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Des politiques ciblées aux effets plus incertains

Dans le document Quel accueil pour le jeune enfant (Page 76-80)

De manière générale, soulignons les effets pervers observés dans d’autres poli-tiques publiques lorsqu’il est question de ciblage, notamment selon le niveau de revenu : « Notons qu’une politique familiale universelle n’est ni discriminante, ni “stigmatisante” pour les bénéficiaires, alors qu’une politique ciblée crée ou se fonde sur des sous-groupes qui doivent être dénommés, donc qui risquent d’être étiquetés et labellisés ; de même, la politique familiale universelle, quand elle porte sur des services accessibles à tous (mode d’accueil de la petite enfance, temps péri et extrascolaires…), assure une mixité sociale. Des arguments plus techniques [sont également développés en faveur de l’universalité]. Les pres-tations sous condition de ressources souffrent d’effets de seuil, surtout pour les personnes qui bénéficient de revenus aléatoires et très fluctuants, et du risque d’erreur de ciblage, notamment puisqu’une part des ayants droit potentiels n’y aurait pas recours par crainte de démarches administratives fastidieuses. Peuvent

se rajouter le risque accru de fraude, les coûts de gestion très élevés, notamment dans le cadre de situations familiales, économiques et professionnelles de plus en plus mouvantes » (Séraphin, 2015, 56).

En outre, même si Kline et Walters (2016) constatent de prime abord que les effets du programme qu’ils étudient, le Head Start, sont plus importants chez les enfants qui autrement ne fréquenteraient pas l’école maternelle et chez ceux qui ont moins de chances de participer au programme (principal constat), ces auteurs montrent que, finalement, les effets bénéfiques peuvent être imputés à la mise en œuvre de programmes ou de mode d’accueil antérieurs et « concurrents », financés eux aussi sur des fonds publics.

Dans tous les cas, Bierman et al. (2017a), sur la base de recherches longitudi-nales, suggèrent que les gains réalisés par les enfants vivant dans des familles à faible revenu au cours des interventions prématernelles ciblées s’estompent souvent au moment de l’entrée à l’école maternelle et disparaissent au début de l’école primaire.

À noter toutefois que des effets positifs semblent parfois apparaître lorsque le ciblage ne porte pas sur les ressources ou le statut social mais sur un autre type de spécificité. Par exemple, selon Edwards et Yub (2018), les services d’accueil en centre ont une influence positive sur les résultats comportementaux (stress) des enfants australiens de 1 à 2 ans nés de mères adolescentes : « Les résultats suggèrent que les interventions politiques visant à encourager les enfants nés de mères adolescentes à fréquenter des services d’accueil en centre pourraient réduire les problèmes d’intériorisation des comportements de ces enfants, en particulier dans les familles en difficulté économique. » (op. cit., 96). Relevons cependant que rien ne prouve a contrario que les mêmes résultats ne soient pas également observés si l’ensemble des enfants bénéficiaient de ce service.

Toutefois, une politique publique universelle peut être proportionnée dans ses applications, en favorisant dans l’intensité de l’aide/prestation/service certaines catégories de populations. Par exemple, il est possible non pas de réserver certains modes de garde à une catégorie spécifique, mais plutôt de lui facili-ter voire de lui favoriser l’accès. L’objectif étant, au final, d’assurer une plus grande universalité par un accès de tous. À cet égard, l’étude de Vandenbroeck et Vandekerckhove (2016), (décrite au chapitre 1.3 « La mission des crèches s’arrête-t-elle à l’accueil des enfants ? ») et qui analyse les étapes de constitution d’un projet de crèche inclusive (accueillir plus d’enfants pauvres et les soutenir) est un exemple de facilitation d’accès. Au cours d’un processus qui a duré près de 10 ans (et que nous avons déjà décrit), les crèches ont gagné en présence dans les quartiers, elles ont tissé des liens avec d’autres services de proximité, etc. Le résultat principal de cette expérience est, selon les auteurs, la prise de conscience croissante de l’importance de toucher des familles défavorisées, donc de s’en donner les moyens, et la preuve qu’une politique d’admission bien pensée conduit à plus d’égalité. Actuellement, « La nouvelle structure

“Coopérer pour l’accueil de la petite enfance” à Bruxelles est maintenant l’or-ganisation de référence pour la fonction sociale de la crèche. » (op. cit., 279).

