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Chapitre 2. Contours d'une bibliographie indigène

2. Formes et genres

2.1. Récits didactiques

Les livres didactiques se développent en conséquence directe de la Constitution de 1988 qui reconnaît le droit à une éducation différenciée, et à la création des écoles. Ils s’articulent autour de la santé, des mathématiques, de l’écriture, de la langue, de

60 Lynn Mario Trindade Menezes de Souza, « As visões da Anaconda : a narrativa escrita indígena no Brasil », Revista Semiar n°7, http://www.letras.puc-rio.br/catedra/revista/7Sem_16.html

l’histoire, la géographie, la botanique. Sous l’égide du Ministère de l’Education (MEC), les universités et les ONG prennent en main les différents projets qui donnent naissance à une littérature pédagogique produite par et pour les Indigènes eux-mêmes au sein des aldeias, bien souvent lors des cours de formation aux professeurs indigènes. Notons que des projets ont parfois été menés avant la Constitution de 1988, grâce à l'action des associations indigénistes et des ONG.

Geografia indígena est écrit et dessiné par les Indigènes professeurs du PIX suite aux activités didactiques menées en géographie.

Le livre Livro das árvores61de différents auteurs Ticuna a rencontré un si grand succès

qu’il a été co-édité par la maison d’édition Global à São Paulo. Il est le résultat matériel d’une recherche intégrée au projet « A natureza segundo os Ticuna » :

As primeiras atividades desse projeto constaram do levantamento de dados e da elaboração de desenhos sobre a flora e a flauna regionais. Essas informações, pesquisadas e registradas pelos professores ticuna, deveriam compor materiais didático-pedagógico para apoiar as aulas de ciências nas escolas indígenas. Com o passar do tempo, as idéias foram se aperfeiçoando. Hoje em dia, o projeto desenvolve uma série de outras atividades, voltadas especialmente para a educação ambiental […] os conhecimentos trabalhados durante os cursos se multiplicam através dos 210 professores e chegam aos 7 mil alunos das 90 escolas ticuna situadas nos municípios de Benjamin Constant, Tabatinga, São Paulo de Olivença, Amaturá e Santo Antônio do Içá, no estado do Amazonas. […] os professores ticuna decidiram dividir por temas o material levantado e publicar o primeiro livro de uma série : o livro das árvores. […]

O livro acolhe o olhar dos Ticuna sobre a natureza que os cerca e lhes serve de morada, trazendo textos e imagens que fixam suas concepções do real e do imaginário, numa linguagem onde se entremeiam conhecimentos práticos, valores simbólicos e inspiração poética.

Cabe destacar que os desenhos aqui apresentados, com exceção de dois, foram elaborados individualmente, ao passo que os textos são resultado de uma produção coletiva, baseados em um saber de domínio também coletivo.

Este livro é dedicado principalmente às crianças e adolescentes, alunos das escolas Ticuna. Mas seria importante que tambem fosse lido pelas crianças não-índias das tantas escolas do país. Elas

61 TICUNA, O livro das árvores, Organização geral dos professores Ticuna bilíngües, 1999, réédité par São Paulo, Global Editora, 2006, 96 p.

poderiam conhecer os Ticuna, contemplar seus desenhos e aprender sobre a floresta amazônica através da palavra de seus habitantes mais antigos.62

La littérature indigène soulève bien des paradoxes. Tout d’abord, parce que ce sont encore et toujours les non-Indigènes qui prennent l’initiative de l’écriture des livres et coordonnent leur édition ; ensuite, parce que cette littérature est conçue avant tout pour être utilisée au sein de l’école. Menezes de Souza mentionne qu’elle est à la fois locale et nationale, marginale et canonique :

[…] local, porque cada comunidade com projetos para uma escola indígena se torna produtor/ autor e consumidor / leitor de seus próprios textos ; nacional, porque a política da escola indígena é federal, e isso faz com que surja um público consumidor / leitor potencial da escrita indígena em todas as escolas indígenas do país, fazendo com que esses livros possam circular para fora de suas comunidades produtoras […] ; marginal porque essa escrita emborajá prolífica e de grande abrangência, ainda não mereceu o interesse das academias e instituições literárias porque trata-se de uma escrita que já nasce no bojo da instituição escolar […]63

Compte tenu de son utilisation au sein des écoles en tant qu’outil pédagogique, la production reste relativement locale et les ouvrages sont édités à un petit nombre d’exemplaires.

