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Chapitre 1 – Conseiller d’orientation en milieu scolaire au Québec : une profession

1.2. Une histoire de métier marquée par les changements du système scolaire

Comme le soulignent Lessard (2000) et Danvers (1994), il importe de porter un regard socio- historique pour comprendre le phénomène de professionnalisation comme processus durant lequel une collectivité de gens de métier tente de faire reconnaître la spécificité et l’utilité sociale de ses savoirs et ses pratiques. Le cas des conseillers d’orientation est particulièrement intéressant à cet égard puisque, participant de l’articulation entre le système d’éducation et le marché du travail, il est perméable aux tendances sociales et politiques d’une société qui, souvent, se traduisent par des réformes scolaires (Herr, 2002). Examiner

l’histoire du métier permet de comprendre comment les pratiques professionnelles ont pu être infléchies par les mouvements sociaux et politiques, d’une part, mais aussi de voir comment la profession arrive à se faire reconnaître comme base d’expertises nécessaires au développement des individus et de la société.

La fonction de conseiller d’orientation n’a pas toujours existé. Elle est largement issue du passage, au tournant du 19ème siècle, d’une économie basée sur l’agriculture à une économie

industrielle et des transformations sociales engendrées : exode rural, développement de centres urbains, accueil massif d’immigrants, développement d’une classe ouvrière, spécialisation du travail, etc. (Herr, 2001). Les entreprises ayant besoin d’un nombre important de travailleurs qualifiés, il y avait alors nécessité de développer des manières d’optimiser l’arrimage entre les dispositifs de formation et les demandes des entreprises. Considéré comme le « père » de l’orientation en Amérique du Nord, Frank Parsons (1909) plaidait la nécessité que l’école passe d’un apprentissage de « livres » à des apprentissages utiles pour répondre aux besoins de l’industrie (Herr, 2001). Il y avait là un besoin que le système d’éducation puisse former des travailleurs compétents rapidement.

C’est dans cette optique que l’orientation au Québec a pris son envol, dans les années 1940, avec la fondation, par l’abbé Wilfrid Éthier, de deux Instituts d’orientation professionnelle, à Montréal et à Québec. Jusque-là, l’orientation se faisait à travers les réseaux individuels : la famille, la rue, la paroisse (Mellouki & Beauchemin, 1994b). L’abbé Éthier et ses collègues ont été parmi les premiers au Québec à se servir de leurs connaissances en psychologie différentielle pour orienter les aptitudes et les aspirations des individus en fonction du marché du travail. Mellouki et Beauchemin (1994b) soulignent :

À l’instar des autres disciplines des sciences sociales qui se constituent graduellement à cette époque, l’orientation professionnelle se veut une réponse scientifique, donc positiviste et quantitative, aux problèmes pratiques posés par les transformations sociales, et dont la résolution ne peut plus reposer uniquement sur la seule tradition ou sur la doctrine religieuse (p. 223).

Au milieu des années 1950, l’urbanisation rapide et la croissance industrielle au Québec ont entraîné une forte demande en travailleurs qualifiés (Mellouki & Beauchemin, 1994b). Plusieurs liaient alors l’orientation au destin socioéconomique de la nation : il était nécessaire de gérer rationnellement le réservoir des talents et des aptitudes de la société canadienne-

française en les distribuant aux endroits où ils seraient susceptibles d’offrir un rendement maximum. En conséquence, un appel fut fait aux institutions scolaires et aux orienteurs pour que le Québec produise davantage de diplômés dans les carrières professionnelles, notamment scientifiques, économiques et sociales. Les compétences en psychométrie des experts en orientation permettaient alors une orientation méthodique et une sélection des meilleurs candidats pour les études de haut niveau. Un scénario similaire se retrouvait aux États-Unis, les décideurs désirant pour leur part former plus de mathématiciens et de scientifiques afin de développer les technologies pour conduire efficacement la Guerre froide, notamment sur le plan de la Conquête de l’espace (Herr, 2002).

