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De manière générale, l'éthique peut être comprise comme l'ensemble de principes, guidant de manière implicite ou explicite l'action quotidienne de chaque individu, établis "en

référence aux concepts connexes de morale, de droit et de déontologie, qui appartiennent également à l’univers de la normativité, c’est-à-dire du devoir être" (ANESM, 2010c). Les

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questions éthiques apparaissent centrales en psychologie, tant sur le plan de la pratique clinique que sur ceux de la théorie et de la recherche, lesquels se rejoignent dans le cadre de notre étude. En effet, une réflexion plus poussée sur la notion d'éthique peut permettre de considérer celle-ci à la lumière de la nature affective et sociale de l'être humain : le caractère éthique d'une situation donnée résulte, au moins en partie, des significations qui émergent des interrelations (suivant un degré d'autonomie plus ou moins grand) entre les participants engagés dans cette situation (Colombetti et Torrence, 2009). Autrement dit, l'éthique n'est pas seulement à comprendre comme un processus cognitif abstrait d'évaluation de la conduite propre à un individu isolé (appliqué à soi et/ou à un autre), mais également comme un processus émergent d'une situation d'interaction impliquant plusieurs individus, qui évaluent leurs rapports relationnels d'une manière affective et cognitive. En fait, on peut même considérer que c'est le lien d'humain à humain qui constitue, en fin de compte, l'arrière-plan de toute éthique comme réflexion sur la légitimité de la présence des autres, et que "tout acte

humain a une implication éthique parce que c'est un acte de constitution du monde humain"

(Maturana et Varela, 1992/1994, p.241).

La démarche soutenue dans le cadre de cette étude se réfère plus particulièrement à une conception de l'éthique que l'on peut considérer comme "réflexive", ou comme "méta-éthique" (ANESM, 2010c) : la "méta-éthique" s'apparente à un "processus de décision", émergent de l'absence "de réponse claire dans les référentiels mobilisés" pouvant permettre d'agir de manière juste dans une situation complexe (contexte, acteurs, enjeux) ; cette démarche implique une analyse critique des aspects normatifs définissant cette situation, "soit qu’elle en

interroge le bien-fondé, soit qu’elle vise à améliorer la norme, ou à investiguer des voies nouvelles". Elle "crée ainsi une ouverture réflexive à l’intérieur de l’univers normatif" (Ibid.).

On peut considérer que cette conception de l'éthique s'apparente à un processus cognitif auto- réflexif ou auto-critique, qui émerge sous la forme d'un "méta-point de vue", permettant à un individu de réfléchir sur la légitimité de sa conduite en situation, suivant les valeurs qui définissent sa relation personnelle à autrui, à sa communauté, à sa société, voire à l'espèce humaine (Morin, 2004). Dans le cadre de notre recherche, la démarche éthique, intimement liée à la démarche épistémologique, s'est imposée comme le fil conducteur et le principe fédérateur de nos actes et pensées. Elle a été soutenue tout du long par notre positionnement déontologique en tant que psychologue, postulant notamment la reconnaissance du droit au respect de la personne dans sa dimension psychique, le devoir de faire reconnaître et respecter la personne dans sa dimension psychique, ainsi que le refus de tout dogmatisme intellectuel et

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méthodologique (Code de déontologie des psychologues, 2012). Le développement d'une réflexion éthique comme fondement de notre étude a été rendu indispensable pour plusieurs raisons.

Premièrement, l'objet même de la recherche, à savoir l'évaluation de l'utilité et de la faisabilité clinique d'une prise en charge thérapeutique de l'autisme par dispositif de suppléance sensorielle via TVSS en milieu écologique, a une implication éthique évidente puisque l'objectif sous-jacent est de contribuer à réduire la situation de handicap des sujets en question. Les notions de clinique et de thérapeutique induisent directement le développement d'une réflexion centrée avant tout sur les besoins réels des sujets étudiés en situation.

Deuxièmement, l'orientation clinique et écologique de notre recherche en psychologie nous a amené à être en interaction constante sur le terrain avec les sujets étudiés, mais également avec toutes les autres personnes accueillies et tous les membres du personnel soignant et pédagogique. Comme il apparait impossible de ne pas communiquer en situation intersubjective, une démarche de recherche écologique rend caduque toute tentative pour le chercheur de rester strictement neutre et objectif. De plus, notre orientation clinique en psychologie du développement s'oppose à une attitude passive lors de l'observation de situations de souffrance manifestes pour un sujet, lesquelles sont fréquentes dans le quotidien d'un FAM, et dont les causes sont souvent inconnues. Il est tout de suite apparu nécessaire de développer une réflexion éthique sur la légitimité de l'attitude et du positionnement à soutenir au quotidien au sein de la complexité du contexte d'étude, afin d'y faire coïncider au mieux le champ de la recherche avec celui de la clinique.

