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Chapitre 4 – Le legs de la commission Courtney et la réforme de la fonction

5.3. Les réformes du monde anglo-américain

La réforme de la fonction publique de 1908 doit aussi être considérée dans une optique internationale. En effet, le Canada s’inscrit dans un mouvement de modernisation administrative généralisé dans les pays anglo-américains, ce que l’on peut constater en comparant les lois sur la fonction publique aux États-Unis, en Australie et en Nouvelle-Zélande13. Entre 1883 et 1912, ces pays entreprennent de réorganiser leur fonction publique. Pour ce faire, ils s’inspirent largement du modèle britannique et des recommandations faites dans le rapport Northcote-Trevelyan de 1853. Le Canada, cependant, innove en adoptant des mesures qui lui sont propres. De fait, il n’y a pas importation directe d’un modèle extérieur: la réforme canadienne s’est plutôt inspirée des grands principes mis en œuvre précédemment par la Grande- Bretagne, pour les adapter, les transformer et y ajouter, s’inscrivant par ailleurs dans une grande mouvance anglo-américaine.

On note ainsi plusieurs similitudes dans les lois qui sont alors adoptées, dont l’introduction du principe du mérite et la création d’organismes chargés, à des degrés

divers, de l’embauche et des promotions. Côté mérite, les États-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, comme le Canada, établissent des concours d’entrée et de promotion. Tout candidat à la fonction publique, désormais, est assujetti à ce processus. La Nouvelle-Zélande, comme le Canada, instaure un système d’incitatifs financiers à la performance, et l’Australie adopte des mesures visant à pénaliser (voire congédier) les employés qui ont une productivité insuffisante ou font preuve d’incompétence.

Autre similitude: ces mouvements de réforme portent avant tout sur la fonction publique intérieure, c’est-à-dire celle qui travaille au siège du gouvernement. Cela confirme que l’on conçoit la fonction publique intérieure comme le centre nerveux de l’activité étatique: il est dès lors logique qu’elle ait constitué le point de départ de la réforme de l’appareil étatique.

Quant aux organismes qui supervisent les embauches et les promotions, tiennent les concours et enquêtent généralement sur la fonction publique, ils ont des mandats semblables, encore que leur mode de constitution et leur degré d’indépendance varient. Comme la Commission du Service Civil du Canada, le United States Civil Service Commission est composé de trois commissaires. Le Public Service Commission de la Nouvelle-Zélande possède un commissaire et deux assistants-commissaires et le Public Service Commission de l’Australie un commissaire et six inspecteurs. Dans le cas des États-Unis et du Canada, le mandat des commissaires est sans durée fixe alors qu’en Australie et en Nouvelle-Zélande, les commissaires et inspecteurs ont des mandats renouvelables de sept ans14. Les inspecteurs australiens et les commissaires canadiens ont à peu près le même pouvoir d’enquêter sur l’état des ministères; la différence la plus importante est que les inspecteurs australiens le font à la demande de leur commissaire alors que les commissaires canadiens enquêtent de leur propre chef.

14 Art. 5 (2.), An Act for the regulation of the Public Service, 2 Ed. VII, No. 5 (1902) et art. 7 (3), An

134 Il existe cependant des différences importantes. C’est le cas du degré d’indépendance des différentes commissions. Aux États-Unis, bien que le United States Civil Service Commission soit en principe indépendant d’action15, ses commissaires ne sont titulaires de leurs postes qu’au plaisir du président des États- Unis16. La commission n’est donc qu’à moitié indépendante: si ses membres déplaisent, ils pourront être remplacés par d’autres qui se montreront plus conciliants ou accommodants. Inversement, en Nouvelle-Zélande, les membres de la commission sont indépendants de position17 mais non d’action. Par exemple, la réglementation relative aux concours d’entrée dans la fonction publique ne peut être adoptée par le Public Service Commission que sur approbation du gouverneur en conseil18. En Australie, la Public Service Commission n’est pas indépendante et son rôle n’est pas de décider, mais simplement de recommander. Le gouverneur général peut en tout temps rejeter les recommandations ou règlements proposés par la commission et lui demander d’en formuler de nouvelles jusqu’à satisfaction. Seule la Commission du Service Civil du Canada est complètement indépendante du politique. Comme nous l’avons vu, le statut des commissaires canadiens s’apparente à celui des juges des cours supérieures, qui sont inamovibles en pratique. La CSC est également exempte de l’influence du politique et peut exécuter son mandat sans intervention extérieure, du moins en théorie. Malgré ces différences substantielles, il demeure que, dans ces quatre pays, on décide pour la première fois de confier le développement de la fonction publique à une entité spécialisée et créée à cette fin, plutôt que d’en laisser la mainmise au seul politique.