Aux États-Unis, dans les années 1960, la théorie développementale de Donald Super et l’apparition graduelle de la perspective du counseling rogérien ont changé le visage de l’orientation. L’influence de l’approche développementale s’est fait sentir dans plusieurs lois qui ont été adoptées au Congrès américain (Herr, 2002). Au Québec, toujours d’après Mellouki et Beauchemin (1994a), c’est davantage dans les années 1970, après la prise en charge du système d’éducation par l’État, que les théories développementale et rogérienne ont commencé, dans les universités, à prendre le pas sur les théories utilitariste et psychométrique pour infléchir les règles de métier. Dans les années 1960, l’arrivée de la génération d’après-guerre dans les écoles avait nécessité une réforme en profondeur du système d’éducation, dans laquelle les conseillers d’orientation se sont vus confier un rôle de tout premier plan. On a alors assisté à l’introduction massive de ces derniers dans les écoles du Québec : entre 1965 et 1979, l’augmentation du nombre de c.o. autorisés à pratiquer au Québec fut de 592 % (Mellouki & Beauchemin, 1994a). Cela a concordé avec la création, en 1963, de la Corporation des conseillers d’orientation professionnelle du Québec, ancêtre de l’Ordre professionnel actuel, qui formalisait le processus de professionnalisation « officielle » de la fonction. Le statut professionnel des c.o. sera réitéré par l’adoption du nouveau Code des professions, fruit de la réforme du système professionnel de 1972. Les années 1960 et 1970 constitueront en quelque sorte l’âge d’or de la profession (Mellouki & Beauchemin, 1994a).

En fait, le Rapport Parent (1963-1964), pierre d’assise du système d’éducation québécois moderne, a passablement contribué à cet âge d’or en donnant un rôle de première importance aux conseillers d’orientation au sein même de l’école québécoise. De fait, le document en

parlait alors en ces termes : « Le service d’orientation constituera une pierre d’angle du système d’éducation que nous avons proposé » (Commission royale d’enquête sur l’enseignement, 1964, p. 263). La vision de l’orientation scolaire et professionnelle proposée dans ce fameux rapport était claire : il fallait renforcer et consolider la fonction d’orientation du système d’enseignement, de l’école primaire aux études universitaires, en s’étendant jusqu’à l’éducation permanente. De l’avis des commissaires, des services d’orientation devaient être intégrés dans chaque école et faire l’objet d’une collaboration étroite entre tous les acteurs concernés : parents, enseignants, conseillers d’orientation, autres spécialistes. Globalement, l’« orienteur » devait s’assurer de la direction et de la coordination de l’équipe participant au service d’orientation dans l’école. Les tâches spécifiques d’orientation dans l’école étaient les suivantes : accumuler des renseignements systématiques par l’administration de tests psychométriques, réaliser des entrevues individuelles avec les élèves qui le souhaitaient, conduire et participer à des recherches scientifiques, maintenir à jour sa connaissance du marché du travail global et local.

Depuis ce temps, l’eau a coulé sous les ponts et la situation de l’orientation a profondément changé. Les compressions budgétaires du début des années 1980 dans le système d’éducation ont affecté grandement les c.o., qui ont investi graduellement de nouveaux lieux de pratique (p. ex., organismes d’emploi, centre de réadaptation, cabinet-conseils, etc.)7 (Mellouki &

Beauchemin, 1994a). En plus de participer à un éparpillement des pratiques qui aurait généré une certaine confusion identitaire au sein de la profession (Landry, 1999; Malouin, 1998; Mellouki & Beauchemin, 1994a), cette désertion du milieu scolaire a peut-être fait perdre aux c.o. un poids politique important dans ce secteur de pratique; entre les divers professionnels de la relation d’aide – notamment les psychologues –, et les enseignants. Délaissant la pratique d’information scolaire et professionnelle au profit de la pratique du

