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Chapitre 1 – Conseiller d’orientation en milieu scolaire au Québec : une profession

1.3. La réforme des années 2000 : le « nouvel esprit » du système scolaire

La réforme de l’éducation des années 2000 au Québec s’inscrit dans un vaste mouvement de réforme des systèmes éducatifs dans les pays occidentaux misant sur des politiques de l’éducation axées sur la performance individuelle des acteurs scolaires et l’efficience du système à produire la « réussite scolaire ». De fait, sous la pression des grandes institutions internationales, le Fonds monétaire international (FMI), la Banque Mondiale (BM) et plus particulièrement l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), nombre de pays industrialisés ont opéré des réformes importantes de leur système éducatif depuis les années 1980. Cette mouvance en éducation est ancrée dans une conception politique « managérialiste » (Fortier, 2010a) qui vise à introduire dans les organismes publics des méthodes d’organisation du travail issues des entreprises privées : « L’idée de base est que les formes de gestion des entreprises publiques et de l’État sont bureaucratiques, archaïques, coûteuses, inefficaces. Il convient donc de “moderniser” les administrations et les institutions […] » (De Gaulejac, 2011 p. 147).

Au Québec, la réforme a été pensée dans un contexte politique (fin des années 1990) marqué par un virage radical opéré par le gouvernement du Parti québécois dans les organismes publics pour arriver à l’objectif gouvernemental du « déficit zéro » (Fortier, 2010a). C’est

l’arrivée en force au Québec de la Nouvelle Gestion Publique (Fortier, 2010a), laquelle se caractérise, selon De Gaulejac (2011), par les principes suivants :

 Réduire le coût des fonctions de l’État, notamment en sous-traitant au privé les tâches qui ne doivent pas absolument être sous son contrôle (selon une conception minimaliste).

 Appliquer le principe d’efficience productive à tous les niveaux de l’organisation.  Remplacer la culture « usager » par une culture « client »; favoriser le contact direct

entre employés et clients.

 Compte tenu de leur effet stimulant et efficace, favoriser la compétition à l’interne et la concurrence à l’externe.

 Remplacer la culture des moyens par une culture du résultat, en favorisant une plus grande autonomie sur les moyens, mais plus de redditions de compte sur les résultats.  Fonder l’évaluation sur la performance plutôt que sur le contrôle de la régularité.  Évaluer les résultats de manière continue pour ajuster la conduite de l’activité.  Introduire la flexibilité et la mobilité dans la gestion du personnel, de manière à éviter

la rigidité de l’attribution et le maintien en poste selon l’ancienneté; favoriser plutôt l’avancement au mérite.

 Remplacer la culture hiérarchique par une culture entrepreneuriale.

 Mettre en place un management par l’incitation plutôt que par l’obéissance.

Ainsi a-t-on assisté, au courant des dernières décennies, à l’introduction progressive de ces principes dans la gestion des organisations publiques, y compris au Québec (Fortier, 2010a). « Les écoles ne font pas exception : elles sont plus ou moins inspirées ou aspirées par ce “nouvel esprit” des organisations » (Maulini & Gather Thurler, 2007, p. 431). Lessard (2011) rapporte les incitations de l’OCDE à mettre en place cette Nouvelle Gestion Publique dans les écoles de manière à « améliorer la qualité de l’éducation » (p. 318), c’est-à-dire, pour l’OCDE, son efficacité et son efficience. À titre d’exemple, l’OCDE (2005, dans Lessard, 2011) s’est attardée particulièrement à l’importance du facteur « enseignant » au regard de la qualité de l’éducation. Ainsi, cet organisme propose aux systèmes d’éducation différents moyens pour attirer les meilleurs candidats et s’assurer de les garder.

Ces moyens sont en droite ligne avec la théorie du capital humain, qui constitue le socle de la Nouvelle Gestion Publique, selon De Gaulejac (2011). Selon la théorie du capital humain, chacun est responsable de développer, de maintenir, de prendre soin, et de « vendre » ses facultés sur le marché du travail (De Gaulejac, 2011). Le travailleur sera embauché selon des conditions qui respectent la valeur de son « capital humain » sur le marché. Lessard (2011) corrobore ce point de vue : l’OCDE veut modifier le contrat social avec les enseignants de manière à ce que les directions d’école puissent avoir le loisir de les embaucher selon les besoins de l’établissement et des parents (clients). En échange, les enseignants pourraient bénéficier d’une rémunération qui suivrait l’évaluation de leur rendement (leur contribution à la réussite de l’élève).

