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Chapitre 1 – Conseiller d’orientation en milieu scolaire au Québec : une profession

1.4. Le renouveau pédagogique : une vision renouvelée de l’orientation?

1.4.2. L’approche orientante : l’actualisation, en orientation, des principes

C’est dans cet esprit que s’est développé, de manière concomitante à la réflexion sur la réforme du système d’éducation, le concept d’« école orientante ». L’idée de l’instauration d’une « école orientante », qui s’est transformée plus tard en « approche orientante », était dans l’air dans les années 1990, notamment au sein de l’Ordre professionnel des conseillers d’orientation. Elle s’inscrivait dans la foulée de la préparation du Renouveau pédagogique. De fait, dès 1993, l’Ordre professionnel, désireux de prendre part au projet de réforme de l’éducation au Québec, soumettait l’idée d’une « école orientante », idée qu’il a continué de développer en collaboration avec différents organismes et partenaires du milieu de l’éducation18 (Landry, 1999; MEQ, 2002b). Une des visées de cette « école orientante » était

de préparer le remplacement du programme d’ECC par une approche de l’orientation plus concertée, mieux intégrée et préparant les élèves aux exigences de la société contemporaine (Gingras, 2001). Ainsi, sans faire partie du Renouveau pédagogique en tant que tel – il n’y a pas d’obligation légale de mise en œuvre –, l’approche orientante s’est développée dans le

18 Un comité consultatif sur la réforme des services d’orientation a été formé par le ministère de l’Éducation à

l’occasion des États généraux. Étaient représentés sur ce comité : les directeurs généraux d’écoles, l’Ordre professionnel des c.o., la Fédération des syndicats de l’enseignement, la Conférence des recteurs des universités, l’Association québécoise d’information scolaire et professionnelle, le Conseil permanent de la jeunesse, la Fédération des comités de parents, et bien d’autres. (Dupont, 2001)

même esprit, comme en témoigne le principal document de référence du MEQ (2002b) à cet effet, À chacun son rêve, qui la définit comme suit :

[…] une démarche concertée entre une équipe-école et ses partenaires, dans le cadre de laquelle on fixe des objectifs et met en place des services (individuels et collectifs), des outils et des activités pédagogiques visant à accompagner l’élève dans le développement de son identité et dans son cheminement vocationnel. Il s’agit donc d’activités et de services intégrés au plan de réussite et au projet éducatif d’un établissement. (MEQ, 2002b, p. 18).

L’approche orientante se veut une nouvelle philosophie de base du système d’éducation, visant à mieux répondre aux besoins d’orientation des jeunes, certes, mais aussi à contribuer à donner un sens aux études dans une perspective de réussite scolaire et éducative. Ses fondements théoriques et pratiques ont été fortement alimentés par un groupe de chercheurs, le Groupe provincial de soutien pour une approche orientante à l’école, qui avait pour mandat, dans le cadre du Renouveau pédagogique, d’offrir du soutien aux milieux scolaires désirant améliorer leurs pratiques en matière d’information et d’orientation scolaire et professionnelle. Sur le plan conceptuel, cette approche se situe en droite ligne avec le concept de career education développé notoirement par Kenneth Hoyt dans les années 1970 (Dupont, 2001). Cette « éducation à la carrière » vise à : 1) mettre l’accent sur la carrière dans le curriculum et l’ensemble des activités scolaires; 2) élargir les efforts de soutien à l’orientation des jeunes à l’ensemble de la communauté, au-delà des acteurs scolaires; et 3) soutenir l’acquisition d’habiletés d’« employabilité » et d’« adaptabilité » qui permettront aux individus de faire face aux changements socioéconomiques affectant leur carrière (Dupont, Gingras & Marceau, 2002). Deux principes caractérisant l’« éducation à la carrière » ont été repris dans la conceptualisation de l’approche orientante : l’infusion et la collaboration (Gingras, 2001). L’infusion réfère à l’intégration dans les cours et dans les activités parascolaires de notions relatives au développement de carrière. Ce principe a à la fois des visées vocationnelles (connaissance de soi, du monde scolaire et du monde du travail) et pédagogiques par la mise en contexte des compétences (Pelletier, 2004). La collaboration réfère au partenariat établi entre les divers acteurs du milieu scolaire, des parents et des membres de la communauté pour favoriser le développement de carrière des élèves (p.ex., par le soutien des parents, ou par la visite d’entreprises). Enfin, Pelletier (2004) ajoute à ces deux principes celui de mobilisation, qui réfère aux interventions par lesquels l’élève adopte

une attitude motivée à réussir et à s’orienter. Ces principes sont le socle d’un système de services qui se veut intégré et qui considère le cheminement de l’élève comme un processus orientant, ou du moins qui outille l’élève pour qu’il en arrive à s’orienter lui-même, à se construire lui-même un projet professionnel et à le mener à terme, dans une logique d’entrepreneuriat.

