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Chapitre 4 – Le legs de la commission Courtney et la réforme de la fonction

4.1. Les débats de la Chambre des communes du 26 mai 1908

4.2.2. Le choix de John Mortimer Courtney comme commissaire en chef

Enfin, un dernier facteur peut expliquer cette vision libérale de la réforme de la fonction publique, à savoir le choix particulier de John Mortimer Courtney comme commissaire en chef de la commission de 1907-1908. Pour le saisir, un bref retour sur le parcours professionnel de l’individu est nécessaire. Né en 1838 dans une famille de banquiers à Penzance, en Angleterre, Courtney reçoit une formation dans ce domaine. Il part ensuite pour l’Inde, puis l’Australie où il travaillera pour l’Agra Bank avant de rejoindre les rangs de la fonction publique canadienne en 1869. John Mortimer Courtney occupe alors le poste de commis principal et de secrétaire adjoint du Conseil du Trésor. En 1878, le gouvernement libéral d’Alexander Mackenzie le nomme sous-ministre du ministère des Finances (et de facto receveur général adjoint et secrétaire du Conseil du Trésor), poste qu’il occupe jusqu’à sa retraite en 190649.

Dans l’exercice de ses fonctions, Courtney est régulièrement appelé à se prononcer sur l’état de la fonction publique. D’abord à titre de sous-ministre, alors qu’il produit des rapports annuels sur le fonctionnement de son ministère ainsi que

48 Dominion of Canada, Official Report of the Debates of the House of Commons of the Dominion of

Canada, April 30 1908, p. 7509.

49 John A. Turley-Ewart, «COURTNEY, JOHN MORTIMER», dans Dictionnaire biographique du

Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003, consulté le 7 juillet 2013,

sur les finances des autres ministères. Cette grande connaissance de l’économie des ministères en fait l’une des personnes les mieux renseignées sur la fonction publique. De plus, son expertise des questions financières et organisationnelles est sollicitée dans le cadre d’enquêtes publiques. Adepte des principes d’organisation et d’administration du secteur bancaire, il se prononce régulièrement en faveur d’une réforme de la fonction publique et ne manque pas de rappeler sa position à travers son travail. En 1876, il siège à un comité spécial chargé d’étudier la question des pensions dans la fonction publique. Dans le cadre de ces travaux, il produit un mémoire d’une trentaine de pages portant sur l’histoire du système de pensions de la fonction publique en Grande-Bretagne où il conclut qu’il serait bénéfique que le Canada se dote d’un tel système. Comme on l’a vu plus tôt, ce mémoire est jugé assez significatif pour être reproduit dans son intégralité lors de la commission McInnis (1882), qui recommandait justement un système de pensions de ce type (qu’ils considéraient, tout comme Courtney, être un excellent outil de gestion du personnel). Courtney témoigne d’ailleurs en ce sens lors des audiences de la commission.

Nommé commissaire à la commission Hague (1892), Courtney préside également la commission Martineau (1903). Ainsi que nous l’avons exposé au chapitre deux, il profite de chacune de ces instances pour réitérer sa vision de la fonction publique. Par exemple, il considère que le système de pensions fait partie d’une vision globale du salaire; la rémunération et la pension en constituent simplement des composantes différentes, mais tout aussi essentielles l’une que l’autre. L’instauration d’un régime de pension fait en sorte que les fonctionnaires, pendant la durée de leur emploi, ne sont pas inquiets de leur avenir, la perspective d’une retraite forcée par la maladie ou l’âge n’étant plus un drame. En conséquence de cette sécurité nouvelle, ils peuvent d’autant mieux se consacrer à l’exercice de leurs fonctions, ce qui, en définitive, est dans l’intérêt public. Par ailleurs, l’existence d’un régime de pensions fait en sorte que l’on peut désormais sans souci ni remord se défaire des services de fonctionnaires dont l’âge ou l’état de santé affecte la compétence: «in the absence of superannuations, inefficient persons are retained in the public service», engendrant des coûts qui, pour être difficilement quantifiables, n’en sont pas moins fort importants et qui érodent l’efficacité de la fonction

120 publique50. Il réaffirme cette position en 1908, dans le rapport de la commission, ajoutant que ce régime devrait en outre comporter des dispositions d’aide aux veuves et orphelins. Sur le plan de la gestion, il affirme qu’un tel régime permet de réduire les effectifs et de ne conserver que les employés pleinement fonctionnels, plutôt que de garder en poste des individus «long after their usefulness had departed, for the reason that it would be hard and cruel to discharge them»51.