Troisièmement, l'opacité fondamentale du vécu et du fonctionnement des sujets étudiés a eu pour effet de nous plonger dans ce que l'on pourrait décrire comme "une zone d'incertitude" initiale (ANESM, 2010c). Comment analyser la problématique d'une personne adulte, à la compréhension très limitée et ne pouvant exprimer elle-même son opinion, dont la différence qualitative de fonctionnement et de vécu serait induite par un trouble envahissant du développement, lié à une interaction de nature inconnue entre un fonctionnement sensoriel différent, un traitement de l'information atypique et des troubles de régulation émotionnelle? Comment et à partir de quelles valeurs juger ce qui permettrait de réduire la situation de handicap de cette personne, alors que son environnement quotidien apparait constitué à la base par un enchevêtrement complexe de relations sociales?

Notre volonté première est de comprendre et de donner sens aux comportements des sujets étudiés, dans le respect de leurs différences, et non pas de chercher à modifier leurs

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comportements dans une perspective de normalisation, de les "faire rentrer dans des cases" ou "coller" à des hypothèses préconçues, y compris aux nôtres. Le fait que les personnes auxquelles s'intéresse cette recherche soient sujettes à un handicap psychique majeur amène au postulat d'une différence qualitative fondamentale et générale de leur vécu et fonctionnement, impliquant l'intrication atypique, complexe et inconnue de plusieurs niveaux (biologique, social, psychique). Le fait qu'elles soient adultes et dans l'incapacité de s'exprimer sur leur propre problématique rajoute au mystère qui les entoure. Sans bien sûr nier les aspects pathologiques propres à cette forme particulière du syndrome de l'autisme (que nous relions à la notion de souffrance et non pas à celle de maladie), nous estimons qu'il est davantage dans l'intérêt de ces sujets que leur problématique soit abordée via un discours les considérant a priori comme des personnes en développement et en interaction au sein de leur environnement, plutôt que seulement au travers du discours "médical" actuellement prédominant, focalisé sur les aspects déficitaires du handicap mental et psychique par rapport à la norme (Mellier et Courbois, 2005; Vaginay, 2007). Comme le rapporte Sachs (1995/1996), citant une réflexion de A.R. Luria à propos de l'enfant handicapé, ces personnes nous amènent à les appréhender selon " un type de développement tout à la fois

qualitativement différent et unique en son genre" ; "le « moins » du handicap ne sera transformé dans le « plus » de la compensation" qu'à la condition du respect de cette unicité

ou singularité développementale.

Les personnes sujettes au syndrome de l‟autisme avec retard mental profond associé sont par définition des sujets précocement handicapés par une interaction entre un syndrome de forme autistique et un retard mental profond (quotient intellectuel inférieur à 20). Ce dernier n'est en pratique généralement pas spécifiable par les tests d'intelligence standards, du fait que les sujets qui en sont atteints sont gravement limités dans leur capacité à comprendre les demandes et à y répondre. On retrouve dans la Classification Internationale des Maladies actuelle (CIM-10, WHO, 1993/2000) deux catégories très proches de celle nommée retard mental profond, à savoir celles de "retard mental, sans précision" (unspecified mental

retardation) et de "autre forme de retard mental" (other mental retardation). Par souci de

clarté, parce que les catégories "retard mental profond", "autre forme de retard mental" et "retard mental sans précision" entretiennent une certaine ambiguïté et que les tests de quotient intellectuel ne s'appliquent pas aux sujets étudiés, nous avons choisi de nommer ces derniers "sujets SAI-RMP" pour la suite de cette étude (syndrome de l'autisme infantile avec retard mental profond associé). Ce choix est certes discutable, car il pourrait amener le lecteur à

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réduire la problématique des sujets à une simple vignette clinique. Néanmoins, il présente l'avantage de se référer aux conventions cliniques internationales actuelles de la CIM-10 établies par l'Organisation Mondiale de la Santé (WHO, 1993/2000), dont l'utilisation est d'ailleurs préconisée par la Haute Autorité de Santé (2011) et la Fédération Française de Psychiatrie (2005) dans le cadre du diagnostic de l'autisme et de TED. De plus, nommer les sujets en question dans cette étude en tant que sujets adultes SAI-RMP permet d'appuyer le fait que l'autisme, avec ou sans retard mental, n'est pas une maladie, mais un syndrome, c'est à dire un ensemble de symptômes significatifs. L'existence du syndrome autistique est donc toujours inférée à partir de signes cliniques, via une démarche diagnostique portant sur les dimensions qualitatives du comportement d'un individu en contexte.