À la lumière de la description de cette approche, on peut se demander : quelle est la place du conseiller d’orientation, comme professionnel spécialisé de l’aide à l’orientation, dans cette vision « renouvelée » de l’orientation offerte par le Renouveau pédagogique? Si on trouve écho, dans cette nouvelle approche, à de nombreuses recommandations énoncées dans le Rapport Parent une trentaine d’années plus tôt (p.ex., l’intégration de l’orientation dans l’ensemble de l’école, collaboration étroite entre les différents acteurs), on ne semble pas y retrouver une place aussi centrale pour les c.o. dans l’organisation du travail d’orientation (p.ex., la direction et de la coordination des services d’orientation dans l’école). Qu’en est-il donc du rôle du c.o. dans cette nouvelle organisation du travail d’orientation recommandée par l’approche orientante?

En fait, l’approche orientante répond à l’ensemble des principes de réorganisation du travail issus du Renouveau pédagogique, réorganisation qui, pour les conseillers d’orientation, se traduit par différents principes énoncés dans le Cadre de référence des services complémentaires (MEQ, 2002a).

En parfaite concordance avec l’esprit général de la Réforme qui, comme nous l’avons montré dans la section 1.3., articule la logique pédagogique et la logique gestionnaire, ce cadre de référence plaide pour une réorganisation des services de manière à répondre à la nécessité de revoir les pratiques pour être plus efficaces, comme en témoigne cette citation : « L’ajout de ressources a amélioré les conditions19 pour faciliter l’atteinte de cet objectif certes, mais il

faudra également apprendre à travailler autrement pour maximiser les résultats. » (MEQ,

2002a, p. 38). Cette manière de « travailler autrement »20 suppose d’abord d’organiser le

travail autour des besoins des bénéficiaires (les élèves et leurs parents) plutôt que de l’organiser par « service », comme ce l’était avant la Réforme. Il s’agit, selon notre analyse, d’une traduction de l’esprit de la Nouvelle Gestion Publique, qui honnit la division hiérarchique du travail et l’attribution supposée « rigide » des tâches : l’organisation du travail « par service » entraînerait un corporatisme néfaste au regard de l’efficacité et de l’efficience. Afin de favoriser un « décloisonnement » des pratiques professionnelles, pour reprendre les termes du MELS (2002a) (p.57), le cadre de référence indique qu’il y aura moins de travail disciplinaire, plus d’« interdisciplinarité ». Les professionnels des services complémentaires devront consacrer plus de temps à la concertation qu’à leur « tâche spécifique ». L’approche orientante exige ce travail en collaboration avec les autres professionnels et suppose de plus en plus pour le c.o. l’exercice d’un « rôle-conseil », de passer davantage de temps à partager ses savoirs sur l’orientation avec les autres intervenants de l’école qu’à pratiquer l’aide à l’orientation auprès des élèves. En fait, si l’on se fie au Cadre de référence des services professionnels complémentaires (MEQ, 2002a), les c.o. doivent non seulement conseiller les autres acteurs de l’école sur la manière d’aider les jeunes à développer leur compétence à s’orienter, mais ils doivent aussi le faire avec les parents et certains acteurs de la communauté. Les auteurs du cadre de référence semblent conscients qu’ils bousculent ainsi les manières de pratiquer :

L’intégration de ces nouveaux principes exigera de revoir les rôles de chaque intervenant. Une participation accentuée aux décisions de l’équipe-école et un besoin accru de partager l’expertise avec les parents et les membres de la communauté éducative modifient les habitudes, demandent plus d’ouverture et une certaine polyvalence (MEQ, 2002a, p. 55).

20 Un de nos rapports d’enquête de psychodynamique du travail des professionnels de l’éducation s’intitule

justement « Le travail des professionnels de l’éducation : quand “faire autrement” rime avec “faire plus”? » (Viviers, Maranda, Deslauriers & Héon, 2011).