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CHAPITRE I : LE HANDICAP

3. Conceptions actuelles du handicap

3.2. Le modèle social et le concept de situation de handicap

Alors que la CIH-1 survalorisait le diagnostic pour les décisions cliniques et tendait à l‟assimiler aux symptômes et troubles fonctionnels observés, dans un but de correction ou d‟élimination des déficits, la CIF se base sur une approche "biopsychosociale", en cherchant à intégrer au modèle médical les critiques qui en ont émergé, généralement regroupées sous le nom de "modèle social". Cette approche est définie de la manière suivante :

"Le handicap est perçu comme étant principalement un problème créé par la société

et une question d'intégration complète des individus dans la société. Le handicap n'est pas un attribut de la personne, mais plutôt un ensemble complexe de situations, dont bon nombre sont créées par l'environnement social. Ainsi, la solution au problème exige-t-elle que des mesures soient prises en termes d'action sociale, et c'est la responsabilité collective de la société dans son ensemble que d'apporter les changements environnementaux nécessaires pour permettre aux personnes handicapées de participer pleinement à tous les aspects de la vie sociale. La question est donc de l'ordre des attitudes ou de l'idéologie ; elle nécessite un changement social, ce qui, au niveau politique, se traduit en termes de droits de la personne humaine. Selon ce modèle, le handicap est une question politique" (Introduction à la

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Classification internationale des fonctionnements, des handicaps et de la santé, CIF, OMS, 2001, cité par Hamonet, 2010, p.65-66).

La CIF apparait ainsi comme un compromis institutionnel entre cette vision "socio-

environnementaliste" du handicap et le courant médical prédominant. Elle semble permettre

une classification plus précise et descriptive des aspects fonctionnels des conditions du handicap, applicable pour des déficits de nature physique comme psychique, ainsi qu'offrir un cadre plus large et transdisciplinaire pour définir un traitement, ses buts et évaluer les progrès ; elle permet également d'établir un langage commun entre pays et spécialistes au sujet du handicap (Reed, Spaulding, et Bufka, 2009 ; Threats, 2006). Elle est structurée en deux parties principales : la première, intitulée Fonctionnement et incapacités, comprend les sous-parties a) Structures et fonctions corporelles et b) Activités/Participation ; la seconde, intitulée Facteurs contextuels, est composée des sous-parties a) Facteurs environnementaux et b) Facteurs personnels. Ainsi, la description faite d‟une personne au moyen de la CIF permet de mettre en évidence "une situation de handicap", mais "de manière incomplète" (Mellier et Courbois, 2005). En effet, cet outil apparait souffrir de nombreuses répétitions et contradictions, qui rendent son application lourde, imprécise et difficile dans la pratique de la réadaptation ; il apparait d'ailleurs davantage comme un outil de recherche et de comparaison que comme un instrument clinique de mesure du handicap (Hamonet, 2010 ; 2012, section articles et cours). Comme le relate Vallée Tocqueville (2009), "même si l'OMS se garde de le

dire aussi clairement, la CIF a pour objectif principal d'amener les différentes sociétés à faire des choix politiques en accord avec l'approche sociale admise". Malgré ses limitations, la CIF

reste une avancée sociale majeure en faveur des personnes handicapées :

"Son intérêt est d’avoir clos le débat entre «pro et anti-woodiens», d’avoir ouvert une

très large brèche vers le social et le sociétal, d’avoir «positivé» les termes utilisés, évitant ou minimisant (au prix de l’imprécision) la stigmatisation, et enfin, d’avoir relié handicap et santé" (Hamonet, 2012, section articles et cours).

Dérivés du modèle social, plusieurs courants de recherche ont évolué en parallèle aux travaux de l'OMS, contribuant, dans certains cas avec cette dernière, à clarifier et d'opérationnaliser les définitions du handicap, en en soulignant notamment les dimensions clinique et anthropologique. Nous porterons plus particulièrement notre attention sur la notion de "situation de handicap", qui nous semble pouvoir être utilisée de manière adéquate et pertinente dans le cadre de notre étude. Cette notion a d'ailleurs été adoptée en 2002 par la Commission européenne dans un rapport sur l'inclusion sociale, et en 2000 en France par le

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Conseil économique et social, suite à une étude sur le thème "Situations de handicap et cadres de vie" (Vallée Tocqueville, 2009 ; Hamonet, 2010).