On assiste ainsi à une dépolitisation de la fonction publique, sauf en Australie. Pour garantir cette dépolitisation, le Canada et les États-Unis enchâssent dans leurs lois des dispositions visant à éliminer toute forme d’influence, tant sur les

15 Art. 2, 3, 5, 10, 11, 13 & 14, An Act to regulate and improve the civil service of the United States, U.S.C., ch. 27, 22 Stat. 403 (1883).

16 Art. 1, ibid.

17 Ils sont nommés pour des mandats de sept ans, renouvelables, et ne peuvent être destitués que par le Gouverneur (ancien titre du gouverneur général en Nouvelle-Zélande), en cas de mauvaise conduite ou d’incompétence. Le Gouverneur doit cependant justifier sa décision auprès du Parlement. Art. 10, An

Act for the Regulation of the Public Service, 2 Ed. VII, No. 5 (1902).

commissaires que les fonctionnaires. Pour sa part, la Nouvelle-Zélande n’étend pas cette interdiction aux fonctionnaires et la limite aux membres de la commission.

Les quatre réformes visent également le développement d’une fonction publique professionnelle, compétente et permanente. On retrouve ainsi aux États- Unis, en Australie et en Nouvelle-Zélande ce que prévoit également la loi canadienne en ce qui a trait aux périodes de probation ou à la mise sur pied de dossiers d’emploi. Le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande se dotent par ailleurs de systèmes de classification d’emplois similaires, du moins pour ce qui est de la fonction publique intérieure: divisions en classes et sous-classes, selon la nature du travail (intellectuel d’une part, mécanique d’autre part), avec une rémunération proportionnelle qui privilégie les employés les plus qualifiés. Les trois dominions encouragent en outre la mobilité et l’ascension professionnelle en permettant aux fonctionnaires des classes inférieures d’être évalués pour des postes des classes supérieures et, s’ils le méritent, d’y accéder.

Dans un autre ordre d’idées, notons que l’Australie est le seul pays à imposer la retraite à 65 ans et, avec la Nouvelle-Zélande, à posséder un système de pensions de retraite. Cependant, comme nous l’avons vu, l’imposition d’un âge de retraite obligatoire et la mise sur pied d’un système de pensions ont également préoccupé les politiciens canadiens. Même si, en définitive, ces questions n’ont pas été résolues par la loi de 1908, il n’en demeure pas moins qu’une réflexion a été amorcée.

Comme l’attestent les débats entourant l’adoption de la loi de 1908, les politiciens canadiens sont bien au fait des développements législatifs de la métropole, des dominions et des États-Unis, et réciproquement. Du reste, on voit bien que le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis partagent une réflexion commune sur des enjeux touchant la fonction publique. Un autre exemple en est celui de la question de l’assurance-vie. En 1907, le gouvernement canadien avait mis sur pied une commission d’enquête sur l’assurance-vie afin de déterminer s’il était dans l’intérêt de l’État de souscrire des polices d’assurance pour ses employés, ou de

136 forcer les employés à s’assurer eux-mêmes. Le rapport de cette commission n’a pas mené à l’adoption de quelque mesure que ce soit dans l’immédiat. Par contraste, l’Australie, à même sa réforme de 1902, inscrit dans la loi l’obligation de tous ses fonctionnaires de se doter de polices d’assurance-vie. La loi australienne prévoit même que les employés n’ayant pas les moyens financiers nécessaires subiront une déduction salariale qui permettra de pourvoir à l’achat d’une telle assurance.