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CHAPITRE I : LE HANDICAP

2. Définitions légales actuelles et droits de la personne handicapée

2.2. Au niveau français : la loi du 11 février 2005

Le terme de "handicap" est pour la première fois officialisé en France par la loi du 23 novembre 1957, afin de permettre le reclassement des travailleurs handicapés (Vaginay, 2007). Mais c‟est déjà depuis 1945, par la création de la Sécurité sociale, que L‟Etat prend en charge le handicap de manière effective, en créant des institutions pour "personnes

vulnérables" (Doat, 2010). Puis, durant les trente années "glorieuses" de l‟après-guerre,

concomitantes à l‟élévation du niveau de vie et au changement des mentalités, émerge une nouvelle exigence sociale, entraînant un passage de la protection et de l‟assistance à l‟éducation et aux soins : conjointement au développement de la formation du personnel, de nombreux établissements spécialisés sont créés, en particulier pour les enfants d‟âge scolaire. Depuis, de nombreux textes de loi, décrets, circulaires ont été promulgués en France, démontrant un réel intérêt des pouvoirs publics quant au handicap. Nous citerons ici ceux qui nous ont principalement permis de clarifier notre cadre de recherche, dont le plus important dans le paysage institutionnel français actuel apparait être la loi du 11 février 2005.

C'est tout d'abord la loi n°75/534 du 30 juin 1975 "d‟orientation en faveur des personnes handicapées" qui organise le "secteur handicapé", en présentant de manière générale les moyens à mettre en œuvre comme les objectifs à atteindre, mais en instituant également une confusion initiale entre les différentes formes de handicap, leur origine ou leur intensité. Cette loi est élaborée en collaboration avec les milieux associatifs, considérés comme "des

partenaires, puisqu'ils font partie du Conseil national consultatif des personnes handicapées"

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"L'article premier donne les objectifs généraux de la loi et définit le caractère global

de la réadaptation. Le fait que l'accent soit mis sur la prévention doit être souligné. La notion d'obligation nationale est nouvelle, elle prend toute sa force dans l'énumération des intervenants dont les deux premiers sont la famille et l'Etat. La volonté d'insertion, chaque fois que possible en milieu communautaire ordinaire, est clairement affirmée. Le handicap n'y est pas défini ; le soin de reconnaître qu'une personne est ou n'est pas handicapée est laissé à des commissions départementales (CDES et COTOREP)"

(p.84-85).

Comme l'explicite Vaginay (2007), cette loi apparait ambigüe :

"Si la loi reconnaît le handicapé, l’assure de la solidarité sociale et organise celle-ci

(allocation, orientation, aides diverses), elle ne définit pas le handicap. Cette lacune ne relève pas de l’oubli, mais de la stratégie, consciente ou non : d’abord, l’objectif de la loi est celui de la réinsertion sociale, c'est-à-dire celui de l’atténuation du handicap, voire de sa disparition, par réintégration dans le tissu social ; ensuite, ne pas définir le handicap permet de ne pas lui reconnaître de statut définitif, peut-être même de le renvoyer à un facteur contingent, c'est-à-dire souligner le fait qu’il aurait pu (ou dû) ne pas être là" (p.36-37).

L‟implication des pouvoirs publics français se poursuit entre autre par la mise en place d‟un processus de généralisation du "dispositif pour la vie autonome en faveur des personnes

handicapées" (Circulaire GAS/PHAN/3 A n°2001-275 du 19 juin 2001), lequel met l‟accent

sur la reconnaissance de l‟aspiration de ces dernières à l‟autonomie, quelles que soient l‟origine et la nature de leur handicap. Ce processus vise en particulier à "supprimer les

obstacles à la pleine participation des personnes handicapées et ouvrir tous les aspects de la vie sociale à cette participation", l'objectif étant de " permettre aux personnes handicapées de participer pleinement à la vie en société en diminuant les obstacles à cet égard" (Ibid.).

La loi n°2002-2 du 2 janvier 2002 rénove la loi de 1975 sur les droits fondamentaux des citoyens, et promeut les droits des "usagers" et de leur entourage, notamment quant au respect de la dignité, de l‟intégrité, de la vie privée et de la sécurité de la personne, faisant ainsi référence à la Déclaration universelle des droits de l‟homme de 1948 (Doat, 2010). Cette loi, instaurant entre autre "le contrat de séjour" en institution, place toutes les personnes handicapées (sans distinction) au centre de leur projet de prise en charge, voyant en celles-ci des citoyens aptes à négocier contractuellement les prestations dont ils ont besoin, comme si les personnes concernées avaient dans tous les cas les moyens de participer à son élaboration

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et de développer un point de vue critique à son égard, ce qui n‟est évidemment pas le cas pour nombre d‟entre eux (Chavaroche, 2006 ; Vaginay, 2007). Cette loi se fait également l‟expression de la volonté des pouvoirs publics d‟accompagner les établissements et services sociaux dans la mise en œuvre d‟une évaluation interne et externe, notamment des pratiques professionnelles, actuellement en développement comme nous l'avons vu précédemment. La loi n°2005-102 du 11 février 2005, pour l‟égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, est présentée comme une réforme de la loi du 18 juin 1975. Pour la première fois, le handicap est défini légalement en France :

"Constitue un handicap, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la

vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive, d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant".