7 Alors qu’autrefois, la vaste majorité des c.o. oeuvraient dans le monde de l’éducation, c’est aujourd’hui un

peu moins de la moitié d’entre eux qui travaillent dans ce secteur. Plus spécifiquement, près d’un tiers travaillent dans des écoles de niveau secondaire ou primaire ou dans des commissions scolaires. Les autres travaillent dans le domaine de l’emploi, de la réadaptation, de la santé et des services sociaux, de la fonction publique ou parapublique, dans des entreprises ou dans des cabinets-conseils. (OCCOQ, 2013).

counseling8, les c.o. ont laissé une partie importante de leur champ professionnel aux

spécialistes de l’information scolaire et professionnelle (Dupont, 2001). C’est de cette fonction spécifique qu’est né le programme Éducation au choix de carrière (ECC) (Ministère de l’Éducation du Québec — MEQ, 1981), dont les cours étaient dispensés par ailleurs par des enseignants qui n’étaient pas formés à l’orientation (Dupont, 2001)9. Ce programme a

fait l’objet de nombreuses critiques au fil des années, notamment de la part des élèves. Dans les années 1990, les jeunes ont réclamé à maintes reprises, via différentes instances de représentation, une augmentation et une amélioration des services d’orientation dans les écoles du Québec, que ce soit via le Conseil permanent de la jeunesse (1992), lors des États

généraux sur l’éducation (1996) ou lors du Sommet du Québec et de la jeunesse (2000). Non

seulement les jeunes étaient insatisfaits au regard de la dispense des cours du programme d’ECC, mais l’accès à un conseiller d’orientation se révélait très difficile (MEQ, 2000). Ce constat s’appuyait sur des faits avérés puisque la diminution du ratio conseiller d’orientation/élèves entre 1976 et 1996 a été constante : il était autour de 1 pour 550 élèves en 1976, passé à 1 pour 875 en 1988, à 1 pour 1033 élèves en 1996 (MEQ, 2000). Les jeunes étaient donc de plus en plus laissés à eux-mêmes face à cette insuffisance de ressources. Bref, le MEQ (2000) lui-même constate alors que les compressions budgétaires ont particulièrement affecté les services d’orientation dans les écoles.

Or, l’orientation des élèves constitue un enjeu fondamental pour faire face à deux défis importants auxquels était confrontée la société québécoise : le décrochage scolaire et l’intégration au marché du travail. C’est pourquoi la Commission des États généraux (1996) suggérait d’introduire l’orientation dans la mission éducative de l’école québécoise afin de mieux lier les apprentissages scolaires avec un projet professionnel et préparer les jeunes au marché du travail (MEQ, 2000). Il fallait donc, selon la Commission, s’assurer à la fois que

8 À partir d’une enquête sur les pratiques des conseillers d’orientation dans les écoles réalisée en 1981, Beaudry

(1981) révèle les préférences des c.o. en termes de modalités d’intervention dans leurs activités professionnelles. Les trois plus populaires sont : l’entrevue individuelle (93,2 %); l’approche rogérienne (70,8 %); l’approche A.D.V.P. (57,1 %).

9 Selon l’Association québécoise d’information scolaire et professionnelle (AQISEP) (dans Dupont, 2001), les

l’orientation soit une préoccupation majeure de l’école dans son ensemble et que les jeunes soient également amenés à être en contact avec les milieux de travail, le tout encadré par un service de « conseillance » renforcé. Ces recommandations de la Commission ont grandement inspiré le Groupe de travail sur le curriculum qui devait redéfinir la place de l’orientation dans le système scolaire.

On peut donc voir qu’encore une fois la réforme qui découlera de ces États généraux (1996) répond à des tendances sociales et politiques au point d’articulation entre l’école et le marché du travail. Au final, ces tendances viendront affecter de nouveau la pratique de la profession de conseiller d’orientation dans les écoles.

1.3. La réforme des années 2000 : le « nouvel esprit » du système scolaire