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Chapitre 3 – La commission Courtney: entre répétition et nouveauté

3.2. Les débats de la Chambre des communes des 24-25 avril 1907

La session parlementaire de 1906-1907 se caractérise par de nombreux débats orageux. Le Parti conservateur, souhaitant mettre au jour de nouveaux scandales, attaque systématiquement le Parti libéral afin de le discréditer auprès des électeurs9. Toute discussion en chambre est transformée par l’opposition en critique de la gestion des affaires de l’État par le gouvernement Laurier. Si les Conservateurs maintiennent la pression sur les Libéraux, ces derniers ne se gênent pas pour défendre tout aussi ardemment leurs politiques, contribuant eux-mêmes à l’hostilité du climat.

Les débats du 24 avril 1907 ne font pas exception à la règle et les échanges, en particulier ceux portant sur la gestion et l’approvisionnement du camp militaire de

9 Luc Juillet et Ken Rasmussen, Defending a Contested Ideal: Merit and the PSC of Canada, 1908-

72 Petawawa10, sont assez musclés et se poursuivent jusque tard dans la nuit. Les députés s’entendent alors pour se transformer en comité des subsides11 afin de traiter de questions d’attribution de crédits. Ce comité a pour objectif d’examiner toute demande de crédit budgétaire. Il est habituellement convenu que les débats entourant ces demandes soient limités afin de s’assurer de la pertinence des interventions des membres du comité. Dans la nuit du 24 au 25 avril 1907, après quelques demandes de dépenses supplémentaires liées à des projets de construction ou de réfection d’infrastructures (chemins de fer, routes et canaux), les députés se penchent sur l’augmentation du salaire de certains fonctionnaires. Les esprits s’échauffent lorsque les Conservateurs commencent à remettre systématiquement en question les augmentations salariales proposées par le gouvernement et en profitent même pour critiquer au passage la gestion comptable du ministère de la Marine et des Pêcheries12. Par ailleurs, vertement critiqué par le député Sproule au sujet de l’augmentation à 1200$ du salaire annuel d’un commis de seconde classe du ministère de la Milice et de la Défense, le ministre des Finances, William S. Fielding (Shelburne and Queen’s), se défend de donner dans l’arbitraire en expliquant que:

In these items there are a few special cases which the ministers felt able to deal with at once, and in each case I think for good reasons. But it was found that to deal with the demands of the civil servants generally was quite impossible because the ministers had no time to take up the matter in detail. In fact if they had time, I am not sure it could be conveniently done, because one may have a different standard in his mind as to how salaries should be paid, from what another minister would think proper.13

Et le ministre d’ajouter:

We have thought it better that the whole question should be taken up by some gentleman who could give ample time to it. An item will be found in another place to provide for the expenses of a commission of gentleman to inquire into the service compensation of public officials generally.14

10 L’opposition accuse notamment le gouvernement de s’être approprié des terres appartenant au gouvernement de l’Ontario afin de construire le camp sans lui avoir offert de compensation financière. Dominion of Canada, Official Report of the Debates of the House of Commons of the Dominion of

Canada, April 24 1907, p. 7610-7663.

11 Ibid., p. 7663. 12 Ibid., p. 7682-7683. 13 Ibid., p. 7686. 14 Id.

Le ministre poursuit alors sur l’intention du gouvernement de former une nouvelle commission d’enquête sur la fonction publique et déclare que trois commissaires ont déjà été retenus: John Mortimer Courtney, ancien sous-ministre des Finances de 1878 à 1906, Thomas Fyshe, ancien directeur général de la Banque des marchands du Canada, et Jean-George Garneau, maire de Québec depuis 190615. L’objectif principal de cette commission sera, précise le ministre, d’étudier et de réviser les grilles salariales et la classification des postes16.

