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construction de « l’Indigène écologique »

2. Contours d'une nation indigène

2.2. Création d'un imaginaire communautaire

2.2.1. Les héros indigènes

Il y a peu de personnages indigènes célèbres dans l'histoire du Brésil. Le peu d'Indigènes connus sont des personnages romanesques fictifs tirés des œuvres nationales.

Les noms des Indigènes brésiliens n'ont pas coutume d'être cités dans les ouvrages. Les auteurs indigènes effectuent un travail historique crucial en réhabilitant les noms des acteurs indigènes, leur donnant une visibilité dont ils sont privés.

Nous avons même du mal à trouver des renseignements sur leur parcours sur internet. Les auteurs indigènes sont ainsi les seuls à leur accorder quelque importance. Parmi les leaders cités, il y a les plus contemporains, dont les noms peuvent nous sembler familiers : Ailton Krenak (Eliane, 68) a écrit un article sur lequel nous nous appuierons, Raoni a défendu son peuple auprès du chanteur Sting via l'ONG Survival International (Eliane, 124 ; Olívio, 24). Puis, il y a des personnages marquants, que l'histoire officielle tait.

Sepé Tiaraju

Eliane Potiguara rend hommage au chef de la résistance missionnaire jésuite qui mena ses troupes guarani à combattre les Espagnols et les Portugais pour préserver l'état du Rio Grande do Sul, indexé par le Traité de Madrid en 1750. Remarquez cette longue phrase qui commence par le nom du héros indigène Sepé Tiaraju. Le sujet d'une si longue phrase devient épique, l'événement prend de l'ampleur au gré des énumérations :

Sepé Tiaraju, uma das maiores lideranças do século XVIII, foi assassinado por um português pela frente e um espanhol pelas costas, simultaneamente, na batalha de 7 de fevereiro de 1756, em Bagé, no Rio Grande do Sul, Brasil, depois de caminhar com seus guerreiros, dias, meses e anos a pé, fazendo negociações entre os países que cobriam as bacias dos rios Paraguai, Paraná e

Uruguai, objectivando os Direitos Indígenas daquele povo que estava sendo massacrado pela escravidão, pela imposição de uma política européia que já existia desde o século XVI, pela decadência moral, política e econômica, principalmente Portugal e Espanha que impuseram o Tratado de Tordesilhas (1494) e o Tratado de Madri (1750), tratados esses que dividiam e entregavam o Brasil entre eles e que só trouxeram, durante um século e meio, o desrespeito à cultura Guarani. (Eliane, 117)

La mort de Sepé Tiaraju prend des allures hautement romanesques : le leader indigène est tué sur ses terres, simultanément par un Portugais et un Espagnol. Symboliquement, c'est le Brésil et le Paraguai qui souffrent de l'invasion européenne.

Les Guarani, unique peuple autochtone de la bataille, sont mis en déroute par les deux peuples occidentaux. Eliane Potiguara semble se plier à la description précise et froide de l'histoire, en étant précise dans les dates, énumérant les dates, les noms de traités restés dans l'Histoire. A un détail près : l'histoire de la résistance guarani n'est pas répandue. La phrase se termine sur les mots « culture guarani », les mettant en avant et faisant écho au nom du leader qui commence la phrase.

Marçal Guarani ou Marçal Tupã-i

Le leader guarani du Mato Grosso do Sul a dénoncé l'invasion des terres, l'esclavage des Indigènes dès les années 70.avant d'être assassiné en 1983. Le linguiste et indigéniste brésilien Benedito Prezia lui consacre une biographie s'intitulant « Marçal Guarani. A voz que não pode ser esquecida ». Ce titre est révélateur : on écrit sur la vie de quelqu'un pour ne pas l'oublier, et surtout le faire connaître aux yeux de tous, le rendre visible. Eliane Potiguara le mentionne en apostrophe dans un de ses poèmes sur la liberté des peuples indigènes (Eliane, 36).

Elle lui consacre le poème intitulé « No dia que mataram Marçal Tupã-y » (72-73) dans lequel elle prône la parole, envers et contre toutes les menaces.

Le poème est dépourvu de date et de noms. Cette litote met en avant le courage de la personne qui a disparu.

