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Chapitre 2 – Examen critique des approches explicatives de la souffrance

2.1. Portait statistique des manifestations de souffrance au travail chez les c.o

Au Québec, une seule recherche s’est attardée à appréhender les manifestations de souffrance au travail des conseillers d’orientation en termes de prévalence. L’étude recensée est celle de Soares (2006a), réalisée en fait auprès des professionnels de l’éducation, dont font partie les conseillers d’orientation. Selon cette étude conduite auprès des 1873 professionnels de l’éducation, 41,3 % des répondants éprouvent un niveau élevé de détresse psychologique, telle que mesurée par l’Indice de détresse psychologique de Santé Québec. Chez les 244 conseillers d’orientation ayant participé à cette étude (Soares, 2006b), ce taux de détresse psychologique s’élève à 45,3 %. Par ailleurs, les résultats à l’échelle d’épuisement professionnel laissent supposer que si les c.o. sont épuisés émotionnellement (33,3 % ayant un niveau élevé), ils ne montrent pas de dépersonnalisation (4,6 % ayant un niveau élevé) et sentent toujours qu’ils s’accomplissent dans leur travail (99,2 % ayant un niveau élevé). L’écart entre les deux dernières échelles et les échelles d’épuisement émotionnel et de détresse psychologique est surprenant, mais il est impossible de l’interpréter étant donné le manque d’informations sur cette recherche de Soares (2006b). Il y a pourtant une piste importante à explorer ici. Par ailleurs, cette recherche indique que près du quart des c.o. répondants présentent des symptômes « légers », « moyens » ou « sévères » de dépression (23,3 %) et d’anxiété (28,2 %). Enfin, il semble que 11,6 % des conseillers d’orientation vivent un niveau moyen ou élevé de désespoir, c’est-à-dire un sentiment que des situations négatives affectent les domaines importants de leur vie, sans espoir de changement. Malgré le faible taux de réponse de cette recherche (autour de 35 %) qui incite à prendre ces résultats avec précautions, les informations disponibles laissent croire qu’il y a une pertinence à investiguer du côté de la souffrance au travail des conseillers d’orientation.

Aux États-Unis, le problème de la souffrance au travail des conseillers a été posé en termes d’impairment31. Dans leur introduction à un numéro spécial portant sur la question en 1996,

Kottler et Hazler (1996) estimaient à 6000 le nombre de conseillers aux États-Unis qui pratiquaient tout en ayant une forme d’invalidité émotionnelle ou mentale. Dix ans plus tard, d’autres chercheurs se sont attardés à cette question dans un nouveau numéro spécial de la revue Journal of Humanistic Counseling, Education & Development, mais en l’abordant sous l’angle de la promotion du bien-être (Scholl, 2007). Lawson (2007) y rapporte les résultats d’une recherche menée auprès de 1000 membres de l’American Counseling Association. Dans l’ensemble, les résultats indiquent que la grande majorité des conseillers sont satisfaits du travail qu’ils font, que ce soit sur le plan de la profession de counseling, de leur productivité, de leur nombre de clients, de leur charge de travail en général ou de leurs revenus. Or, les conseillers dans le secteur scolaire sont les moins satisfaits, ce qui s’expliquerait, selon l’auteur, par une autonomie moins grande que celle des conseillers en pratique privée. En ce qui concerne l’appréciation de leur santé mentale, 80,7 % de l’ensemble des répondants se sentaient « bien », 15 % stressés, 4,3 % en détresse, et 0 % en

impairment, alors que leurs collègues seraient, selon eux, dans une moins bonne posture : ils

considéraient que 50,42 % étaient « bien », 33,29 % stressés, 12,24 % en détresse et 4,05 % en impairment. Enfin, les résultats indiquent que 14,2 % se sentent peu satisfaits en lien avec la compassion32, 5,2 % expriment un niveau élevé d’épuisement professionnel et 10,8 %

ressentent de la fatigue de compassion liée à un traumatisme vicariant.

Il est difficile de dégager un constat sur la souffrance au travail des conseillers à partir de ces études étant donné leurs limites méthodologiques. L’étude de Soares (2006b) présente un taux de réponse trop faible pour pouvoir dégager des constats généralisables, d’autant plus qu’il n’y a pas eu de tests statistiques quant à la représentativité de l’échantillon. En ce qui concerne spécifiquement la recherche de Lawson (2007), elle a été réalisée sous l’égide de

l’American Counseling Association et a été réalisée sous l’angle de l’impairment, ce qui a pu

31 La traduction fonctionnelle de ce terme est délicate. C’est pourquoi nous utiliserons pour le moment le terme

anglais, qui définit une altération / diminution de la compétence, voire incapacité, d’un professionnel à offrir des soins de qualité en raison de troubles de santé physique ou mentale qui l’affligent.

générer des inquiétudes sur l’utilisation des résultats et ainsi biaiser les réponses offertes par les participants. Ni cette étude ni celle de Soares (2006b) n’incluaient, à notre connaissance, d’échelle visant à évaluer la désirabilité sociale. Nous adresserons la critique plus large des questionnaires autorapportés à l’occasion de la synthèse des critiques méthodologiques, à la toute fin de cette section.

Enfin, si les recherches de ce type permettent de faire un tour d’horizon des « facteurs explicatifs » ou des problèmes vécus par les participants, elles ne permettent pas, selon nous, une explication théorique cohérente de ces problèmes. De fait, comme la majorité des recherches rapportées dans les sections qui suivent, ces recherches ont été construites au moyen de questionnaires permettant de mesurer les facteurs reconnus dans les écrits scientifiques pour affecter la santé mentale des travailleurs. Or, il est parfois difficile de dégager une cohérence théorique entre les concepts. En conséquence, nous avons traité le corpus des écrits en fonction du type de variables ciblées pour expliquer les manifestations de la souffrance au travail. Cette manière de traiter les écrits permet d’examiner de manière critique des courants théoriques généralement retrouvés dans la littérature scientifique en santé mentale au travail. À la suite de la présentation de chacune des approches, un début de critique est formulé de manière à faire ressortir la pertinence scientifique de l’approche utilisée dans le cadre de cette thèse.