L’annonce du ministre surprend. Tout d’abord, elle est faite en l’absence du premier ministre Laurier et du ministre de la Marine et des Pêcheries Louis-Philippe Brodeur, qui, participant à Londres à la conférence impériale de 1907, n’ont pas été consultés. Ensuite, l’idée de mettre sur pied une commission d’enquête sur la fonction publique n’a en aucun temps été discutée en chambre durant la session. Malgré leurs incessantes critiques, les Conservateurs n’ont jamais demandé d’enquête. De son côté, le Parti libéral a toujours défendu son bilan en matière de gestion, répétant que la loi sur la fonction publique est adéquate. La déclaration de Fielding paraît donc aussi soudaine qu’incongrue. Soudaine, parce la retranscription des débats ne laisse pas présager l’éventuelle création d’une commission d’enquête, et incongrue parce que le commentaire du ministre dévie de la position jusque-là défendue par son parti. En effet, Fielding se trouve à admettre que les augmentations de salaire sont arbitraires et que le processus d’évaluation des demandes des fonctionnaires par les ministres n’est pas uniforme, concédant implicitement que la situation doit être changée.

Vu la teneur des accusations des Conservateurs précédant l’intervention de Fielding, le ministre donne l’impression que l’annonce de la création d’une commission est une manœuvre politique improvisée, destinée à river leur clou aux critiques et à détourner l’attention tout en donnant l’impression d’être proactif. Cela semble manifeste dans la mesure où les objectifs de la commission correspondent

15 Id.

74 exactement aux récriminations de l’opposition. Il est probable que des discussions concernant des modifications à des modalités touchant la fonction publique aient eu lieu à l’intérieur du gouvernement. Cependant, il est difficile d’envisager que l’annonce du ministre Fielding ait été entièrement préméditée, d’autant qu’elle est faite en pleine nuit, quelques minutes avant l’ajournement des travaux à la Chambre des communes, à 1 h 35 du matin17.

La question de la création d’une commission d’enquête sur la fonction publique suscite immédiatement des réactions chez les députés. L’opposition passe d’une critique des pratiques arbitraires du gouvernement dans le processus d’octroi des augmentations salariales et des promotions à celle de cette commission. Avec pour fer de lance les députés Joseph Bergeron (Beauharnois), Samuel Hughes (Victoria) et Thomas Sproule, les Conservateurs s’attaquent à l’utilité d’une énième commission d’enquête, en insistant sur trois points. Premièrement, la commission coûtera cher aux contribuables alors que son travail pourrait tout aussi bien être accompli par un simple comptable. Deuxièmement, les trois commissions d’enquête précédentes ont déjà diagnostiqué les divers problèmes affectant la fonction publique et il est donc inutile de créer une nouvelle commission afin d’arriver aux mêmes conclusions. Troisièmement, et plus fondamentalement, une autre commission d’enquête, entité par définition temporaire, ne permettra pas d’aller au fond des choses et il serait préférable de se doter d’un organisme permanent, permettant d’instituer de vrais changements18. Par la suite, on tente tant bien que mal de poursuivre les travaux du Comité des subsides, mais la création de la commission d’enquête retient l’attention des députés, ce qui entraîne un report des résolutions puis un ajournement des travaux de la Chambre pour la séance.

Le lendemain (25 avril 1907), cette commission s’impose comme sujet incontournable de discussion chez les députés. Les Conservateurs reviennent à la charge, notamment à propos de son mandat. Le ministre Fielding les informe que l’enquête portera avant tout sur la fonction publique intérieure, mais n’exclut pas la

17 Ibid., p. 7694. 18 Ibid., p. 7688.

possibilité de tenir des séances à l’extérieur de la capitale. De plus, il affirme que la commission sera accessible à tout fonctionnaire désireux de témoigner. Il entretient cependant un flou quant à son objectif: celle-ci se contentera-t-elle d’étudier la question des salaires et de la classification des employés ou enquêtera-t-elle sur d’autres éléments d’intérêt? Là-dessus, le chef du Parti conservateur, Robert L. Borden (Carleton), et son lieutenant, George E. Foster (Toronto North), exhortent le ministre Fielding à élargir le mandat de la commission afin qu’elle puisse se pencher sur des questions plus fondamentales (dépolitisation de la fonction publique et principe de mérite), qui permettraient une véritable réforme19. La durée du mandat de la commission n’est pas déterminée et peu de détails sont communiqués en chambre par le ministre Fielding, ce qui trahit et confirme le caractère improvisé de son annonce. Pour en connaître davantage, il faut attendre le 8 mai 1907, alors que, par voie d’arrêté en conseil, la commission d’enquête est officiellement créée.

3.3. La création et le déroulement des travaux de la commission (15 mai 1907 -