Angelo Kretã

L'un des ouvrages de Olívio Jekupé est consacré en partie à la mort du leader indigène Angelo Kretã.La démarche de Olívio Jekupé est de rendre célèbre le leader mais aussi de faire savoir les circonstances de sa mort, en dénonçant l'injustice. C'est d'abord au peuple brésilien qu'il s'adresse :

« tenho que contar aos brasileiros o que eu aprendi sobre Kretã »143

Marcos Tupã, qui signe l'introduction de l'ouvrage de Olívio Jekupé, insiste sur l'émotion qui accompagne la mort et sur l'importance de l'écriture.

KRETÃ foi um grande líder que lutou com coragem para defender o seu povo e também os Guarani que são seus vizinhos. […]

Acredito que através deste livro, Kretã continuará vivo na história, mesmo não estando em nosso meio. O livro vai fazer com que o leitor fique emocionado como eu fiquei quando li. (Introduction de Marcos Tupã, Olívio Jekupé, Xerekó Arandu. A morte de Kretã.)

En défendant les terres indigènes, les leaders se font des ennemis car ils perturbent les propriétaires terriens. Ils sont abattus dans des circonstances souvent non élucidées. Angelo Kretã n'est pas le seul leader indigène à disparaître ainsi. Les auteurs dénoncent les assassinats des leaders indigènes, ainsi que l'inaction coupable de l'Etat. Ainsi, Eliane Potiguara cite Marçal Tupã-y et dénonce les crimes commis avec le consentement latent de l'Etat :

Os casos mais polêmicos referem-se ao assassinato de Marçal Tupã-y, em 1983 ; ao caso dos 14 índios Tikuna assassinados, em 1988 ; ao caso do assassinato dos 16 índios Yanomami em 1993, o caso do índio Galdino, do Povo Pataxó, queimado em Brasília. […] Todos esses casos continuam impunes. […] O Governo brasileiro, nas últimas décadas, tem facilitado os interesses das mineradoras em territórios indígenas e protegido sempre os empresários e políticos locais. (Eliane, 44)

Eliane Potiguara mêle les noms des Indigènes et les anonymes, qui sont seulement chiffrés. Leur mort n'en est pas moins importante.

Les ouvrages d'histoire indigène de Benedito Prezia citent également la mémoire des grands chefs indigènes144.

Marçal Guarani, Rosalino Xakriabá, Chicão Xukuru, João Cravin, seu irmão Galdino... Todos mortos, de uma forma ou de outra, na luta em defesa de seu povo.145

S'il ne s'attarde pas sur les circonstances de la mort, on en connait les raisons.

Olívio Jekupé érige systématiquement des héros indigènes. Il dédicace ses ouvrages aux héros de la communauté indigène, qui ont donné leur vie pour les droits indigènes. La mort du leader indigène Angelo Kretã est contée sur 5 pages dans l'ouvrage qui porte son nom.

Você já ouvi falar em Angelo Kretã ?

O cacique Kaingang que morreu em um accidente de trânsito ?

- Não foi um acidente ! Eu vou contar para você. (25)

La mort du leader devient sujet de conversation entre deux étudiants indigènes. Cette discussion banalise la mort de l'Indigène, comme elle est un élément rapprochant les deux étudiants réunis autour d'un sujet et d'une cause communs, de par leur identité. Olívio Jekupé écrit des petits poèmes simples dotés des mots crus de la mort :

Ângelo Kretã lutou pelo seu povo, por isto que alguém mandou matá-lo.146

Tel un haïku, les vers extraits du poème « Homenagem à filha de Kretã » exposent deux actions : l'une est pérenne (lutter pour son peuple), l'autre, courte et qui arrive

144 Cf Annexe 12 p. 270.

145 Benedito Prezia. Terra à vista. Descobrimento ou invasão? São Paulo, Editora Moderna, 2009, p. 79.

subitement, vient y mettre un terme. Les coupures syntaxiques intensifient l'absurdité et paraissent être un argument pour souligner l'injustice. Olívio Jekupé accuse tout de même quelqu'un d'avoir commandité le meurtre du leader indigène.

Les écrivains indigènes ont le désir de réhabiliter les héros indigènes sur la scène historique, créant ainsi un panthéon de héros indigènes contribuant à l'imaginaire dont s'inspire la nation.