Les convictions libérales de Courtney se manifestent aussi dans d’autres facettes de sa vie. Haut fonctionnaire de longue date, il participe régulièrement à la vie sociale d’Ottawa. Il est membre du Royal Ottawa Golf Club et prononce plusieurs discours dans des clubs privés de la capitale, fréquentés par des membres du Parti libéral. On peut notamment penser à son adresse au Canadian Club d’Ottawa en 1906 qui porte sur la nécessité d’adopter une réforme de la fonction publique axée sur l’implantation du principe de mérite et de méthodes de gestion s’apparentant à celle des banques.

Courtney apparaît ainsi comme ayant été le candidat de choix pour diriger la commission d’enquête sur la fonction publique de 1907-1908. Le rapport reprend des idées depuis plus de trente ans, ce qui en fait un véritable outil politique visant à promouvoir une réforme de la fonction publique. En effet, il est difficile de douter que John Mortimer Courtney n’ait pas profité de sa présidence de la commission d’enquête pour mettre en avant ses propres intérêts. Il n’est donc pas surprenant que le rapport de la commission ait une orientation libérale, dans la mesure où le commissaire en chef adhère à cette idéologie. Dans cette optique, il faut donc considérer Courtney comme étant un acteur politique actif sur la question de la réforme de la fonction publique. Certes, les recommandations de son rapport résultent d’une analyse rigoureuse de la documentation qui lui a été soumise, mais elles reflètent et intègrent ses propres convictions. Sa nomination par le Parti libéral ne

50 Dominion of Canada, Commission to Consider the Needs and Condition of the Civil Service of the

Dominion, 1880-81, First Report of the Civil Service Commission, Sessional Papers, vol. 10, no 113 (1881), p. 52-53.

51 Dominion of Canada, Royal Commission on the Civil Service. Report, Sessional Papers, vol. 15, no 29a (1908), p. 21.

semble pas avoir été faite au hasard, le choix de Courtney, de par sa notoriété dans ces cercles, doit être vu comme une acception de ses opinions par le parti au pouvoir. Le gouvernement devait donc s’attendre, jusqu’à un certain point, aux recommandations du rapport, même si, en l’espèce, il faut rappeler que Courtney a largement dépassé le mandat qui lui a été confié, ce qui confirme de surcroît son influence dans cette affaire.

4.3. Conclusion

L’adoption de la loi de 1908 sur la fonction publique s’est faite sans véritable obstacle. Les divergences ont avant tout porté sur des questions de formulation ou de forme; les principes sous-jacents au projet de réforme, eux, ont fait l’objet d’un vaste consensus des députés. Certes, le processus menant à l’adoption du Bill no 189 n’a pas été linéaire. Sa reconstitution a permis d’illustrer la construction d’une loi à travers la négociation parlementaire. Il s’agit d’un processus d’échanges dans lequel les députés doivent concilier leur vision idéologique de la réforme avec la réalité politique. Indépendamment des raisons qui ont mené les deux partis à travailler ensemble, l’adoption du projet de loi de réforme de la fonction publique constitue un intéressant exemple de bipartisme. Il est vrai que l’absence de la pratique de ligne de parti, à l’époque, rend moins surprenante la collaboration entre les députés de partis opposés, mais cela ne garantit en rien leur coopération. D’où l’intérêt des discussions portant sur le projet de loi, qui révèlent une Chambre des communes résolue à adopter une réforme de la fonction publique.

Cependant, même si l’adoption de la Loi portant modification de la Loi du service civil constitue une avancée considérable, il n’en demeure pas moins que ce gain est avant tout d’ordre théorique. La mise en application de la loi et les changements qu’elle doit occasionner restent tributaires de la volonté du gouvernement, qui demeure parfois chancelante. Cela montre à quel point il est plus difficile de faire appliquer une loi que de l’adopter.

Cela dit, cette loi constitue la première véritable réforme de la fonction publique en 40 ans. Paradoxe à l’effervescence ayant présidé à son adoption, après les

122 élections de 1908 où les Libéraux sont reconduits au pouvoir, la fonction publique est de nouveau reléguée au second plan. Pour le moment, on se contente de nommer deux commissaires à la CSC: Adam Shortt, professeur d’histoire économique à l’Université Queen’s et important penseur libéral canadien, et Michel G. LaRochelle, ancien secrétaire de sir Wilfrid Laurier52 et candidat libéral (provincial). La CSC entreprend dès lors ses travaux.

52 John E. Hodgetts, William McCloskey, Reginald Whitaker et Seymour V. Wilson, The Biography of

an Institution: The Civil Services Commission of Canada, 1908-1967, Montréal, McGill-Queen’s

Conclusion