C'est déjà à partir des années 1970 que le concept de "situation de handicap" ou de "situation

handicapante" a été développé de manière centrale par un groupe de recherche international,

actuellement nommé Groupe International de Recherche Interdisciplinaire sur le Handicap (GIRIH), qui s'est progressivement constitué autour de la personne de C. Hamonet. L'approche du GIRIH est résolument tournée vers l'insertion sociale des personnes en situation de handicap, le handicap étant appréhendé avant tout comme une notion sociale et subjective (Vallée Tocqueville, 2009). Constituant une alternative à la présentation du handicap faite par l'OMS, cette équipe a ainsi élaboré un "Système d’identification et de

mesure du handicap" (SIMH), dont les deux éléments fondamentaux sont :

"[…] les situations de la vie qui conditionnent le handicap et la subjectivité (ou point

de vue de la personne) qui conditionne sa façon de réagir face à son état corporel, fonctionnel et situationnel. Cette approche, délibérément «positive», ne parle plus de

«classification» (terme jugé trop stigmatisant) mais «d‟identification». Elle se veut

universelle, simple, complète et éthique (ne dévalorisant pas la personne). Elle repositionne la notion de personne face à la société et à la santé. Elle introduit une démarche en santé qui dépasse le seul handicap puisqu’elle est utilisable également pour aborder la douleur ou les soins palliatifs" (Hamonet, 2012, section articles et

cours).

Cette approche d'identification du handicap via la notion de situation, qualifiée d'"approche

globale médico-sociale et anthropologique des situations de handicap" (Hamonet, 2010,

p.54-59), est quadridimensionnelle, centrée sur la personne, et implique les dimensions d'analyse suivantes (voir figure I.1. ci-dessous) :

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Figure I.1: Système d'identification quadridimensionnel du handicap (Hamonet, 2010, p.57).

1. Le corps : "ce niveau comporte tous les aspects biologiques du corps humain, avec ses

particularités morphologiques, anatomiques, histologiques, physiologiques et génétiques. Certaines modifications du corps d'origine pathologique (maladie ou traumatisme) ou physiologique (effets de l'âge, grossesse...) peuvent entraîner des limitations des capacités. On voit donc que les modifications pathologiques ne sont les seules en cause" ;

2. Les fonctions ou capacités humaines : "ce niveau comporte les fonctions physiques et

mentales (actuelles et potentielles) de l'être humain, compte tenu de son âge et de son sexe, indépendamment de l'environnement où il se trouve. Les limitations des capacités (réelles ou supposées), propres à chaque individu, peuvent survenir à la suite de modifications du corps, mais aussi du fait d'altérations de sa subjectivité" ;

3. Les situations de la vie : "ce niveau comporte la confrontation (concrète ou non) entre une

personne et la réalité d'un environnement physique, social et culturel" ;

4. La subjectivité : "ce niveau comporte le point de vue de la personne, incluant son histoire

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personne sur son corps (difformité), sur ses capacités (être diminué, faible), sur ses situations de handicap (exclusion) et sur son devenir (réadaptation)".

Ce modèle conceptuel permet ainsi de définir plus précisément les notions de handicap et de situation de handicap, suivant deux formulations qui apparaissent "comme étant les plus

compatibles avec la réalité sociale et les plus applicables dans un texte de loi, dans le contexte contemporain" (Hamonet, 2010, p.59) :

"1. Constitue une situation de handicap le fait, pour une personne, de se trouver, de

façon temporaire ou durable, limitée dans ses activités personnelles ou restreinte dans sa participation à la vie sociale du fait de la confrontation interactive entre ses fonctions physiques, sensorielles, mentales et psychiques lorsqu'une ou plusieurs sont altérées, d'une part, et les contraintes de son cadre de vie, d'autre part. 2. Le handicap est la restriction des activités personnelles et/ou de la participation à la vie sociale qui résulte de la confrontation interactive entre, d'une part, les capacités d'une personne ayant une ou plusieurs limitations fonctionnelles durables ou temporaires - physique, mentale, sensorielle (vue, audition) ou psychique - et, d'autre part, les contraintes physiques et sociales de son cadre de vie" (Ibid.).

On peut comprendre ainsi le handicap comme un processus émergent et interactif, qui résulte de l'interaction entre des facteurs personnels et des facteurs environnementaux, l'environnement (surtout social) pouvant être facilitateur ou obstacle à l'autonomisation des personnes.

"Limiter les situations de handicap nécessite d'intervenir à la fois aux niveaux de la

personne et de l'environnement physique et social. La question n'est pas tant de protéger ou adapter les personnes que de « faire part égale » avec elles dans une démarche citoyenne" (Mellier et Courbois, 2005).

Comme l'exposent très justement ces auteurs, aborder le handicap en termes de situation amène à considérer deux points cruciaux, tant au niveau de la compréhension que de l'intervention. Le premier se rapporte à l'importance de prendre en compte le rôle prépondérant du développement émotionnel et de ses troubles éventuels dans la compréhension d'une situation de handicap relative à une personne. En effet, les processus émotionnels participent à l'autorégulation vitale du corps en situation, comme au développement de l'intersubjectivité, et permettent notamment la coordination entre sujets des fonctions d'attention, d'intentionnalité et d'apprentissage (Colombetti et Torrence, 2009 ; Trevarthen et Aitken, 2003). Le second point a trait à "l’effet retour" du handicap sur

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l‟environnement social, c'est à dire au fait que les attitudes déficitaires d'une personne en situation de handicap peuvent être potentiellement renforcées par les attitudes et les comportements de l'entourage social, si ce dernier se focalise sur les seuls aspects déficitaires et limitations fonctionnelles de la personne.