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La mission des crèches s’arrête-t-elle à l’accueil des enfants ?

Dans le document Quel accueil pour le jeune enfant (Page 50-54)

Au-delà de l’accueil des enfants, les crèches peuvent jouer un rôle déterminant auprès de certains parents et initier, parfois, des formes de soutien à la paren-talité et à l’intégration sociale. Une expérience de soutien aux parents dans et par les structures d’accueil en Belgique est présentée ici dans deux articles (Vandenbroeck et Geens, 2016 ; Vandenbroeck et Vandekerckhove, 2016 ; Barnes et Nolan, 2019) 51. Vandenbroeck et Geens (2016, 21), prenant appui sur un « ensemble de recherches [qui] s’accordent aujourd’hui pour conclure que le soutien social (informel) est probablement l’une des formes de soutien à la parentalité les plus universelles », s’inspirent des expériences conduites dans

50 Nous remercions vivement Lidia Panico pour nous avoir transmis ces premiers résultats qui ont été présentés lors d’un colloque. Berger, L., Panico, L. et Solaz, A. (2019), “The Impact of Early Center-Based Childcare Attendance on Child Development: Evidence from France”. Population Association of America (PAA) Annual Meeting, April 11-13, Austin (USA).

51 L’étude qualitative de Barnes et Nolan (2019), en contexte états-unien, montre comment les personnels des crèches peuvent aussi constituer des supports sociaux, du capital social, former des liens forts avec les parents de familles pauvres ; étude intéressante, mais que nous excluons, car elle concerne des enfants d’âge scolaire. Les entretiens auprès de parents et de professionnel.le.s en charge de programmes de soutien scolaire montrent comment, d’une part, se construisent des liens parents – professionnel.le.s, d’autre part, comment les parents mobilisent les ressources que constituent ces liens.

les centres d’accueils parents-enfants (ontmoetingsplaats), pour les proposer aux crèches. Les ontmoetingsplaats apparaissent, en effet, comme des lieux privilégiés pour que les jeunes parents migrants construisent du soutien social à travers des rencontres avec d’autres parents. Soutien que ne procurent (ou ne procuraient) pas les crèches. L’étude, située dans un quartier de migrant.e.s et à fort taux de chômage, mérite d’être présentée en détail. Elle consiste à analyser un projet de crèche inclusive (accueillir plus d’enfants pauvres et les soutenir), dans le cadre d’une recherche-action au long cours (2003-2012).

Une ethnographie des relations entre parents et professionnelles est menée, qui montre une différence fondamentale entre les crèches et les centres d’accueil (ontmoetingsplaats) : dans les premières, les échanges parents-professionnelles sont minimes, ces dernières estimant que leur rôle n’est pas d’intervenir dans les relations entre parents (« Nous ne sommes quand même pas des serveuses de café ! ») ; alors que les parents considèrent positivement les ontmoetingsplaats : équité (« Ici, tous les enfants sont égaux ») ; cohésion sociale (« Nos enfants jouent ensemble ; les professionnelles accueillent chaque parent […] [et] les mettent en lien ») ; réciprocité (les professionnelles ne s’instituent pas expertes de la bonne parentalité ; ouverture à des perspectives multiples). Cette différence d’intégra-tion des parents migrants par les structures s’explique, selon les auteurs, par les missions primaires de ces structures : la crèche s’occupe d’enfants en l’absence des parents ; l’ontmoetingsplaat s’occupe du binôme parent-enfant. Éducation d’un côté, travail social de l’autre. Au début de l’étude, trois crèches ont été sélectionnées pour participer au projet, ce qui impliquait : une révision de leur politique d’admission, ne plus s’exprimer exclusivement en néerlandais, accep-ter une fréquentation plus irrégulière ; former les personnels à la diversité. Après 2 ans, 70 enfants de primo-arrivants ont obtenu des places dans ces crèches. En 2012, fin du projet qui couvrait « presque toutes les crèches flamandes subven-tionnées » (op. cit., 272), avec pour résultats que presque toutes réservaient un pourcentage de places aux primo-arrivant.e.s (fin de la règle du premier arrivé, premier servi) ; la priorité accordée aux enfants de parents en emploi a fait place à des considérations plus sociales (en lien avec les mères élevant seules un enfant, les situations de crise, les faibles revenus, les minorités ethniques). Les parents sont ainsi devenus des partenaires plus que des utilisateurs des crèches.

D’où l’importance, selon les auteurs, de revoir la formation des personnels de crèche (« Une analyse de la formation de ces professionnelles dans quinze pays d’Europe a montré que la relation avec les parents est peu présente dans leur formation [Van Laere, Peeters et Vandenbroeck, 2012] […]. La réflexion sur leur rôle par rapport aux relations “entre parents” reste souvent un terrain inexploré. » (op. cit., 34).

Une autre mission est aussi attendue des crèches, en direction explicite des parents : favoriser leur intégration dans le marché de l’emploi. Dans le chapitre introductif de ce rapport, il est mentionné que « L’accueil “formel” [du jeune enfant de moins de 3 ans], inscrit dans l’histoire des structures de la petite enfance dans notre pays, est fortement lié à la problématique de la conciliation vie familiale-vie professionnelle…. ». Cette mission des crèches semble aller de soi en priorité, du moins pour les parents de classes moyenne et supérieure. Et, effectivement, Banfi, Iten et Medici (2007), pour la Suisse, montrent que le taux d’activité féminine augmente avec la disponibilité des places d’accueil, mais il diminue avec l’élévation du coût des crèches, ce qui plaide selon les auteur.e.s pour un abaissement de ce coût chez les parents à bas revenu : en favorisant

l’emploi maternel, cela aurait pour effet de diminuer la dépendance des familles pauvres à l’aide sociale. Ainsi, la nécessité de la conciliation famille-travail, raison majeure de placer l’enfant en crèche reconnue pour les familles de classes moyennes, mériterait d’être reconnue au même titre, voire plus, pour les familles des « working-poor » (ou pauvreté laborieuse) soumises à des emplois atypiques, irréguliers, etc. Or, les études examinées ci-dessus notamment ne posent pas le problème dans ces termes pour cette population, insistant plutôt sur la mission de la crèche qui serait de favoriser le développement complet de l’enfant en situation de pauvreté, à titre compensatoire des soi-disant défaillances parentales (dont il apparaît bien délicat de dresser le bilan complet). Mais si ces derniers ont le sentiment que le prix à payer pour la garde de leur enfant est leur éduca-tion à la parentalité, on imagine qu’ils hésitent à étendre aux crèches le partage éducatif de leur enfant et entrer ainsi dans la dynamique de coéducation dont Neyrand (2013, 38) affirme qu’elle devrait profiter aux « enfants des familles les plus précarisées, cumulant les handicaps sociaux, et pouvant souffrir de ce fait de carences éducatives ». Cette norme de coéducation et son principe de communication ouverte, qui tend à s’imposer dans les milieux professionnels et qui, pour l’exprimer de manière synthétique, reflète les valeurs et principes des classes moyennes cultivées, pèse lourdement sur les ressortissant.e.s des milieux populaires où le fonctionnement familial comporte de plus forts aspects de ritualisation. Ceci peut expliquer en partie la méfiance des pères et mères à l’égard de tout rapport institutionnel – honte, crainte de se faire manipuler ou avoir, etc. – qu’ils et elles tendront à éviter ou esquiver si possible (ces éléments sont repris dans la suite de ce rapport).

Chapitre 2

Traits caractéristiques

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