Cette définition prête à discussion. En effet, premièrement, "cette définition fait, à juste titre,

la distinction entre l'activité personnelle au quotidien (actes indispensables de la vie courante) et la participation à la vie en société qui est l'intégration-inclusion sociale"

(Hamonet, 2010, p.96). Comme le relate cet auteur, elle mentionne l'incidence de l'environnement de la personne mais a écarté volontairement la notion de "situation de

handicap", que nous expliciterons plus loin. La reconnaissance de la dimension psychique

dans la constitution d'un handicap apparait comme une avancée sociale importante, bien que les différents termes de mental, cognitif et psychique puissent entraîner une confusion, selon leurs sens respectifs, qui varient déjà au sein même de la psychologie et des sciences cognitives. Quant à la notion d'"altération substantielle", le flottement sémantique qu'elle induit renvoie "aux imprécisions des outils de mesure utilisés jusqu'à maintenant" (Hamonet, 2010, p.97). Cette loi réaffirme le principe du droit à la compensation des conséquences du handicap : "la personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son

handicap quelles que soient l’origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie". Ce droit à la compensation, qui comprend l‟accueil de la petite enfance et la scolarité,

l‟enseignement et l‟éducation, l‟enseignement professionnel, les aménagements de domicile et des aides de toute nature à la personne ou aux institutions pour vivre en milieu ordinaire ou adapté, peut être exprimé par la personne handicapée ou son représentant légal dans un "projet de vie". Cette loi instaure également les Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), lesquelles doivent répondre en un lieu unique aux missions d‟accueil,

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d‟information, d‟accompagnement et de conseil envers les personnes handicapées et leur proches, après évaluation des besoins et décision de la Commission des droits et de l‟autonomie des personnes handicapées (CDAPH), en mettant en place un "plan personnalisé

de compensation". Comme l'explicite Peyraud (2010), celui-ci répond ainsi à la volonté

politique de définir :

… "l’ensemble des droits, aides et moyens possibles au regard de la déficience telle

que, dans l’absolu, elle pourrait être ressentie et vécue. Il s’agit bien là de compenser la perte d’autonomie sur la base d’une « photographie » de la personne handicapée, de ce qu’elle peut ou sait faire, mais aussi de ce que son environnement lui permet de réaliser ou au contraire l’en empêche".

En définitive, cette loi apparait en tant que "loi antidiscrimination" de portée générale, dont les axes principaux sont de "garantir le libre choix du projet de vie", de "permettre une

participation effective à la vie sociale" et de "placer la personne au centre du dispositif"

(Hamonet, 2010, p.98).

Il pourrait sembler à première vue que nous ayons atteint en France "un système idéal de prise

en charge individuelle qui, tant il parait parfait, pourrait être modélisable selon l’envie sociétale et l’envie de l’usager et de ses proches" (Peyraud, 2010). Cependant, comme le

relate cet auteur, le tableau ainsi dépeint apparait devoir être relativisé. Premièrement, on constate un décalage manifeste entre ce que préconise la législation concernant la prise en charge de la personne handicapée et le constat péjoratif des moyens actuels mis en œuvre, largement en deçà des besoins réels des populations concernées, à commencer par la carence de structures nouvelles. Deuxièmement, la définition même du handicap pose question. Celle- ci reste très générale, vague, et englobe en fait tout cas dans lequel une personne subirait une incapacité à participer à la vie sociale de son milieu. "Le fait de traiter un état qui n’est pas

défini mais qui, pourtant, concerne de plus en plus de personnes, laisse imaginer que, à terme (indéfini), cela pourrait ne plus en concerner du tout" (Vaginay, 2007, p.37). Cette

conception, mettant ainsi sur un même plan tout type de handicap, normalise alors les handicaps les plus sévères, notamment ceux pris en charge en FAM et en MAS, à travers une notion de citoyenneté qui les assimile à une représentation de l‟être humain épurée de tout affect dérangeant, au détriment d‟un respect qui devrait s‟imposer envers une différence manifeste et évidente pour quiconque en fait quotidiennement l‟expérience (Chavaroche, 2006). De plus, l‟aménagement des cadres de vie, par la suppression ou la diminution des obstacles à la participation des personnes handicapées à la vie sociale, se conçoit aisément

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pour des déficits moteurs ou sensoriels (e.g. adaptation des voies d‟accès, de la signalisation), mais donne lieu à de curieuses perspectives dans le domaine des déficiences mentales, par exemple (Vaginay, 2007). Néanmoins, bien qu'imprécise, cette loi a le mérite d'exister ; "les

risques de dérive sont davantage inhérents à l’idéologie ambiante qu’aux intentions du législateur et aux termes mêmes de la loi" (Salbreux, 2011). Il convient alors de préciser dans

quel cadre idéologique plus général a progressivement émergé la législation française actuelle relative au handicap.