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Chapitre 2 – Examen critique des approches explicatives de la souffrance

2.4. Approches axées sur le travail

2.4.2. Environnement de travail, organisation du travail et pratiques

L’environnement, l’organisation du travail et les pratiques de gestion peuvent passablement influencer la nature même du travail (de la tâche). Ces éléments peuvent également agir favorablement ou défavorablement en tant que « conditions » d’exercice du travail. Plusieurs recherches dans le domaine de la santé mentale au travail se sont d’ailleurs conduites sous l’angle des déterminants du stress au travail, notamment à partir des modèles de Karasek et de Siegrist. Le modèle de Karasek (1979) se fonde, à la base, sur deux variables principales : la demande psychologique et la latitude décisionnelle41. La combinaison d’un niveau élevé

de demandes psychologiques et d’une faible latitude décisionnelle entraîne une tension qui a des effets délétères sur la santé mentale des travailleurs. Certaines recherches ont montré la complémentarité du modèle de Karasek (1979) avec celui de Siegrist (1996) pour prédire certains problèmes de santé mentale (Stansfeld & Candy, 2006). Le modèle de Siegrist (1996) suggère qu’un déséquilibre entre les efforts et les récompenses au travail constitue un facteur

41 La latitude décisionnelle réfère à l’autonomie décisionnelle (possibilité de prendre des décisions par soi-

même, liberté sur la manière de faire son travail, possibilité d’avoir son mot à dire) et l’utilisation des compétences (apprendre des choses nouvelles, tâches répétitives, créativité, etc.). La demande psychologique réfère à un travail très rapide, très fort, une somme de travail excessive, pas assez de temps pour accomplir le travail, des demandes contradictoires, etc. (Niedhammer,Chastang, Gendrey, David, & Degioanni., 2006).

de risque important. Les recherches conduites avec les modèles en épidémiologie ont montré qu’il existe des conditions pathogènes et des facteurs de risque à la santé mentale, comme il en existe pour la santé physique (p. ex., présence d’agents chimiques en milieu de travail, ergonomie inadéquate, conditions de sécurité inadéquates, etc.).

Chez les conseillers d’orientation en milieu scolaire, McCarthy, Van Horn Kerne, Calfa, Lambert et Guzmán (2010) ont documenté les problèmes d’équilibre entre les demandes et les ressources organisationnelles42 avec un échantillon de 227 répondants. Selon les résultats

de leur recherche, les conseillers se trouvant dans le groupe dont les demandes dépassent les ressources présentent les caractéristiques suivantes : ils vivent davantage de stress au travail et sont plus susceptibles de quitter la profession; ils connaissent une surcharge de cas (caseload) d’élèves en situation de handicap, de faibles résultats scolaires et d’absentéisme scolaire. La « paperasse » constitue quant à elle l’aspect du travail qui est le plus « demandant » sur le plan des ressources psychologiques selon cette recherche.

L’étude de Hearne (2012) démontre, elle aussi, une augmentation de la charge de travail (entre autres des « caseloads ») et la nécessité grandissante de tenir différents registres administratifs. Sa recherche qualitative montre que les conseillers d’orientation43 ont le

sentiment d’être une « courroie de transmission du système » (« conveyor belt system ») plutôt que des cliniciens réalisant un travail de relation d’aide. La pression relative à la mesure des résultats, notamment en termes quantitatifs, augmente la pression. La chercheure en vient à la conclusion qu’il y a « sur-régulation » du travail par ceux qui financent les services et par les décideurs politiques, laissant moins d’autonomie aux praticiens. Devant ce qu’elle appelle des « défis », la chercheure recommande de développer des habiletés de résilience chez les conseillers d’orientation, délaissant ainsi les dimensions

42 Les chercheurs s’appuient explicitement sur la théorie transactionnelle de Lazarus et Folkman (1984), que

nous avons plutôt présentée à la section 2.2.2. Toutefois, compte tenu de la nature des résultats présentés, cette recherche permettait de montrer l’importance des dimensions organisationnelles dans la compréhension des manifestations de la souffrance au travail.

43 Sa recherche a par ailleurs été réalisée avec dix conseillers d’orientation œuvrant dans le milieu de

organisationnelles du problème à l’étude, ce qui tend à faire porter le poids des variables organisationnelles sur les épaules des individus.