Bref, la logique gestionnaire appliquée au système d’éducation veut opérer un mouvement de décentralisation des décisions et des responsabilités afin de favoriser à la fois l’autonomie des établissements (p. ex., embaucher les enseignants) et celle des enseignants (p. ex., possibilité de mettre en œuvre des pratiques correspondant aux diverses formations issues de leur « capital humain »). Toutefois, en contrepartie de la liberté de moyens dans la poursuite des objectifs, les instances centrales demandent un bilan régulier de l’efficacité des actions décidées et mises en œuvre sur le terrain (Maulini & Gather Thurler, 2007), au regard notamment de la satisfaction des « clients » que sont les parents et les élèves. Cette situation est-elle aussi celle des professionnels de l’éducation comme les conseillers d’orientation? Sur ces deux aspects – autonomie et satisfaction des besoins élèves et des parents – la logique gestionnaire s’articule très bien avec la logique pédagogique que l’on retrouve souvent dans les réformes mises en place dans les pays industrialisés (avec pourtant des finalités radicalement divergentes, i.e. productivisme et création de richesses privées vs. humanisme et justice sociale, comme le souligne Pelletier, 2001). Maulini et Gather Thurler (2007) rapportent que les réformes se sont passablement inspirées, sur le plan pédagogique, du mouvement de l’« éducation nouvelle ». Ayant pour objectif de construire une école plus équitable, ce mouvement, dans lequel s’inscrivaient nombre d’écoles autrefois « alternatives », vise à mieux répondre aux besoins des élèves et de leur famille, en tenant compte des contraintes locales particulières (Maulini & Gather Thurler, 2007). Ainsi, les pédagogues issus de ce mouvement prônent une grande souplesse et une diversification des dispositifs pédagogiques de manière à s’adapter à chaque élève et favoriser son

développement global (Maulini & Gather Thurler, 2007). En ce sens, ce type de pédagogie est fondé sur le jugement de l’enseignant au regard des moyens à mettre en place pour arriver à ses fins, laissant une place importante à son autonomie et à son expertise. Dans le cadre des réformes, les États ont donc récupéré des pratiques existantes (autrefois marginales, voire répudiées…) pour refonder le système éducatif. Comment ces dispositifs pédagogiques affecteront-ils les pratiques des conseillers d’orientation?

Au Québec, la réforme entamée dans les suites des États généraux sur l’éducation (1996) et qui s’est poursuivie sur une dizaine d’années (avec des avancées et des reculs ici et là) s’inscrit dans cette mouvance globale et répond à plusieurs des principes gestionnaires et pédagogiques énoncés qui pourrait bien avoir eu des incidences sur l’exercice de la profession de c.o. dans les écoles.

 Décentralisation des pouvoirs vers les établissements (p. ex., projet éducatif), avec une plus grande reddition de compte par ailleurs (introduction des « plans de réussite »);

 Rapprochement entre les employés et la clientèle (création des Conseils d’établissement, au sein desquels les parents ont voix au chapitre);

 Individualisation des parcours de formation des élèves et différenciation pédagogique.

 Introduction de la culture « entrepreneuriale » dans les programmes;  Accent sur la pédagogie par projet, la pédagogie entrepreneuriale;

 Introduction de la gestion axée sur les résultats (convention de gestion, convention de partenariat), par l’évaluation de la performance selon des cibles déterminées (chiffrées).

Pour plusieurs, cette réforme devait favoriser la professionnalisation de l’enseignement puisqu’elle sous-tendait une décentralisation des responsabilités vers les principaux acteurs de l’éducation, notamment les enseignants (Gaudreault, 2008). L’autonomie professionnelle et l’utilisation d’une gamme plus vaste de leurs compétences, sollicitant leur expertise notamment en pédagogie, devaient être déployées. Selon Lessard (2011), la réforme a plutôt été reçue par les enseignants comme une atteinte à leur autonomie traditionnelle parce que non seulement les savoirs étaient-ils déterminés (ce qui est légitime), mais les façons de faire

aussi (p. ex., pédagogie par projet, différenciation pédagogique). Aussi, la réforme était perçue comme provenant de la « noosphère, sphère de gens qui pensent les pratiques pédagogiques et prétendent les rationaliser » (Perrenoud, 1995, dans Lessard, 2011, p. 317), sans tenir compte du contexte d’exercice du métier ni des savoirs d’expérience. Maulini et Gather Thurler (2007) résument bien cette situation :

Il arrive que des initiatives intéressantes et intelligentes du côté des enseignants se heurtent au double discours des autorités scolaires qui, tout en affirmant vouloir développer l’esprit d’entreprise, la pratique réflexive et la professionnalisation, exigent de respecter à la lettre les nouveaux principes de la gestion publique et l’ensemble des procédures didactiques. Le tout sans accorder le temps matériel, la latitude de décision ni le soutien institutionnel permettant de viser, dans le travail et par l’analyse du travail, la maîtrise conceptuelle, technique et déontologique caractérisant les professions. (p. 434).

Ainsi ces auteurs ajoutent-ils : « L’autonomie des enseignants et celle des établissements sont valorisées tant qu’elles vont dans le sens qui convient au Ministère. » (Maulini & Gather Thurler, 2007, p. 434).

En somme, cette réforme pensée dans les années 1990 et appliquée dans les années 2000 insuffle le « nouvel esprit du capitalisme » (Boltanski & Chiapello, 1999) dans les écoles québécoises. L’entreprise de mise en œuvre de la Nouvelle Gestion Publique entamée sous le Parti québécois à la fin des années 1990 s’est poursuivie sous le gouvernement libéral dans les années 2000 (Fortier, 2010a). Ainsi, la dernière trace visible constitue la mise en application d’une « gestion axée sur les résultats » (GAR) qui rend obligatoires des contrats de performance entre les différents paliers du système scolaire. Cette méthode de gestion a été perçue comme une pression indue par les enseignants selon Lessard (2011), ceux-ci craignant d’être effectivement tenus responsables de la réussite de leurs élèves et d’être blâmés pour les échecs du système.

La prochaine section permettra de mieux comprendre comment ces nouveaux principes d’organisation du travail ont pu avoir affecté les pratiques d’orientation dans les écoles.