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Chapitre 2 – La fonction publique du Canada entre 1867 et 1907

2.1. La réorganisation de la fonction publique issue de la Confédération

Comme nous l’avons mentionné au chapitre précédent, la Loi constitutionnelle de 1867, qui s’inscrit dans la tradition constitutionnelle anglo- américaine, est un document relativement limité5. Elle définit sommairement le

5 Ce qui découle de l’existence de règles constitutionnelles non écrites (tradition de common law) déjà appliquées avant la Confédération et que l’on n’a pas jugé nécessaire d’inscrire dans la Constitution.

40 fonctionnement des institutions législatives, exécutives et, accessoirement, judiciaires et pourvoit au partage des compétences entre les ordres fédéral et provinciaux. Pour ce qui est de la fonction publique, la loi donne au Parlement canadien le pouvoir exclusif de procéder à «[l]a fixation et [au] paiement des salaires et honoraires des officiers civils et autres du gouvernement»6 et confie aux législatures provinciales d’œuvrer à la «[l]a création et la tenure des charges provinciales, et la nomination et [au] paiement des officiers provinciaux»7. Aucune autre mention du service civil ne figure dans le document, qui consacre simplement le droit des différents gouvernements du Canada d’organiser et de réglementer leur fonction publique selon leurs propres impératifs et dans le cadre du partage des compétences établi par ailleurs. Un des effets du partage des compétences édicté par la Loi constitutionnelle de 1867 fut d’occasionner un réaménagement important de l’activité administrative, réaménagement qui ne fut pas sans complications.

La réorganisation découlant de la Confédération a eu plusieurs effets sur le fonctionnement interne des ministères fédéraux. Des entités administratives jusque-là indépendantes sont regroupées puis intégrées sous l’égide d’un seul ministère8, alors qu’inversement certains ministères perdent une partie importante de leurs responsabilités au profit des provinces9. Ainsi, certains ministères, délestés d’une

6 Loi constitutionnelle de 1867, art. 91, paragr. 8. 7 Ibid., art. 92, paragr. 4.

8 Le ministère de la Marine et des Pêcheries, par exemple, est le produit de la fusion de la branche des pêcheries, précédemment sous les auspices du ministère de Terres de la Couronne, de l’agence des

Provincial Steamers and Light Houses above Montreal, relevant jusque-là du ministère des Travaux

Publics et de diverses agences indépendantes telles que le bureau des Inspecteurs de bateaux à vapeur, la River Police ou encore la Caisse des marins misérables.

9 Le ministère de l’Agriculture constitue un cas de figure pour ce qui est des conséquences organisationnelles découlant de la Loi constitutionnelle de 1867 puisque, bien que l’état fédéral soit investi d’une compétence en matière d’agriculture (compétence partagée avec les provinces en vertu de l’art. 95 de la Loi constitutionnelle), il administre les dépôts des marques de commerce et des brevets (et le droit d’auteur à partir de 1868), prérogatives transférées au ministère du Commerce en 1919 (Hugues G. Richard et Laurent Carrière (éd.), Canadian Copyright Act Annotated, Toronto, Carswell, 2009, p. 2-419, feuilles mobiles, mise à jour 2010-7), ainsi que la collecte des statistiques (relevant de ce ministère depuis 1852 : Bruce Curtis, The Politics of Population: State Formation, Statistics, and

the Census of Canada, 1840-1875, Toronto, University of Toronto Press, 2002, p. 142.). Bien qu’à

l’époque bon nombre de ces marques de commerce ou de brevets concernent des innovations, des techniques ou des produits liés au monde agricole et que certaines statistiques ont trait au territoire, le ministère, de manière générale, n’œuvre plus principalement dans l’agriculture. De plus, seul le sous- ministre s’occupe directement des quelques questions d’agriculture ou d’immigration, mais essentiellement à titre consultatif, pour le Conseil privé.

partie de leurs fonctions, transférées aux provinces, se retrouvent avec un surplus de personnel alors que d’autres fonctionnent en sous-effectifs10, ce qui nuit au bon déroulement des activités bureaucratiques. Ces problèmes sont accentués par le fait que le nombre d’emplois dans la fonction publique est resté stable malgré les changements provoqués par le partage des compétences, et que les fonctionnaires sont largement restés en place indépendamment de leur nouveau contexte de travail. De fait, les provinces n’ont pas hérité des fonctionnaires fédéraux, choisissant plutôt de constituer elles-mêmes leur propre fonction publique.

Outre les difficultés engendrées par la naissance de la fédération canadienne, la fonction publique de l’époque connait divers problèmes organisationnels, qu’illustre très bien l’exemple du ministère du secrétariat d’État. Comme dans le cas de plusieurs autres ministères, différentes entités ont été intégrées en son sein (le Registrar’s Office, le Ordinance Land, le Indian Office et le Secrétariat d’État). Or, chacune de ces agences conserve néanmoins certaines pratiques qui lui sont particulières. Ainsi, chaque service tient ses archives et entretient son propre système de classification des documents et de la correspondance. Comme il n’y a pas de structure centrale, chaque fois qu’un service a besoin d’une information se trouvant dans un autre service, ce premier doit faire une demande formelle au second pour obtenir ladite information, à la suite de quoi ce service produit une copie des documents sollicités par le service demandeur. Une fois que ce dernier s’est acquitté des tâches nécessitant l’obtention de ladite copie, il classe cette copie dans ses archives, selon son propre système d’indexation. De plus, toute correspondance passant par le bureau du secrétariat d’État (qui fait principalement le suivi et le registre de la correspondance), que ce soit une ébauche ou un document nécessitant une signature du sous-ministre, est à son tour archivée. Inutile de dire que tout cela engendre non seulement un dédoublement de la production documentaire, mais également un dédoublement du personnel. Cette situation est d’autant plus difficile

10 Avec l’avènement de la Confédération, le nouveau ministère des Travaux publics assume plus de responsabilités et celles-ci s’étendent désormais à l’ensemble du Dominion canadien alors que son personnel ne suit pas l’accroissement de ces activités. Inversement, le ministère des Finances conserve le même nombre d’employés alors que certaines de ses fonctions ont été transférées aux provinces.

42 qu’affecter le personnel à une laborieuse retranscription le détourne des autres tâches dont il devrait également s’acquitter. Cela a pour effet de ralentir le déroulement de l’activité quotidienne du ministère. De plus, un dédoublement de personnel signifie que le ministère perd une part non négligeable de son budget en salaires annuels. Les mêmes problèmes existant dans tous les ministères, cela nuit considérablement à l’efficacité de l’action gouvernementale.

Cependant, aucun de ces phénomènes n’est propre à la fonction publique fédérale qui naît en 1867. Celle-ci a en grande partie hérité des pratiques et des mécanismes déjà en place durant la période coloniale. Le réaménagement occasionné par le pacte confédéral n’a pas résolu ces problèmes mais les met au contraire en évidence. Ainsi, la réorganisation hâtive de structures qui n’étaient pas encore pour la plupart éprouvées – ou du moins consolidées –, jumelée à une augmentation générale du fardeau administratif de l’État canadien, qui se déploie désormais à une échelle plus étendue et qui ne fera que croître, a préparé le terrain pour une dégradation progressive du système administratif canadien durant les quarante années suivantes.

2.2. Les commissions d’enquête sur la fonction publique au XIXe siècle (1868-