits.

La prise en compte des vulnérabilités

Dans le document Quel accueil pour le jeune enfant (Page 94-97)