Selon les auteurs de l’article, ce « qui rend ce projet exceptionnel et unique est l’interaction entre le travail de terrain et les politiques mises en place : de la base au sommet et inversement. Alors que des changements s’observaient sur le terrain, les politiques étaient revues également. À leur tour, ces nouvelles

réglementations facilitaient le changement social sur le terrain, du sommet à la base. » (op. cit., 274). Avec cet accès facilité et prioritaire, cette politique reste universelle mais devient proportionnée.

La question du ciblage en croise une autre, celle de l’action publique par « pro-grammes » plutôt que par politique publique ou par services publics puisque, la plupart du temps, ces programmes, outre le fait d’être limités dans le temps, sont généralement ciblés sur des populations spécifiques. Cette sous-partie propose une synthèse des principaux travaux portant sur l’évaluation de ces programmes d’intervention.

Dans l’étude de Landry et al. (2014), l’intervention propose un programme de pratiques dérivées de la théorie de l’attachement et des théories socio-culturelles.

Soixante-cinq classes de centres d’aide à l’enfance, s’occupant d’enfants de 2 et 3 ans issus de familles à faibles revenus sont réparties selon trois modalités : programme standard (groupe témoin), programme de sensibilité destiné à la petite enfance (RECC) et le dernier faisant explicitement appel à l’affectif et au relationnel (RECC+). Les auteurs analysent ainsi les effets au plan socio-affectif, comportemental, sur le début de l’alphabétisation, le langage et le niveau en mathématiques, ainsi que la relation adulte-enfant. Les observations ont montré, comparativement au groupe témoin, un meilleur gain pour les pratiques RECC et RECC+ notamment parce que les éducateurs aident les enfants à gérer leur comportement, à établir un calendrier prévisible, et utilisent des activités stimu-lantes au niveau cognitif (par exemple, la lecture partagée de livres). Cependant, ce comportement ne diffère pas dans divers domaines tels que le maintien d’une discipline sensible et positive. Les évaluations ont montré que les enfants ayant bénéficié du dispositif RECC+ ont dépassé le groupe témoin dans les domaines du développement social et émotionnel ; en revanche, il n’y a pas eu de diffé-rence notable entre les groupes pour ce qui concerne les compétences cognitives (langage, alphabétisation et mathématiques). Dans le cadre de l’étude menée par Yazejian et Bryant (2017), 239 enfants (< 19 mois) de familles à faible revenu ont été assignés au hasard à Educare ou à un groupe témoin 76. Les évaluations ont été faites auprès des enfants un an après la randomisation. Les résultats ont révélé des différences significatives favorisant les enfants du groupe Educare sur les compétences langagières, la compréhension orale et les capacités d’expression, les comportements problématiques rapportés par les parents et les interactions positives entre parents et enfants, les effets étant compris entre

« modérés » et « moyens ».

À l’aide d’une base de données méta-analytique comprenant des informations sur les évaluations effectuées entre 1960 et 2007 pour les enfants de 0 à 5 ans, l’analyse de Kholoptseva (2016) examine les effets des Early Childhood Education Programs (ECE) sur leur niveau de langage, de lecture et leurs compétences en mathématiques. Les résultats indiquent que la fréquentation de ces programmes a des incidences qualifiées de faibles à modérées sur les com-pétences linguistiques, d’alphabétisation et en mathématiques des enfants. Si les programmes sont axés explicitement sur la langue, la lecture et les compétences en mathématiques, ils offrent une stimulation par rapport aux programmes d’ac-tivité plus classiques. Les programmes ECE ont un impact plus important sur

76 Programme d’éducation précoce présenté en annexe.

les compétences linguistiques quelle que soit l’origine ethnique des enfants, et l’auteure suggère la mise en place d’une expérience uniforme en matière d’ECE.

Ainsi, les résultats issus de ces trois évaluations de programmes semblent contrastés en fonction des secteurs de développement des jeunes enfants exa-minés, socio-affectif versus cognitif, et n’amènent pas de résultats concordants.

Chapitre 2

Comment évaluer

Dans le document Quel accueil pour le jeune enfant (Page 76-80)