En France, Amici et Lemoigne (2007) rapportent également un contexte de pratique où les conseillers d’orientation psychologues (c.o.p.) subissent des « attaques » à leur métier, attaques qui sont ressenties jusque dans l’activité de travail. D’un côté, des déclarations politiques soutiennent le service public d’orientation, de l’autre, les c.o.p. observent une réduction des effectifs, des coupures dans leurs budgets, en même temps qu’une injonction à l’élargissement du champ de compétence (Amici & Lemoigne, 2007; Bournel Bosson, 2009). Leur travail s’en trouve affecté : « sentiment de saupoudrage de nos interventions; accumulation de missions prioritaires, morcellement de notre activité sur un nombre croissant de lieux; course après le temps… » (Amici & Lemoigne, 2007, p.46). Cette « course contre la montre » s’est avérée centrale dans la souffrance à la source de la demande d’une clinique de l’activité qui a été poursuivie sur plusieurs années avec un groupe de c.o.p. (Amici & Lemoigne, 2007; Bournel Bosson, 2009; Fernandez & Malherbe, 2007). Bien qu’ils fassent état de ce constat d’une surcharge de travail, ces écrits ne permettent pas de repérer clairement ce qui pose problème dans l’organisation du travail, puisqu’ils sont principalement centrés sur l’analyse des mouvements dialogiques dans la mise en discussion de l’activité.

Young et Lambie (2007) sont les seuls, à notre connaissance, à avoir envisagé la question de la santé mentale des conseillers d’orientation d’un point de vue explicitement organisationnel. Leur article publié dans le numéro spécial sur la culture du bien-être chez les conseillers d’orientation, du Journal of Humanistic Counseling, Education &

Development (Scholl, 2007), vise à aider les conseillers à comprendre la question de la santé

mentale au travail autrement que par l’adoption de comportements sains (perspective utilisée dans le reste de ce numéro spécial). Les auteurs estiment que les conseillers d’orientation pourraient utiliser leurs connaissances professionnelles afin d’améliorer les procédures de travail, la structure organisationnelle et le style de gestion de manière à augmenter le bien- être des employés. En conséquence, Young et Lambie (2007) ont relevé des écrits scientifiques décrivant des manières de rendre l’environnement de travail plus sain. Ils citent Maslach (2001) à ce propos : « Just as an individual can be characterized as 'healthy' in terms of their physical and emotional well-being, organizations may be judged as 'healthy' in terms of the social interactions among their members. » (p. 610 dans Young & Lambie, p. 100).

Young et Lambie (2007) rapportent que, en 1999, le National Institute for Occupational

Safety and Health (NIOSH) a changé son orientation de recherche, axée jusque-là sur les

programmes de réduction du stress qui enseignent des techniques de coping aux employés, pour se concentrer sur les pratiques des milieux de travail qui tentent de réduire le stress des employés par l’organisation du travail. Les recommandations du NIOSH s’articulent autour de six axes d’intervention, repris par Young et Lambie (2007), pour guider les organisations dans l’amélioration du bien-être au travail des conseillers d’orientation : améliorer l’aménagement des tâches; adopter un style de management collaboratif; contribuer à l’amélioration des relations interpersonnelles et du travail d’équipe; développer des façons de réduire le stress de rôle; soutenir le développement professionnel; améliorer les conditions environnementales pour prévenir la violence et créer un environnement sain. Reconnues comme des organisations rigides, les écoles auraient tout avantage, selon Young et Lambie (2007) à intégrer la promotion du bien-être dans leur institution : « We strongly recommend that counselors in mental health systems and schools become both creative and assertive about protecting themselves and their coworkers by advocating for policies that protect and promote wellness. » (p. 110)

En somme, les recherches s’inscrivant dans une approche qui cible l’environnement de travail montrent l’importance de s’attarder au contexte dans lequel se pratique le travail des conseillers d’orientation en milieu scolaire pour comprendre les manifestations de la souffrance au sein de cette profession. C’est pourquoi nous reprendrons cette position dans le cadre théorique de notre recherche, au chapitre suivant. Néanmoins, il nous apparaît fondamental d’aborder ces dimensions organisationnelles dans une perspective dynamique, afin de comprendre ce que font les conseillers d’orientation de la souffrance engendrée par l’organisation du travail.

2.4.3. Analyse psychodynamique des situations de travail en milieu scolaire : des pistes