On peut douter du potentiel littéraire émanant des ouvrages didactiques. Il est vrai que cette littérature prend un chemin résolument étrange. Toutefois, les ouvrages apparaissent sous une forme libre où la part belle est donnée aux dessins et aux jeux de typographie. L’espace semble être conquis par les Indigènes qui s’approprient le livre et l’expérience de l’écriture :

62 Ibid., Apresentação de Jussara Gomes Gruber, p. 7.

63 Lynn Mario Trindade Menezes de Souza, « Que história é essa ? A escrita indígena no Brasil », op. cit.

Esses textos, sempre inacabados, participam da natureza do contato ou da relação. São transitórios quanto aos suportes (o papel, por exemplo, mal os suporta, tal a tendência à tridimensionalidade), quanto ao formato (as letras dançam nas páginas, as histórias não finalizam, os gêneros clássicos não os abarcam), quanto à função (ensinam geografia, por exemplo, mas o efeito poético faz cair a impostura de qualquer saber constituído).64

Les livres « didactiques » transcendent leur utilité première puisqu’ils assument vraisemblablement un rôle informatif. Ces « livros com caras de índio » selon Maria Inês de Almeida, font connaître l’existence des groupes indigènes à l’extérieur de l’aldeia. Citons l’introduction du livre O povo Pataxó e suas histórias :

Este livro foi um trabalho escrito e desenhado com muito amor e carinho por nós, professores indígenas Pataxó. Pela primeira vez, nós tivemos esse espaço para contarmos um pouco da nossa história.

O nosso objectivo é construir um currículo diferenciado para nossas escolas, com nossas próprias reflexões e informações do nosso passado e futuro65.

Le sujet principal de la narration est le « nós » qui représente l’auteur collectif, la communauté dans l’ensemble. On trouve bien souvent une carte géographique de l’emplacement de leur aldeia au début de l’ouvrage et une présentation du groupe plus ou moins développée selon l’intention des coordinateurs de l’ouvrage. Le livre est formé de façon intrinsèque, avec la communauté et sur la communauté. Il peut également, comme nous l’avons vu avec O livro das árvores, s’appuyer sur une thématique. Il peut aussi transcender la communauté et tenter de définir l’identité indigène en général.

Le livre est un outil pour se représenter au monde extérieur de l’aldeia, mais aussi un moyen de définir sa propre identité. Pour Hugh-Jones, le livre devient un élément de la cultura, c’est à dire un objet rituel traditionnel au même titre que les objets sacrés. Ils

64 Maria Inês de Almeida, Desocidentada. Experiência literária em terra indígena, op. cit., p. 75.

65 Angthichay, Arariby, Jassanã, Manguahã, Kanátyp, O povo Pataxó e suas histórias, première édition 1997, MEC/SEE-MG/UNESCO, puis São Paulo, Global Editora, 2001, p. 9.

sont devenus constitutifs de la communauté66. Le livre s’écrit et se conçoit à plusieurs, souvent par des membres d’une même communauté, parfois de façon trans-ethnique, rassemblant des individus de différentes ethnies qui se regroupent lors des cours de formation des professeurs indigènes. Les Indigènes font l’expérience de l’interculturalité et se définissent alors en opposition aux Blancs, parfois selon une

identité régionale, nationale, ou pan-ethnique67. Les cours puis les livres sont un lieu de

construction de diverses identités.

La communauté s’approprie l’écriture pour se représenter, pour exister à l’extérieur et créer un pont avec le reste de la société nationale. Les expériences littéraires sont entourées et gérées par les Blancs, toutefois les œuvres littéraires qui naissent de ces expériences ne sont comparables à aucune autres, loin des modèles traditionnels de la société occidentale. L’expérience littéraire est « désoccidentée », pour reprendre le terme de Maria Inês de Almeida. La littérature se lie avec la terre : la chercheuse crée le

mot Literaterra68 pour exprimer le lien quasi mystique de l’expérience littéraire par les

Indigènes. Les Indigènes renouent avec l’évidence de l’écriture, son côté essentiel, loin des marchés des maisons d’édition et des conceptions bourgeoises de l’auteur. L’expérience indigène de l’écriture, la literaterra, est en ce sens totalement innovante. Il est évident que la théorie littéraire basée sur nos traditions écrites reste désarmée pour étudier cette nouvelle pratique de l’écriture. Cette poétique échappe aux théories occidentales de la littérature ; contrairement à la production des écrivains de notre dernière partie, qui vivent relativement loin des écoles différenciées et écrivent à titre individuel, en s’autoproclamant indigènes.

66 Stephen Hugh-Jones, « Entre l’image et l’écrit. La politique tukano de patrimonialisation en Amazonie », op. cit.

67 Nietta Lindemberg Monte « Textos para o currículo escolar indígena », in SILVA, Aracy Lopes da, FERREIRA, Mariana Kawall Leal (org.), Práticas pedagógicas na escola indígena, op. cit., p. 47-69.

68 Literaterra : nom du laboratoire de recherche à la UFMG, à l’origine d’une soixantaine de publications de littérature indigène.